NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

Assemblée Nationale, Commission des Finances — Paris

 

Merci de votre invitation pour débattre avec vous du commerce international. Avant de répondre à vos questions, et compte tenu des développements tumultueux des ces derniers jours, je voudrais consacrer mon propos introductif à deux sujets:

  • la place de l'OMC dans la régulation économique internationale

  • l'état des lieux de la négociation du cycle de Doha

La place de l'OMC dans la régulation économique internationale

Pour situer, en fond de tableau, la place de l'OMC dans la régulation économique internationale, comparons-la un moment à la régulation financière et à la régulation en matière d'environnement.

En matière financière, c'est peu dire que les événements depuis plus d'un an ont montré l'absence de régulation internationale efficace. J'entends par là, un système de normes qui contraindrait les pays qui les ont négociées et acceptées à des obligations multilatérales contraignant leurs comportement national et international. La crise financière actuelle trouve son origine dans un défaut de régulation du système financier aux US dont les autorités n'ont pas souhaité, ou ne sont pas parvenues à encadrer la créativité des intervenants sur les marchés d'instruments de crédit dans un cadre prudentiel efficace. Il existe, certes, des lieux où traiter ces questions. Je ne parle pas du FMI dont la compétence opérationnelle est actuellement limitée aux questions de balance de paiement ou de change. Mais plutôt des instances qui gravitent autour du pôle de la BRI à Bâle, y compris le Forum de Stabilité Financière crée en 1998.

Mais les discussions qui se tiennent dans ces instances fragmentées n'ont débouché que sur des normes minimales, en l'absence d'accord de fond entre ceux qui plaidaient pour des normes réellement contraignantes et ceux qui préféraient faire confiance à l'auto régulation des opérateurs financiers. Et les dispositifs en vigueur n'impliquent que très indirectement les Etats nations souverains, les plus souvent arc-boutés sur leurs intérêts particuliers.

Pour résumer, il n'y avait pas de consensus au niveau politique sur un objectif de régulation, a fortiori pas sur le périmètre ou les instruments de cette régulation, ni sur le lieu où des instruments juridiquement contraignants seraient négociés ni, encore, sur qui serait chargé de veiller à leur mise en œuvre.

Dans un autre domaine, tout aussi essentiel pour la régulation globale, celui de l'environnement, la situation est différente. Si l'on examine la question cruciale de l'émission des gaz à effet de serre, et notamment le CO², les lois de la physique, qui sont plus établies que celles de l'économie, ont provoqué une prise de conscience collective qui a donné naissance en 1992 à Rio à la fois au protocole de Kyoto et aujourd'hui aux négociations post Kyoto en cours sous l'égide du panel des Nations Unies sur le changement climatique. Et, ici, la discussion ne porte ni sur la nécessité d'une régulation internationale, qui est admise par tous, ni sur l'instance compétente, mais sur la répartition des efforts des États nations et sur les instruments contraignants à mettre en place pour assurer le respect des objectifs négociés. Resterait, si tel était le résultat obtenu à articuler ces obligations avec d'autres systèmes d'obligations internationales, en particulier celui de l'OMC. L'expérience des accords multilatéraux sur l'environnement actuellement en vigueur qui peuvent comporter des mesures impactant le commerce international montre que cette co-existence est possible, et nous y reviendrons peut-être lors de notre discussion.

Dans le domaine environnemental, on dispose donc d'une volonté, d’une énergie politique (absente, jusqu'à présent, en matière financière), de lieux de négociations et de surveillance (les secrétariats des divers accords) et la négociation porte sur les engagements des uns et des autres à respecter un objectif commun, notamment entre pays développés et pays en développement dont la capacité “contributive” est évidemment différente.

Par rapport à ces deux exemples, l'OMC représente un système de régulation à la fois ancien, éprouvé, et sophistiqué.

Ancien car cela fait plus de soixante ans que ses membres, instruits par les expériences protectionnistes désastreuses des années 1930 ont accepté au sein du GATT de l'époque de souscrire des disciplines en matière de commerce international qui déterminent les limites multilatérales de leur souveraineté en la matière.

Éprouvé car ces règles ont été régulièrement mises à jour au cours des huit cycles de négociation de 1947 à 1994, le neuvième cycle , dit de Doha étant en cours depuis près de 7 ans, et parce que l'intérêt du système a été validé par le nombre croissant de ses membres qui est passé de 23 à l'origine à 153 aujourd'hui.

Sophistiqué, enfin puisque le système comporte à la fois,

  • un accord sur le principe de base : l'ouverture négociée et graduelle des échanges marche mieux que la fermeture improvisée ou sournoise

  • des règles qui prennent la forme de Traités et portent sur de multiples aspects du commerce international des biens et des services,

  • des mécanismes de surveillance au sein des instances techniques regroupant les membres,

  • un mécanisme de règlement des différends contraignant sans précédent en droit international, et enfin

  • nombre de dispositions spécifiques destinées à compenser les handicaps des pays en développement.

C'est pour ces raisons que l'OMC est souvent présentée comme l'ancre de la régulation économique internationale, à la fois par ses défenseurs et par ses critiques. Ses défenseurs font valoir la valeur de bien public global que constitue un système qui soumet ses participants à des règles communes d'autant plus précieuses que la globalisation crée une interdépendance commerciale facteur de croissance, et de développement et de réduction de la pauvreté, que des pulsions protectionnistes pourraient endommager gravement. Et ils prennent souvent pour exemple le contraste entre la crise de 1929 et les crises en Asie de la fin des années 90 dont la solution a résidé, pour l'essentiel, dans le maintien des marchés internationaux ouverts qui ont permis aux pays touchés de sortir rapidement de la récession.

Ses critiques voient dans le caractère abouti du système la domination du principe d'ouverture de l'échange commercial sur d'autres champs nécessitant, à leurs yeux, des efforts de régulation tout aussi vigoureux au plan international, par exemple en matière de normes sociales. Même si bien des insuffisances subsistent dans le système OMC, et je viendrai dans un instant à la négociation en cours, force est de constater qu’il fournit à l'économie réelle, celle de tous les jours, une police d'assurance collective contre le désordre provoqué par des actions unilatérales qu'elles soient ouvertes ou masquées, une garantie de sécurité des transactions en période de crise qui constitue désormais un facteur de résilience essentiel à la gestion d'un mode globalisé. En bref, une police d'assurance globale pour une économie réelle globale. D'où l'extrême importance de conduire le cycle de Doha dans les turbulences qui secouent actuellement la finance et, peut-être, demain l'économie mondiale, de manière à ce que l'OMC continue à jouer, comme par le passé, son rôle “d'absorbeur de chocs”

L'état des lieux de la négociation du cycle de Doha

Il faut imaginer un cycle de négociations à l'OMC comme un long voyage, un itinéraire peuplé de donjons et de dragons, un hybride de l'Odyssée et de la Quête du Graal, dont le terme ne s'achève que lorsque tous les voyageurs sont passés par toutes les étapes.

Je ne vais pas énumérer la liste des 20 thèmes en négociations, que je remets au secrétariat de votre Commission. Une seule certitude: il n'y a d'accord final sur aucun thème tant qu'il n'y a pas de consensus sur tous les thèmes. Ceci n'empêche pas la négociation de progresser par à coups et par accumulation depuis bientôt 7 ans. Temps de gestation éléphantesque, me direz-vous ! A la mesure du mastodonte à accoucher, vous répondrai-je !

Une étape décisive vers la conclusion a failli être bouclée en juillet dernier à Genève, mais les ministres présents se sont arrêtés avant la fin de l'étape, même si nombre d'obstacles majeurs avaient été franchis en quelques jours. Ils ont buté sur la définition précise des paramètres d'une clause destinée à protéger les pays en développement de bouffées d'importation pouvant constituer une menace pour leur système de production agricole : Cette clause opposait deux camps symbolisés par les US - au nom des exportateurs de matières premières agricoles,- d'une part et par l'Inde - au nom de l'agriculture de subsistance, - d'autre part.

Depuis juillet, les ministres ont décidé de remettre leurs experts au travail de manière à tenter de trouver avant la fin de l'année un accord sur les sujets encore ouverts à l'intérieur du périmètre de la négociation de juillet : en matière agricole, la fameuse clause de sauvegarde spéciale, et quelques autres sujets, dont les subventions américaines et européennes à la culture du coton. En matière de marchandises industrielles, plusieurs points techniques restent aussi ouverts, notamment la liste des secteurs dans lesquels les réductions des droits de douane iraient au-delà de la formule générale retenue pour l'ensemble des produits.
Malgré ce revers préoccupant, les contours du paquet final du cycle de Doha sont désormais suffisamment clairs pour en mesurer les proportions économiques, politiques et systémiques.

Au plan économique, les résultats se traduiraient par des réductions de moitié de droit de douane imposés aujourd'hui en matière industrielle ou agricole, dont les 2/3 dans les pays développés et 1/3 dans les pays émergents, les pays les plus pauvres étant exonérés. Le tout avec une mise en ouvre de 5 ans pour les pays développés et 10 ans pour les pays en développement. L'impact sur les échanges serait d'autant plus fort que ces droits de douane sont élevés. Quant à l'impact des ouvertures supplémentaires en matière de services, il est plus complexe à estimer.

A l'horizon 5 – 10 ans et pour l'Union européenne cela représenterait environ 20MD $ de moins de taxation de ses exportations, avec un gain de 5
M d $ en matière agricole et agro-alimentaire.

En matière de subventions agricoles, les disciplines portant sur la partie des soutiens publics qui sont définis à l'OMC comme perturbant les échanges internationaux, dans le cas de l'Union européenne, environ un quart du total du soutien total, seraient sérieusement renforcées, comme le souhaitent les pays en développement, puisque les plafonds actuels seraient réduits de 70 à 80%. Quand aux subventions à l’exportation, elles seraient définitivement interdites.

D'autres thèmes restent à finaliser, même si des progrès, encore inégaux selon les sujets, ont été faits en matière de régulation de l'anti dumping, des subventions à la pêche, des procédures douanières ou de certains aspects de la protection de la propriété intellectuelle, pour ne prendre que quelques exemples.

Au plan politique, l'essentiel des résultats de la négociation réside dans le rééquilibrage des règles de l'OMC que réclament les pays en développement qui estiment que l'héritage des 8 cycles précédents porte la marque de rapports de force anciens qui handicapent leur insertion dans le commerce international, donc leur croissance, et donc la réduction de la pauvreté là où ils ont acquis, entre temps des avantages comparatifs en matière de biens industriels., d'agriculture ou de services.

A leurs yeux, l'OMC constitue l'enceinte la plus appropriée, en raison du poids qu'ils ont progressivement acquis atour de la table de négociation, pour négocier une redistribution des cartes du jeu géoéconomique, et donc géopolitique qu'ils peinent à obtenir dans d'autres organisations comme le conseil de sécurité de l'ONU, ou les instances de Bretton Woods. Pour faire simple: le temps n'est plus où les Etats-Unis, l'UE, le Canada et le Japon faisaient la loi au GATT ou à l'OMC, et le cycle de Doha doit, de ce point de vue, être considéré comme le précurseur d'un système de règles plus équitables, où les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Indonésie, etc.) doivent être prêts à assumer leur part de responsabilité.

Le troisième et dernier aspect de ce cycle, l'aspect systémique me ramène à mon point de départ : conclure le cycle de Doha revient, certes, à encaisser les bénéfices économiques d'une nouvelle génération d'ouvertures de marchés équitablement répartie en fonction des capacités contributives des participants. Mais aussi, et surtout dans les circonstances actuelles, à consolider l'un des rares systèmes de régulation effectifs au plan international. A l'inverse, ne pas conclure reviendrait à fragiliser un bien public construit avec autant de patience que de peine, depuis plus d'un demi siècle, et qui a apporté de la transparence, de la prévisibilité et de la stabilité, tous ingrédients dont notre planète globalisée a besoin dans beaucoup d'autres domaines, y compris, on le voit bien aujourd'hui, en matière financière, pour devenir moins dangereuse.

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