NOUVELLES: ALLOCUTIONS DG PASCAL LAMY
11ème Conférence annuelle de l'Alliance internationale de l'industrie du médicament générique — Genève
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que je prononce ce discours liminaire à l'occasion de
la Conférence annuelle de l'Alliance internationale de l'industrie du
médicament générique.
Même s'il est vrai que vos intérêts ont une portée beaucoup plus large,
mon intervention de ce matin portera essentiellement sur l'interface
entre les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce et
l'accès aux médicaments — question qui est en rapport direct avec votre
industrie.
Je prends aujourd'hui comme point de départ la mission essentielle de l'OMC
qui est d'ouvrir le commerce et qui recoupe le domaine de la santé par
de nombreux aspects, aucun d'entre eux ne pouvant être traité de manière
isolée.
Le commerce international contribue à améliorer les conditions
sanitaires d'un grand nombre de personnes, à la fois indirectement — par
l'accroissement des revenus — et directement, au moyen des importations
de produits de santé ou par la fourniture de services de santé.
La santé publique est une valeur essentielle dont l'importance est
reconnue dans tous les Accords de l'OMC, dès 1947 avec le GATT qui
confirmait le droit des Membres de l'OMC de donner la priorité aux
politiques en matière de santé, même si cela donnait lieu à des
restrictions au commerce. Cela a été confirmé une nouvelle fois en 1995
dans les accords, nouveaux à l'époque, concernant le commerce des
services (AGCS) et les droits de propriété intellectuelle (ADPIC).
Les droits de propriété intellectuelle, comme d'autres questions
couvertes par les Accords de l'OMC, ne sont que l'une des pièces d'un
puzzle beaucoup plus grand qui détermine le niveau d'accès aux
médicaments dont bénéficient les patients dans un pays donné.
Il y a d'autres facteurs pertinents comme, par exemple, l'infrastructure
existante dans un pays et son système national de santé en général, ou
encore la transparence et l'efficacité du régime de passation de
marchés. Récemment, l'attention a également porté sur les droits de
douane existants appliqués aux produits de santé importés et dont la
réduction, voire l'élimination, pourrait faciliter l'accessibilité de
ces produits. Afin de réaliser une évaluation objective de la situation,
nous devons donc tenir compte de divers facteurs, ainsi que des
politiques nationales pertinentes mises en place par les gouvernements.
Parmi ces facteurs, la question des ADPIC et de la santé publique est à
n'en pas douter l'une des questions les plus sensibles et, par
conséquent, l'une des plus fréquemment débattues.
Comme il est reconnu dans la Déclaration de Doha sur l'Accord sur les
ADPIC et la santé publique et réaffirmé dans plusieurs résolutions de
l'Organisation mondiale de la santé, il s'agit ici de réaliser un
exercice d'équilibre délicat entre, d'une part, la garantie de la
protection des droits de propriété intellectuelle, qui est importante
pour encourager le développement de nouveaux médicaments, et, d'autre
part, la réponse à apporter aux préoccupations concernant ses effets
potentiels sur les prix de ces médicaments.
Je suis heureux de constater que le récent rapport de l'Association
européenne des médicaments génériques sur les obstacles liés aux brevets
va dans le même sens. Dans ce rapport, l'Association reconnaît non
seulement que les brevets jouent un rôle dans la promotion de
l'innovation dans le secteur pharmaceutique et dans le recouvrement des
investissements de R D, mais elle recommande aussi de permettre la
concurrence des médicaments génériques dès l'expiration du brevet.
Les Membres de l'OMC ont reconnu explicitement que le débat concernant
la propriété intellectuelle et la santé publique était unique en son
genre lorsqu'ils ont confirmé que les médicaments n'étaient pas des
marchandises comme les autres.
La Déclaration de Doha de 2001 sur l'Accord sur les ADPIC et la santé
publique renforçait l'équilibre soigneusement négocié des droits et
obligations énoncés dans l'Accord sur les ADPIC. Elle contenait un
certain nombre de confirmations et clarifications importantes, dont le
droit des Membres de l'OMC d'accorder des licences obligatoires, la
liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences
étaient accordées et la définition de ce qui constituait une situation
d'urgence nationale, ainsi que la liberté d'adopter, sans contestation,
le régime approprié en ce qui concerne l'épuisement des droits.
Depuis l'adoption de cette déclaration en 2001, il y a eu des exemples
concrets de l'utilisation, au niveau national, des flexibilités
incorporées dans l'Accord sur les ADPIC, notamment l'autorisation des
importations parallèles, la définition de critères de brevetabilité et
l'autorisation des exceptions aux droits de brevet, comme l'exception
pour l'examen réglementaire.
Le mécanisme de règlement des différends de l'OMC a en outre confirmé
ces flexibilités. Mais il est vrai aussi que les Membres de l'OMC n'ont
pas tous encore pris les mesures nécessaires au niveau national pour se
prévaloir des flexibilités existantes.
J'en viens maintenant au système prévu au paragraphe 6, établi en vertu
de la Décision d'août 2003 du Conseil général. Ce système a été utilisé
pour la première fois en septembre 2008 pour l'expédition de médicaments
génériques en provenance du Canada pour traiter des patients rwandais
atteints du VIH/SIDA.
Dans le même temps, nous avons constaté que des critiques avaient été
exprimées au sujet de la lourdeur et de la complexité de ce mécanisme
qui, selon les dires de certains détracteurs, ne fonctionnerait presque
jamais.
C'est justement pour faire face à ce genre de situation que les Membres
de l'OMC sont convenus de réexaminer ce système périodiquement. Je
ferais remarquer que les Membres de l'OMC n'ont exprimé aucune
préoccupation lors du dernier réexamen annuel du fonctionnement du
système; au lieu de cela, ils ont, à l'initiative du Groupe africain,
confirmé le système deux ans après son adoption.
Cela est peut être lié au fait que le recours au système prévu au
paragraphe 6 se limite à des circonstances spécifiques bien définies, ce
qui réduit au minimum la charge imposée aux utilisateurs potentiels qui
disposent de ressources administratives moins importantes. En réalité,
ce système constitue une flexibilité additionnelle qui s'ajoute aux
nombreuses flexibilités déjà prévues dans l'Accord sur les ADPIC, y
compris celles qui ont été reconnues et clarifiées dans la Déclaration
de Doha sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique.
En tout état de cause, ce système est loin d'être la seule solution aux
problèmes rencontrés dans le secteur de la santé publique. Mais cela ne
veut pas dire que nous devrions croire aveuglément en son succès. Comme
tout Accord de l'OMC, le système prévu au paragraphe 6 devrait faire
l'objet d'un réexamen périodique et il faudrait tirer des enseignements
de ces évaluations de façon que l'OMC puisse continuer à œuvrer pour que
ce système fonctionne et ainsi apporter sa contribution, parmi d'autres,
à l'amélioration de l'accès aux médicaments.
J'aimerais en outre évoquer brièvement le point de vue de l'OMC sur
trois questions qui sont en ce moment souvent débattues en dehors du
Conseil des ADPIC et qui, je le sais, occupent vos pensées.
Tout d'abord, la protection des renseignements non divulgués fait
clairement partie des obligations découlant de l'Accord sur les ADPIC.
Par conséquent, les données résultant d'essais présentées pour obtenir
l'approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques
doivent, dans certaines circonstances, être protégées à la fois contre
l'exploitation déloyale dans le commerce et contre la divulgation. Cela
a amené à s'interroger sur la manière dont cette protection doit être
assurée, point qui n'est pas abordé explicitement dans l'Accord sur les
ADPIC.
Bien que quelques discussions aient eu lieu dans le cadre du processus
préparatoire qui a abouti à l'adoption de la Déclaration de Doha en
2001, il n'existe pour l'instant aucune jurisprudence confirmée de l'OMC
ni indications faisant autorité sur cette question, si ce n'est le fait
que l'application de l'interprétation en faveur de la santé publique
figurant dans la Déclaration de Doha concerne clairement l'Accord sur
les ADPIC dans son ensemble.
S'agissant de la préoccupation plus générale souvent exprimée au sujet
des dispositions des ALE qui sont plus contraignantes que celles de
l'Accord sur les ADPIC, certaines des dispositions concernées sont
susceptibles d'avoir une incidence sur l'accès aux médicaments ainsi que
sur l'industrie du médicament générique. Dans le même temps, les pays
développés Membres signataires de ces ALE ont confirmé dernièrement
qu'ils s'engageaient en faveur de l'accès aux médicaments pour tous,
indiquant que de telles dispositions n'étaient pas censées influer sur
la capacité des parties de prendre des mesures de protection de la santé
publique. Le rôle que joue l'OMC dans tout cela reste limité: l'Accord
sur les ADPIC nous dit que les Membres sont libres d'adopter des normes
de protection plus strictes. Par conséquent, nous pouvons au mieux
contrôler la teneur de ces ALE et offrir un cadre de discussion, comme
nous le faisons, par exemple, lors des examens de la politique
commerciale de nos Membres. L'OMC étant une organisation pilotée par ses
Membres, toute initiative plus ambitieuse doit venir des Membres.
Enfin, j'aimerais évoquer brièvement la lutte contre la contrefaçon de
médicaments qui fait actuellement l'objet de débats nourris. Il est
certain que nous avons tous pour objectif commun d'empêcher les
médicaments de contrefaçon d'entrer sur le marché, car ils peuvent avoir
de graves conséquences sur la santé publique.
Je crois que nous nous accordons également à reconnaître que les moyens
de faire respecter effectivement les droits de propriété intellectuelle,
en particulier les marques, constituent un puissant instrument de lutte
contre la contrefaçon de médicaments.
Dans le même temps, j'ai pris note des préoccupations exprimées par
certains d'entre vous au sujet d'une interprétation trop large du terme
“contrefaçon” qui pourrait créer une confusion avec des cas de violation
ordinaire des brevets et ainsi faire obstacle aux médicaments génériques
concurrents.
Ces questions ne font pas actuellement l'objet de discussions dans le
cadre du Conseil des ADPIC. Mais je peux sans risque d'erreur affirmer
ici que l'Accord sur les ADPIC donne un sens clair au terme
“contrefaçon” en l'associant directement aux marques. Je suis convaincu
que nous pouvons tous unir nos forces pour poursuivre la lutte contre
les médicaments de contrefaçon par des moyens appropriés, y compris en
protégeant et en faisant respecter les droits de propriété
intellectuelle comme le prévoit l'Accord sur les ADPIC.
En conclusion, j'aimerais vous faire part d'une évaluation prudemment
optimiste de la situation actuelle dans le domaine de l'accès aux
médicaments. Depuis l'adoption de la Déclaration de Doha en 2001, des
mesures importantes ont été prises dans le cadre de l'OMC et dans
d'autres enceintes. L'accès aux médicaments s'est amélioré grâce à une
forte baisse des prix, un renforcement du financement international, une
reconnaissance accrue de la nécessité de trouver un équilibre à
l'intérieur du système de propriété intellectuelle, ainsi que
l'utilisation, par plusieurs Membres de l'OMC, de certaines des
flexibilités prévues par l'Accord sur les ADPIC.
Mais, bien que la situation se soit améliorée ces deux dernières années,
il faudrait que tous les acteurs pertinents continuent à s'engager d'une
manière permanente et constructive. Cela concerne à l'évidence
l'industrie du médicament générique, qui joue un rôle essentiel, comme
le souligne son importante part de marché dans de nombreux pays. Seuls
nos efforts conjoints permettront d'améliorer davantage l'accès aux
médicaments pour les patients du monde entier. C'est l'entreprise
commune qui, je le crois, nous unit tous.
Je vous souhaite d'avoir des discussions fécondes au cours des prochains
jours. Je vous remercie de votre attention.
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