NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

“La valeur du système commercial multilatéral”


> Allocutions: Pascal Lamy

  

Mesdames et Messieurs,

C'est avec un grand plaisir que j'ouvre ce Forum public de l'OMC 2010 — notre rendez vous annuel avec la société civile et le public. Le but du forum est de permettre au système commercial multilatéral de répondre aux espoirs et aux attentes de toutes les couches de la société. Son but est de promouvoir un échange franc et ouvert entre tous les acteurs du monde du commerce sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans le système commercial mondial au sens large.

Le forum de cette année est consacré à un débat sur les forces qui déterminent le commerce mondial. Quelles sont ces forces? S'agit il de forces nouvelles ou de forces anciennes? Quelles formes prennent elles et sont elles de poids égal?

Je me propose de parler du rôle des pays en développement émergents dans le système commercial multilatéral et des nouvelles technologies et innovations ainsi que des préoccupations croissantes suscitées par des problèmes comme ceux liés au changement climatique, à l'énergie, à la sécurité alimentaire ou encore aux droits de l'homme pour n'en mentionner que quelques uns. Nous avons donc devant nous un programme de séances très riche qui nous mènera jusqu'à vendredi, le “menu” a été défini par la société civile elle même, ce qui fait vraiment de ce forum un événement qui vous est surtout et avant tout destiné.

Mesdames et Messieurs, ceci est votre forum et au nom de tous les Membres de l'OMC et à titre personnel, je voudrais vous dire que nous écouterons avec intérêt tout ce que vous aurez à nous apprendre et que nous nous réjouissons de pouvoir dialoguer avec vous. Nous espérons que le forum permettra à nos Membres de faire avancer le système commercial multilatéral sur la base des idées qui y auront été formulées.

Permettez moi tout d'abord de faire quelques observations sur le contexte dans lequel le forum de cette année se déroule, un contexte qui n'a guère besoin d'être explicité car beaucoup d'entre vous en éprouvent directement les effets. C'est un contexte de crise économique mondiale, mais cette crise commence maintenant à s'apaiser. Ce fléchissement a, si je puis dire, mis en lumière la vraie valeur du système commercial multilatéral.

Le système commercial multilatéral a fonctionné comme une police d'assurance contre le protectionnisme. En fait, un “écran radar” de l'OMC a été mis en place peu après le début de la crise pour détecter toutes les nouvelles restrictions au commerce que les gouvernements seraient susceptibles d'imposer, afin d'empêcher leur prolifération débridée et d'aider à prévenir les politiques du “chacun pour soi” qui avaient marqué les années 1930. Et j'ai le plaisir de dire que nous avons globalement réussi à éviter une répétition des erreurs passées. Les disciplines de l'OMC ont aidé à contenir les pires instincts des gouvernements qui consistent à fermer la porte aux étrangers ou à rejeter sur eux la responsabilité de la crise, ce qui est souvent la voie de la facilité. Et la bonne nouvelle est que les volumes des échanges ont recommencé à bien progresser après avoir chuté de façon spectaculaire pendant la crise.

Je voudrais maintenant commenter le thème de ce forum — “Les forces qui déterminent le commerce mondial”. Le système commercial multilatéral est à l'évidence l'une des expressions les plus abouties de la gouvernance mondiale et fait figure de précurseur pour les régimes juridiques internationaux établis dans beaucoup d'autres domaines. La richesse du programme que vous avez défini témoigne de toutes les attentes que nous plaçons dans l'OMC et si nous pouvons nous permettre d'en attendre autant de choses c'est en raison du niveau de sophistication que le système a atteint.

Dans un certain nombre d'autres institutions internationales, on assiste encore à des querelles entre le Nord et le Sud concernant la structure de gouvernance, autrement dit concernant la “démocratisation” de ces instances. Le G 20 a fait remarquer qu'une réforme institutionnelle de certaines organisations internationales qu'il a nommément désignées était nécessaire. Mais l'OMC n'en faisait pas partie.

Cette bataille pour la gouvernance a déjà eu lieu dans le domaine commercial et il en est résulté une institution relativement démocratique où l'on ne peut pas faire abstraction de la voix des plus petits. Ici, pas de conseil d'administration et pas de quotas: un Membre, une voix, telle est la règle de base sur laquelle l'OMC fonde ses consensus.

Le fait même que “l'agriculture” soit maintenant au centre du Cycle de négociations commerciales de Doha de l'OMC témoigne également du pouvoir considérable acquis par le Sud. En outre, l'OMC est dotée d'un mécanisme de règlement des différends qui a permis et peut permettre aux Membres de régler de manière pacifique leurs différends commerciaux. Dans ce mécanisme, ce qui importe n'est pas la taille d'un pays ni son PIB, mais la force des arguments juridiques et économiques qu'il parvient à avancer.

Mais, si j'ai un message à vous adresser aujourd'hui c'est celui ci: il y a encore d'autres batailles à mener au sein de l'OMC. Elles ne sont peut être pas de nature institutionnelle, mais il faut néanmoins s'y atteler. Je veux parler ici de la nécessité de rééquilibrer le système commercial multilatéral en faveur des plus pauvres en menant à son terme le Programme de développement de Doha, et de la nécessité de relever des défis toujours plus difficiles en nous attaquant à des problèmes émergents comme celui de l'énergie, du changement climatique ou encore du commerce électronique. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer sur nos lauriers jusqu'à ce que notre recueil de règles soit devenu obsolète. Nous ne pouvons pas davantage imputer l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations actuelles à des facteurs “institutionnels”.

Tandis que nous réfléchirons collectivement sur ce qui (entre guillemets) “déterminera” le système de l'OMC à l'avenir, je souhaiterais aussi que nous prenions conscience du nouveau contexte dans le cadre duquel les pays commercent. De nos jours, la plupart des produits ne sont pas “fabriqués dans le pays X, Y ou Z”, la plupart d'entre eux sont (entre guillemets) “fabriqués dans le monde”.

Cela veut dire que les frontières entre les États-nations ne sont plus les seules frontières à prendre en considération. Les pays qui imposent des droits de douane sur les produits importés ne font peut être qu'en imposer à eux mêmes. Les pays qui accordent des subventions internes à certains secteurs ne font peut être que subventionner leur concurrent si ce concurrent est implanté sur leur propre territoire. La mondialisation des processus de fabrication est telle qu'il est encore moins judicieux aujourd'hui que par le passé de faire obstacle au commerce.

Cette nouvelle réalité nécessite que nous regardions en arrière et que nous réfléchissions sur ce que signifie véritablement le “commerce” dans le monde d'aujourd'hui; elle appelle aussi à concevoir de nouvelles méthodes pour “mesurer” le commerce. Nous ne pouvons plus mesurer les échanges commerciaux en comptabilisant les biens et services qui franchissent nos frontières. Il nous faut désormais regarder à quel endroit une valeur ajoutée a été apportée à ces marchandises. Et il en va de même pour la création d'emplois. Les emplois perdus dans notre pays peuvent simplement correspondre à des emplois créés pour nos propres citoyens à l'étranger. En fait, le calcul des (entre guillemets) “pertes” d'emplois devrait lui même tenir compte de cette nouvelle réalité.

L'actualisation du recueil de règles de l'OMC devrait, à mon avis, s'accompagner de nouvelles façons de concevoir et de comprendre le commerce international. Lorsque le pays X s'assoit en face du pays Y à la table des négociations de l'OMC, il doit se rendre compte qu'il n'est plus totalement indépendant de lui. Ses produits peuvent être fabriqués dans d'autres pays d'où ils sont ensuite réexportés et ses propres citoyens peuvent résider à l'étranger. Faciliter le commerce dans ce nouveau monde, c'est ce à quoi nous devons nous atteler aujourd'hui. Nous devons aussi faire porter notre réflexion sur les politiques qui accompagnent le commerce mondial, aussi bien en matière environnementale qu'en matière sociale, car nous pouvons difficilement nous permettre de commercer en faisant abstraction des réalités.

En clarifiant ces questions, ainsi que tous les autres sujets que vous avez mis à notre programme, nous pourrons plus facilement aller de l'avant. J'espère pouvoir rencontrer personnellement autant d'entre vous que je le pourrai au cours des prochains jours.

Je vous remercie de votre attention et je vous cède maintenant la parole.

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