NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY


> Allocutions: Pascal Lamy
> Rapport sur le commerce mondial 2010

  

Monsieur Keitel,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à participer au troisième Congrès de la BDI sur les matières premières. L'OMC attache un grand intérêt aux questions dont vous allez débattre durant votre réunion d'aujourd'hui. Cette année, nos économistes ont consacré beaucoup de temps et d'énergie à l'examen des complexités du commerce des ressources naturelles, thème du Rapport 2010 sur le commerce mondial que nous avons publié en juillet dernier. J'espère que cette analyse contribuera utilement à vos débats.

La consommation et le commerce de matières premières ont souvent amené à choisir entre conflit et coopération. Nous nous rappelons tous que le choix d'une Europe unie a débuté avec la Communauté du charbon et de l'acier, qui a défini les règles et créé le cadre institutionnel d'un marché commun pour des ressources que les pays s'étaient longtemps disputées.

Le contexte historique, les pays intéressés et la nature de ce que nous appellerions les matières premières “stratégiques” ont changé au fil du temps, en partie du fait de l'évolution technologique. Mais le choix crucial entre conflit et coopération demeure.

Ce matin, j'aimerais évoquer l'évolution récente des marchés des matières premières, la complexité du commerce et de la politique commerciale dans ces secteurs et les défis que pose la réglementation internationale du commerce des matières premières.

Aperçu général du commerce des matières premières

Les matières premières forment une vaste catégorie de produits, dont le pétrole brut, les minéraux et les produits forestiers, qui servent d'intrants primaires dans la production de la quasi-totalité des autres biens et services.

Le commerce des matières premières s'est considérablement accru entre 2000 et 2008, en raison surtout de la hausse des prix des produits de base. Selon les données les plus récentes, la valeur totale des exportations mondiales de matières premières est de 2 400 milliards de dollars EU, soit 19 pour cent du commerce mondial, dont environ 15 pour cent pour les combustibles et 4 pour cent pour les autres produits.

En 2009, le principal importateur de matières premières a été l'Union européenne (avec 20 pour cent du total mondial), suivie des États-Unis (avec 15 pour cent). Mais la rapide progression de la demande d'importation dans les économies émergentes est en train de modifier la structure des échanges mondiaux. La Chine et l'Inde, en particulier, ont nettement accru leur part des importations mondiales de matières premières. La part de la Chine a plus que doublé, passant de 5 pour cent en 2000 à 12 pour cent en 2009, tandis que celle de l'Inde est passée de 3 pour cent à 5 pour cent.

Le commerce international des matières premières ouvre des possibilités de gains de bien-être réciproques, mais il est aussi porteur de redoutables défis. Bon nombre de matières premières sont fortement concentrées dans un petit nombre d'endroits. Cette répartition inégale entre les pays peut être une source de tensions internationales, mais c'est aussi le principal facteur qui génère un commerce avantageux pour les pays. Un commerce ouvert permet à tous les participants de réaliser des gains de bien-être en transférant les ressources des régions où elles sont relativement abondantes vers les régions où elles sont relativement rares.

La théorie économique et l'expérience montrent cependant qu'il existe un certain nombre de défis qui sont propres à ces secteurs. Les complexités tiennent au fait que les matières premières sont épuisables et que leur extraction et leur utilisation peuvent avoir des effets considérables sur l'environnement. La forte volatilité des prix des matières premières sur les marchés internationaux crée une situation difficile pour les pays importateurs comme pour les pays exportateurs. La prédominance des industries d'extraction des ressources dans les petites économies peut engendrer une dépendance à l'égard d'un secteur unique, ce qui est préjudiciable à la politique de développement.

Compte tenu de ces caractéristiques inhabituelles, il faudrait que nous nous demandions sérieusement comment concevoir et mettre en œuvre les politiques nationales et commerciales et si les règles et les institutions internationales régissant ces politiques sont bien adaptées.

Politique commerciale et matières premières: les principales mesures et leurs effets

Permettez-moi de commencer par la politique commerciale. C'est la politique d'exportation, plutôt que les restrictions à l'importation, qui domine le commerce des matières premières. D'une manière générale, l'incidence des droits de douane est moindre dans les secteurs des ressources que dans le commerce des marchandises considérées dans leur ensemble. Par exemple, les droits de douane dans les économies avancées sont en moyenne de 1,4 pour cent. En revanche, les restrictions quantitatives à l'exportation et les taxes à l'exportation paraissent deux fois plus probables dans ces secteurs que dans les autres.

Plusieurs autres politiques ont des répercussions sur le commerce des matières premières. Premièrement, les pays ont largement recours à un certain nombre de mesures intérieures, de subventions — telles que les subventions pour les carburants — et de mécanismes de contrôle des prix — tels que les systèmes de double prix. Deuxièmement, si les droits de douane sont peu élevés pour les matières premières, ils ont tendance à augmenter en fonction du stade de transformation. Dans les secteurs des industries extractives, par exemple, le droit moyen frappant les produits transformés est trois fois plus élevé que celui qui s'applique aux matières premières. Ce phénomène — la “progressivité des droits” dans le jargon de l'OMC — est particulièrement visible dans les économies avancées.

Les gouvernements ont souvent recours à des restrictions commerciales pour répondre aux spécificités des secteurs des matières premières. Toutefois, les restrictions peuvent avoir des effets de distorsion inévitables que nous devons bien comprendre.

Les Membres de l'OMC s'efforcent de justifier leurs interventions dans le commerce des matières premières en invoquant différentes raisons liées au bien-être, y compris le caractère épuisable de ces ressources, l'incidence de leur extraction sur l'environnement, les objectifs de développement des pays riches en ressources ou la nécessité pour ces pays de diversifier leur base d'exportation. Ces Membres font valoir que les règles de l'OMC reconnaissent ces spécificités et autorisent une telle flexibilité d'action. En revanche, d'autres Membres veulent que les pays tiennent compte de l'opposition entre les objectifs nationaux légitimes qu'ils cherchent à atteindre et le fait que les mesures commerciales peuvent engendrer des coûts indus, tant pour les pays qui les appliquent que pour leurs partenaires commerciaux.

Permettez-moi d'évoquer un exemple pratique. Supposons qu'un gouvernement décide de recourir à une taxe à l'exportation afin de réduire les taux d'extraction, pour des raisons environnementales, ou de préserver les ressources pour les générations futures. D'autres gouvernements estiment que cette approche est inappropriée. Ils soutiennent que la taxe à l'exportation crée un écart entre le prix intérieur de la matière première et son prix sur les marchés internationaux. À leur avis, cette dispersion des prix engendre deux conséquences négatives. Premièrement, ils font valoir que le prix intérieur moins élevé peut favoriser une consommation intérieure excessive. Le résultat, selon eux, est une mesure commerciale qui se répercute sur une politique de conservation inefficace. Deuxièmement, les opposants à la taxe soutiennent que la hausse du prix international de la ressource entraîne une perte de bien-être dans les pays étrangers qui doivent acquérir les matières premières sur les marchés mondiaux.

Réglementation du commerce des matières premières: la situation actuelle

Dans ce contexte, quelle est la portée de la réglementation commerciale internationale? Il n'existe aucun accord de l'OMC qui réglemente spécifiquement le commerce des matières premières, mais plusieurs règles actuelles sont pertinentes face aux caractéristiques particulières de ces secteurs.

Le principe de la non-discrimination, les contraintes imposées par les engagements tarifaires et la liberté de transit — pour ne donner que quelques exemples — sont autant de règles qui visent à préserver un système commercial ouvert et prévisible. L'existence d'un tel système est essentielle pour faire en sorte que des ressources géographiquement concentrées puissent être échangées sur une base mutuellement avantageuse.

Les règles de l'OMC prévoient également certaines exceptions au titre des politiques publiques, par exemple celles qui visent à conserver les ressources naturelles épuisables ou à protéger la vie et la santé des personnes et des animaux ou à préserver les végétaux.

De toute évidence, l'OMC n'est pas une île mais plutôt un élément qui fait partie intégrante d'un cadre beaucoup plus vaste de coopération internationale. De nombreuses questions concernant les matières premières sont réglementées à l'extérieur de l'OMC. Les questions telles que la propriété des ressources naturelles, les politiques d'investissement, la protection de l'environnement ou la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales font l'objet d'un vaste corpus de droit des traités qui n'entre pas dans son domaine de compétence.

Réglementation du commerce des matières premières: le Cycle de Doha

Il existe d'importantes divergences d'intérêt entre les nations dans ce domaine, mais il existe aussi plusieurs questions sur lesquelles il serait possible de trouver des compromis mutuellement avantageux. Certaines de ces questions font actuellement l'objet de négociations à l'OMC, dans le cadre du Cycle de Doha. Permettez-moi de vous donner quelques exemples.

Une première question concerne le transit. L'obligation de garantir la liberté de transit, qui est inscrite à l'article V du GATT, est essentielle pour faciliter l'approvisionnement en matières premières au niveau international. Toutefois, s'agissant du transport au moyen d'infrastructures fixes telles que les oléoducs, les avis divergents sur la portée de l'article V créent une incertitude réglementaire qui entraîne des coûts économiques. Les négociations du Cycle de Doha relatives à la facilitation des échanges tentent de trouver une solution à cette question.

Une deuxième question a trait à l'exploitation durable des matières premières. Une utilisation irréfléchie de ces précieuses ressources par la société d'aujourd'hui risque d'avoir de lourdes répercussions sur la société de demain. L'ouverture des marchés des énergies renouvelables et des produits à haut rendement énergétique dans le contexte du Cycle de Doha contribuera à atténuer la pression exercée sur les matières premières, dont l'offre n'est pas infinie. De même, l'amélioration des disciplines relatives aux subventions réduira l'incitation à surconsommer des ressources qui sont rares ou dont l'exploitation a une incidence négative sur l'environnement.

Une troisième question, actuellement examinée dans le cadre des négociations du Cycle de Doha, est la réduction de la progressivité des droits. Il s'agit ici véritablement d'une question de développement, car l'imposition de droits plus élevés sur les produits à plus grande valeur ajoutée est principalement préjudiciable aux pays dont la base d'exportation est peu diversifiée.

Souvent, il est très difficile de savoir où on peut trouver ces compromis, mais la conclusion du Cycle de Doha donnera l'impulsion nécessaire pour améliorer les règles du commerce international dans les secteurs des ressources naturelles.

Réglementation du commerce des matières premières: les défis à venir

Cela dit, il subsistera un certain nombre de défis que la communauté internationale devra affronter à l'avenir. Permettez-moi d'en évoquer brièvement quelques-uns.

Une première question concerne la politique commerciale. Les Membres de l'OMC auraient pu prendre des engagements contraignants sur les taxes à l'exportation — comme ils l'ont fait pour les droits d'importation – mais la plupart d'entre eux ne l'ont pas fait. J'ai évoqué plus tôt les différents facteurs qui pourraient justifier le besoin d'une certaine flexibilité d'action, mais l'absence d'engagements sur les taxes à l'exportation a un prix elle aussi.

Une deuxième question a trait aux politiques intérieures. Lorsque des matières premières sont fortement concentrées dans certains pays, la frontière entre la politique commerciale et certaines politiques intérieures est souvent floue, en ce sens que les mesures commerciales et les mesures intérieures peuvent se substituer facilement les unes aux autres. On a fait valoir qu'une taxe à la consommation ou une réglementation intérieure pouvait avoir un effet analogue à celui d'un droit de douane dans les pays importateurs de ressources. De même, certains estiment que les contingents de production ou la non-application de la politique de la concurrence dans les nations riches en ressources peuvent avoir des conséquences analogues à celles de restrictions à l'exportation de matières premières. À cela s'ajoute le fait qu'il n'existe aucun cadre réglementaire international en matière de concurrence. Par conséquent, s'intéresser à une seule des mesures équivalentes pourrait ne pas suffire pour éviter toute distorsion des échanges.

Une troisième question tient à la façon dont les institutions supranationales sont conçues. De nombreuses questions en rapport ave les ressources naturelles sont régies par des règles internationales extérieures à l'OMC. La cohérence est donc importante, car bon nombre de discussions sur les questions internationales relatives à ces ressources se dérouleront inévitablement sur plusieurs fronts multilatéraux. Certains problèmes ne peuvent être traités efficacement que grâce à une meilleure gouvernance mondiale.

Conclusion

Avec les propos que j'ai tenus aujourd'hui, j'espère vous avoir fait partager deux convictions.

La première est que les causes profondes des tensions internationales qui caractérisent souvent le commerce des matières premières sont liées aux complexités intrinsèques de ces secteurs. Notre approche doit être nuancée et tenir compte de ces réalités.

La seconde est qu'une coopération internationale bien conçue dans le domaine des règles du commerce des ressources est la seule solution de rechange au nationalisme et au conflit économiques. Les règles doivent être perçues comme étant équitables et efficaces, et elles doivent être mises en œuvre par des institutions supranationales fortes et cohérentes, frappées du sceau de la légitimité.

La conclusion du Cycle de Doha contribuera à mieux réguler le commerce des ressources naturelles. C'est un résultat qui est à portée de main et qui peut apporter des réponses à certaines de vos préoccupations. Je vous invite donc à peser de tout votre poids pour que ce résultat se concrétise; l'enjeu en vaut la peine.

Je vous remercie de votre attention.

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