NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

Le ‘siècle de l’Asie’ signifie prospérité et responsabilité partagées et accords multilatéraux, a dit Pascal Lamy lors d’une conférence

L’Asie a connu un essor commercial proportionnel à sa taille économique. Elle participe toujours plus aux chaînes d’approvisionnement mondiales et a opté pour des accords de libre-échange pour atteindre ses objectifs commerciaux. Le moment est venu de “multilatéraliser” ces accords, a dit Pascal Lamy, Directeur général de l’OMC, lors d’une conférence sur “L’avenir du système commercial international: Perspectives pour l’Asie”, le 11 mars 2013.

La conférence a été organisée par l’Institut de la Banque asiatique de développement (ADBI) et le Centre du commerce et de l’intégration économique (CTEI) de l’Institut de hautes études internationales et du développement (Genève), en collaboration avec l’Organisation mondiale du commerce. Voici ce qu’il a déclaré:


POUR EN SAVOIR PLUS:
> Allocutions: Pascal Lamy

  

Mesdames et messieurs,

Je suis très heureux d’être avec vous ce matin pour débattre de l’avenir du système commercial international vu depuis l’Asie.

 

Le siècle de l’Asie

Je voudrais tout d’abord remercier Kawai-san et ses collaborateurs à l’Institut de la Banque asiatique de développement pour le choix du thème de cette conférence qui, selon moi, traite d’une question d’actualité “au bon moment” et “au bon endroit”.

Le bon moment, puisque les Membres de l’OMC se préparent pour la prochaine Conférence ministérielle qui aura lieu à Bali (Indonésie) en décembre. Selon les projections, la part du continent asiatique devrait s’accroître pour représenter plus de la moitié de la production mondiale d’ici au milieu du XXIe siècle. D’aucuns ont qualifié ce siècle de “siècle de l’Asie”.

Le bon endroit aussi, au cœur de la communauté commerciale internationale, car le commerce a joué un rôle essentiel en façonnant la transformation des économies asiatiques qui s’est opérée ces dernières années.

L’Asie est un continent vaste et très hétérogène, que ce soit du point de vue géographique, culturel, linguistique, politique ou économique. Au sein de cette région se trouvent certaines économies parmi les plus compétitives et sophistiquées au monde, ainsi que de grandes économies émergentes qui deviennent rapidement des acteurs mondiaux importants. Ces dernières coexistent en parallèle avec un grand nombre de petites économies plus pauvres et vulnérables, notamment des États sans littoral ou insulaires. Toutefois, malgré cette diversité, les pays de l’Asie d’aujourd’hui ont un objectif commun primordial: la quête d’un développement économique et social rapide.

Les conséquences de la croissance asiatique ont été spectaculaires: des centaines de millions de personnes ont été arrachées à une extrême pauvreté. Et pourtant, l’Asie doit aussi faire face à des défis de taille, notamment à l’augmentation des inégalités entre les pays, au risque de tomber dans le “piège du revenu intermédiaire”, à la concurrence pour des ressources naturelles limitées, aux disparités entre les pays et les sous-régions, ainsi qu’au réchauffement de la planète et au changement climatique, pour n’en citer que quelques-uns. Qui plus est, l’Asie regroupe toujours près de la moitié de la population pauvre dans le monde.

L’exemple de l’Asie est l’illustration parfaite de la façon dont le commerce peut contribuer au développement économique. La part du commerce dans le PIB en Asie a plus que quadruplé: de 13% en 1960 elle est passée à 70% en 2007. Selon une étude de la Banque asiatique de développement, l’Asie pourrait représenter d’ici à 2050 plus de la moitié du PIB, du commerce et de l’investissement à l’échelle mondiale. Elle pourrait également connaître une prospérité généralisée puisque le revenu par habitant, qui a été multiplié par six, correspond désormais à la moyenne mondiale et équivaut aux niveaux enregistrés actuellement en Europe.

Mais le siècle de l’Asie ne concerne pas que ce continent. C’est un siècle de prospérité partagée et l’Asie devra assumer une part de responsabilité proportionnelle à son poids dans l’économie mondiale.

 

Le développement des chaînes d’approvisionnement est fondamental pour l’intégration de l’Asie

L’intégration — tant régionale que mondiale — a joué un rôle central pour la prospérité en Asie. Permettez-moi d’aborder en premier lieu la dimension régionale.

La croissance économique rapide qu’a connue l’Asie tient en grande partie au développement de réseaux de chaînes d’approvisionnement et de production qui constituent ce que l’on appelle souvent “l’usine du monde”. Une étude conjointe réalisée en 2011 par l’OMC et l’IDE-JETRO a mis en évidence un degré de complémentarité entre les industries asiatiques, qui est à la fois une cause et une conséquence de l’interdépendance économique accrue des pays. Cette complémentarité s’est traduite par une augmentation de la part du commerce intrarégional qui, d’environ 20% en 1960, représentait en 2011 plus de 50% du commerce de marchandises en Asie.

Ces bons résultats tiennent en grande partie aux services, notamment aux services de transport et de communication et aux autres services aux entreprises, qui jouent désormais un rôle essentiel dans le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement. Il faut également citer les droits de douane relativement bas perçus sur les produits industriels et la faible progressivité des structures tarifaires. L’IED a également joué un grand rôle dans l’expansion du commerce des biens intermédiaires en Asie.

Aujourd’hui, près de 60% du volume des marchandises échangées dans le monde sont des composants. En Asie, ce chiffre est plus près des deux tiers. L’accroissement du commerce intrarégional en Asie est allé de pair avec une expansion de la part de l’Asie dans le commerce mondial de marchandises, qui est passée d’environ 13% en 1960 à plus de 30% en 2011. En d’autres termes, l’intégration commerciale régionale a été un élément déterminant de la progression des réseaux asiatiques dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Le lien de causalité entre la croissance des chaînes d’approvisionnement et le nombre d’accords de libre-échange (ALE) en Asie fait débat. Dans la mesure où le développement des chaînes d’approvisionnement et des réseaux de production en Asie a été tiré par les entreprises, l’élément clé de l’intégration régionale à travers ces ALE est la réduction des coûts des transactions commerciales, y compris par l’amélioration de la quantité et de la qualité des infrastructures, de la qualité de la logistique et des institutions, ainsi de que la compétitivité de l’économie. Puisque, en règle générale, les droits de douane ne constituent plus un obstacle majeur, ces accords portent de plus en plus sur les mesures non tarifaires de facilitation des échanges, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des frontières.

 

Du bien-fondé de la multilatéralisation

Pourquoi les ALE rencontrent-ils un tel succès en Asie? La multiplication des ALE ayant coïncidé avec les difficultés rencontrées dans la conclusion des négociations dans le cadre du Programme de Doha pour le développement, d’aucuns parlent de désenchantement à l’égard des négociations commerciales multilatérales, ce qui ne remet bien évidemment pas en cause l’OMC en tant qu’institution. Ces personnes considèrent que les Asiatiques font des affaires comme ils l’ont toujours fait et qu’ils se servent des ALE pour atteindre leurs objectifs commerciaux.

Je ne m’attarderai pas sur les avantages et les inconvénients de la bilatéralisation par rapport à la multilatéralisation. Je préfère prendre en considération un aspect essentiel du commerce au XXIe siècle: à mesure que les droits de douane diminuent, les obstacles non tarifaires deviennent déterminants. Les différences en matière de normes, de règlements techniques, de procédures de certification, de réglementation des services, de règles prudentielles et bien d’autres facteurs peuvent avoir une incidence majeure sur la capacité commerciale des entreprises.

De mon point de vue, il est nécessaire de trouver un moyen de multilatéraliser progressivement ces ALE. Les efforts qui ont été accomplis récemment afin de consolider les ALE intrarégionaux en un accord régional plus vaste — le Partenariat économique régional global (RCEP) entre l’ASEAN et six autres membres — pourrait être la première étape dans ce sens. Mais si l’on ne peut que se féliciter de cet effort pour démêler l’écheveau d’accords en Asie, il est important de veiller à ce que ces travaux de consolidation ne se traduisent pas par un accord qui constituerait un plus petit dénominateur commun ou un accord fermé, et de faire en sorte qu’ils favorisent en définitive la multilatéralisation.

Les arguments en faveur de la multilatéralisation sont particulièrement fondés en ce qui concerne l’Asie. Premièrement, le concept de “régionalisme ouvert” a vu le jour dans le cadre de l’APEC en 1996 dans le but de pouvoir accorder aux non‑membres les avantages découlant des ALE de l’ASEAN sur une base non discriminatoire. Cette idée n’a pas été adoptée de manière formelle, mais les membres originels ont continué de chercher à multilatéraliser leurs accords, non seulement au sein de l’APEC mais également sur une base NPF pour toute une gamme de produits.

Deuxièmement, la majorité des ALE conclus en Asie, y compris par des membres du RCEP, constituent des accords bilatéraux interrégionaux qui s’étendent à d’autres régions du monde, en particulier à l’autre côté de l’océan Pacifique et à l’Europe, et viennent s’ajouter aux instances interrégionales telles que l’APEC et l’ASEM. La tendance à la multilatéralisation est logique, en particulier compte tenu des annonces récentes de lancement de négociations d’autres accords, notamment entre les États-Unis et l’Union européenne, le Japon et l’Union européenne ou l’élargissement du nombre de membres participant actuellement aux négociations relatives au Partenariat transpacifique, qui vont tous dans le même sens.

Troisièmement, il ne faut pas perdre de vue que la libéralisation unilatérale est une forme de multilatéralisation qui a été pratiquée régulièrement dans le cadre des réformes nationales. En effet, environ 65% des mesures de libéralisation des échanges qui ont été prises entre 1983 et 2003 étaient des mesures unilatérales. Le fait de consolider officiellement cette ouverture est source de crédibilité, de transparence et de prévisibilité, qui sont des éléments essentiels au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement.

Vu les intérêts économiques et systémiques énormes que présente pour l’Asie le maintien d’un système commercial ouvert et performant, elle doit contribuer activement à renforcer le système commercial international en relançant ses efforts de négociation dans cette institution, de même qu’elle doit veiller à une meilleure cohérence et à une synergie décuplée de ses efforts d’ouverture des échanges à l’échelle régionale et mondiale.

 

Comment l’OMC peut-elle aider l’Asie à renforcer l’intégration régionale?

L’OMC peut-elle faire quoi que ce soit pour faciliter les efforts d’intégration déployés par les pays d’Asie? La réponse est bien évidemment oui. Si la connectivité régionale s’est améliorée en Asie, il reste encore beaucoup à faire en ce qui concerne la connectivité des infrastructures, y compris les transports, la logistique et les douanes.

Je pense que la conclusion des négociations sur la facilitation des échanges menées à l’OMC peut contribuer à renforcer les efforts d’intégration déployés par l’Asie, en divisant par deux les coûts logistiques et autres coûts liés aux procédures à la frontière et aux procédures douanières.

Je pense également que l’OMC peut s’associer à la Banque asiatique de développement pour faire en sorte que l’Aide pour le commerce contribue au renforcement des capacités dans les pays pauvres d’Asie, notamment pour mettre en œuvre un accord de l’OMC sur la facilitation des échanges ou garantir la disponibilité et l’accessibilité économique du financement du commerce.

Permettez-moi de conclure en disant que l’Asie est au cœur du modèle de commerce et de développement qui a inspiré tant d’autres pays dans le monde. Je souhaite sincèrement que cette région continuera d’inspirer la communauté commerciale dans les décennies à venir. J’espère que le débat de ces deux prochains jours ouvrira de nouvelles perspectives et donnera lieu à des idées et propositions novatrices de la part de l’Asie qui contribueront à façonner l’avenir du système commercial international.

Je vous remercie.

 

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