NOUVELLES: ALLOCUTIONS DG PASCAL LAMY
27 septembre 2006
M. Lamy appelle à un débat sur la “flexibilité” et sur ce qui constitue une bonne “marge de manoeuvre”
L'augmentation des échanges sud-sud signifie que les politiques des pays en développement sont de plus en plus interdépendantes et les appels à la “flexibilité” pour préserver une “marge de manoeuvre” doivent donc être mûrement réfléchis, a indiqué le Directeur général Pascal Lamy le 27 septembre 2006 devant la 53ème session du Conseil du commerce et du développement de la CNUCED. Voici ce qu'il a déclaré:
Allocution d'ouverture de M. Pascal Lamy, Directeur Général de l'OMC
53ème session du Conseil du commerce et du développement de la CNUCED
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Pascal Lamy
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences, mesdames et messieurs,
Je suis très heureux d'être à nouveau parmi vous à la présente session
du Conseil du commerce et du développement. Il s'est passé beaucoup de
choses depuis l'année dernière, mais pas autant que ce que j'aurais
espéré, et j'attends avec intérêt nos discussions de ce matin.
Je voudrais centrer mon intervention de ce matin essentiellement sur les
questions en rapport avec la politique commerciale qui ont été soulevées
dans le Rapport sur le commerce et le développement de la CNUCED de
cette année, et dont vous êtes saisis, avant de passer à la question de
l'état actuel des négociations menées à l'OMC dans le cadre du Programme
de Doha pour le développement.
Je commencerai par dire que je partage les vues exprimées dans le
Rapport sur la contribution que peut apporter le commerce au
développement et à la réduction de la pauvreté. Le commerce est
aujourd'hui un ingrédient essentiel d'un ensemble de mesures qui doit
néanmoins contenir de nombreux autres ingrédients pour atteindre cet
objectif avec succès. Cela veut dire, pas d'adhésion aveugle au
libre-échange. Mais cela veut également dire, pas d'adhésion aveugle à
des gouvernements qui font à peu près n'importe quoi, et certainement
pas d'adhésion aveugle au protectionnisme. Si l'ouverture des échanges
ne suffit pas, elle reste un ingrédient nécessaire. Ce postulat est au
cœur de ce que j'ai appelé le “Consensus de Genève”.
L'accès aux marchés pour les pays en développement est donc un
ingrédient important de cet ensemble de mesures. Des progrès ont été
accomplis au fil des ans dans l'amélioration des conditions d'accès aux
marchés des pays développés, mais il est clair qu'il reste encore
beaucoup à faire dans les domaines de l'agriculture et des produits
manufacturés à forte intensité de main-d'œuvre. C'est là bien sûr un
volet important du mandat de Doha, en vertu duquel l'aboutissement des
négociations se traduira par de réels progrès dans la réduction des
tarifs, dans le traitement des crêtes tarifaires et de la progressivité
des tarifs, et dans la réalisation de percées substantielles dans le
domaine des subventions ayant des effets de distorsion des échanges dans
l'agriculture. Il est donc réconfortant de voir dans l'avant propos du
Rapport, l'appel de Kofi Annan invitant à la détermination et au courage
politique nécessaires pour mener le Cycle à bonne fin.
Il est noté à juste titre dans le Rapport que nous restons confrontés au
défi de faire en sorte que les mesures et les obstacles non tarifaires
n'annulent tout simplement pas les progrès réalisés dans le domaine
tarifaire. Le Rapport met en évidence les actions antidumping affectant
les exportations des pays en développement. Mais je voudrais faire
observer qu'il ne s'agit pas seulement d'une question Nord-Sud. Ces
dernières années, ce sont les pays en développement qui ont eu le plus
fréquemment recours à des mesures antidumping, non seulement à
l'encontre des pays développés mais aussi — et surtout — à l'encontre
d'autres pays en développement.
De fait, si les pays développés restent les principaux débouchés pour
les exportations des pays en développement, cette situation est en train
de changer. Le commerce Sud-Sud est depuis quelques années plus
dynamique que le commerce Nord-Sud, et il est donc clair que les
politiques commerciales des pays en développement affectent également
les perspectives et possibilités commerciales des uns et des autres.
Une partie importante du rapport de cette année est consacrée aux
questions d'autonomie d'action ou de marge de manœuvre. L'argument de
base que la CNUCED avance est que les engagements internationaux dans
les domaines de la finance ou du commerce empêchent les pays en
développement de réaliser leur véritable potentiel de développement, en
ce sens que les gouvernements sont empêchés d'intervenir dans l'économie
selon des modalités qui sont essentielles pour progresser.
Lorsque l'on avance cet argument, je pense qu'il est important de
préconiser non pas simplement une marge de manœuvre mais une “bonne”
marge de manœuvre. Il nous faut démontrer de façon convaincante, en nous
fondant sur les faits, pourquoi une certaine politique est nécessaire.
Prenez l'exemple de l'Accord sur les mesures concernant les
investissements et liées au commerce (MIC). Je pense qu'il est plus que
discutable que la teneur en valeur ajoutée dans le pays des produits
d'exportation augmenterait si des prescriptions de résultat étaient
autorisées. Sommes-nous certains que les pays en développement qui
essaieraient d'imposer des prescriptions de résultat attireraient
facilement des investissements étrangers, et si tel était le cas, à quel
prix au regard d'autres incitations à l'IED? On peut se demander
également si les objectifs des MIC ne pourraient pas être atteints de
manière plus effective, du moins du point de vue de l'efficacité, par le
jeu de la structure tarifaire.
L'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, qui est une
fois encore accusé d'empiéter sur le pouvoir qu'ont les pays d'établir
des règles, est un autre exemple. La solution, semble-t-il, serait de
n'avoir aucune discipline relative aux subventions, ce qui soulève une
question intéressante. Voulons-nous faire valoir que la meilleure
contribution que l'OMC puisse apporter au développement est de faire en
sorte que les pays en développement n'aient aucune obligation dans ce
domaine? Ou que les subventions à l'exportation devraient être
autorisées?
Il va sans dire que les législateurs de l'OMC — ses Membres — tout en
étant convenus de règles relatives aux subventions, ont aussi ménagé les
flexibilités nécessaires aux pays les moins avancés, et, s'agissant des
subventions aux exportations également, aux pays dont le PIB par
habitant est inférieur à 1 000 dollars. En conséquence, tous les PMA et
un grand nombre de pays en développement sont exemptés de l'application
de la prohibition frappant les subventions à l'exportation.
L'argument de la marge de manœuvre est également souvent avancé à propos
des droits sur les produits industriels. Le rapport préconise la
“flexibilité” en matière d'engagements tarifaires en raison des éléments
suivants: i) les besoins de recettes budgétaires; ii) la plus grande
difficulté qu'ont les pays en développement à se procurer des recettes à
des fins de subventionnement; et iii) l'opportunité de niveaux
tarifaires très différents afin d'adapter les niveaux de protection dans
le cadre d'une politique industrielle. Les pays en développement
pourraient ainsi souscrire à un niveau tarifaire moyen global assez bas,
et disposer d'une grande autonomie pour relever ou abaisser certains
taux. Ces recommandations vont au cœur de la question du rôle que
peuvent jouer les pouvoirs publics dans le développement et la
diversification de l'industrie. Là encore, des personnes de bonne foi
peuvent ne pas être d'accord, surtout s'agissant de la question du degré
de protection à accorder et de la capacité des gouvernements à gérer de
telles politiques de manière effective. Cela donne matière à débats,
débats qui, à mon sens, doivent être engagés en examinant les faits.
Examiner les faits veut dire examiner la différence entre taux
consolidés et taux appliqués. Dans le cas de l'Égypte, les taux
consolidés moyens applicables aux produits industriels sont de 30 pour
cent, tandis que les taux appliqués sont de 12 pour cent. Dans le cas de
la Thaïlande, les taux consolidés sont de 22 pour cent, alors que les
taux appliqués sont de 10 pour cent. Mais il est d'autres cas: les taux
consolidés et les taux appliqués de la Chine sont de 9 pour cent. Si
l'on tient compte du fait que les négociations tarifaires se fondent sur
les taux consolidés, il est clair que les appels en faveur d'une marge
de manœuvre voudraient dire des choses très différentes pour différents
pays.
Il est également nécessaire d'examiner les faits s'agissant de la
relation entre droits de douane et recettes budgétaires. C'est
essentiellement dans les PMA d'Afrique et des Caraïbes que les recettes
tarifaires constituent une proportion significative des recettes
budgétaires. Mais dans les négociations en cours, bon nombre de ces pays
sont exemptés de tout abaissement des droits consolidés. Pour d'autres
pays en développement, comme la Chine, le Brésil, l'Argentine,
l'Indonésie, l'Afrique du Sud, la République de Corée, la Turquie, moins
de 5 pour cent des recettes fiscales proviennent des droits de douane.
L'Inde, où environ 15 pour cent des recettes budgétaires proviennent des
droits de douane, est une exception, mais cela ne l'a pas empêchée de
réduire fortement ses droits, année après année. Nous avons besoin d'une
analyse rigoureuse qui résiste à un examen critique. Nous avons besoin
de spécificité. Je pense que la CNUCED est bien placée pour contribuer à
ces efforts, et ce serait dommage de laisser passer de telles occasions.
Enfin, à propos de la question de savoir pourquoi les pays — même les
petits pays qui ne peuvent influer sur les termes de leurs échanges — pourraient considérer qu'il est dans leur intérêt de contracter des
engagements internationaux, j'aimerais formuler deux observations.
Premièrement, même les petits pays qui n'ont guère ou pas d'influence
sur les marchés mondiaux peuvent, par leur participation, influer sur
les résultats négociés. Le choix de ne pas participer donne simplement
aux autres la possibilité de faire ce qu'ils veulent et de n'offrir que
ce qui leur convient. Il n'y a alors aucune transaction, aucune
négociation, seulement un résultat “à prendre ou à laisser”. Cet
argument est particulièrement important, à mon sens, si nous
reconnaissons, comme le fait le rapport, que différents pays en
développement connaissent des situations très différentes en ce qui
concerne leurs relations commerciales et leurs débouchés commerciaux.
Deuxièmement, à mesure que les pays participent de plus en plus au
commerce international, les engagements internationaux contribuent à
préciser, consolider et rendre plus stable le processus de formation de
la politique commerciale et son aboutissement.
Le rapport contient un chapitre intéressant sur le fonctionnement des
marchés intérieurs. Il est clair que le degré dans lequel les marchés
intérieurs sont effectivement à même de transmettre les signaux donnés
par les prix est un élément essentiel qui détermine jusqu'à quel point
une économie peut tirer profit des avantages de l'ouverture au commerce.
Si les marchés intérieurs fonctionnent mal, soit en raison d'une
concentration excessive, soit en raison de politiques gouvernementales,
il peut même y avoir des scénarios dans lesquels l'ouverture au commerce
pourrait nuire à l'économie nationale! Bien que cela ne soit pas une
excuse pour éviter la concurrence et renoncer aux avantages qui en
découlent, il y a certainement là un signe que la libéralisation du
commerce à elle seule ne suffit peut être pas.
Cela m'amène à la question de l'infrastructure destinée au commerce.
Nous savons qu'une infrastructure insuffisante, qu'il s'agisse de
capital humain, d'infrastructure matérielle, ou de services efficaces,
étouffe les possibilités commerciales ainsi que les possibilités de
croissance et de développement qui vont de pair avec elles. Nous savons
aussi que les gouvernements, aussi bien les pouvoirs publics nationaux
que la communauté internationale, ont un rôle capital à jouer pour
contribuer à favoriser cette infrastructure. Mais ces efforts sont en
faveur du commerce, et ne se substituent pas à lui. C'est de cela dont
on a besoin pour traduire en réalité les possibilités qu'offrent des
marchés plus ouverts, en recherchant des solutions aux problèmes de
capacité des pays en développement.
L'infrastructure commerciale fait partie du contexte plus général de
l'Aide pour le commerce, sujet qui, selon moi, mériterait peut être une
plus grande attention de la part de la CNUCED. Comme vous le savez,
l'Équipe spéciale chargée de l'Aide pour le commerce, que nous sommes
convenus d'établir à Hong Kong, a finalisé ses travaux et ses
recommandations, qui seront examinés à la prochaine réunion du Conseil
général de l'OMC, le 10 octobre. Je suis extrêmement reconnaissant aux
membres de l'Équipe spéciale, placée sous la conduite de l'Ambassadeur
de Suède, Mme Mia Horn, pour les recommandations qu'ils ont formulées
sur la façon de “rendre opérationnelle” l'Aide pour le commerce et sur
la façon dont celle ci pourrait contribuer le plus effectivement à la
dimension développement du PDD. Ces travaux seront poursuivis
parallèlement aux efforts visant à remanier le Cadre intégré pour les
PMA, en tenant clairement compte du fait que l'Aide pour le commerce
vient à l'évidence en complément du programme d'ouverture des échanges.
Pour ma part, conformément au mandat qui m'a été donné à Hong Kong, j'ai
mené activement des consultations avec divers partenaires, dont la
Banque mondiale, le FMI, le PNUD, des donateurs bilatéraux et des
banques de développement régionales, et très récemment encore lors des
réunions de la Banque mondiale et du FMI à Singapour. Ces consultations
ont montré clairement que l'Aide pour le commerce est un complément
nécessaire du Cycle de Doha, mais qu'elle ne s'y substitue pas.
L'ouverture des échanges au niveau multilatéral et le renforcement du
système commercial fondé sur des règles sont considérés par les Membres
comme étant la contribution la plus importante que peut apporter l'OMC à
l'accélération de la croissance économique, à la promotion du
développement et à la réduction de la pauvreté.
Je sais également que l'état d'avancement actuel du PDD a amené certains
à se demander si l'initiative Aide pour le commerce se réaliserait. Sur
ce sujet, ma position est que l'Aide pour le commerce ne fait pas partie
de l'engagement unique et devrait donc poursuivre sur sa voie, et cette
opinion est renforcée par les messages politiques que, j'en suis sûr,
vous avez vous aussi entendu exprimer par de nombreux Membres qui
réaffirmaient leur attachement à un programme Aide pour le commerce qui
soit de vaste portée. Néanmoins, je pense aussi que ses avantages seront
moindres sans les nouvelles possibilités qui découleront de
l'aboutissement du Cycle.
Il est clair que tant l'ouverture des échanges que l'Aide pour le
commerce ne porteront des fruits que sur un terrain propice et que des
institutions et une gouvernance effectives sont essentielles à cette
fin. Le rôle des institutions et la qualité de la gestion des affaires
publiques sont à l'évidence des ingrédients d'une importance capitale
dans toute analyse de ce qui fait la différence entre le succès et
l'échec lorsqu'il s'agit de relever les défis du développement, ainsi
que du rôle que peuvent jouer les politiques commerciales dans ce
processus.
La relation entre commerce, pauvreté, inégalité et répartition des
revenus est complexe et traiter ces questions est fondamental pour une
stratégie de développement qui soit viable, pour le soutien du public à
des politiques rationnelles, et pour la façon dont est perçue la
légitimité du pouvoir, y compris dans un contexte international. Je ne
pense pas que ce soit là des observations qui prêtent à controverse,
mais il reste encore beaucoup à faire pour comprendre la véritable
nature de ces problèmes et la façon dont il nous faudrait les affronter.
Pour conclure, je vous ferai part de mon évaluation de l'état
d'avancement des négociations de Doha. En juillet dernier, nous avons
décidé, comme vous le savez, de suspendre les négociations de Doha pour
permettre aux Ministres de faire une “pause” et d'examiner la façon dont
ils peuvent, chacun, contribuer à éliminer les obstacles qui subsistent,
en particulier dans le secteur de l'agriculture. Je sais que depuis lors
il y a eu dans les administrations nationales un travail de réflexion
politique sérieux. Je suis convaincu qu'à l'issue de ce processus on
reconnaîtra que la seule solution acceptable est que le Cycle aboutisse.
Je pense qu'en attendant il est important que nous nous ménagions des
possibilités d'avoir de paisibles discussions, de mener une réflexion
approfondie et de procéder à un rapprochement discret des points de vue,
de façon à réduire l'écart entre les positions sur l'accès aux marchés
et les subventions dans le secteur de l'agriculture. Une reprise n'a de
sens que si la position des principaux acteurs évolue. Et cela ne se
fera pas sans un gros travail de réajustement politique sur le plan
interne. Espérons que cela se produira, mais nous devrions faire avancer
l'Aide pour le commerce, en tirant parti des progrès déjà accomplis et
de la dynamique qui existe manifestement. Je continuerai à travailler en
étroite collaboration avec d'autres pour faire en sorte que cette
initiative continue à prendre de l'ampleur à mesure que nous
approfondirons et élargirons nos activités en matière de cohérence.
Mon objectif numéro un reste de conclure les négociations. C'est ce
qu'ont dit les Membres de l'OMC ces dernières semaines, et les pays en
développement l'ont dit plus fort que les autres. Mais, il me semble
clair également que nous devons réfléchir de manière plus créative à la
façon dont le commerce, le développement et la croissance peuvent être
intégrés dans un tout cohérent. L'Aide pour le commerce est une pièce
maîtresse de ce puzzle. C'est pour nous tous une occasion importante —
et un défi — de concrétiser notre promesse de renforcer la coopération
mondiale et d'obtenir des résultats significatifs. Saisissons cette
occasion.
Je vous remercie pour votre attention.