NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

“Sauver Doha et concrétiser les engagements relatifs au développement”
Séminaire international, New Delhi

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Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous pour vous faire part de mon point de vue sur la manière de sauver le Cycle de Doha et de concrétiser les engagements pris au sujet du développement. Comme beaucoup d'entre vous le savent, le voyage du Cycle de Doha n'a jamais été simple ni sans histoire. À Doha, nous avons connu des moments heureux, lorsque le Cycle a été lancé; nous avons vécu des moments difficiles à Cancún, au Mexique, en 2003, lorsque beaucoup ont craint que le système commercial multilatéral n'ait perdu son sens de l'orientation. En juillet 2004, après de nombreuses nuits blanches, les Membres ont adopté le Cadre de juillet et, l'année suivante à Hong Kong, une lueur d'espoir est de nouveau apparue. En juillet dernier, nous avons affronté la "suspension", et les négociations se sont retrouvées au bas de la pente. Heureusement, les Membres n'ont pas encore perdu confiance, et nous voici de nouveau engagés pleinement dans la négociation.

Qu'ai-je appris de ces cinq années passées, des hauts et des bas, de ces moments heureux et de ces heures amères? Premièrement, j'ai constaté qu'il y avait toujours au fond une force qui nous aidait à sortir des situations les plus difficiles et nous redonnait espoir dans les moments de découragement. Nous sommes convaincus qu'une OMC vigoureuse traduit le désir général d'opérer au sein d'un système commercial multilatéral plus juste et plus ouvert, offrant un ancrage solide à nos économies à mesure qu'elles resserrent leurs liens. C'est le constat que ce système a apporté une contribution importante à la croissance économique, au développement et à l'emploi tout au long des 50 dernières années. C'est la conviction que le commerce international peut jouer un rôle majeur dans la croissance et l'allégement de la pauvreté et que nos peuples peuvent tous tirer parti des possibilités accrues et des gains de bien-être que génère le système commercial multilatéral. Pour un pays comme l'Inde, qui comptait parmi les fondateurs du prédécesseur de l'OMC, le GATT, je suis certain que cette conviction est bien là aujourd'hui.

Deuxièmement, il est important de se rendre compte que le processus de négociation a avancé, à petits pas, couche par couche, jusqu'au stade actuel lorsque les négociateurs ont montré qu'ils comprenaient les préoccupations des autres, lorsque, en plus de se soucier de leurs intérêts nationaux, ils ont eu à l'esprit la valeur et le bien du système et ont déployé ensemble des efforts pour trouver des solutions de compromis. Lorsque tous les pays ont été prêts à apporter leur contribution, les riches contribuant plus que les pauvres. Nous avons connu cette atmosphère de coopération aux derniers stades de la Conférence ministérielle de Doha, à Genève en 2004 et à Hong Kong en 2005. J'espère que cela se produira de nouveau dans les mois qui viennent, afin d'ouvrir la voie vers la conclusion du Cycle.

Évolution actuelle et possibilités de convergence

Depuis février, les négociations ont repris à plein régime dans tous les groupes de négociation. Les Membres travaillent aussi au niveau bilatéral, reprenant contact et vérifiant l'incidence des chiffres de compromis éventuels sur les produits qui les intéressent le plus à l'exportation et auxquels ils sont le plus sensibles à l'importation. Il y a aussi un engagement et un soutien renouvelés au plus haut niveau politique. La semaine dernière, les États-Unis, les CE, le Brésil et l'Inde ont eu des contacts bilatéraux à Londres et à Genève à l'échelon ministériel. J'ai eu des réunions séparées avec les quatre ministres et j'ai été informé que quelques progrès avaient été accomplis dans la mise à l'essai des hypothèses, des approches et des formules. Même si cela peut être utile pour faire avancer les choses, le rythme est trop lent. Le temps ne travaille pas pour nous, et de nombreux Membres de l'OMC s'impatientent. Le processus de négociation multilatéral doit donc atteindre sa vitesse maximale, et les Présidents des divers groupes de négociation doivent venir sur le devant de la scène. Nous devons accélérer le processus, afin de profiter du créneau qui se refermera fin juin avec l'expiration de l'Autorité en matière de promotion du commerce des États Unis.

Les possibilités de développement offertes par le Cycle de Doha

Permettez-moi à présent d'aborder le thème central de ce séminaire, le “développement”. La décision prise par les Membres de l'OMC en 2001 de donner au Cycle de Doha le titre de Cycle pour le développement était la reconnaissance du fait qu'il subsiste, dans le système commercial multilatéral, avec les règles et les disciplines actuelles, des déséquilibres qui pénalisent les pays en développement — et auxquels il faut remédier. L'objectif est donc d'améliorer les disciplines multilatérales et les engagements pris par tous les Membres de l'OMC, de façon qu'ils rendent les règles du jeu plus équitables et offrent aux pays en développement de meilleures conditions leur permettant de tirer parti de l'ouverture des échanges.

Au sujet des droits de douane sur les produits industriels, grâce à la formule de réduction pour le Cycle actuel, nous pouvons pour la première fois traiter les crêtes tarifaires, la progressivité des droits et les droits élevés qui subsistent dans les pays développés. Très souvent, ces droits d'importation les plus élevés s'appliquent à des produits pour lesquels, comme par hasard, les pays en développement ont un avantage comparé.

En 2005 par exemple, la moyenne des taux effectivement appliqués sur les produits industriels par l'Union européenne avoisinait 4 pour cent, mais sur les T-shirts pour homme, le droit était de 32 pour cent. Cette même année, la moyenne des taux appliqués sur les produits industriels aux États-Unis était de 3,9 pour cent, mais le droit sur certaines chaussures de sport allait jusqu'à 48 pour cent. Quel résultat peuvent avoir de tels écarts? Je prendrai un exemple. En janvier 1996, les États-Unis ont importé des produits français pour une valeur de 3 milliards de dollars — qui ont rapporté environ 30 millions de dollars de droits d'importation. Le même mois, ils n'ont importé que pour 200 millions de dollars de marchandises en provenance du Cambodge — soit moins de 10 pour cent des importations provenant de la France — mais le montant des droits d'importation sur ces marchandises a été identique, c'est-à-dire 30 millions de dollars! Le nœud du problème est le type de marchandises exportées par chaque pays. Actuellement, si un pays exporte des produits à faible valeur ajoutée comme les textiles, les vêtements et les chaussures — fabriqués en général par des pays pauvres — il paie des droits élevés. Il faut changer cette situation, et le Cycle actuel peut le faire.

Dans l'agriculture, pour rééquilibrer le système commercial multilatéral en faveur des pays en développement, nous sommes déjà convenus que ce Cycle devait produire des "abaissements effectifs" des subventions agricoles qui faussent les échanges dans les pays développés. Il aboutira aussi à l'élimination des types de subventions qui causent le plus de dommages — les subventions à l'exportation — d'ici à 2013, dont une part importante sera supprimée d'ici à 2010. Il produira également une amélioration de l'accès aux marchés, y compris pour le commerce Sud-Sud, grâce à l'abaissement des droits de douane et à la suppression des restrictions quantitatives, surtout sur les produits pour lesquels les pays en développement ont un avantage comparé. Parallèlement, les Membres de l'OMC ont reconnu que les pays en développement avaient le droit de protéger un certain nombre de produits spéciaux en fonction de critères relatifs à la sécurité alimentaire, à la garantie des moyens d'existence et au développement rural et de recourir à un mécanisme de sauvegarde spéciale pour se protéger contre les augmentations brusques des importations. Tout cela est déjà entendu. La question est maintenant de savoir "combien".

À propos du coton, les pays riches ont déjà accepté d'éliminer toutes les subventions à l'exportation en 2006; ils sont également convenus de réduire les subventions internes faussant les échanges de façon plus rapide et dans de plus grandes proportions pour le coton que pour les autres produits agricoles.

En ce qui concerne les pays les plus pauvres, il est déjà convenu d'accorder un accès aux marchés en franchise de droits et sans contingent sur une base durable pour 97 pour cent des produits originaires des PMA, en vue d'étendre à terme ce traitement à 100 pour cent de leurs produits.

Il y a aussi un accord pour ouvrir les marchés de services, domaine qui prend de plus en plus d'importance pour de nombreux pays en développement et qui offre un immense potentiel de croissance, comme l'Inde elle-même en témoigne. Il y a un accord pour réduire les subventions aux pêcheries, qui contribuent à appauvrir nos océans, pour faciliter les procédures douanières, pour rendre plus transparentes les procédures antidumping et pour favoriser le commerce des biens et des services environnementaux.

Je mentionnerai enfin les nouvelles dispositions concernant l'accès aux médicaments, déjà adoptées, qui permettent la délivrance de licences obligatoires par les pays pauvres dépourvus de capacités de production et qui peuvent faire beaucoup pour sauver des vies humaines ou assurer l'accès d'un plus grand nombre de personnes à un traitement médical minimum.

Dans tous ces domaines, un pays comme l'Inde, qui s'intègre progressivement et régulièrement dans l'économie mondiale, peut retirer des avantages du Cycle actuel.

Les nouvelles possibilités commerciales ne se traduiront pas automatiquement par une augmentation des échanges et par un développement

Comme vous pouvez le voir, il y a des signes qui montrent que, pour les pays en développement, les résultats du Cycle actuel ont déjà une portée bien plus grande que ceux du Cycle d'Uruguay, même s'ils ne sont pas encore suffisants pour clore le Cycle. Mais l'accès aux marchés et les nouvelles disciplines sont-ils suffisants pour favoriser le développement et relever le niveau de vie des pays les plus pauvres?

La réponse est non. L'ouverture du commerce et l'amélioration des disciplines jouent un rôle vital dans la croissance et le développement, mais elles ne sont pas la panacée face à tous les défis du développement. Le développement doit s'inscrire dans un cadre économique, social et politique propice et un cadre d'orientation cohérent à plusieurs facettes. L'ouverture du commerce et l'amélioration des disciplines sont une condition nécessaire mais non suffisante pour le développement. Les gouvernements doivent veiller à ce qu'un ensemble de conditions soit mis en place au niveau intérieur.

Quelles sont ces conditions? Premièrement, des politiques macro économiques judicieuses. Ces politiques sont le fondement de toute politique commerciale réussie. Deuxièmement, des marchés qui fonctionnent raisonnablement bien. Si les signaux donnés par les prix ne sont pas transmis aux marchés — de telle sorte que les marchés restent rigides, sans réaction et souvent monopolistes —, les avantages de l'ouverture du commerce risquent d'être gaspillés ou récupérés et, dans ces situations, l'ouverture peut même être nuisible. Au pire, l'ouverture du commerce peut finir par entraver l'activité économique et l'emploi, sans offrir de possibilités nouvelles et meilleures. Troisièmement, il faut que l'infrastructure nécessaire soit en place, qu'il s'agisse du capital humain ou de l'infrastructure matérielle. Quatrièmement, comme d'ordinaire, il faut une bonne gouvernance et des institutions fiables qui fonctionnent.

L'ouverture du commerce ne peut être viable politiquement et économiquement que si elle est complétée par des politiques d'accompagnement qui répondent en même temps aux problèmes de capacités — humaines, administratives ou structurelles — et à la nécessité de distribuer les avantages procurés par un commerce plus libre.

C'est ici qu'intervient l'initiative d'Aide pour le commerce de l'OMC. L'Aide pour le commerce consiste à donner aux pays en développement les moyens de bénéficier du commerce. Elle doit aider le secteur privé — entrepreneurs, commerçants, investisseurs — à exploiter les possibilités d'exportation. Il s'agit de capitaliser les résultats déjà obtenus par les organisations de la société civile dans de nombreux pays, dont l'Inde. Et surtout, il s'agit d'intensifier la coopération et la cohérence au niveau international — entre l'OMC, la Banque mondiale, le FMI et l'ONU au plan mondial et entre les ministres chargés du commerce, des finances et du développement au plan national —, car c'est au niveau élémentaire que la cohérence des politiques doit commencer.

L'Aide pour le commerce est un élément de l'objectif beaucoup plus large du Cycle pour le développement: faire en sorte que le commerce ne soit pas simplement une fin en soi mais qu'il contribue à élever les niveaux de vie et à réduire la pauvreté. Nous devons veiller à ce que l'ouverture des marchés se traduise par des gains et des avantages réels pour les individus, en aidant à mettre en place les conditions nécessaires à la réalisation de ces gains et avantages.

Le Cycle actuel offre de réelles possibilités d'apporter beaucoup aux pays en développement. Sera t il donc à la hauteur de son titre? Y aura-t-il un débat sur la question de savoir s'il a ou non atteint son objectif de promotion du développement? En fait, nous ne connaîtrons la réponse à ces questions que lorsque le Cycle sera terminé — voire plus tard, lorsque les résultats seront mis en œuvre. Pour moi, la principale question au sujet de ce Cycle de négociations commerciales n'est donc pas shakespearienne, ce n'est pas le dilemme de Hamlet: "être ou ne pas être" un cycle pour le développement. La principale question est en fait de savoir si les résultats de ce Cycle se traduiront ou non par une élévation du niveau de développement dans les pays pauvres.

Conclusion

La négociation actuelle ne concerne pas simplement le commerce. Le Cycle est plus qu'une négociation, c'est un test. Un test de crédibilité pour l'OMC et pour sa capacité à concrétiser les promesses faites aux pays en développement. Un test de la détermination de la communauté mondiale à transformer ses discours sur la coopération internationale et la cohérence des politiques en résultats significatifs. Et un test qui dira si nous sommes ou non capables d'édifier un système commercial véritablement "mondial", qui procurera des avantages à tous les pays.

Je vous remercie.

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