NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

Gérer la sécurité au niveau mondial: l'importance stratégique du commerce international
International Institute for Strategic Studies, Global Strategic Review Conference, Genève

VOIR AUSSI:
> Communiqués de presse
> Nouvelles
> Allocutions: Pascal Lamy

Merci François. Et bonjour à tous.

Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui à discuter du commerce et de ses incidences sur la gestion de la sécurité mondiale aujourd'hui.

Le lien entre commerce et sécurité n'est pas nouveau. Déjà au XVIIIe siècle, Montesquieu écrivait dans son œuvre célèbre, De l'esprit des lois, “l'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels”.

La même idée a été reprise à la fin de la Deuxième Guerre mondiale par la délégation des États Unis aux négociations sur la Charte de La Havane lorsqu'elle a dit, voulant encourager les pays à adhérer à la Charte, “si ce ne sont pas les marchandises, ce seront les soldats qui traverseront les frontières”. La Charte de La Havane portant création de l'Organisation mondiale du commerce n'a pas abouti en fin de compte, mais les principaux éléments qu'elle contenait, y compris son esprit, sont restés dans ce qui est devenu le GATT, prédécesseur de l'Organisation mondiale du commerce.

Comme l'histoire le montre, le commerce peut aider à fonder la sécurité et la stabilité. Mais l'histoire offre également de nombreux exemples du commerce comme facteur de tensions, voire de guerre. Et je pense que cette relation à double face reste d'actualité. Le commerce mondial peut être l'un des principaux piliers de la sécurité mondiale, mais uniquement lorsque les conditions s'y prêtent. Ces conditions se rapportent aux règles, politiques et institutions. Telle est la substance de ma déclaration de ce matin.

 

Double sens

L'expansion du commerce peut fonctionner dans les deux sens. Compte tenu d'un principe simple — peut-être simpliste — selon lequel l'insécurité résulte d'un manque ou d'une crainte, l'expansion du commerce dans le monde contemporain peut fonctionner dans les deux sens.

Une augmentation des flux commerciaux peut contribuer à améliorer la sécurité. Pour de nombreux pays en développement, le commerce a été un instrument vital pour réduire la pauvreté et élever les niveaux de développement. Il suffit de prendre l'exemple de la Corée, de la Malaisie ou de Singapour pour voir comment le commerce peut contribuer à améliorer les niveaux de vie. Deux pays en développement très peuplés, l'Inde et la Chine, enregistrent depuis quelques années des taux de croissance impressionnants. Pendant cette période, toutes les deux ont suivi des politiques qui ont permis à leurs économies d'être de plus en plus intégrées à l'économie mondiale. La Chine, en particulier, a accédé à l'OMC en 2001, et son PIB a presque doublé depuis. De tels exemples sont peut-être ce qui fait dire à certains que la mondialisation est “la plus grande force sur la planète et celle qui contribue le plus à y rendre la vie meilleure”.

Une augmentation des flux commerciaux crée une interdépendance économique entre pays qui en viennent de ce fait à mieux se connaître. Les difficultés des pays à comprendre leurs différences respectives sont à l'origine d'un grand nombre des conflits actuels. Il ne fait aucun doute que de ce point de vue, le commerce rapproche les pays les uns des autres et peut donc aider à ancrer les relations.

On a également vu l'importance du commerce dans les périodes consécutives à un conflit. Les Balkans en sont un bon exemple. L'établissement d'un réseau d'accords commerciaux entre ces pays qui faisaient autrefois partie de la Yougoslavie a aidé à les réunir. A contrario, la situation désastreuse du commerce alimente tant la pauvreté que le ressentiment dans les territoires palestiniens.

La mondialisation que l'on connaît aujourd'hui a entraîné le recul, voire la disparition, de nombre de barrières et obstacles, et peut favoriser l'essor de la liberté, de la démocratie, de l'innovation et des échanges sociaux et culturels tout en offrant des possibilités exceptionnelles de dialogue et d'entente.

Mais le revers de la médaille reste présent: le caractère mondial de phénomènes préoccupants de plus en plus nombreux — rareté des ressources énergétiques, détérioration de l'environnement et prolifération de catastrophes naturelles, propagation des pandémies, interdépendance croissante des économies et des marchés financiers — comme en témoignent les récents événements et mouvements migratoires provoqués par l'insécurité, la pauvreté ou l'instabilité politique, sont également des produits de la mondialisation, dont fait partie l'ouverture du commerce.

Si l'ouverture des marchés peut procurer des avantages à un grand nombre, elle engendre aussi des coûts et peut susciter l'inquiétude ou la peur. Les déséquilibres que l'ouverture du commerce crée entre les gagnants et les perdants sont plus dangereux pour les économies, les sociétés ou les pays les plus vulnérables. L'accroissement de la concurrence des producteurs étrangers a des incidences sur le tissu socioéconomique de nos pays et crée des turbulences qui peuvent être dramatisées dans les débats publics, comme nous pouvons le voir s'agissant de l'externalisation ou de la délocalisation, deux mots devenus à la mode dans les campagnes politiques.

En conséquence, l'opinion publique s'inquiète bien davantage des effets de la mondialisation. Le commerce est aujourd'hui perçu comme la face la plus visible de la mondialisation. Confrontées aux effets négatifs de l'ouverture du commerce, nos sociétés commencent à connaître des mouvements protectionnistes. Nous avons vu dans les années 30 la chaîne d'événements qui, partant de la propagation du protectionnisme, a mené quasi inexorablement à la guerre, ainsi que la place des souffrances et des troubles sociaux dans ce processus à effet d'entraînement.

Si le commerce peut alimenter à la fois la sécurité et l'insécurité, comment faire en sorte qu'il fonctionne de la bonne façon et non de la mauvaise? Pour répondre à cette question je dirai que nous pouvons le faire en renforçant les règles et les institutions, et tel est en grande partie l'objet de l'OMC. Mais cela doit s'accompagner de politiques nationales et internationales appropriées, qui pour l'essentiel ne sont pas de la compétence de l'OMC.

 

Règles

L'OMC comprend une série de règles et procédures destinées à servir de cadre à l'ouverture du commerce. C'était déjà le cas à l'époque du GATT, qui consacrait trois règles fondamentales: 1) la non-discrimination entre les partenaires commerciaux (clause de la nation la plus favorisée); 2) la non-discrimination entre produits nationaux et produits importés une fois que les marchandises sont dédouanées; et 3) la consolidation des droits d'importation — et des seuls droits d'importation — ou “sécurité des concessions” — c'est-à-dire l'obligation d'appliquer le droit d'importation maximal pour les marchandises, généralement convenu avec les autres pays au cours d'un cycle de négociations commerciales multilatérales. Ces règles ont été élargies de façon à englober les services à caractère commercial moyennant différents dispositifs car les services ne circulent pas au travers des frontières de la même façon que les marchandises.

L'objectif des pères fondateurs du GATT était donc d'assurer la transparence, la prévisibilité et l'application de règles uniformes à tous pour éviter le retour aux politiques protectionnistes catastrophiques que j'ai déjà mentionnées.

Ces trois principes fondamentaux sont développés sur plus de 500 pages dans les Accords de l'OMC dont les règles sont aujourd'hui la pierre angulaire sur laquelle reposent le commerce mondial des marchandises et des services et les droits de propriété intellectuelle. Et tout cela en donnant la priorité à des ententes multilatérales plutôt que bilatérales.

Mais pour être efficaces, les règles doivent être justes, ce qui implique de les actualiser selon les besoins. La question de l'équité des règles commerciales mondiales est en tête du programme actuel de l'OMC. Les pays en développement considèrent qu'un certain nombre de règles de fond de l'OMC perpétuent effectivement un certain parti pris contre les pays en développement. Ils ont fait valoir que l'élaboration de règles depuis 50 ans à l'OMC est dominée par les pays développés — l'ancienne QUAD (composée des États-Unis, du Japon, de l'Union européenne et du Canada) — au détriment des pays en développement.

Afin de comprendre pourquoi, il est instructif d'observer l'évolution de l'accès aux marchés dans les deux secteurs où les pays en développement sont censés généralement avoir un avantage comparatif: les textiles et les produits agricoles.

S'agissant des textiles, les résultats du Cycle d'Uruguay en 1995 ont permis dix années supplémentaires de contingents pour les textiles, jusqu'en 2004, en dépit des prohibitions générales du GATT et de l'OMC concernant les restrictions quantitatives. Mais les pays développés maintiennent ce que nous appelons des crêtes tarifaires dans ces secteurs.

C'est le même genre de situation qui apparaît lorsqu'on regarde les règles applicables aux subventions agricoles qui, contrairement aux règles générales régissant les subventions, autorisent diverses formes de soutien aux agriculteurs. Ces deux exceptions ont tendance à profiter davantage aux producteurs des pays riches qu'aux producteurs des pays en développement.

Les règles commerciales existantes donnent aussi une impression de parti pris lorsqu'elles sont analysées d'un plus large point de vue. À mesure qu'ils se développent, les pays se diversifient le plus souvent, les produits transformés et les produits finals venant remplacer les matières premières dans leur production et leurs exportations. Les structures tarifaires appliquées par les pays développés compliquent ce processus, car les niveaux tarifaires sont moins élevés pour les matières premières que pour les produits transformés ou finals. De fait, des degrés de “progressivité des droits” significatifs peuvent être observés dans le secteur des textiles et des vêtements et pour le cuir et les ouvrages en cuir. Il en va de même pour des produits agricoles comme le cacao, le café, le coton ou le soja.

En somme, bien que la décolonisation politique ait eu lieu il y a plus de 50 ans, la décolonisation économique reste encore inachevée. C'est donc l'un des objectifs des négociations multilatérales en cours lancées à Doha en 2001 — le Cycle du développement de Doha — de poursuivre le rééquilibrage de nos règles en faveur des pays en développement.

Où en sommes-nous sur ce point? Après plus de cinq ans de négociations, nous abordons maintenant la dernière ligne droite. En juillet dernier, nous avons réussi à mettre au point des projets de textes de compromis portant sur deux domaines essentiels du Cycle: l'agriculture et les produits industriels. Les nombreuses heures de débats, négociations et propositions forment maintenant l'épine dorsale d'un accord final sur les principaux chapitres du programme convenu pour les négociations. Mais ces projets de textes de compromis reflètent encore les différences qui restent à combler entre les positions des Membres. Nous avons repris cette semaine les négociations qui se poursuivront sous la forme d'un processus intensif au cours des semaines à venir.

Cet accord est réalisable, mais un dernier effort est nécessaire pour que le Cycle aboutisse. Avant hier seulement, à Sydney, j'ai demandé aux dirigeants et ministres de l'APEC de faire de l'aboutissement de ce cycle de négociations commerciales leur priorité politique. Nous ne conclurons pas ce Cycle sans engagement politique ni sans déploiement d'énergie. Me voici maintenant de retour à Genève fort de l'engagement et de la résolution manifestés qui devraient aider à donner l'impulsion nécessaire.

 

Politiques

Une entente sur l'actualisation nécessaire des règles commerciales multilatérales est indispensable pour mettre le commerce au service du développement et donc de la sécurité mondiale. Mais cela ne suffit pas. Pour que le commerce contribue à la croissance, à la réduction de la pauvreté et donc à la sécurité en général, plutôt qu'à susciter de l'inquiétude, les politiques nationales appropriées doivent être en place. Les objectifs en matière d'éducation, les investissements dans l'innovation et la recherche et le développement, la politique de la concurrence, les politiques de redistribution et la modernisation des infrastructures sont des éléments essentiels.

Ce sont là des défis auxquels tous les pays sont confrontés. Néanmoins, les pays en développement doivent généralement faire face à une protection sociale insuffisante, voire à l'absence de toute protection. Pour les pauvres de ces pays, la perte de leur emploi consécutive aux réformes commerciales peut être synonyme de graves difficultés économiques. C'est une chose de perdre son emploi lorsqu'on a droit à des prestations de chômage ou à une aide au titre de l'ajustement aux réformes commerciales, mais c'en est une autre de se retrouver sans emploi lorsque cela vous enlève tous vos revenus.

C'est pourquoi le système international a décidé d'intervenir — pour faire en sorte que l'ouverture des marchés se traduise par des gains tangibles pour les individus dans les pays en développement. Dans les pays Membres les plus vulnérables — en particulier les pays les moins avancés — on ne peut laisser les budgets nationaux ou le secteur privé faire face seuls aux coûts de l'ajustement, auxquels s'ajoutent les contraintes de capacité liées au potentiel de réaction de l'offre à la mondialisation. Nous devons donc mettre au point une réponse internationale efficace pour compléter les efforts consentis par ces pays pour ouvrir les marchés. Gérer le soutien public en faveur de l'expansion du commerce dans ces pays signifie aider les populations à en tirer directement parti — former les fonctionnaires, renforcer les institutions et mettre en place une infrastructure qui contribuera à la croissance des entreprises, créera des emplois et permettra à ces pays d'accroître et de diversifier leurs échanges.

Compte tenu de ces problèmes additionnels, j'ai préconisé d'inclure le débat sur l'Aide pour le commerce dans le programme de l'OMC et d'accroître d'une manière substantielle le financement accordé à cette initiative, que ce financement soit multilatéral (par l'intermédiaire de la Banque mondiale, d'institutions des Nations Unies), régional (par l'intermédiaire de banques régionales de développement) ou bilatéral (par l'intermédiaire du Fonds européen de développement, de l'USAID ou du Compte du défi du Millénaire, par exemple). L'Aide pour le commerce a un rôle politique important à jouer pour compléter les négociations commerciales. L'accroissement de l'Aide pour le commerce ne dépend pas des résultats du Cycle, mais sa valeur et son importance seront bien plus grandes si l'initiative est mise en œuvre parallèlement à de nouvelles possibilités substantielles en matière d'accès aux marchés et de nouvelles règles qui faciliteront les échanges.

Je fais clairement partie de ceux qui pensent que les gouvernements nationaux et des institutions internationales comme l'OMC ont un rôle important à jouer pour garantir la stabilité de l'économie mondiale en général et du système commercial multilatéral en particulier. Je suis fermement convaincu que les marchés fonctionnent d'autant mieux que l'environnement institutionnel dans lequel ils opèrent est meilleur. Les marchés s'entendent bien à créer de la richesse mais sont indifférents à la répartition de cette richesse. Je suis donc intimement convaincu du rôle bénéfique des gouvernements et j'estime comme d'autres que l'époque du Consensus de Washington est révolue. Le moment est maintenant venu d'arriver à ce que j'appelle un “consensus de Genève”.

À supposer que nous ayons l'ensemble de règles appropriées et que les politiques collatérales aux niveaux national et international aident à faire profiter la protection sociale des avantages de l'ouverture du commerce, la contribution du commerce mondial à la sécurité mondiale dépend également du cadre institutionnel, qui pose bien plus problème, nous le savons, au niveau international qu'au niveau national.

 

Institutions

Quels sont donc les enjeux spécifiques de la gouvernance internationale ou mondiale, par opposition aux systèmes classiques de gouvernance nationale?

À mon avis, les éléments de légitimité doivent reposer sur des institutions et sur des procédures. La légitimité classique implique que les citoyens choisissent leurs représentants collectivement en votant pour eux. Mais elle suppose également la capacité politique du système à produire un discours public et des propositions qui cristallisent des majorités cohérentes et donnent aux citoyens le sentiment qu'ils peuvent débattre des questions. Autrement dit, le système politique doit représenter la société, et lui permettre de se considérer comme un ensemble où tous les Membres utilisent la même langue et partagent les mêmes vues.

Étant donné que la légitimité dépend de la proximité de la relation entre l'individu et le processus décisionnel, la distance met en jeu la légitimité des institutions mondiales. D'où le déficit démocratique ou le déficit de responsabilité, comme on les appelle, qui se manifestent lorsque les individus n'ont aucun moyen de contester la façon dont les décisions internationales sont prises.

Le défi spécifique de la légitimité dans la gouvernance mondiale est donc de répondre au problème d'un processus décisionnel à l'échelon international perçu comme étant trop distant, non responsable et non directement contestable.

Le deuxième élément de validation du pouvoir est l'efficacité. Les citoyens attendent des gouvernements qu'ils soient capables d'identifier les problèmes et attendent des résultats des institutions investies de responsabilités politiques. Mais l'efficacité n'est pas aisée à quantifier concrètement. Lorsque le pouvoir est éloigné et qu'il y a une multiplicité de niveaux de gouvernement, la tâche devient encore plus compliquée.

Le défi de l'efficacité pour tout système de gouvernance mondiale vient de ce que l'ordre westphalien classique repose sur le monopole total de la souveraineté par les États-nations. Nous devons trouver des façons de remédier à l'opposition des États-nations souverains qui résistent avec plus ou moins d'intensité, selon les États et les questions en jeu, au transfert de tout ou partie de leurs compétences aux institutions internationales pour certaines questions.

Un autre enjeu spécifique est celui du manque de cohérence entre les institutions internationales. Même lorsqu'un pouvoir traditionnel de l'État est (en partie) transféré à une institution internationale, il n'est concédé qu'à des institutions internationales très spécialisées dont le mandat est limité et qui ne reçoivent d'ordres ou d'instructions que des autorités de l'État-nation. La cohérence, comme la charité, doit commencer par soi-même. Elle ressortit en premier lieu aux États. Mais nous le savons tous, les États souvent ne sont pas cohérents et n'agissent pas de façon cohérente, et dès lors, comment leurs institutions pourraient-elles être cohérentes dans leurs actes? La difficulté spécifique à laquelle se heurte la gouvernance mondiale en matière d'efficacité est au fond qu'il faut faire face à une efficacité partielle et incohérente.

Comment l'OMC se situe-t-elle sur ces deux questions fondamentales pour les organisations internationales?

Premièrement, à propos de la légitimité: l'OMC est une organisation internationale classique dont les Membres sont les gouvernements. Nombreux sont ceux qui estiment que l'OMC a des problèmes de responsabilité. Je pense que nous témoignons d'un degré élevé de responsabilité devant nos Membres. Le vieux club du GATT a désormais laissé place à de nouveaux groupements d'États et à de nouvelles coalitions: un nouveau G-6 (Australie, Brésil, UE, Inde, Japon, États-Unis) a remplacé l'ancienne QUAD (Canada, UE, Japon, États-Unis). Les propositions du G-20 — alliance de pays en développement sur l'agriculture — font désormais référence dans bien des domaines des négociations en cours. Il y a également de nouveaux acteurs importants tels que le groupe de pays en développement G-33 ou le Groupe africain, constitué de nations africaines. Avec aujourd'hui quelque 150 Membres, les décisions qui doivent être prises par l'ensemble des Membres sont d'abord préparées dans des cadres plus restreints, comme les commissions d'un parlement. Le consensus entre tous les Membres pour l'adoption de décisions est une garantie de légitimité face aux Membres. De nombreuses façons, l'OMC s'est adaptée aux changements géopolitiques bien plus vite et bien mieux que d'autres organisations intergouvernementales, par exemple les institutions de Bretton Woods, ou même le Conseil de sécurité.

Mais je dois reconnaître que cela n'est toujours pas convaincant pour un grand nombre de ceux qui critiquent la légitimité de l'OMC, qui n'acceptent pas le concept westphalien selon lequel la légitimité est “transitive”, à savoir que la légitimité d'une organisation internationale n'est rien de plus et rien de moins que la légitimité de ses membres.

 

Où se place l'OMC sur l'échelle de l'efficacité?

En matière d'efficacité, le bilan de l'OMC est certainement bien meilleur que la moyenne. Du point de vue des résultats, le GATT/l'OMC a donné au monde, ces 60 dernières années, des règles stables visant le commerce international. Plus important, il a établi un système dans le cadre duquel les règles internationales doivent être respectées. À l'OMC, le non-respect des règles peut donner lieu à une procédure de règlement, et les parties au litige sont tenues d'accepter la décision rendue par le mécanisme de règlement des différends, que ce soit des groupes spéciaux en première instance, ou l'Organe d'appel en dernier ressort. Sinon, des sanctions peuvent être imposées.

Du point de vue de la cohérence, le bilan est également raisonnablement bon: contrairement à un refrain fréquemment entendu, les règles commerciales ne priment pas sur d'autres domaines de gouvernance internationale comme la santé ou l'environnement. Ces problèmes sont dûment reconnus par les codes de l'OMC que nos Membres ont négociés dans le cadre de l'Organisation, et cela est confirmé par l'expérience de dix années de règlement des différends. Le système de règlement des différends de l'OMC s'est attaché à maintenir un équilibre entre les valeurs commerciales et les autres valeurs.

 

Conclusion

J'espère que la raison pour laquelle commerce et sécurité sont liés, et la façon dont ils le sont, vous apparaissent maintenant clairement. Mesdames et messieurs, le système commercial multilatéral se construit depuis 60 ans, ce qui représente aujourd'hui un immense acquis et une contribution importante à la sécurité et la stabilité. Mais cet acquis ne peut être considéré comme allant de soi. C'est pourquoi l'aboutissement du Cycle du développement de Doha revêt une importance stratégique pour la sécurité.

Le succès du Cycle de Doha montrerait clairement que la mondialisation peut être domestiquée grâce aux efforts collectifs de la communauté internationale. Cela laisserait bien augurer de la mise en place d'une gouvernance mondiale dans des domaines tels que le changement climatique ou de la maîtrise d'obstacles futurs au commerce axés sur des valeurs, par exemple les obstacles liés à la sécurité alimentaire ou aux normes alimentaires.

Un échec du Cycle de Doha entraînerait mécontentement et frustration, en particulier de la part des pays en développement, qui ont beaucoup investi dans ces négociations comme un moyen de rééquilibrer le système mondial en leur faveur. Un tel échec se traduirait également par une perte de crédibilité pour le multilatéralisme. Le commerce devrait être le domaine où la gouvernance mondiale peut s'imposer le plus facilement, étant donné l'importance du commerce pour le capitalisme de marché, et la capacité qu'ont les États-nations de réglementer relativement facilement les échanges; certainement bien plus facilement que lorsqu'il s'agit d'arriver à des accords sur les flux de capitaux, sur les questions de migration ou sur les limites à fixer pour les émissions de CO2!

Et pour une preuve supplémentaire du lien entre commerce multilatéral et sécurité, souvenez-vous que suite à l'échec de Seattle en 1999, c'est deux mois seulement après le 11 septembre que les pays sont convenus de lancer le Cycle de Doha. La raison de ce changement était et, selon moi, demeure simple: l'objet du terrorisme est d'aggraver l'instabilité; celui des règles commerciales mondiales est de promouvoir la stabilité.

Dans une vision à plus long terme et plus générale, je pense qu'il nous faudra trouver le juste équilibre entre une plus grande ouverture multilatérale pour les marchandises, les services et le capital d'une part, et la libre circulation des personnes d'autre part, laquelle en comparaison reste essentiellement soumise à de sévères réglementations et restrictions intérieures.

Vous savez mieux que moi que la sécurité et la stabilité mondiales vont de pair, et quelle que soit la contribution d'un système commercial multilatéral ouvert fondé sur des règles, celui-ci n'éliminera pas à lui seul les tensions provenant des atteintes à la liberté des personnes.

D'où la nécessité d'examiner ces éléments conjointement. Qui peut le faire? Cela reste pour le moment une question en suspens et un sujet intéressant pour l'IIES.

Je vous remercie pour votre attention.  

> Des problèmes pour visualiser cette page?
Veuillez écrire à [email protected] en indiquant le système d’exploitation et le navigateur que vous utilisez.