MODULE DE FORMATION CONCERNANT L’ACCORD SPS: CHAPITRE 5

Mise en ouvre — Règlement des différends

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5.3 L’affaire Hormones

Contexte  haut de page

L’origine de ce différend remonte aux années 70. À cette époque, on avait constaté l’inquiétude grandissante des consommateurs européens quant à l’utilisation d’hormones à des fins anabolisantes chez les bovins. De la viande de veau traitée avec des hormones illicites (DES) ayant été soupçonnée d’être la cause d’irrégularités hormonales observées chez des adolescents, des associations européennes de consommateurs avaient appelé à un boycott de la viande de veau.

En 1980, le Conseil des ministres des CE a décidé d’interdire l’utilisation d’ostrogènes et a approuvé le principe d’une plus grande harmonisation des législations des États Membres relatives aux médicaments vétérinaires et d’un contrôle renforcé de l’élevage. En 1988, les CE ont interdit l’utilisation de six hormones de croissance, parmi lesquelles trois hormones naturelles (oestradiol-17ß, progestérone et testostérone) et trois hormones de synthèse (acétate de trenbolone (TBA), zéranol et acétate de mélengestrol). Les CE ont également interdit les importations de viande et de produits carnés sauf si l’exportateur pouvait prouver que ces produits n’avaient pas été traités avec les hormones interdites. L’utilisation des trois hormones naturelles à des fins thérapeutiques et de gestion des troupeaux était cependant autorisée.

 

Différends dans le cadre du GATT  haut de page

En mars 1987, les États-Unis ont soulevé la question de l’interdiction communautaire au Comité responsable de l’Accord du Tokyo Round relatif aux obstacles techniques au commerce (“Code de la normalisation”). Les consultations bilatérales menées entre les États-Unis et les Communautés européennes n’ont pas permis de régler le différend. Faisant valoir que l’interdiction communautaire n’était pas étayée par des renseignements scientifiques, les États-Unis ont demandé l’établissement d’un groupe d’experts techniques chargé d’examiner la question. Cette demande a été rejetée à la suite de la réponse des CE selon laquelle l’utilisation d’anabolisants était un procédé et une méthode de production et, à ce titre, n’était pas visée par le Code de la normalisation.

En janvier 1989, les États-Unis ont mis en place des mesures de rétorsion sous la forme de droits ad valorem de 100 pour cent applicables à une liste de produits provenant des CE, qui ont en conséquence demandé l’établissement d’un groupe spécial, demande à laquelle se sont opposés les États-Unis. Ultérieurement en 1989, les CE ont décidé d’importer de la viande certifiée avoir été produite sans l’utilisation d’hormones, et les États-Unis ont retiré quelques produits de la liste des produits visés par les “mesures de rétorsion”.

 

Différends dans le cadre de l’OMC — le Groupe spécial  haut de page

Les États-Unis et le Canada ont tous deux demandé l’établissement d’un groupe spécial dans le cadre de l’OMC. L’Accord SPS est entré en vigueur avec la création de l’OMC et, par rapport à l’ancien Code de la normalisation, il offre des règles bien plus spécifiques en ce qui concerne les mesures sanitaires du type de celle qui fait l’objet du différend. Dans le cadre du nouveau système de règlement des différends de l’OMC, aucun pays ne peut s’opposer à l’établissement d’un groupe spécial et, en 1996, des groupes spéciaux ont été établis pour les plaintes déposées par les États-Unis et le Canada. Après que la composition du Groupe spécial chargé d’examiner la plainte des États-Unis a été arrêtée en juillet 1996, les États-Unis ont supprimé leurs mesures de rétorsion. Les membres du Groupe spécial (tant pour la plainte déposée par les États-Unis que pour celle déposée par le Canada) étaient M. Thomas Cottier (Président), professeur de droit suisse, M. Peter Palecka, diplomate tchèque spécialiste des questions commerciales et M. Jun Yokota, diplomate japonais spécialiste des questions commerciales.

 

Experts scientifiques  haut de page

Tant l’Accord SPS que le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends (Mémorandum d’accord) indiquent qu’il est possible de demander un avis d’experts dans des cas techniques. En conséquence, le Groupe spécial a décidé de demander l’avis de six experts indépendants, notamment des spécialistes dans le domaine des hormones, des médicaments vétérinaires, du cancer et du Codex Alimentarius. Le Groupe spécial a consulté des experts scientifiques choisis en consultation avec les parties sur la base des listes d’experts communiquées par le Codex, le Centre international de recherche sur le cancer et les parties au différend.

Le Groupe spécial, à nouveau en consultation avec les parties, a présenté des questions écrites à chaque expert. Les experts ont répondu par écrit aux questions pour lesquelles ils s’estimaient compétents. Ils ont également pris part à une réunion avec le Groupe spécial et les parties pour discuter de leurs réponses écrites et répondre à des questions additionnelles. Un procès-verbal in extenso est annexé au rapport du Groupe spécial. Cette procédure de recours à un avis d’expert a également été suivie dans deux autres différends relatifs à des questions SPS.

 

Questions et constatations juridiques  haut de page

Harmonisationarticle 3

La Commission du Codex Alimentarius avait établi des normes pour cinq des six hormones en cause. Le Codex avait constaté que, pour les trois hormones naturelles, les doses ne devaient pas être limitées. Le Codex avait établi des limites sûres pour les résidus de deux des trois hormones de synthèse, aux niveaux considérés comme ne faisant courir aucun risque à la santé des personnes.

Conformément à l’article 3:1, les Membres établiront leurs mesures sur la base de normes internationales. Le Groupe spécial a estimé que pour être établie sur la base d’une norme internationale, une mesure devait permettre d’obtenir le même niveau de protection que la norme. Il a donc conclu que l’interdiction frappant les importations de viande traitée aux hormones n’était pas établie sur la base des normes du Codex, puisqu’elle permettait d’obtenir un niveau de protection notablement plus élevé. L’Organe d’appel a décidé que l’expression “sur la base de” signifiait qu’une mesure pouvait adopter certains éléments mais pas nécessairement tous les éléments d’une norme internationale. Il a noté qu’un Membre qui imposait une telle mesure ne bénéficiait pas de la présomption de conformité énoncée à l’article 3:2 pour les mesures qui “sont conformes aux” normes internationales.

Au titre de l’article 3:3, un Membre pourra établir des mesures qui entraînent un niveau de protection plus élevé que celui que permet d’obtenir la norme internationale s’il y a une justification scientifique ou si cela est la conséquence du niveau de protection qu’un Membre juge approprié. En tout état de cause, une telle mesure doit remplir les autres conditions de l’Accord SPS, notamment en ce qui concerne l’évaluation scientifique des risques pour la santé. Ainsi, une mesure ne sera conforme à l’article 3:3 que si elle satisfait entre autres aux prescriptions de l’article 5 concernant l’évaluation des risques. Alors que le Groupe spécial estimait que l’article 3:3 était une exception à l’article 3:1, l’Organe d’appel a considéré l’article 3:3 comme un “droit autonome”. Tant le Groupe spécial que l’Organe d’appel ont constaté que les CE avaient agi en violation de l’article 5 car elles n’avaient pas établi leur interdiction sur la base d’une évaluation des risques et avaient par conséquent enfreint l’article 3.

Évaluation des risquesarticle 5:1 et 5:2

Les Membres sont tenus d’établir leurs mesures SPS sur la base d’une évaluation appropriée des risques. Selon la définition donnée à l’Annexe A de l’Accord, dans le cas de l’innocuité des produits alimentaires, une évaluation des risques est une évaluation des effets négatifs que ces produits pourraient avoir sur la santé des personnes. Les CE s’étaient prévalues de plusieurs rapports scientifiques concernant cinq des hormones et le Groupe spécial avait accepté que certains de ces rapports puissent être considérés comme une évaluation des risques. Toutefois, aucune de ces études ne cautionnait l’interdiction de la viande traitée aux hormones et le Groupe spécial a conclu que la mesure communautaire n’était pas fondée sur les preuves scientifiques présentées.

L’Organe d’appel a confirmé que l’interdiction appliquée par les CE n’était pas établie sur la base d’une évaluation des risques et a précisé qu’une relation logique entre la mesure et l’évaluation des risques était nécessaire. En ce qui concerne l’acétate de mélengestrol (MGA) et les risques potentiels pour la santé évoqués par les CE, l’Organe d’appel est parvenu à la conclusion qu’aucune évaluation n’avait été effectuée.

Cohérencearticle 5:5

Conformément à cet article, un Membre évitera de faire des distinctions arbitraires ou injustifiables dans les niveaux de protection qu’il applique dans des situations différentes, si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction déguisée au commerce international. Le Groupe spécial a examiné trois questions:

  1. Existe-t-il des différences dans les niveaux de protection adoptés dans des situations différentes mais comparables?
  2. Ces différences sont-elles arbitraires ou injustifiables?
  3. Cela entraîne-t-il une discrimination ou une restriction déguisée au commerce?

Le Groupe spécial a établi une comparaison entre l’interdiction frappant les importations de viande traitée avec des hormones naturelles ou de synthèse et le fait que les CE tolèrent les hormones naturellement présentes dans la viande non traitée et d’autres produits alimentaires tels que le brocoli ou les oufs. Le Groupe spécial a constaté que ces situations étaient comparables, puisqu’elles concernaient les mêmes hormones et, par conséquent, les mêmes effets négatifs qu’elles pourraient avoir sur la santé. Les niveaux de protection étaient néanmoins différents car, dans un cas, une interdiction était appliquée alors que, dans l’autre, aucune limite n’était imposée pour les hormones naturellement présentes. Le Groupe spécial a constaté que cette différence dans les niveaux de protection était arbitraire ou injustifiable car les hormones pouvaient avoir les mêmes effets cancérogènes dans les deux cas, la concentration totale de résidus d’hormones dans la viande provenant d’animaux traités se situait bien dans les limites des concentrations observées dans la viande provenant d’animaux non traités et la concentration d’hormones naturelles endogènes dans des produits tels que les oufs et l’huile de soja était beaucoup plus élevée que la concentration dans la viande traitée. Toutefois, l’Organe d’appel a infirmé cette constatation en faisant valoir qu’il y avait une différence fondamentale entre les hormones ajoutées et les hormones présentes de manière naturelle dans la viande et d’autres produits alimentaires.

Le Groupe spécial a établi une autre comparaison entre l’utilisation d’hormones à des fins anabolisantes et d’autres utilisations vétérinaires à des fins thérapeutiques ou de gestion des troupeaux qui étaient autorisées par les CE. Le Groupe spécial a noté que souvent des troupeaux entiers étaient traités sur des périodes prolongées. Vu que les hormones étaient les mêmes et que les effets négatifs que pourrait avoir sur la santé la consommation de viande seraient les mêmes que dans la première comparaison, le Groupe spécial a conclu qu’il ne lui était pas nécessaire d’établir une constatation sur cette question. Tout comme il avait infirmé la constatation du Groupe spécial concernant les hormones naturellement présentes, l’Organe d’appel a décidé d’établir une constatation sur la question des utilisations vétérinaires. Il a estimé que l’utilisation thérapeutique des hormones faisait l’objet d’une supervision plus rigoureuse destinée à vérifier que les hormones étaient correctement utilisées et a conclu que les différences dans les niveaux de protection n’étaient ni arbitraires ni injustifiables.

Enfin, le Groupe spécial a comparé l’interdiction frappant les importations de viande traitée aux hormones à l’utilisation d’anabolisants (tels que le carbadox et l’olaquindox antimicrobiens) dans la production porcine. Ici, le Groupe spécial a constaté l’existence d’une différence arbitraire ou injustifiable dans les niveaux de protection, puisque le carbadox et l’olaquindox ont un effet cancérogène connu et que les CE ont pourtant autorisé leur utilisation sans définir une concentration maximale de résidus. Le Groupe spécial a estimé que vu que cette différence non expliquée dans les niveaux de protection était assez importante et que cela entraînait une interdiction des importations, il y avait une discrimination ou une restriction déguisée au commerce. Le Groupe spécial a considéré que trois facteurs additionnels corroboraient cette constatation. Premièrement, lorsque l’interdiction à l’importation avait été initialement mise en place, les CE s’efforçaient de réduire leurs excédents de viande bovine en accroissant la consommation intérieure. Deuxièmement, avant l’interdiction du traitement aux hormones, le pourcentage des animaux traités était nettement plus faible en Europe qu’au Canada et aux États-Unis. Troisièmement, les hormones étaient utilisées dans un secteur où les CE s’efforçaient de limiter les excédents, alors que le carbadox et l’olaquindox étaient utilisés dans le secteur porcin, où il n’y avait pas d’excédents. En ce qui concerne les autres activateurs de croissance, l’Organe d’appel est convenu que la distinction dans les niveaux de protection était arbitraire ou injustifiable, mais n’a pas reconnu que cela entraînait une discrimination ou une restriction déguisée au commerce international.

Qu’en est-il du principe de précaution?

Conformément à l’article 5:7, les Membres ont le droit d’adopter des mesures provisoires dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes sont insuffisantes. Les CE n’auraient-elles pas pu faire valoir que l’interdiction de la viande bovine traitée aux hormones constituait cette mesure provisoire? Le fait est que les CE n’ont pas invoqué l’article 5:7. Elles ont expressément déclaré que la prohibition à l’importation n’était pas une mesure provisoire. À la place, elles ont invoqué le “principe de précaution” en tant que règle coutumière du droit international ou, au moins, principe de droit général et ont fait valoir que l’article 5:1 et 5:2, sur l’évaluation des risques n’empêchait pas les Membres d’être prudents dans l’établissement des normes sanitaires lorsque les preuves scientifiques étaient contradictoires et qu’il existait une incertitude.

L’Organe d’appel n’a pas pris position quant au statut du “principe de précaution” dans le droit international, mais il a noté que le “principe de précaution” était pris en compte, entre autres, à l’article 5:7 de l’Accord SPS. L’Organe d’appel a accepté la constatation du Groupe spécial selon laquelle le “principe de précaution” — dans la mesure où il n’était pas expressément incorporé dans l’article 5:7 — ne l’emportait pas sur les dispositions de l’article 5, paragraphes 1 et 2.

 

Mise en ouvre  haut de page

Lorsque le rapport du Groupe spécial, tel que modifié par l’Organe d’appel, a été adopté, les parties n’ont pas pu convenir d’un “délai raisonnable” de mise en ouvre. Un arbitre a déterminé que les CE avaient jusqu’au 13 mai 1999, ou 15 mois, pour procéder à la mise en ouvre. Les CE ont alors déclaré qu’elles ne seraient pas en mesure de se mettre en conformité pour mai 1999. Elles avaient commandé 17 études scientifiques dont la réalisation prendrait plus de 15 mois. Les parties ont discuté de la question de savoir si une éventuelle compensation de la part des CE ou l’étiquetage de la viande bovine traitée aux hormones pourrait constituer une solution, mais n’ont pas pu parvenir à un accord. Finalement, les États-Unis et le Canada ont demandé l’autorisation de suspendre des concessions en relevant les droits de douane appliqués à une liste de produits provenant des CE, pour une valeur de 202 millions de dollars EU pour les États-Unis et de 75 millions de dollars canadiens pour le Canada.

Les parties n’ayant pu s’accorder sur le niveau de la suspension des concessions, les CE ont demandé un arbitrage. Le Groupe spécial initial a évalué le montant des transactions commerciales affectées chaque année par l’interdiction communautaire et a autorisé les États-Unis à appliquer des droits de 100 pour cent à des produits provenant des CE pour une valeur de 116 millions de dollars EU par an. Le Canada a été autorisé à suspendre des concessions pour une valeur de 11,3 millions de dollars canadiens par an. En avril 2002, les deux pays continuaient à appliquer ces droits chaque année, les CE n’ayant pas encore mis leurs mesures en conformité avec l’Accord SPS.

En janvier 2005, les Communautés européennes ont demandé l'établissement d'un groupe spécial concernant le maintien de la suspension de concessions et d'autres d'obligations par les Etats-Unis et le Canada dans le différend sur les hormones (WT/DS320 et 321). Le 22 septembre 2003, les Communautés européennes ont adopté un nouvelle directive sur les hormones en question et notifié à l'Organe de règlement des différends qu'elles avaient pleinement mis en oeuvre les recommandations et décisions dans le différend sur les hormones. La directive des CE prévoit une interdiction définitive sur l'une des hormones, l'oestradiol 17ß, et des interdictions provisoires sur les cinq autres hormones. Dans le dernier différend, les Communautés européennes contestent le droit des Etats-Unis et du Canada de poursuivre la suspension de concessions compte tenu de cette nouvelle directive. Le Groupe spécial devrait distribuer son rapport vers la fin de 2007.

Pour savoir où en sont les différends soumis à l’OMC, prière de consulter le site Web de l’OMC à l’adresse http://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dispu_f.htm#news.

  

  

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