ADPIC: BREVETS PHARMACEUTIQUES, NOTE TECHNIQUE

Les brevets pharmaceutiques et l'Accord sur les ADPIC

Cette note vise à présenter les dispositions de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) qui régissent la protection par brevet qui doit être accordée pour les inventions de produits pharmaceutiques

21 septembre 2006

Voir aussi:
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Fiche récapitulative: l'Accord sur les ADPIC et les brevets pharmaceutiques (inclut des extraits de l'Accord sur les ADPIC)
> Questions ADPIC: Produits pharmaceutiques et brevets

 

Pour replacer cette analyse dans son contexte, il est bon de rappeler trois caractéristiques fondamentales de l'Accord sur les ADPIC: 
  • il fait partie intégrante, avec quelque 25 autres textes juridiques, de l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (et est donc soumis au mécanisme de règlement des différends de l'OMC); 
  • il couvre non seulement les brevets mais aussi tous les autres secteurs principaux de la propriété intellectuelle; et 
  • il établit non seulement les normes fondamentales minimales de protection qui devraient être appliquées dans chacun de ces secteurs de la propriété intellectuelle, mais aussi les procédures et mesures correctives auxquelles les détenteurs de droits devraient pouvoir recourir pour faire respecter efficacement leurs droits.


 L'Accord sur les ADPIC s'efforce d'établir un juste équilibre. L'article 7, intitulé “Objectifs”, reconnaît que la protection de la propriété intellectuelle devrait contribuer à la promotion de l'innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie, à l'avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent des connaissances techniques et d'une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d'obligations. L'Accord ne vise pas simplement à maximiser le niveau de protection de la propriété intellectuelle; au contraire, il est le résultat d'un véritable processus de négociation centré sur la nécessité de trouver un équilibre.

 

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Quelles inventions pharmaceutiques doivent être brevetables au titre de l'Accord sur les ADPIC?  

La principale règle régissant la brevetabilité dispose que des brevets peuvent être obtenus pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques sans discrimination, lorsque ces inventions satisfont aux critères fondamentaux types de brevetabilité - à savoir, la nouveauté, l'activité inventive et l'applicabilité industrielle. En outre, les Membres sont tenus de subordonner l'octroi d'un brevet à la divulgation appropriée de l'invention et peuvent demander des renseignements sur la meilleure façon d'exécuter cette invention. La divulgation est un élément fondamental du contrat social que constitue l'octroi d'un brevet car elle rend publics des renseignements techniques importants que d'autres peuvent utiliser pour faire progresser la technologie dans ce domaine, même pendant la durée de validité du brevet, et elle garantit qu'après l'expiration du brevet, l'invention tombe réellement dans le domaine public puisque les renseignements nécessaires à son exécution sont disponibles. 

Trois catégories d'exclusions à la règle susmentionnée sur l'objet brevetable sont admises, qui peuvent présenter un intérêt du point de vue de la santé publique: 

  • les inventions dont il est nécessaire d'empêcher l'exploitation commerciale pour protéger l'ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux; 
  • les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux; et 
  • certaines inventions concernant les végétaux et les animaux.

 

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Quels droits sont conférés par un brevet au titre de l'Accord sur les ADPIC? 

Les droits minimaux qui doivent être conférés par un brevet en vertu de l'Accord sur les ADPIC sont presque identiques à ceux qui sont énoncés dans la plupart des lois sur les brevets, à savoir le droit, pour le titulaire du brevet, d'empêcher des personnes non autorisées d'utiliser le procédé breveté et de fabriquer, d'utiliser, d'offrir à la vente, ou d'importer le produit breveté ou un produit obtenu directement par le procédé breveté.

 

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Durée de la protection 

En vertu de l'Accord sur les ADPIC, la durée de la protection offerte ne doit pas prendre fin avant l'expiration d'une période de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet. Il est à noter que, bien que la question d'une prorogation de la durée de protection pour compenser les retards dus à la réglementation dans la commercialisation des nouveaux produits pharmaceutiques ait été soulevée pendant les négociations du Cycle d'Uruguay, l'Accord sur les ADPIC n'impose pas l'introduction d'un tel système. (1)

 

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Limitations/exceptions concernant ces droits 

Au titre de l'Accord sur les ADPIC, les droits de brevet ne sont pas absolus mais peuvent faire l'objet de limitations ou d'exceptions, qui relèvent de quatre catégories: 

  • l'Accord autorise les Membres à prévoir des exceptions limitées à condition qu'elles ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l'exploitation normale du brevet ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes des tiers. Ainsi, par exemple, de nombreux pays autorisent des tiers à utiliser une invention brevetée à des fins de recherche lorsque le but est de mieux comprendre l'invention pour faire avancer la science et la technologie. Dans le différend Canada - Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques, le groupe spécial de l'OMC a décidé que cette disposition, qui autorisait des exceptions limitées, couvrait une disposition de la législation canadienne qui permettait aux fabricants de médicaments génériques d'utiliser des produits brevetés, sans autorisation et avant l'expiration de la durée de protection, afin d'obtenir des autorités chargées de la santé publique l'approbation de la commercialisation de leurs médicaments génériques dès l'expiration du brevet. (Cette disposition est parfois appelée l'“exception réglementaire” ou la disposition “Bolar”.) Le rapport du groupe spécial a été adopté par l'Organe de règlement des différends de l'OMC le 7 avril 2000;
  • de même, en vertu de l'Accord, les Membres peuvent permettre l'utilisation par des tiers (licences obligatoires) ou l'utilisation publique à des fins non commerciales (utilisation par les pouvoirs publics) sans autorisation du détenteur du droit. Contrairement à ce que souhaitaient certains pays lors des négociations, l'Accord ne limite pas les motifs justifiant ces utilisations, mais il énonce un certain nombre de conditions qui doivent être respectées afin de protéger les intérêts légitimes du titulaire du brevet. Deux des principales conditions méritent d'être mentionnées: premièrement, en règle générale, il faut s'être efforcé au préalable d'obtenir une licence volontaire suivant des conditions et modalités commerciales raisonnables et, deuxièmement, la rémunération versée au détenteur du droit doit être adéquate selon le cas d'espèce, compte tenu de la valeur économique de la licence; 

  • l'Accord reconnaît aux Membres le droit de prendre des mesures, conformément à ses dispositions, pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, et il assouplit les conditions d'octroi des licences obligatoires lorsqu'une pratique a été jugée anticoncurrentielle à l'issue d'une procédure régulière. Par exemple, les conditions régissant l'octroi de licences obligatoires peut être assouplie dans ces circonstances. L'Accord prévoit aussi que les Membres se consulteront et coopéreront pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles; 

  • l'Accord sur les ADPIC prévoit explicitement que les pratiques des Membres de l'OMC en ce qui concerne l'épuisement des droits de propriété intellectuelle (par exemple, l'établissement par un Membre d'un dispositif d'épuisement national qui permet aux détenteurs de droits de prendre des mesures pour lutter contre les importations parallèles, ou international, qui ne le leur permet pas) ne peuvent pas être contestées dans le cadre du système de règlement des différends de l'OMC, à moins qu'elles n'établissent des discriminations fondées sur la nationalité des détenteurs des droits.

 

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Autres moyens d'actions 

Les gouvernements peuvent prendre toute une série de mesures de politique générale ne relevant pas du domaine de la propriété intellectuelle pour remédier aux problèmes liés à l'accessibilité et au prix des médicaments. Par exemple, de nombreux pays appliquent des mesures de contrôle des prix ou des remboursements. L'article 8 de l'Accord sur les ADPIC dispose expressément que les Membres de l'OMC peuvent, lorsqu'ils élaborent ou modifient leurs lois et réglementations, adopter les mesures nécessaires pour protéger la santé publique et la nutrition, à condition que ces mesures soient compatibles avec les dispositions de l'Accord.

 

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Dispositions transitoires  

L'Accord sur les ADPIC énonce certaines dispositions transitoires en vertu desquelles les Membres de l'OMC disposaient de délais pour rendre leur législation et leurs pratiques conformes à leurs obligations au regard de l'Accord sur les ADPIC. Ces délais varient selon les obligations visées et le niveau de développement du pays. Pour ce qui est des dispositions transitoires concernant la mise en œuvre des obligations relatives aux normes fondamentales de protection des inventions pharmaceutiques, les obligations sont essentiellement réparties en deux catégories, selon le pays:

i) En règle générale, les pays en développement avaient jusqu'au 1er janvier 2000 pour appliquer les dispositions de l'Accord sur les ADPIC, y compris les obligations concernant la protection des brevets de procédés et de produits. En ce qui concerne les brevets de produits pour les produits pharmaceutiques, les pays en développement qui n'accordaient pas cette protection au 1er janvier 2000 avaient un délai supplémentaire allant jusqu'au 1er janvier 2005 pour la mettre en place. Comme la plupart des pays en développement Membres de l'OMC prévoyaient déjà la protection par des brevets de produits pour les produits pharmaceutiques, un nombre relativement limité de pays étaient concernés(2);
  

ii) Les pays les moins avancés avaient initialement jusqu'au 1er janvier 2006 pour se conformer à leurs obligations au regard de l'Accord sur les ADPIC. Le Conseil des ADPIC a prorogé ce délai trois fois, dernièrement jusqu'au 1er juillet 2034 (Décision du 29 juin 2021).

Dans les deux cas, les règles de l'Accord sur les ADPIC s'appliquent ou s'appliqueront non seulement aux nouvelles demandes de brevets, mais aussi aux brevets toujours protégés à la fin de la période de transition.

Nonobstant des propositions à l'effet inverse, l'Accord sur les ADPIC n'exigeait pas qu'une protection soit accordée pour les inventions de produits pharmaceutiques qui étaient "en attente" dans ces pays à la date d'entrée en vigueur de l'Accord sur l'OMC.(3) Toutefois, depuis cette date (1er janvier 1995), les pays en développement et pays les moins avancés qui ne prévoyaient pas encore de protection par des brevets pour les produits pharmaceutiques étaient dans l'obligation d'offrir un moyen de déposer des demandes de brevets pour les inventions de produits pharmaceutiques (système souvent dit de la "boîte aux lettres"). Ces demandes n'avaient pas à être examinées avant le 1er janvier 2005 dans le cas des pays en développement. Si un produit était jugé brevetable par référence à la date de dépôt (ou de priorité) de la demande correspondante, un brevet devait être délivré pour le reste de la durée de validité du brevet calculée à partir de la date de dépôt de la demande. Le Conseil général a accordé une dérogation à cette obligation jusqu'au 1er janvier 2033 pour les pays les moins avancés Membres (décision du 30 novembre 2015).

Lorsque la commercialisation d'un produit pharmaceutique qui avait fait l'objet d'une demande de brevet en vertu du système de la "boîte aux lettres" était approuvée avant que la décision de délivrer ou non le brevet n'ait été prise, un droit exclusif de commercialisation d'une durée maximale de cinq ans devait être accordé si certaines conditions étaient remplies. Le Conseil général a accordé une dérogation à cette obligation jusqu'au 1er janvier 2033 pour les pays les moins avancés Membres (décision du 30 novembre 2015).

 

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Conclusions 

La plupart des pays en développement et des pays les moins avancés accordaient déjà avant l'entrée en vigueur de l'Accord sur les ADPIC, la possibilité de bénéficier de la protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques. Dans ces pays, l'application de l'Accord sur les ADPIC n'entraîna donc pas de changements fondamentaux à cet égard, même s'il était souvent nécessaire d'adapter quelque peu la législation, pour ce qui est de la durée de la protection offerte par les brevets et des licences obligatoires, par exemple. Quant au  pays qui n'accordaient pas de protection par brevets pour les produits pharmaceutiques à la date d'entrée en vigueur de l'Accord sur l'OMC, quelques-uns, dont le Brésil et l'Argentine, ont décidé d'accorder cette protection plus rapidement que ne l'exige l'Accord sur les ADPIC. 

L'Accord sur les ADPIC insiste beaucoup sur la nécessité de trouver un juste équilibre entre les intérêts des détenteurs de droits et ceux des utilisateurs. Question qui a revêtu une grande importance pendant ces négociations. En témoignent non seulement l'équilibre fondamental établi entre l'obligation de divulgation et la promotion de la recherche-développement, mais aussi les limitations et exceptions prévues pour ce qui est des droits et les dispositions transitoires. Les flexibilités prévues par l'Accord sur les ADPIC ont par la suite été clarifiées et renforcées par la Déclaration de Doha sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique, ainsi que par la Décision d'août 2003 portant octroi de la dérogation et la Décision de 2005 prévoyant l'amendement de l'Accord, en vue de faciliter l'octroi de licences obligatoires pour l'exportation vers les pays dans le besoin.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la protection des inventions pharmaceutiques n'était qu'un aspect d'un accord de portée beaucoup plus vaste, qui s'occupe non seulement de la protection de la propriété intellectuelle en général de manière cohérente et non discriminatoire, mais aussi de la libéralisation plus poussée et du renforcement du système commercial multilatéral dans son ensemble. Il est vrai que certains pays ont particulièrement insisté sur les questions relatives aux ADPIC pendant les négociations du Cycle d'Uruguay, mais d'autres ont attaché une grande importance à d'autres questions, comme les textiles et l'agriculture. Nous sommes convaincus, comme tous les Membres de l'OMC, qu'un système commercial multilatéral fort et dynamique est indispensable à l'établissement de conditions propices à la croissance économique et au développement dans le monde entier. Cela contribuera en retour à générer les ressources nécessaires pour traiter les problèmes de santé.

Notes:

(1) La durée effective de la protection conférée par un brevet pour une invention de produit chimique est très inférieure aux 20 ans prévus car une grande partie de cette période s'écoule avant que les organismes de réglementation de la santé publique ne délivrent l'autorisation de commercialisation. C'est pourquoi la plupart des grands pays développés ont établi des systèmes en vertu desquels la durée de la protection peut être prolongée pour compenser, au moins en partie, cette réduction de la durée effective de protection.

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(2) Treize Membres de l'OMC (Argentine, Brésil, Cuba, Égypte, Émirats arabes unis, Inde, Koweït, Maroc, Pakistan, Paraguay, Tunisie, Turquie et Uruguay) ont notifié au Conseil des ADPIC un système de “boîte aux lettres”, indiquant qu'ils n'accordaient pas de protection par brevet pour les produits pharmaceutiques. Certains d'entre eux, comme l'Argentine, le Brésil et la Turquie, ont depuis mis une telle protection en place. (On ne peut exclure que quelques autres Membres de l'OMC n'aient pas présenté de notification alors qu'ils auraient dû.)

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(3) L'expression “en attente” fait référence aux inventions de produits pharmaceutiques qui n'étaient plus brevetables à ce moment-là car divulgués mais qui n'étaient pas encore sur le marché car l'autorisation de commercialisation était en cours.

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