DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT ALAN WM. WOLFF

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Je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette édition 2020 du forum GLOBSEC. Vous m'avez demandé de commencer par faire le point sur la situation du système commercial mondial dans le contexte de la pandémie actuelle, la première depuis un siècle.

Nous sommes confrontés à l'un des reculs du PIB et des échanges les plus marqués depuis des décennies.

  • Selon des estimations, la production économique mondiale diminuera de 4,8% cette année, du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale.
  • Au début de cette semaine, l'OMC a mis à jour ses prévisions commerciales pour 2020. Nos économistes prévoient désormais une baisse de 9,2% du volume du commerce mondial des marchandises par rapport à l'année dernière.
    • Il s'agirait de la plus importante contraction depuis des années, comparable à celle observée lors de la crise financière mondiale de 2008-2009. Ces nouvelles prévisions, replacées dans leur contexte, représentent néanmoins plutôt une bonne nouvelle puisqu'elles sont plus encourageantes que la fourchette de 13 à 32% qui était donnée dans le cadre de l'estimation initiale réalisée en avril. Une baisse de 13% des échanges, qui aurait pu être enregistrée si l'épidémie et les mesures adoptées avaient eu des effets encore plus préjudiciables, aurait déjà constitué la pire contraction depuis les années 1930.
    • Les prévisions ont pu être revues à la hausse grâce à une augmentation des échanges commerciaux plus forte que prévue en juin et en juillet.
  • Pour autant, cela ne signifie pas que l'on puisse dresser un tableau optimiste de la situation commerciale. En effet, le secteur des services a été durement touché et, bien que les données ne soient pas encore disponibles, la reprise qui suivra le fléchissement des services relatifs aux voyages et des services fournis en personne sera lente. Même la hausse de 7,2% du volume des échanges de marchandises prévue pour 2021 ne suffirait pas à assurer un retour à la tendance d'avant la crise. En outre, il existe de sérieux risques de détérioration, en particulier si les cas de COVID-19 augmentent au cours des prochains mois.
  • Malgré la hausse des dépenses enregistrée à la suite de la levée des mesures de confinement, la voie de la reprise pourrait être semée d'embûches pour l'ensemble de l'économie. Certains facteurs psychologiques, tels qu'un manque de confiance ou un changement d'habitudes, pourraient entraîner une diminution de la consommation et des investissements de la part des ménages et des entreprises, sans compter les pics de la maladie ou la simple poursuite de son évolution.

Le redressement de l'économie mondiale passe par la prise de mesures au niveau national, conjuguée à une coopération à l'étranger (en particulier en matière de commerce).

  • La prise de mesures budgétaires et monétaires sans précédent a contribué à atténuer les incidences économiques de la pandémie en soutenant considérablement les revenus et la consommation et en stabilisant les marchés financiers. À défaut de telles mesures, la contraction de la production et des échanges aurait été bien plus importante.
  • Toutefois, les autorités publiques doivent veiller à ne pas interrompre trop tôt le flux de ressources financières. Le FMI a exhorté les gouvernements en mesure de le faire à intensifier les investissements publics, en les finançant par des emprunts si nécessaire, afin de créer des emplois et de jeter les bases d'une croissance plus verte et d'une productivité accrue. En renforçant la confiance, de telles dépenses permettraient de catalyser l'augmentation des investissements privés et ainsi de stimuler la croissance et de réduire la charge de la dette.
  • Le maintien d'une large ouverture des marchés internationaux aux échanges est un élément clé de ce plan de relance. Le commerce favorise les gains de productivité qui découlent d'un accroissement de la spécialisation et de l'échelle.
  • Un système commercial ouvert, transparent et prévisible permettrait de réduire le climat d'incertitude pour les entreprises, ce qui encouragerait l'augmentation des investissements. Cela serait favorable à la circulation transfrontières non seulement des biens et des services, mais aussi des idées et de la technologie.

Les échanges et la politique commerciale jouent également un rôle direct dans la réponse des pays à la pandémie.

  • Nos nouvelles données commerciales montrent que le commerce des équipements de protection individuelle a enregistré une croissance explosive, en hausse de 92% au deuxième trimestre par rapport à l'année précédente et de 122% si l'on compare le mois de mai de cette année à mai 2019. Le commerce a contribué à répondre à la demande de produits essentiels qui a augmenté de manière spectaculaire.
  • Au début de l'épidémie, un certain nombre de pays ont interdit les exportations de produits médicaux et même de produits alimentaires. Dans le cadre de son mandat visant à promouvoir la transparence des échanges internationaux, l'OMC a effectué un suivi des mesures commerciales en lien avec la COVID-19.
  • Ces activités de suivi ont révélé que les restrictions commerciales avaient été rapidement accompagnées de mesures visant à faciliter les importations de produits essentiels. Ces mesures comprenaient notamment une réduction des droits de douane et d'autres taxes, visant des produits tels que les équipements de protection individuelle, les produits d'hygiène, les désinfectants, les équipements médicaux et les médicaments, ainsi qu'une simplification des formalités douanières et documentaires, l'établissement de canaux prioritaires et une coopération dans le cadre des approbations douanières et réglementaires.
  • Sur les quelques centaines de mesures spécifiques à la COVID-19 répertoriées entre février et fin août, près des deux tiers étaient des mesures de facilitation des échanges.
  • Nombre des premières interdictions d'exportation ont été abrogées, notamment en ce qui concerne les produits alimentaires, étant donné que l'offre mondiale de céréales est abondante. Environ 22% de l'ensemble des mesures de restriction des échanges en lien avec la pandémie mises en œuvre par les pays du G-20 ont été supprimées.

Un système commercial efficace est dans l'intérêt des pays, grands et petits.

  • La pandémie a mis en évidence certaines des fragilités inhérentes à l'interdépendance économique.
  • Elle a relancé le débat sur la relocalisation des chaînes d'approvisionnement sur le territoire national ou dans les pays voisins.
  • Dans le cadre de ce débat, d'aucuns assimilent la production nationale à la résilience de l'offre, ce qui est erroné. Si la production était concentrée au niveau national, elle pourrait être moins exposée aux perturbations étrangères mais les approvisionnements nationaux deviendraient toutefois plus vulnérables aux perturbations localisées qui pourraient, par exemple, survenir à la suite d'une catastrophe naturelle, d'une épidémie ou d'une épizootie. Les zoonoses, qui transmettent les infections des animaux aux humains, sont particulièrement dangereuses. 
  • Si la production nationale se heurte à des limites physiques ou est beaucoup plus coûteuse que les importations, les pays devront toujours faire face à la difficulté consistant à répondre à la demande, mais seront alors confrontés à des problème d'abordabilité plutôt que de disponibilité.
  • Les pays qui sont en mesure de le faire pourront tenter d'augmenter la capacité de production nationale concernant certains produits, mais devront, pour cela, faire face à certaines contraintes, notamment en matière de rentabilité et de coûts d'opportunité. Les ressources redéployées pour reproduire ce qui était précédemment fait ailleurs ne seront pas disponibles pour des activités potentiellement plus productives. À terme, cela pourrait appauvrir globalement une économie.
  • La constitution de stocks est également loin d'être une solution idéale, en raison, non seulement du problème du coût, mais aussi de l'anticipation des besoins qui devront être satisfaits à l'avenir. Nous avons observé ces derniers mois que, lorsque les gouvernements voulaient puiser dans les stocks, ils constataient souvent que les fournitures étaient épuisées ou périmées ou, dans le cas des dispositifs médicaux, que les équipements présents étaient trop souvent inutilisables. En outre, en cas de crise véritablement grave, la demande pourrait excéder les stocks ou viser des produits qui n'auraient pas été prévus.
  • Au niveau de chaque chaîne d'approvisionnement, il est probable que les réseaux de production en flux tendu à faible niveau de stock jugent nécessaire de constituer davantage de réserves, sous la forme de stocks commerciaux plus importants. Une diversification des sources d'approvisionnement étrangères sera également opérée.
  • Bien qu'une combinaison de ces différentes méthodes (efforts pour rendre les réseaux d'approvisionnement existants plus résilients, initiatives visant à soutenir la production nationale de produits clés et constitution de stocks) soit probablement adoptée, des marchés internationaux profonds et diversifiés offrent des perspectives plus prometteuses pour la résilience de l'offre. Le commerce demeure la réponse idéale sur le plan économique, mais les pays doivent être sûrs de pouvoir compter sur les importations.

Le système commercial peut et doit répondre à ces changements.

  • Il est nécessaire d'apporter une réponse énergique en temps voulu, tant pour atteindre le vaste objectif de réforme de l'OMC, afin que l'économie mondiale soit largement ouverte et fondée sur des règles, que pour résoudre le problème plus spécifique de l'accès aux produits essentiels en temps de crise.
  • Plusieurs gouvernements ont soumis des idées quant à la manière dont les Accords de l'OMC pourraient contribuer à maintenir les lignes d'approvisionnement en produits essentiels ouvertes et réactives. L'OMC a été établie en vue de faciliter la coopération internationale, d'assurer la transparence et d'offrir des cadres fondés sur des règles pour le commerce international.
  • Un certain nombre de Membres ont décidé, au début de la pandémie, de montrer l'exemple:
    • Singapour et la Nouvelle-Zélande ont convenu de mesures visant à faciliter le commerce de produits essentiels, notamment en supprimant les droits de douane appliqués, en s'abstenant de toute prohibition ou restriction à l'exportation et en accélérant mouvement transfrontières des produits essentiels.
    • Dans une déclaration ministérielle conjointe, l'Australie, le Brunéi Darussalam, le Canada, le Chili, le Myanmar, la Nouvelle-Zélande et Singapour se sont déclarés résolus à maintenir des chaînes d'approvisionnement connectées et à garantir que le transport des biens essentiels reste ouvert.
    • Le 15 mai 2020, le G-20 a appelé les gouvernements qui imposaient des mesures liées à la COVID-19 à veiller à ne pas créer d'obstacles non nécessaires au commerce ainsi qu'à ne pas perturber les chaînes d'approvisionnement mondiales, en insistant sur le fait que les mesures devaient être “ciblées, proportionnées, transparentes, temporaires et conformes aux règles de l'OMC.”
    • En juin, le Groupe d'Ottawa (comprenant l'Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, le Japon, le Kenya, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la République de Corée, Singapour, la Suisse et l'Union européenne) s'est engagé à assurer la transparence (en demandant au Secrétariat de l'OMC d'assurer le suivi et d'échanger sur les meilleures pratiques), à retirer le plus rapidement possible les mesures restrictives pour le commerce, à promouvoir les négociations sur le commerce électronique à l'OMC et à faciliter le commerce des produits médicaux.
    • Toujours en juin, un document conceptuel présenté par l'UE proposait une approche fondée sur les trois volets suivants: 1) élimination définitive et réciproque des droits de douane sur les produits pharmaceutiques et médicaux, 2) disciplines relatives aux produits essentiels en situation de crise et 3) autres disciplines, notamment relatives à la réglementation des produits remanufacturés pour le partage des connaissances. Ce document conceptuel:
      • fait état de la nécessité de mettre à jour la liste des produits visés par l'Accord sur les produits pharmaceutiques et d'ajouter aux disciplines existantes le traitement en franchise de droits des produits médicaux;
      • propose de limiter la durée et la portée des contrôles à l'exportation pour les produits médicaux en réponse à des situations d'urgence sanitaire; et
      • Recommande la création d'un cadre permanent pour la collaboration et la transparence.

Qu'est-ce qui peut être fait?

À tout le moins, les Membres peuvent envisager de prendre le même engagement concernant les produits industriels que celui qui est énoncé dans l'Accord sur l'agriculture de l'OMC, à savoir exiger des Membres qui prévoient d'appliquer des restrictions à l'exportation qu'ils prennent “dûment en considération” les effets que de telles mesures pourraient avoir sur la sécurité alimentaire des pays importateurs, informer à l'avance l'OMC et convenir de consulter dans les moindres délais les Membres affectés.  

En outre, il convient d'examiner de près les règles de l'OMC qui autorisent l'application de restrictions temporaires à l'exportation pour prévenir ou pallier les pénuries nationales de produits essentiels. Cette exception aux règles interdisant les restrictions à l'exportation est libellée comme suit: Dans ce contexte, il est également exigé que

lesdites mesures devront être compatibles avec le principe selon lequel toutes les parties contractantes ont droit à une part équitable de l'approvisionnement international de ces produits, et les mesures qui sont incompatibles avec les autres dispositions du présent Accord seront supprimées dès que les circonstances qui les ont motivées auront cessé d'exister (par. j) de l'art. XX du GATT).

Il peut être envisagé de donner effet au droit des Membres de l'OMC à bénéficier d'une “part équitable de l'approvisionnement international” pour les fournitures médicales essentielles.

La contribution de l'OMC à la reprise après la pandémie de COVID-19 serait nettement plus grande si les Membres faisaient avancer le processus de réforme systémique qui est en cours.

  • Différentes négociations, qui, dans chaque cas, représentent des pas sur la voie de la réforme, sont actuellement menées, à savoir:
    • Les discussions multilatérales sur les subventions à la pêche.
    • Les négociations sur le commerce numérique menées par un groupe de Membres représentant plus de 90% du commerce mondial (y compris l'Union européenne, la Chine et les États-Unis).

La réalisation de ces objectifs marquerait un retour à une large reconnaissance de la pertinence de l'OMC. Mais cela ne suffit pas. 

Il faut empêcher que les nations recommencent à suivre leur propre voie, en recourant à des mesures de protection au lieu de la coopération internationale. S'il est nécessaire de bloquer les mesures de restriction des échanges, il faut faire davantage encore: libéraliser les échanges chaque fois que possible; mettre pleinement en œuvre l'Accord sur la facilitation des échanges, tout en intensifiant de manière significative le renforcement des capacités dans les pays les moins avancés; commencer à écouter les requêtes des pays sans littoral; et abaisser de manière globale les coûts liés au mouvement transfrontière des marchandises.

L'OMC a un grand pouvoir rassembleur. Pendant la crise financière, elle a réuni les institutions financières internationales et les grandes banques en vue de rétablir le financement du commerce. Cette tâche était encore inachevée lorsque la pandémie s'est abattue sur nous. 

Il faut que les secteurs public et privé redoublent d'efforts pour garantir que le financement du commerce sera disponible à un coût raisonnable et dans les quantités nécessaires. Pour nombre de pays en développement et de petites entreprises, le crédit, les garanties et les assurances qui permettent de financer une part importante du commerce mondial étaient loin d'être abondants, même avant la COVID-19. Un niveau de crédit lié au commerce insuffisant empêche les entreprises d'exercer des activités commerciales et limite la capacité des échanges à contribuer à la reprise économique au sens large. Selon une estimation, une capacité de financement allant de 2 à 5 mille milliards de dollars sera nécessaire pour répondre à la demande de financement du commerce.(1)

Aussi importantes que soient ces mesures, il faut rétablir l'OMC dans le rôle qui lui a été dévolu, à savoir celui d'enceinte:

    • où les accords sont négociés avec succès en vue de traiter des problèmes urgents; 
    • où les différends sont réglés dans le cadre d'une structure contraignante et acceptée par tous; et
    • où les Membres sont activement soutenus par un Secrétariat solide, dévoué et professionnel. 

Nous devons également être mieux préparés aux futures crises. Si la situation actuelle ne se résoudra pas d'elle-même, il en va de même pour l'avenir. Il est nécessaire de déployer des efforts concertés sur le plan de la planification en amont afin de renouveler la réflexion pour:

  • se préparer à un monde dans lequel des crises plus simultanées et systémiques se produiront; et
  • examiner quel type de règles commerciales serait le mieux à même de favoriser le bien-être des personnes dans des circonstances changeantes et difficiles.

Rien n'excuse l'inaction. L'OMC ne pouvant pas être dissociée de la géopolitique, toutes les grandes puissances ont des intérêts communs dans le cadre fondamental pour le commerce international que représente l'Organisation.

En 1934, la réponse à la crise a consisté à négocier des accords de libéralisation des échanges; en 1948, la réponse aux ravages causés par deux guerres mondiales a été la création du système commercial multilatéral; en 1973, la réponse à la division du monde par les obstacles non tarifaires a été le lancement du Tokyo Round; enfin, en 1995, la réponse à l'absence persistante de règles appropriées dans de grands domaines du commerce international a été la création de l'OMC.

Nous traversons là encore une époque marquée par d'importants défis à relever, ainsi qu'une résurgence du nationalisme et de forces centrifuges. La réponse à cet égard doit prendre la forme de nouvelles initiatives énergiques visant à ouvrir les marchés, à assurer une plus grande équité et à rétablir l'esprit de coopération internationale.

Nous disposons d'une base solide sur laquelle nous appuyer. Il est maintenant temps de répondre à l'appel à la réforme de l'OMC. L'heure est à l'action.

 

Notes:

  1. Chambre de commerce internationale. retour au texte

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