DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT ALAN WM. WOLFF

Pour en savoir plus

  

Je remercie l'Association américaine des exportateurs et des importateurs (AAEI) d'avoir invité l'OMC à participer avec l'Organisation mondiale des douanes (OMD) à votre quatre-vingt-dix-neuvième Conférence annuelle. L'AAEI est très importante pour l'OMC. L'OMC existe uniquement pour servir le commerce mondial, dans lequel vos membres sont fortement engagés. Le sujet que vous avez choisi de traiter aujourd'hui est très pertinent: quel est l'avenir du commerce? Multilatéral ou bilatéral.

Le système commercial multilatéral — les règles incorporées dans l'OMC — ainsi que les contributions de l'OMD, d'une part, et les accords commerciaux régionaux et bilatéraux, d'autre part, se partagent la tâche de réglementer le commerce mondial. Ils sont complémentaires. Ce n'est pas un choix de l'un ou de l'autre, multilatéral ou bilatéral. Chacun a ses avantages et ses inconvénients.

Il existe actuellement 305 accords commerciaux régionaux (ACR), c'est-à-dire des accords commerciaux sous-multilatéraux en vigueur qui sont notifiés à l'OMC et qui portent sur les marchandises, sur les services ou sur les marchandises et les services. (Le nombre de notifications — 494 — est plus élevé, car un ACR comportant des aspects relatifs aux marchandises et aux services nécessite deux notifications conformément aux règles de l'OMC; il y a également des adhésions aux accords et celles-ci doivent être notifiées).

La diapositive {2} montre au moyen d'un graphique les données sur la date à laquelle les ACR en vigueur ont été notifiés à l'OMC et, d'une manière cumulative, combien sont actuellement en vigueur.

L'ordre du jour d'une récente réunion du Comité des accords commerciaux régionaux de l'OMC peut vous donner un aperçu de la diversité des Parties concernées par des ACR. Ont été examinés l'Accord de libre-échange entre le Japon et les États membres de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN); l'Accord de libre-échange entre Hong Kong, Chine et la République de Géorgie; l'Accord de libre-échange entre le Pérou et le Honduras; et l'Accord de libre-échange entre le groupe GUAM et les États participants - la République de Moldova, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et l'Ukraine. 

Les motivations menant à la conclusion des ALE varient. Dans le cas des États-Unis, il y a, selon le site Web du Représentant des États-Unis pour les questions commerciales internationales, 20 ALE en vigueur. Il n'existe pas de critères uniques et uniformes pour la conclusion de ces accords. L'ACEUM(1) est un accord régional avec des pays voisins qui ont des frontières communes et procèdent à un très grand nombre d'échanges transfrontaliers. Certains ALE des États-Unis ont été conclus principalement pour des raisons géopolitiques, en vue de soutenir le processus de paix au Moyen-Orient, par exemple. On m'a dit que certains ALE antérieurs n'avaient pas été conclus pour une raison autre que celle de donner à deux chefs d'État quelque chose à annoncer lors d'une réunion bilatérale à leur niveau. Les derniers accords des États-Unis en cours de négociation impliquent le Japon et le Kenya.

Outre l'ACEUM, il existe d'autres accords régionaux relativement récents qui méritent d'être signalés:

  • L'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) est un accord de libre-échange entre 11 pays de la région Asie-Pacifique, à savoir l'Australie, le Brunéi, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Viet Nam. Les États-Unis ont activement négocié le PTP et s'en sont retirés avant la ratification. Actuellement, le PTPGP est en vigueur pour 7 des 11 Parties.
  • L'Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) compte désormais 30 pays membres qui ont déposé leurs instruments de ratification auprès de la Commission de l'Union africaine. Ces membres de l'UA sont le Ghana, le Kenya, le Rwanda, le Niger, le Tchad, la République du Congo, Djibouti, la Guinée, l'Eswatini, le Mali, la Mauritanie, la Namibie, l'Afrique du Sud, l'Ouganda, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Togo, l'Égypte, l'Éthiopie, la Gambie, la Sierra Leone, la République sahraouie, le Zimbabwe, le Burkina Faso, Sao Tomé-et-Principe, le Gabon, la Guinée équatoriale, Maurice, le Cameroun et l'Angola. Au total, 55 pays devraient y adhérer. Le commerce préférentiel au titre de l'Accord devrait commencer à partir du 1er janvier 2021.
  • L'Accord UE-Mercosur, qui n'est pas encore en vigueur, a pour Parties les 27 membres de la Communauté européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Suède), ainsi que l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay. Ce sera l'un des 75 accords commerciaux que l'UE a négociés ou est en train de négocier, dont 55 sont en vigueur et ont été notifiés à l'OMC. Il s'agit en très grande partie d'accords de libre-échange, comprenant quelques unions douanières, par exemple avec la Turquie.

Les principaux accords envisagés sont les suivants:

  • Le Partenariat économique régional global (RCEP) — une proposition d'accord de libre-échange entre les 10 États membres de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN — Brunéi, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande et Viet Nam) et 5 des partenaires des ALE conclus par l'ASEAN — Australie, Chine, Corée du Sud, Japon et Nouvelle-Zélande. L'Inde était également Partie aux négociations à l'origine, mais elle les a quittées depuis — même si la porte reste ouverte pour qu'elle les réintègre.
  • Le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI) entre les États-Unis et l'Union européenne (aucune négociation active à l'heure actuelle).

Quels sont les points communs entre les ACR en vigueur?

  • Ils sont tous préférentiels — ils n'étendent pas leurs avantages aux non-signataires. S'il existait un accord entre la Suisse et le Vanuatu, prévoyant que cet État insulaire accorderait l'importation en franchise de droits des bettes à carde tandis que les importations des produits concurrents seraient toujours assujetties à un droit de douane de 50%, cela conférerait sans doute un avantage majeur aux exportateurs suisses de bettes à carde.
  • Les ACR ont tous des règles d'origine qui exigent des Parties un contenu suffisant pour bénéficier d'un droit nul ou d'un autre traitement préférentiel sur les marchés des pays participants.
  • Ils doivent couvrir l'essentiel des échanges commerciaux des signataires, conformément aux règles de l'OMC. Toutefois, les règles de l'OMC permettent un champ d'application moindre pour les ACR conclus entre pays en développement uniquement.
  • Tout repose sur le fondement des règles du système commercial multilatéral, les règles de l'OMC. Le but n'est pas de renégocier tous les droits et obligations des signataires dans le cadre des Accords de l'OMC, mais essentiellement de les compléter.
  • Les droits et obligations des Parties dans le cadre de l'OMC restent en grande partie inchangés.

Les ACR sont-ils avantageux pour le commerce mondial? 

Pourquoi une exception a-t-elle été faite pour les accords préférentiels alors que le principe fondamental du système commercial multilatéral est exactement le contraire, à savoir la non-discrimination (traitement de la nation la plus favorisée)? La théorie économique qui sous-tend ces dérogations à la non-discrimination est qu'elles créeront davantage d'échanges qu'elles n'en détourneront. Concrètement, on peut en déduire que les non-signataires ont accepté la création du marché commun européen, l'Accord de libre-échange UE-AELE et l'élargissement de l'UE, pas uniquement à des fins géopolitiques, et l'Accord de libre-échange nord-américain (révisé en tant qu'AEUMC), pas uniquement parce que les ACR en général sont autorisés par les règles du GATT, mais aussi parce qu'ils sont fondés sur la conviction que toutes les nations qui font du commerce par leur biais en tireraient des avantages commerciaux nets.

Il y a de bonnes chances que l'Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui s'applique à un continent où le commerce intracontinental a toujours été limité, réponde également à ce critère qualitatif. L'OMC a indiqué qu'elle fera volontiers tout son possible, sur demande, pour contribuer à la réussite de l'Accord continental africain.

L'avenir appartient-il aux accords bilatéraux et régionaux, et non aux accords multilatéraux? 

La réponse simple est “non”. La réponse plus nuancée est que l'avenir appartient aux accords commerciaux à géométries variables. La mondialisation entraîne un besoin encore plus grand de ces deux types d'accords, multilatéraux, comme pour le commerce électronique dans un monde numérique, et bilatéraux/régionaux/plurilatéraux, chaque fois que des progrès importants peuvent être réalisés à un niveau sous-multilatéral.

Avec la prolifération des accords commerciaux bilatéraux et régionaux et le fait que l'on n'a jamais ajouté d'accords multilatéraux vraiment complets au mécanisme de l'OMC, on peut se demander si l'OMC, pour reprendre une phrase du grand romancier espagnol Carlos Ruiz Zafón, est “un vestige d'une civilisation disparue”(2).Ce n'est aucunement le cas.

Les règles de l'OMC couvrent la quasi-totalité — 98% — du commerce mondial. Ces règles multilatérales régissent les relations commerciales de ses 164 Membres, et de plus en souvent celles des 23 pays en voie d'accession à l'OMC. Les économistes de l'OMC estiment que — malgré tous les accords préférentiels existants — environ 80% du commerce mondial se fait en réalité sur une base non discriminatoire. Cela s'explique en partie par le fait qu'une quantité importante de marchandises franchissent les frontières en franchise de droits. La diapositive {3} sur les importations NPF et préférentielles le montre au moyen d'un graphique.

En 2015, plus de la moitié des importations — 52% — ont été effectuées en franchise de droits NPF (non discriminatoires). En outre, 28% des importations étaient passibles de droits sur une base NPF. Les importations effectuées dans le cadre des taux préférentiels d'un ACR ne représentaient que 20% au maximum des importations de 2015. Ce pourcentage de 20% est certainement surestimé. Il est basé sur l'hypothèse que 1) tous les échanges entre les Parties sont libéralisés, 2) que tous les produits sont échangés dans le cadre du régime préférentiel, et 3) que tous les produits sont considérés comme originaires des pays participant à l'ACR. Il est clair que ce n'est pas le cas.

Une autre raison de la sous-utilisation des ACR est que si le taux NPF (le taux non discriminatoire) d'un produit est faible, le suivi de l'origine ne vaut tout simplement pas l'effort de qualité d'un ACR. Dans le cas des composants électroniques, le respect des règles d'origine peut être simplement irréalisable. Souvent, les producteurs ne vont pas fabriquer des lignes de produits spéciales pour de nombreux marchés différents et leurs clients ne vont pas non plus leur demander de le faire simplement pour satisfaire aux prescriptions en matière d'origine.

La diapositive {4} montre une carte des ACR existants ainsi que de certains ACR qui sont encore en cours de négociation (par exemple le RCEP). Elle donne une image frappante des relations complexes que le monde des accords commerciaux bilatéraux et plurilatéraux est en train de créer. La carte montre qu'il existe de multiples relations préférentielles qui se chevauchent. Cela signifie des accords qui prévoient différents ensembles de préférences, de règles, de disciplines relatives aux normes industrielles et agricoles (OTC et SPS) et éventuellement de dispositions de règlement des différends. En outre, pour chaque ACR, il doit exister un ensemble de règles d'origine préférentielles avec son certificat d'origine et ses procédures de vérification spécifiques. Bien sûr, il peut y avoir des éléments positifs au-delà des tarifs préférentiels. Certains ACR comportent des dispositions relatives aux accords de reconnaissance mutuelle et à l'autocertification par les opérateurs économiques agréés, qui sont avantageuses pour les entreprises opérant dans les pays visés par l'accord. Une chose est claire. Il incombe aux négociants mondiaux de savoir et de comprendre s'ils doivent utiliser les divers avantages que promettent ces ACR.

La diapositive {5} ci-après montre une autre caractéristique des ACR. Elle examine 200 relations bilatérales dans le cadre d'ACR qui ont été notifiés à l'OMC. Chaque point et chaque barre représentent une relation bilatérale dans le cadre d'un ACR. Dans le premier graphique, on peut voir, en rouge, la libéralisation ajoutée par l'ACR — une fois qu'il est pleinement mis en œuvre. Dans de nombreux cas, cette libéralisation supplémentaire est assez modeste. Le deuxième graphique est plus frappant. De nombreux ACR prévoient un champ d'application limité pour les produits agricoles. Le graphique indique en bleu le pourcentage de lignes tarifaires libéralisées dans le secteur agricole et en rouge celui des produits industriels. Il montre clairement que le champ d'application du secteur agricole est limité.

Tous les accords commerciaux, y compris les ACR, doivent respecter les réalités politiques si l'on veut que les accords soient approuvés et mis en œuvre.

Les ACR n'ont pas tous un champ d'application identique. La diapositive {6} ci-après le montre au moyen d'un graphique. La diapositive montre la fréquence de certains sujets figurant dans les ACR qui ont été notifiés à l'OMC. On peut en tirer un certain nombre d'enseignements. Les quelques points illustrent ce que j'ai déjà mentionné:

  • En termes de libéralisation, moins d'un tiers des ACR prévoit qu'au moins une des Parties libéralisera l'ensemble de ses droits de douane. En général, les produits sensibles restent protégés, même dans les ACR.
  • Dans de nombreux cas, lorsqu'un sujet n'est pas traité dans le cadre de l'OMC, il n'est pas non plus très réglementé dans les ACR. Par exemple:
    • les disciplines en matière de sauvegarde pour les services, qui ne sont actuellement pas réglementées par l'OMC, ne sont présentes que dans 12% des ACR; et
    • le travail et le commerce électronique sont réglementés dans moins d'un tiers des ACR
  • Les services, un secteur économique important pour de nombreux pays, ne sont abordés que dans 65% des ACR. L'OMC dispose d'un Accord général sur le commerce des services (AGCS).

Dans de nombreux domaines abordés par les ACR, les dispositions ne font que réaffirmer ou réitérer les disciplines de l'OMC.

Quand un ACR est-il avantageux pour le commerce mondial?

Dans une perspective de politique générale (par opposition aux prescriptions juridiques de l'OMC), le premier critère pour juger si un ACR est avantageux pour le commerce mondial serait de savoir s'il crée plus d'échanges qu'il n'en détourne. Ce n'est pas un jugement qui peut être porté lorsqu'un ACR entre en vigueur. L'expérience acquise par la suite peut aider à répondre à cette question.

L'exemple le plus évident d'un ACR ayant clairement un effet potentiel positif est celui d'un accord régional — en Afrique, en Amérique du Nord, en Europe ou en Asie — qui intègre des pays contigus. Les ACR bilatéraux longue distance, qui, comme tous ces accords, offrent par définition un accès préférentiel discriminatoire, méritent tous d'être examinés en fonction de leurs mérites individuels.

Le résultat net des entreprises faisant du commerce, collectivement, détermine les modèles que le commerce international suivra. Il est très peu probable que de nombreuses entreprises participant au commerce international choisissent de planifier leur avenir en fonction uniquement du commerce effectué avec les pays avec lesquels leur gouvernement a négocié un accord commercial régional ou bilatéral. Ce serait une vision trop étroite, trop restreinte pour la gestion de la plupart des entreprises concernant leur avenir. La COVID-19 nous a appris que le commerce est diversifié, qu'il repose sur de nombreuses sources et de nombreux marchés. La composition d'un ventilateur peut nécessiter jusqu'à 600 pièces provenant du monde entier. La demande de fournitures et d'équipements médicaux est vraiment mondiale.

Il existe une autre mesure pour juger de la valeur d'un accord commercial régional. Un ACR peut contenir des dispositions de fond qui vont au-delà des activités actuelles de l'OMC et peut créer un modèle pour les futures négociations multilatérales. Les ACR peuvent, comme dans le commerce électronique, contenir des éléments de réponse à des problèmes qui ne sont pas encore résolus au niveau multilatéral. Ils peuvent servir de plates-formes expérimentales pour amener l'OMC à de nouveaux domaines répondant à un besoin ressenti de modernisation du système commercial mondial afin de refléter les réalités commerciales actuelles. En fin de compte, certains de ces engagements pris dans le cadre d'ACR sont intégrés dans des accords multilatéraux de l'OMC — comme la protection de la propriété intellectuelle.

Si les accords sous-multilatéraux sont devenus si courants, ce n'est peut-être pas parce qu'ils sont nécessairement supérieurs aux accords plus larges, mais parce qu'ils sont dans de nombreux cas plus faciles à conclure. Obtenir un accord entre 164 pays, chacun dans le cadre d'un processus de consensus, est très difficile, et c'est peu dire. C'est la principale raison pour laquelle diverses initiatives conjointes entre pays partageant le même point de vue ont été lancées en décembre 2017 lors de la dernière Conférence ministérielle de l'OMC qui s'est tenue à Buenos Aires.

On dit que les négociations au niveau multilatéral prennent du temps. C'est le cas. Le dernier grand cycle de négociations commerciales, le Cycle d'Uruguay, s'est déroulé de 1986 à 1993 et n'a pris effet que le 1er janvier 1995, avec la création de l'OMC. La grande négociation précédente avait été lancée en 1973, après des années de préparation, et s'était achevée en 1979. Les travaux exploratoires en vue de l'Accord de l'OMC sur la facilitation des échanges (AFE) ont reçu le feu vert en 1996 et les négociations ont été lancées en 2004 après que les tentatives pour les entamer en 1999 et 2001 ont échoué. L'AFE a été conclu en 2013 et est entré en vigueur en 2017. Il s'étend à la plupart des pays commerçants. Selon les estimations de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les économies réalisées par les pays qui participent au commerce grâce à la simplification des procédures pourraient être de l'ordre de 2% à 15% de la valeur des marchandises échangées. Dans de nombreux cas, cette économie peut être supérieure aux droits de douane applicables. Le processus de création de l'AFE a été lent, et il faudra du temps pour mettre en œuvre l'accord, mais l'AFE est très important pour le commerce mondial. L'attente en valait la peine.

Les longues négociations commerciales ne sont pas spécifiques à l'OMC. Les ACR ne sont pas toujours conclus à la vitesse de l'éclair.

  • Les négociations entre les 12 Parties au PTP (Partenariat transpacifique) ont été basées sur un accord quadripartite signé en 2005. En 2008, le processus de négociation d'un élargissement de l'accord a commencé. Il a finalement inclus huit autres pays. Avec le retrait des États-Unis, le PTPGP révisé (Accord de partenariat transpacifique global et progressiste) n'est entré en vigueur que fin décembre 2018 pour 7 des 11 signataires pour l'instant.
  • Il a fallu plus de 20 ans pour que les négociations en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le MERCOSUR aboutissent. L'accord a été en grande partie finalisé en juin 2019, mais, à ce jour, il n'a toujours pas été signé ni ratifié.

Quel est l'avenir du commerce? Multilatéral ou bilatéral?

Grâce aux transports et aux communications, le monde est désormais moins grand. Il est impossible de revenir à une économie mondiale de moindre importance avec un monde moins interconnecté.

Des moyens seront trouvés pour servir le commerce international. Dans certains cas, pour conclure rapidement des accords, le nombre de signataires devra nécessairement être très limité. C'est ce qui s'est produit entre Singapour et la Nouvelle-Zélande, lorsqu'ils ont convenu, dans les semaines qui ont suivi le début de la pandémie, de faciliter le commerce des produits liés à la COVID-19.

D'autres accords seront plurilatéraux, avec de nombreux Membres de l'OMC y participant. Par exemple, un groupe de Membres partageant le même point de vue ont décidé en décembre 2017 que l'économie numérique devait être dotée de règles commerciales concertées. Il s'agissait de l'une des nombreuses initiatives plurilatérales ouvertes lancées à cette époque.

Certains accords qui sont négociés de manière plurilatérale produisent des résultats au plan multilatéral conformément au principe NPF de l'OMC. C'est le cas de l'Accord sur les technologies de l'information (ATI) — conclu lors de la Conférence ministérielle de Singapour en 1996 et élargi en 2015 lors de la Conférence ministérielle de Nairobi.(3)

Certains sujets ne se prêtent pas à des accords non multilatéraux. Ils ne pourraient pas faire l'objet de solutions bilatérales ou régionales uniquement. Ils doivent être aussi exhaustifs que possible. Il est peu probable que quelques Parties acceptent des disciplines plus strictes en matière de subventions au secteur agricole ou industriel. Elles voudront qu'une masse critique de pays le fasse. Pour trouver une solution à l'obtention de disciplines sur les subventions à la pêche, il faut que toutes les Parties intéressées participent. Il s'agit d'un sujet très difficile, mais des progrès sont réalisés et on entre peut-être dans la dernière ligne droite. Il ne serait pas possible pour chaque pays disposant d'une flotte de pêche d'accepter de limiter les subventions qu'il accorde à la pêche alors que d'autres pays possédant d'importantes flottes de pêche ne sont pas soumis à des contraintes similaires.

Y a-t-il des obstacles à la conclusion d'accords multilatéraux? Bien sûr que oui. L'inclusion, l'obtention d'un consensus prennent du temps. Les compromis peuvent diluer un résultat si le niveau d'ambition des Parties à la négociation est insuffisant. D'autre part, diviser le monde entre ceux qui bénéficient d'un accès privilégié aux marchés et ceux qui n'en bénéficient pas par le biais d'accords discriminatoires ne peut qu'aboutir à un résultat insatisfaisant. L'OMC, le système commercial multilatéral, s'appuie sur le principe de la non-discrimination. Il est inconcevable qu'il puisse y avoir un monde stable et pacifique fondé sur le principe de la discrimination.

Le multilatéralisme est-il difficile? Bien sûr qu'il l'est. Il est laborieux et lent et exige un leadership fort et soutenu, ainsi qu'une volonté de la part de chacun de créer un bien public mondial qui sera bénéfique à tous.

Le seul critère pour définir la voie à suivre pour l'avenir des accords commerciaux, qu'ils soient multilatéraux, régionaux ou bilatéraux, doit être de savoir si ceux d'entre nous qui participent à cet effort vous servent, vous qui pratiquez le commerce.

La pandémie actuelle ne fait que souligner la nécessité de trouver des solutions concertées à l'échelle mondiale. La double crise de la santé et de l'économie mondiales met en évidence la nécessité de coordonner la politique commerciale et les instruments de politique commerciale entre tous les Membres de l'OMC. Dans un monde complexe, basé sur une production intégrée, les chaînes de valeur mondiales et une numérisation croissante, l'OMC est le seul endroit où tous les Membres peuvent discuter et s'entendre sur un ensemble de règles strictes, conjointement avec un mécanisme de règlement des différends.

Questions additionnelles

Notre hôte et modératrice, Marianne Rowden, Présidente de l'AAEI, a soulevé un certain nombre de questions difficiles et très intéressantes qui mériteraient des réponses détaillées. Je vais brièvement y répondre de la façon suivante.

Le multilatéralisme est-il le reflet de la mondialisation?

Dans la seconde moitié des années 1940, lorsque le véritable multilatéralisme est né avec la négociation de l'Organisation internationale du commerce (OIC) et la création du GATT, le multilatéralisme était le moyen envisagé pour parvenir à la mondialisation, du moins une forme antérieure de mondialisation entravée par la capacité limitée à l'époque des pays industrialisés affaiblis par la guerre et la pauvreté des anciennes colonies. Plus tard et jusqu'à aujourd'hui, la mondialisation a entraîné et entraîne la nécessité d'améliorer les accords multilatéraux. Si les accords multilatéraux permettent la mondialisation, ils n'en sont pas la principale force motrice. Les impératifs économiques, technologiques et commerciaux sont à l'origine de la mondialisation dans une plus large mesure que les politiques gouvernementales ou les accords internationaux. 

Les accords multilatéraux sont-ils subordonnés à une intégration économique accrue?

Il existe une réciprocité entre les accords multilatéraux et l'intégration économique. Aucun n'est la seule cause ou le seul effet de l'autre. À titre d'exemple: en raison de l'émergence d'une économie numérique mondiale, il est nécessaire d'établir des règles multilatérales pour le commerce électronique. Lorsque des règles seront mises en place pour le commerce électronique, elles favoriseront l'expansion de la participation au commerce international. 

Est-il possible de parvenir à un consensus multilatéral sur les questions commerciales alors que les pays repensent l'intégration économique?

Les tensions commerciales actuelles et la concurrence internationale, considérées au niveau national, ne mettent pas fin, à mon avis, à l'intégration économique. Vingt-trois pays cherchent à accéder à l'OMC afin de s'intégrer davantage dans l'économie mondiale. Aucun des 164 Membres actuels ne cherche à quitter l'OMC. L'intégration économique se produit en raison de forces économiques qui ne peuvent être ni abrogées ni entièrement contrées. Des observateurs avisés estiment que les chaînes d'approvisionnement mondiales seront réduites au niveau des marges. Dans une certaine mesure, il est probable qu'elles seront réorientées. On considère maintenant que la livraison juste à temps est sujette à des perturbations répétées. Nous l'avons appris cette année avec la pandémie et au cours des dernières années avec les hostilités commerciales et les catastrophes naturelles. Il est probable qu'il y aura un certain recul dans certaines régions et avec certains pays commerçants. Mais l'intégration économique, considérée globalement, ne s'arrêtera pas. Les coûts d'un retour à l'autarcie sont trop élevés.

Les accords commerciaux multilatéraux devront toujours refléter les réalités commerciales actuelles tout en étant conçus pour contribuer à façonner un avenir souhaité. Les règles multilatérales sont plus, et non moins, nécessaires dans les conditions actuelles.

Comment les organisations internationales canalisent-elle les intérêts individuels des Membres pour faire avancer les négociations multilatérales?

C'est plutôt l'inverse: ce sont les Membres qui orientent les programmes des organisations internationales. Cela dit, l'organisation internationale, en l'occurrence, l'OMC, a l'obligation de fournir aux Membres les informations nécessaires pour juger des règles internationales dont ils ont besoin. L'OMC assure la transparence aux représentants des Membres quant aux conditions du commerce mondial et aux mesures, positives et négatives, que les Membres appliquent et qui peuvent affecter leurs intérêts. Le Secrétariat de l'OMC met son expertise à la disposition des Membres pour les aider à élaborer des propositions de négociation et fournir des études sur demande sur des questions présentant un intérêt pour les Membres afin de leur permettre d'examiner les modifications qu'il pourrait être nécessaire d'apporter aux règles. L'OMC, au nom de ses Membres, a le pouvoir de réunir les institutions et les experts qui peuvent résoudre les problèmes. On peut citer par exemple le rétablissement du financement du commerce pour répondre en particulier aux besoins des Membres les moins avancés de l'Organisation.

Quels sont les enjeux des futures négociations multilatérales?

  • Le leadership mondial des grandes économies: les États-Unis, la Chine ou l'UE

En ce qui concerne les défis immédiats posés par la pandémie, ce sont les pays de taille moyenne tels que Singapour, la Nouvelle-Zélande, le Canada, la Corée et d'autres pays qui ont été les plus actifs dans la formulation de propositions. En ce qui concerne les négociations sur le commerce électronique, c'est l'Australie, le Japon et Singapour qui ont lancé le processus, puis l'UE, la Chine et les États-Unis les ont rejoints. Le leadership peut donc venir de divers Membres de l'OMC. Cela dit, il est peu probable qu'un accord entièrement multilatéral soit conclu sans la participation des plus grandes économies. Deux accords de l'OMC illustrent le défi que représente la non-adhésion d'un Membre important. L'élargissement de l'Accord sur les produits pharmaceutiques ou de l'Accord sur les technologies de l'information (ATI), qui sont tous deux des accords NPF (non discriminatoires) assortis de droits nuls, serait-il possible en l'absence, dans le cas du premier, de la participation des plus grandes économies — en l'occurrence, la Chine et l'Inde? La même question peut être posée en ce qui concerne toute négociation de disciplines concernant le soutien à l'agriculture, les subventions au secteur industriel ou les subventions à la pêche. Il faut que les Membres commerçants les plus importants coopèrent pour parvenir à des résultats globaux. Même face à la montée des tensions dans leurs relations commerciales, il n'est pas exclu que des domaines d'accord puissent être identifiés.

  • Les problèmes incontournables à résoudre — la taxe sur les services numériques

Comme pour une taxe sur le carbone, il y a beaucoup de travail préparatoire à faire avant qu'une négociation internationale puisse être envisagée. Il faut du temps pour examiner ces questions futures. C'était le cas avant que les premiers accords sur les obstacles non tarifaires et sur les services puissent être conclus. Ces sujets arriveront peut-être un jour ou l'autre à l'OMC pour discussion, délibération et négociation, mais ce jour peut encore être lointain. Ils ne figurent pas à l'ordre du jour actuel. Les travaux commenceront probablement dans d'autres instances internationales. 

Quelles sont les perspectives pour les futures négociations multilatérales après la COVID-19?

Pour mesurer une tendance, il faut choisir une période de référence et la portée des résultats recherchés. Il n'y a pas actuellement de consensus entre les Membres pour organiser un grand cycle de négociations multilatérales tel que celui qui a créé l'OMC en 1995, et la question ne s'est même pas posée. Cela dit, il y a clairement des perspectives d'amélioration de la tendance en ce qui concerne la réalisation d'accords multilatéraux par rapport à la décennie passée. La Conférence ministérielle de l'OMC de décembre 2017 a marqué le point de départ d'un intérêt accru des Membres pour la conclusion d'accords internationaux sur une série de sujets. Les initiatives conjointes créées à cette occasion progressent avec le soutien des Membres de l'OMC, qui représentent dans chaque cas environ les trois quarts de l'activité économique mondiale. Ces sujets comprennent, par exemple, le commerce électronique, la réglementation intérieure des services, la facilitation des investissements et le soutien au renforcement de la participation des micro, petites et moyennes entreprises, ainsi que l'autonomisation des femmes dans le commerce. Les négociations sur les subventions à la pêche sont également prometteuses, plus que lors des 20 années de négociation précédentes.


Notes

  1. Pas encore notifié à l'OMC. Retour au texte
  2. Tiré du roman de Zafón “L'Ombre du vent”. Les règles prévoient expressément la création d'accords bilatéraux et régionaux, et ce, depuis la fondation du GATT, le prédécesseur de l'OMC, il y a près de trois quarts de siècle. L'exigence du GATT/de l'OMC est assez simple, à savoir que l'accord couvre l'essentiel des échanges commerciaux entre deux Parties ou plus.
    Note: Je remercie Maria Donner Abreu, du Secrétariat de l'OMC, pour l'excellent soutien qu'elle a apporté à la préparation de cette présentation. Retour au texte
  3. Par le passé, 46 Membres de l'OMC ont engagé des négociations en vue d'un accord sur les biens environnementaux. Retour au texte

Partager

Partager


  

Des problèmes pour visualiser cette page?
Veuillez écrire à [email protected] en indiquant le système d’exploitation et le navigateur que vous utilisez.