DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT ALAN WM. WOLFF

Pour en savoir plus

  

Merci de m'avoir invité à discuter de la nécessité de prendre en main la résolution des défis auxquels le système commercial mondial est actuellement confronté.

Notre modérateur nous a invités à réagir à trois questions: 

  • Les économistes disent que nous entrons dans une période de “démondialisation”, le Secrétaire général de l'ONU met en garde contre une “grande fracture”, les États-Unis et la Chine parlent de découplage et de double circulation. Dans le contexte d'un commerce mondial en mutation, quel rôle l'OMC peut-elle endosser?
  • Comment l'OMC peut-elle restaurer la confiance dans le système commercial mondial?
  • Quelle devrait être la priorité de la réforme de l'OMC, et cette réforme est-elle possible?

Comment l'OMC peut-elle restaurer la confiance dans le système commercial mondial?

Je me concentrerai aujourd'hui sur ces deux dernières questions, et ce, pour plusieurs raisons. S'agissant du premier point sur ce que le Secrétaire général de l'ONU, M. Guterres, appelle la “grande fracture”(1), qui correspond aux quatre cavaliers de l'apocalypse qu'il a identifiés, à savoir la flambée des tensions géopolitiques, l'existentielle crise climatique, la profonde méfiance et les technologies à risque, l'OMC peut largement contribuer à la recherche de solutions, mais elle ne peut résoudre aucun de ces problèmes à elle seule. Dans des observations antérieures, j'ai abordé la façon dont l'OMC peut s'avérer pertinente afin de résoudre certains des problèmes relevant du clivage géopolitique, la flexibilité croissante que doit adopter l'agriculture dans le contexte de la crise climatique, et j'ai fait observer que l'OMC se démenait actuellement pour accroître la pertinence des règles actuelles du système commercial mondial face à l'économie numérique mondiale.

Pour ce qui est de l'aspect géopolitique, ce que certains appellent une rivalité entre les grandes puissances (bien que cela revienne à simplifier à l'extrême), la plupart des problèmes de l'OMC sont antérieurs aux tendances actuelles des affaires mondiales. Les divergences entre les deux plus grandes nations commerçantes n'ont pas figuré parmi les problèmes fondamentaux posés à l'OMC, même si elles occuperont sans conteste une place croissante dans le paysage commercial mondial et auront une plus grande incidence sur l'OMC par la suite. Pour l'heure, l'OMC ne déterminera pas la situation géopolitique, mais la reflétera probablement. Les conflits entre nations(2)ne devraient pas devenir un prétexte pour rester inactifs sur les questions que l'OMC peut résoudre de façon plus claire.

Quelle devrait être la priorité de la réforme de l'OMC, et cette réforme est-elle possible?

Fin septembre, les Ministres du commerce du G-20 ont de nouveau appelé à une réforme de l'OMC. Ils n'ont pas précisé quel devrait en être le contenu.

L'OMC repose sur trois piliers — la négociation, le règlement des différends et l'administration du système commercial multilatéral fondé sur des règles. La paralysie de la fonction d'appel du mécanisme de règlement des différends est désormais notoire; elle est largement relayée par les médias sans qu'aucune solution n'y soit apportée. C'est seulement récemment que l'accent s'est déplacé sur le fait moins remarqué qu'une instance de négociations doit produire des résultats négociés si elle veut conserver une certaine crédibilité.

En ce qui concerne les priorités, l'une d'entre elles est claire:

La planète est confrontée à une crise sanitaire et économique mondiale. Les défis en matière de politique commerciale sont doubles: réfréner les mesures contre-productives prises pour remédier aux pénuries de produits médicaux essentiels et contribuer à la reprise économique — et non la retarder. 

En temps de crise, agir est une nécessité.

    • En 1934, au milieu de la Grande Dépression, les États-Unis ont fixé le cap de la politique commerciale moderne au niveau mondial en négociant des accords de réduction des droits de douane, assortis de concessions commerciales appliquées sur une base NPF. 
    • En 1948, dans un monde où la reconstruction après les ravages de la Seconde Guerre mondiale et le développement économique pour l'ère postcoloniale étaient nécessaires, le système commercial multilatéral a été fondé à partir d'un cadre de règles.
    • En 1971, en raison d'un désalignement des taux de change, les États-Unis ont imposé une surtaxe à l'importation et exigé des concessions commerciales unilatérales de la part de leurs principaux partenaires commerciaux. Cela a ensuite entraîné le septième grand cycle d'accords commerciaux multilatéraux, qui a débouché en 1979 sur les premiers accords commerciaux non tarifaires du système commercial mondial.
    • En 1985, un autre désalignement des taux de change des principales devises, accompagné de mesures commerciales unilatérales et de menaces de nouvelles mesures restrictives pour le commerce, a donné lieu à la convocation du huitième cycle de négociations commerciales multilatérales, le Cycle d'Uruguay, qui a abouti en 1995 aux accords multilatéraux sur les services, la propriété intellectuelle, l'investissement et l'agriculture, et à la création de l'Organisation mondiale du commerce.
    • En 2001, les problèmes posés par une menace terroriste internationale sans précédent ont défini le contexte du neuvième grand cycle de négociations multilatérales, dont les efforts ont culminé en 2008 sans qu'aucun accord ne soit conclu. 
    • In 2008-09, the world trading system endured a global financial crisis.  It held the line against widespread trade restrictions, but this crisis did not give rise to major new trade negotiations.

Les deux dernières décennies mises à part, chaque grande crise économique mondiale a été surmontée avec un accès d'énergie visant à améliorer le système commercial et à encourager une plus grande libéralisation des échanges.  

Le monde est de nouveau en crise, cette fois-ci en raison d'une pandémie et de ses conséquences économiques. La COVID-19 a provoqué la plus forte contraction du PIB mondial depuis les années 1930. D'après les prévisions, la production devrait baisser de 4,4%, un ralentissement économique deux fois plus marqué que celui produit par la crise financière de 2008-2009. Face à ce fléchissement préoccupant, le Conseil des gouverneurs du FMI a lancé des appels insistants en faveur du multilatéralisme lors de son assemblée annuelle tenue plus tôt ce mois-ci. 

La Directrice générale du FMI, Mme Kristalina Georgieva, a indiqué que sur les 30 milliards de dollars de pertes estimées par rapport à la tendance de l'activité économique mondiale avant la COVID-19, un tiers pourrait être récupéré si la communauté internationale adoptait des politiques budgétaires, monétaires et commerciales favorisant la coopération. 

La coopération économique multilatérale aiderait à limiter les dommages, mais elle est confrontée à des défis de taille. Avant même la pandémie, le système commercial était marqué par des difficultés pour faire avancer le programme des négociations multilatérales, par une impasse concernant la création d'une nouvelle structure unique faisant l'objet d'un accord pour le règlement des différends et par des tensions commerciales entre les grands partenaires commerciaux. Ceux qui participent au commerce et qui en ressentent les effets, c'est-à-dire les parties prenantes du système commercial, ont orienté leur intérêt et leur énergie vers d'autres arènes et défis.

Cependant, le système commercial multilatéral continue de jouer un rôle essentiel dans l'économie mondiale. Ses règles régissent toujours la grande majorité du commerce mondial. Les échanges se sont considérablement accrus pour aider à pallier les pénuries d'équipements de protection individuelle et d'autres produits nécessaires à la lutte contre la pandémie.

Il n'en reste pas moins que la plupart des r ègles de l'OMC ont été établies il y a 25 ans. D'importantes mises à jour sont nécessaires pour les adapter aux nouvelles réalités et aux nouveaux besoins. La réforme de l'OMC doit viser à ce que le système commercial mondial puisse continuer à jouer son rôle, qui est de stimuler l'économie mondiale en favorisant des conditions stables et prévisibles pour le commerce transfrontières.

RELEVER LE DÉFI IMMÉDIAT

La pandémie donne lieu à deux défis concomitants pour le système commercial: assurer l'approvisionnement en fournitures médicales essentielles pour la santé de la population mondiale et contribuer à la bonne santé de l'économie mondiale. Ils sont tous deux essentiels au bien-être mondial.

En ce qui concerne la crise sanitaire, le commerce peut aider à atténuer les effets de la maladie et à ralentir sa propagation en renforçant plus largement la disponibilité des produits pharmaceutiques et des fournitures médicales. Lorsque des vaccins seront disponibles, le commerce pourra constituer un moyen essentiel d'endiguer la propagation de la maladie dans le monde. Nous devrions maintenant savoir qu'aucune solution nationale ne peut répondre entièrement à ces problèmes. Autre point important, pour ce qui est de la reprise de l'économie mondiale: il est impératif que les politiques commerciales contribuent en n'accentuant pas le ralentissement économique et en soutenant le redressement.

Les idées ne manquent pas s'agissant de ce qui pourrait être considéré comme des éléments de réponse. Les mesures à prendre pourraient s'inscrire dans le prolongement des orientations largement acceptées du G-20, selon lesquelles les restrictions doivent être

proportionnées, transparentes et temporaires, refléter notre intérêt pour la protection des plus vulnérables, ne pas créer d'obstacles non nécessaires au commerce ou de perturbation des chaînes d'approvisionnement mondiales et être conformes aux règles de l'OMC(3).

Voici quelques-unes des idées qui sont apparues récemment:

  • S'agissant de l'exigence de transparence:
    • Les notifications devraient être instantanées.  
    • Le Secrétariat devrait être autorisé à transmettre les meilleurs renseignements disponibles (faisant l'objet d'une vérification ultérieure par les autorités promulguant la mesure). 
  • Un examen horizontal des politiques commerciales devrait être convoqué pour étudier les mesures liées à la COVID en temps réel.(4)
  • Les Membres pourraient étudier la possibilité de créer un système d'urgence d'information sur les marchés (“EMIS”) relatif à la COVID-19, sur la base d'un abonnement pour les contributeurs, dont les mises à jour seraient automatiquement notifiées aux Membres contributeurs comme c'est actuellement le cas pour les notifications concernant les normes(5).  (Des échanges d'informations accrus pourraient viser toutes les mesures liées à la COVID-19, y compris les mesures ayant une incidence sur les stocks et l'investissement, les licences obligatoires, ainsi que les données relatives à la capacité de production, la production, les stocks, les exportations et les importations. En résumé, l'EMIS pourrait couvrir toutes les informations nécessaires à la prise de décisions éclairées en matière de fournitures essentielles, y compris les médicaments.)
  • S'agissant de l'exigence de mesures temporaires:
    • Il devrait être exigé que les mesures contiennent une clause d'extinction, assortie d'une disposition autorisant la reconduction pour un motif valable.
  • La durée des mesures pourrait être subordonnée au constat d'une autorité internationale (comme l'OMS) établissant que la situation dans la zone d'application de la mesure correspond toujours à un état “d'urgence sanitaire” (ou autre définition technique)(6).
  • S'agissant de l'exigence de mesures ciblées et proportionnées:
    • Il conviendrait d'élaborer une norme convenue (ou des exemples de meilleures pratiques) pour préciser la définition de ces termes.
    • Les Membres pourraient être tenus de démontrer qu'ils ont pris la norme en considération et d'expliquer tout écart par rapport à celle-ci. 
  • S'agissant de l'exigence de protéger les plus vulnérables(7)
    • L'exigence contenue dans l'Accord sur l'agriculture, selon laquelle les Membres devraient prendre en considération les effets de leurs restrictions à l'exportation sur les autres, devrait devenir une obligation en matière de fournitures médicales, de médicaments et de vaccins. 
    • Une plus grande clarté peut être apportée à la disposition relative aux restrictions à l'exportation qui spécifie que les Membres ont droit à “une part équitable de l'approvisionnement international de ces produits”.
    • La sécurité alimentaire peut être renforcée par des arrangements en matière d'approvisionnement garantis et ad hoc.
    • Les efforts peuvent être intensifiés en matière de renforcement des capacités, y compris en ce qui concerne la mise en œuvre de l'Accord sur la facilitation des échanges et du Fonds pour l'application des normes et le développement du commerce.
    • Le financement du commerce doit être adapté pour permettre au commerce de jouer son rôle d'atténuation des effets de la pandémie.
  • S'agissant de l'exigence d'éviter les obstacles non nécessaires au commerce ou la perturbation des chaînes d'approvisionnement mondiales:
    • Un groupe de travail peut être constitué afin d'examiner toute mesure prise pour lutter contre la pandémie, en cherchant principalement à déterminer si ces mesures sont, selon les autres Membres, plus contraignantes qu'il n'est nécessaire, si elles sont discriminatoires par leur nature ou leurs effets, ou si elles perturbent les chaînes d'approvisionnement. (La diversification des chaînes d'approvisionnement ne serait pas considérée comme étant a priori une perturbation des chaînes d'approvisionnement mondiales.) 
  • S'agissant de la conformité avec les règles de l'OMC:
    • Le règlement des différends de l'OMC peut faire autorité, mais son calendrier ne le rendrait pas suffisamment adapté pour réagir à une crise. Des dispositions peuvent être prises en vue d'une procédure accélérée de consultations réunissant toutes les parties intéressées. Cette procédure peut être ouverte et elle pourrait aller de pair avec un cadre permanent et d'urgence pour un examen horizontal des politiques commerciales.

Les Membres ont déjà agi pour faciliter les échanges de produits essentiels par la réduction des droits de douane et l'allégement des formalités administratives.

  • Les mesures de facilitation des échanges doivent être encouragées par tous les Membres. (Celles mises en place dans le cadre de la pandémie sont plus nombreuses que les mesures restrictives pour le commerce, avec un rapport de presque deux pour un).
  • En plus de ces mesures unilatérales positives, des mesures multilatérales plus solides(8) pourraient être envisagées, par exemple:
    • Un statu quo concernant les nouvelles pratiques de protection et celles qui faussent les échanges, y compris les passations de marchés anticipées et investissements ayant des effets de distorsion des échanges, l'interdiction de marchandises en transit et la constitution de stocks excessifs.
    • La suspension des droits de douane sur les produits pharmaceutiques et fournitures médicales essentiels.
    • Le démantèlement des restrictions à l'exportation actuellement en place.
    • Une exemption de contrôles à l'exportation pour l'aide alimentaire. 
  • Les idées suivantes peuvent également être soumises à examen:
  • La production coordonnée ou conjointe de fournitures médicales essentielles, etc.    
  • Une plus grande liberté de circulation pour le personnel spécialisé comme les professionnels de la santé. 
  • Un examen du fonctionnement de l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce en ce qui concerne l'accès élargi à la propriété intellectuelle. 

Les considérations mentionnées n'épuisent pas l'éventail des possibilités. 

SOUTENIR LA REPRISE

Dans les années 1930, pour faire face à une dépression économique d'une ampleur que l'humanité n'avait jamais connue auparavant, l'administration du président des États-Unis Franklin Roosevelt était ouverte aux expérimentations. Ce qui était entrepris était souvent controversé, et tout n'a pas fonctionné, mais en temps de crise, ne pas tenter de trouver de solutions est inexcusable. Au niveau multilatéral, les difficultés sont encore plus complexes qu'au niveau national, mais il faut s'y confronter. Les accords bilatéraux et régionaux peuvent aider à la reprise économique, mais ils ne peuvent répondre pleinement à un défi mondial.

Les crises antérieures ont très souvent été affrontées au moyen d'une vaste libéralisation des échanges. Certes, une réelle volonté politique devrait être formée. La création de dettes considérables pour stimuler les économies nationales est susceptible de grandement compliquer les mesures même modestes visant à réduire les droits de douane, mais ce n'est pas une raison valable pour renoncer à aller dans ce sens.

  • Les droits appliqués peuvent être consolidés aux taux actuels.
  • Les droits de douane peuvent être harmonisés par secteur ou de façon plus large, et les crêtes tarifaires peuvent être réduites.
  • Les droits de douane peu élevés peuvent être supprimés. 
  • Comme tous les grands Membres sont convenus, les contributions à la libéralisation des échanges devraient être proportionnelles à leurs capacités actuelles, par secteur ou plus largement. 

Accords sectoriels. Le terrain a déjà été préparé en vue d'une élimination plus ciblée des droits de douane concernant les trois domaines suivants, dans lesquels un commerce en franchise de droits existe déjà et peut être élargi:

  • L'Accord sur les produits pharmaceutiques. Cet accord visant à éliminer les droits de douane a été élaboré en 1995 et mis à jour à plusieurs reprises jusqu'en 2010. Sa portée peut être actualisée pour viser par exemple les médicaments qui s'avèrent actuellement essentiels. Le commerce mondial de produits pharmaceutiques a considérablement évolué depuis 1995 et les principaux fournisseurs qui ne sont pas signataires de l'Accord devraient envisager d'y adhérer.
  • L'Accord sur les biens (et services) environnementaux (ABE). Les discussions ont pris fin en 2016 et pourraient être relancées. Ces fondements préalables permettraient d'avancer rapidement vers une conclusion s'il existe une volonté politique.
  • L'Accord sur les technologies de l'information (ATI). Un réexamen de la portée de l'ATI devait se tenir en 2018, mais il n'a pas eu lieu. 
  • L'agriculture revêt une trop grande importance dans l'économie mondiale pour être écartée des efforts soutenus visant à améliorer les perspectives de la reprise économique mondiale. 
  • Les budgets nationaux étant mis à rude épreuve, le soutien interne pourrait être réduit, l'accès aux marchés pourrait être amélioré et il pourrait être tenté de relever les défis de la sécurité alimentaire par l'intermédiaire de la coopération internationale. 
  • À mesure que l'incidence des phénomènes climatiques graves s'accentue, l'approvisionnement en produits agricoles doit être plus flexible et affluer des zones excédentaires vers les zones déficitaires.

Commerce numérique. Le monde du commerce a radicalement changé depuis la création de l'OMC. Il est indispensable que les obstacles aux échanges internationaux réalisés par l'intermédiaire du commerce électronique ne se multiplient pas. Le moratoire concernant les droits de douane sur les transmissions électroniques, peu compris lors de son adoption, doit être intégré dans le cadre d'un arrangement adapté aux circonstances actuelles.

Financement du commerce. Le rôle de l'OMC, qu'elle a endossé pendant la crise financière, est de réunir ceux qui participent au financement du commerce (grandes banques privées, FMI, Banque mondiale et banques régionales de développement) pour mettre l'accent sur la reconstruction des liens qui permettent aux économies les moins développées et à d'autres petites économies de participer au commerce mondial. Il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire que l'OMC joue un rôle actif.

RENOUVELER L'OMC

La confiance dans la capacité de l'OMC à négocier des règles, à régler des différends et à administrer les accords commerciaux pourrait être rétablie par des succès rapides. Quelques victoires doivent être ajoutées au tableau.

On ne peut accepter que l'interprétation et l'application actuelles du recours au consensus positif (selon lesquelles chaque Membre en vient à croire qu'il dispose d'un droit de veto sur toute question, aussi minime soit-elle) constituent un obstacle au fonctionnement de la principale raison d'être de l'OMC, à savoir négocier des accords. 

En ce qui concerne les négociations, la solution peut prendre la forme d'un ensemble de réponses convenues aux crises sanitaire et économique actuelles provoquées par la pandémie. À cela peuvent s'ajouter les accords issus des négociations en cours, y compris en matière de subventions à la pêche et de commerce électronique. À cet égard, le délai convenu pour les négociations sur la pêche a été fixé à décembre 2020. Cependant, bien qu'il s'agira d'une avancée majeure à accomplir dans cette entreprise menée depuis 20 ans, la conclusion des négociations sur les subventions à la pêche ne suffira pas à changer la vision et la réalité de la pertinence de l'OMC. Il ne sera pas jugé acceptable de sauver les poissons sans remédier aux difficultés sanitaires et économiques de l'humanité.(9)  

Les Membres ont été privés de toute supervision du système de règlement des différends. Ce résultat est dû à l'application du concept du consensus négatif, qui vise à occulter le fait que le vainqueur de tout litige doit accepter de renoncer à la décision en sa faveur pour que tout Membre puisse exercer un quelconque contrôle sur le système. Il s'agit là d'une possibilité largement fictive.

Ces deux mécanismes de “consensus” présumés correspondent en réalité à une règle de la minorité établie par un seul Membre, bien que selon les cas, ce ne soit pas toujours le même Membre qui exerce un contrôle intégral. Ce qui était au départ une démocratie dans l'Athènes antique s'est transformé en tyrannie. La modération volontaire est nécessaire pour que les Membres exercent leur droit de veto avec retenue et seulement dans les cas où l'intérêt national et les mécanismes multilatéraux ne permettent pas d'autre solution.

En ce qui concerne le règlement des différends, il sera finalement nécessaire de trouver un accord sur un mécanisme unique auquel souscriraient tous ceux qui souhaitent engager des procédures. Des comptes doivent pouvoir être rendus à l'ensemble des Membres de l'OMC dans toute phase d'appel.

Des étapes intermédiaires peuvent être envisagées s'il n'est pas possible de parvenir rapidement à un accord. Voici une possibilité:

  • Toute partie décidant d'engager une procédure serait tenue dès le départ, au moment de la demande d'établissement d'un groupe spécial, de trouver un accord avec l'autre ou les autres parties afin de déterminer si la décision du groupe spécial sera ou non définitive et si elle sera ou non soumise à un arbitrage ou à un autre arrangement (comme sont convenus l'UE et un certain nombre d'autres Membres de l'OMC). Aucune plainte ne pourrait être présentée sans entente sur le caractère définitif du résultat final.

Pour ce qui est de l'administration du système, un examen approfondi de la gouvernance de l'OMC doit être mené. Il est nécessaire de faire avancer les fonctions exécutives de l'OMC.

La gouvernance de l'Organisation revient aux comités pléniers. Il n'y a pas de Conseil des gouverneurs ou de Conseil des administrateurs comme dans les institutions de Bretton Woods. En outre, aucune prise d'initiative n'est attendue de la part du Secrétariat.

Pour assurer le succès de la réforme de l'OMC, il sera nécessaire que le Secrétariat de l'OMC joue un rôle plus fort pour stimuler les avancées, à l'image du personnel d'autres organisations économiques internationales.

La réforme systémique exige de trouver un accord afin de définir les fonctions exécutives.

CONCLUSION

La prochaine étape devrait consister à convoquer un ou plusieurs groupes de travail (ou initiatives conjointes) pour entamer des discussions sérieuses sur des réformes spécifiques au sein de l'OMC, dans le cadre de dialogues structurés et dans l'objectif de parvenir soit à des améliorations continues du fonctionnement de l'Organisation, soit, si nécessaire, à un ensemble d'accords.   

La dérive continue est inacceptable. 

Notes:

  1. https://www.un.org/press/en/2020/ga12238.doc.htm. retour au texte
  2. https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/1992-09-01/conflict-among-nations-trade-policies-1990s, Howell, Thomas R., Alan Wm. Wolff, Brent L. Bartlett, et R. Michael Gadbaw, Conflict Among Nations: Trade Policies in the 1990s, Boulder, Colorado: Westview Press, 1992, xiv + 633 pages. retour au texte
  3. Communiqué des Ministres du commerce du G-20. 22 septembre 2020.  https://g20.org/en/media/Documents/G20SS_Communique_TIMM_EN.pdf retour au texte
  4. Voir l'Annexe 3 de l'Accord de Marrakech (établissant le mandat du Mécanisme d'examen des politiques commerciales), dont le paragraphe D prévoit que “ … Dans l'intervalle entre deux examens [des politiques commerciales], chaque Membre présentera un rapport succinct lorsque des changements importants seront intervenus dans sa politique commerciale …”, et que les Membres présenteront une mise à jour annuelle des renseignements pertinents (et éventuellement une discussion horizontale devant l'Organe d'examen des politiques commerciales). Cette disposition n'a jamais été utilisée. retour au texte
  5. Il pourrait s'apparenter au système e-Ping, qui est utilisé pour les normes de produits. https://www.epingalert.org/en retour au texte
  6. Formulation possible: les Membres doivent “prendre en considération”. retour au texte
  7. Il est peu probable que le degré de vulnérabilité face à la pénurie d'un produit essentiel spécifique en temps de pandémie se répercute de façon identique. Par exemple, un pays à faible revenu peut devenir un important exportateur net de masques. Un pays affichant un faible PIB par habitant peut malgré tout être en capacité de produire un nombre de vaccins supérieur à ses besoins nationaux si certains pans de son économie sont de fait très avancés retour au texte
  8. En toute logique, il existe une voie intermédiaire entre une règle exécutoire au titre du règlement des différends de l'OMC et une liste de meilleures pratiques adoptées sur une base volontaire. Il pourrait s'agir d'un code de conduite contraignant dans le cadre duquel seuls les signataires pourraient disposer d'un droit d'exécution. — Chacune de ces approches renforcerait la coopération internationale. retour au texte
  9. Évangile selon Matthieu, 4:19 retour au texte

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