DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT JEAN-MARIE PAUGAM

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À l'invitation du Conseil international des céréales (CIC), le DGA Paugam a participé à un groupe de réflexion sur les critères de durabilité et la politique commerciale. Des représentants de groupes tels que Bunge-Africa, Cargill, Bioline InVivo France, de la Chambre de commerce des États-Unis et du Conseil des exportations de soja des États-Unis ont examiné les défis et les possibilités associés aux normes de durabilité dans les chaînes d'approvisionnement mondiales de produits de base et agroalimentaires.

Notant la prévalence croissante des normes privées dans le commerce des produits agroalimentaires, le groupe de réflexion a souligné la nécessité de disposer de systèmes efficaces pour encourager l'adoption de pratiques durables par toutes les parties prenantes de la chaîne d'approvisionnement, y compris au moyen de programmes de certification. Dans le même temps, pour éviter la fragmentation des marchés et le protectionnisme commercial, les acteurs publics et privés doivent élaborer des modèles économiques viables et renforcer les cadres réglementaires nationaux et internationaux.

Observations du DGA Paugam

Bonjour à tous, chers partenaires du CIC. Votre intérêt et votre engagement vis-à-vis de l'OMC est vital. Je suis très heureux d'avoir l'occasion de dialoguer avec vous tous aujourd'hui.

Je tiens à vous remercier de m'avoir convié participer à ce groupe de réflexion ô combien opportun et pertinent sur les critères de durabilité et la politique commerciale.  Permettez-moi d'évoquer trois questions.

Premièrement, quelle est la place de la question de la durabilité dans le commerce mondial aujourd'hui?  La réponse est très simple: elle est omniprésente. Il n'est plus pertinent d'affirmer que la durabilité est l'avenir du commerce, l'avenir est déjà là.

La volonté de promouvoir la durabilité est avant tout une transformation sociétale menée par la société civile, les consommateurs et le secteur privé. Je suis très heureux de me joindre à un groupe d'acteurs du secteur privé qui ont partagé leur expérience au sujet de la manière de traiter cette question importante. Et vous savez mieux que moi pourquoi le secteur privé se mobilise depuis quelques années. C'est parce que vous répondez aux forces du marché, que ces forces résultent de la demande des consommateurs ou de la société civile ou des nouvelles réglementations des marchés adoptées par les pouvoirs publics.

Nous assistons aujourd'hui à un vaste mouvement des entreprises qui se tournent vers des stratégies de zéro émission nette, s'engagent dans la décarbonation des chaînes de valeur, introduisent des codes de conduite en matière de responsabilité sociale des entreprises et adoptent des systèmes de traçabilité pour tous les processus d'approvisionnement et de production. Cette tendance peut être observée dans toutes les catégories d'entreprises participant aux chaînes d'approvisionnement internationales, y compris, par exemple, dans les secteurs de la logistique et des transports au moyen des efforts de décarbonation faits par les compagnies maritimes et les autorités portuaires.

Sous l'effet des exigences politiques, les politiques commerciales des gouvernements s'adaptent aussi aux mêmes forces puissantes. Cela transparaît dans la façon dont les questions de durabilité liées au commerce sont traitées à l'OMC. Une fois encore, l'avenir est déjà là: les questions de durabilité affectant les marchés des céréales et des oléagineux s'invitent dans nombre des sujets traités à l'OMC, y compris l'agriculture, les questions SPS, les OTC et l'environnement.

Les notifications des mesures commerciales en lien avec des objectifs environnementaux en sont un premier exemple. Notre Base de données sur l'environnement montre que ces mesures sont en forte augmentation depuis 10 ans, avec une forte accélération au cours des 5 dernières années. Ces mesures prennent la forme de subventions des pouvoirs publics, de règlements et de spécifications techniques, de normes de durabilité, de procédures d'évaluation de la conformité et de suivi, d'instruments d'accès aux marchés tels que les taxes et les systèmes d'échange de droits d'émission. Le champ de ces mesures couvre un large éventail d'objectifs déclarés, comme la transition énergétique, la lutte contre la déforestation et la conservation des ressources naturelles.

Le deuxième exemple est tiré des notifications des accords commerciaux bilatéraux et régionaux présentées par nos Membres.  Dans leur grande majorité, ces accords incluent désormais un chapitre consacré au commerce durable, y compris la politique en matière de changement climatique. À l'heure actuelle, plus de 270 accords de ce type contiennent des dispositions relatives à la durabilité.

Quel est donc le résultat de toutes ces tendances et évolutions? En quelque sorte, une multiplication des politiques et des normes de durabilité.

Le fait d'accorder plus d'importance à l'environnement est une très bonne nouvelle pour la planète: mais il est certain que nous devons faire davantage et agir plus vite. Du point de vue du commerce mondial, la situation est mitigée: certaines études montrent que, bien loin d'entraver les échanges, les normes durables ont tendance à les favoriser en améliorant la productivité. 

Mais le fait de devoir respecter des normes de durabilité très diverses risque aussi de fragmenter le système commercial et de faire augmenter les coûts de transaction. Il y a aussi un risque de marginalisation des pays en développement et des PME les plus vulnérables dans le commerce mondial.

La deuxième question que je souhaiterais évoquer est la suivante: que fait l'OMC pour faire face à ces évolutions?  Et bien, la réponse est double:

1) nous disposons d'un solide appareil juridique pour traiter les questions de durabilité et pour empêcher la fragmentation, même s'il est loin d'être complet ou parfait.

2) nous n'abordons pas encore cette évolution de manière systématique ou globale.

Notre appareil juridique fonctionne de la façon suivante.

— Tout d'abord, il convient de rappeler que le droit de l'OMC reconnaît pleinement les objectifs de développement durable.  Ces objectifs sont au cœur de notre document fondateur, à savoir l'Accord de Marrakech instituant l'OMC.  Nos règles laissent aux Membres de l'OMC une grande latitude pour poursuivre des objectifs environnementaux et d'autres objectifs de politique générale, tout en veillant à un contrôle attentif de la discrimination et du protectionnisme.

— Deuxièmement, nous disposons d'un système réglementaire plutôt efficace pour traiter les normes publiques de durabilité.

Notre Accord sur les obstacles techniques au commerce et notre Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires portent sur l'utilisation des normes environnementales, sanitaires et en matière d'innocuité des produits alimentaires.  L'OMC reconnaît aussi explicitement le rôle des normes internationales élaborées par des organismes de normalisation, par exemple le Codex alimentarius pour la sécurité sanitaire des aliments et l'Organisation mondiale de la santé animale pour la santé animale.

Mais il peut y avoir un problème ici: il n'existe pas encore d'organisme central de normalisation spécifiquement consacré à des questions telles que la teneur en carbone et la traçabilité des marchandises. Il se peut donc que l'on ne parvienne pas suffisamment tôt à la convergence nécessaire sur des normes internationales susceptibles de sous-tendre certaines politiques climatiques. Et l'OMC elle-même ne peut pas combler cette lacune car elle n'est pas un organisme de normalisation.

— Troisièmement, nous sommes face à une zone grise ou une faille, en ce qui concerne les normes privées. Nos Membres ont longuement débattu de la question de savoir si, d'ailleurs, nous devrions examiner ces types de normes et les avis sur ce point divergent beaucoup au sein de l'OMC. 

Les raisons en sont multiples. Certains Membres ont exprimé des préoccupations au sujet de la prolifération rapide des normes de durabilité et de la diversité des acteurs chargés de les établir. Cela entraîne un manque de clarté et une multiplicité des systèmes qui accroît le coût de la mise en conformité et rend l'accès aux marchés d'exportation plus difficile. D'autres Membres ont indiqué que les gouvernements devraient se concentrer sur la réglementation et ne pas se soucier des normes de durabilité.

Il n'y a donc à l'heure actuelle aucune définition convenue des normes de durabilité, que ce soit au sein de l'OMC ou en dehors, ce qui est problématique si l'on veut parvenir à une action concertée.

Permettez-moi de prendre l'exemple des bananes. En 2005, Saint-Vincent-et-les-Grenadines avait exprimé des préoccupations au sujet du nombre croissant de normes de durabilité auxquelles le secteur de la banane mais d'autres secteurs aussi étaient confrontés. Ces normes ont posé un réel problème aux petits agriculteurs et aux petites économies vulnérables, en raison de la “confusion, de l'inégalité et du manque de transparence” qu'elles créaient. Le débat et les arguments concernant l'application des règles de l'OMC aux normes de durabilité ont gagné en importance au Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires de l'OMC dans le cadre d'une discussion spécifique sur les normes SPS. Finalement, les Membres ont eu du mal à s'entendre sur la définition des “normes SPS privées”.  Même si le Comité SPS a pu recommander un certain nombre d'“Actions relatives aux normes SPS privées” en 2011, la discussion a finalement été abandonnée en 2015.(1)

Mais les difficultés rencontrées pour définir les “normes de durabilité” ne surviennent pas seulement au sein de l'OMC, mais également en dehors étant donné qu'aucune définition reconnue au niveau international n'existe aujourd'hui.

Cela pose problème: si nous ne parvenons pas à trouver un terrain d'entente sur les normes de durabilité, nous risquons de créer des tensions commerciales et de l'imprévisibilité pour les entreprises agricoles et agroalimentaires déjà éprouvées par les crises récentes. 

Selon le Centre du commerce international, sur les vingt dernières années, environ 20% des normes de durabilité totalement nouvelles sont liées à l'agriculture. Aujourd'hui, le secteur compte plus de 100 normes de durabilité qui affectent le commerce.

— Quatrièmement, et ce sera le dernier point, notre système de négociation n'aborde pas vraiment cette dynamique de la durabilité de manière globale. Nous menons cependant de nouvelles discussions au Comité du commerce et de l'environnement, ainsi que dans le cadre de trois initiatives ministérielles qui proposent des manières innovantes pour faire en sorte que le commerce soit bénéfique pour l'environnement, les populations et la prospérité.  Dans le cadre de ce dialogue, l'accent est mis sur des questions fondamentales liées à la durabilité environnementale: de la pollution par les plastiques à l'économie circulaire en passant par la réforme des subventions aux combustibles fossiles. Des efforts ont également été faits pour mener des négociations sur les obstacles au commerce de biens et services environnementaux, et parfois, dans le cadre des négociations sur l'agriculture, sur les subventions internes en faveur des producteurs agricoles. Mais il s'agit de négociations sectorielles et nous ne disposons pas encore d'un cadre global.

La discussion sur les aspects des subventions agricoles liés à la durabilité environnementale monte peu à peu en puissance à l'OMC et, comme vous le savez, la question des subventions est actuellement en tête des priorités de notre programme de réforme.

Quelle est donc notre prochaine étape?

À moyen terme, les milieux d'affaires pourraient s'associer aux acteurs du secteur public, aux organismes internationaux de normalisation et à l'OMC pour s'employer à mettre au point une approche commune pour traiter la question des normes de durabilité dans le secteur agricole.

Par exemple, l'Accord OTC contient un Code de pratique pour les organismes de normalisation et le Comité OTC a établi un ensemble de principes pour l'élaboration de normes internationales. Nous pouvons partir de cette base.

Nous devons continuer à promouvoir le rôle des organismes internationaux de normalisation et à les encourager à poursuivre leurs travaux sur les normes aussi bien publiques que privées.

À court terme, nous devons aussi renforcer les mécanismes de transparence et de facilitation des échanges de l'OMC, en particulier pour les PME qui sont confrontées aux politiques de décarbonation et aux normes de durabilité du secteur privé.  Dans ce contexte, j'ai le plaisir de vous informer que nous prévoyons d'organiser cet été une première manifestation sur ce sujet.

  1. Plus récemment, le Comité SPS a mené une discussion sur "l'utilisation de l'assurance volontaire par des tiers dans le cadre des systèmes nationaux de contrôle SPS" et a tenu une séance thématique sur le recours des pouvoirs publics à la certification des systèmes de normes privées. Retour au texte

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