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NOUVELLES: NOUVELLES 1998

Conf�rence de Paris du Droit et de l'Economie, (Barreau de Paris) - Paris, 14 novembre 1998

Allocution de M. l'Ambassadeur Renato Ruggiero Directeur g�n�ral de l'Organisation mondiale du commerce

Introduction

Monsieur le B�tonnier, Monsieur le Pr�sident, Madame la Ministre,

Il peut para�tre difficile de faire aujourd'hui un discours sur le succ�s du syst�me de r�glement des diff�rends de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) – pilier essentiel du nouveau syst�me de commerce multilat�ral – alors m�me que ce syst�me est mis sous forte pression dans l'affaire qui oppose les �tats-Unis et l'Union europ�enne sur le commerce des bananes. Par contre, le moment difficile que traverse l'OMC montre une fois de plus l'importance extraordinaire qu'a pris le syst�me de r�glement des diff�rends dans la conduite du commerce mondial - et combien nous avons tous, en particulier les �tats-Unis et l'Union europ�enne, plus que jamais int�r�t � pr�server son int�grit�.

Ce n'est pas la premi�re fois qu'un diff�rend commercial sur une question de grande port�e politique et �conomique oppose les �tats-Unis et l'Europe – ce n'est pas la derni�re non plus. Mais, avec l'OMC, le contexte n'est plus le m�me. En effet, avec le nouveau syst�me de r�glement des diff�rends tous les �tats Membres de l'OMC ont l'obligation de g�rer ces frictions – non par des actions unilat�rales, mais par des r�gles de droit mutuellement convenues.

Ce n'est pas non plus la premi�re ni la derni�re fois que le nouveau syst�me de r�glement des diff�rends de l'OMC est mis � l'�preuve. Mais c'est la premi�re fois qu'il l'est dans le cadre de la mise en œuvre d'un arr�t de l'Organe d'Appel.

Le syst�me de r�glement des diff�rends a �t� con�u en effet par l'ensemble des Membres pour �viter les dangers de l'unilat�ralisme et de la politique de la force dans les relations commerciales. Madame le Ministre conna�t bien cet objectif dont nous en avons beaucoup discut� pendant les n�gociations de l'Uruguay Round. Je voudrais aussi rappeler que la cr�ation de ce syst�me a �t� le premier objectif de l'administration am�ricaine. 

Jusqu'� maintenant ce danger a toujours �t� �cart�. Je suis convaincu aujourd'hui que chaque pays Membre est bien conscient de sa responsabilit� de ne pas adopter de mesures qui peuvent mettre en p�ril le syst�me dans son ensemble d'autant que, tel qu'il a �t� con�u, le syst�me est � m�me de donner des r�ponses � toutes les questions qui lui sont pos�es.

Je voudrais essayer de montrer comment, en passant du GATT � l'OMC, les Membres de notre organisation ont fait preuve de la vision n�cessaire pour mettre en place un syst�me juridique unique en son genre tout � la fois efficace et flexible.

�VOLUTION DU GATT A L'OMC

Cr��e en 1995, l'OMC a succ�d� au GATT en tant que gardien des relations commerciales internationales. En ce sens, cette nouvelle organisation est le fruit d'une longue histoire et d'une culture commune remontant � la p�riode qui a imm�diatement suivi la deuxi�me guerre mondiale. L'histoire nous a appris qu'il y avait tout int�r�t, pour assurer la prosp�rit� et la paix dans le monde, � s'appuyer sur un commerce ouvert et non discriminatoire – garanti par un syst�me de r�gles n�goci�es et ayant force obligatoire.

Le syst�me de l'OMC est d'une port�e sans pr�c�dent, couvrant des �changes d'environ 10 000 milliards de dollars et int�grant des secteurs essentiels de l'activit� �conomique tels que l'agriculture, les services et la propri�t� intellectuelle. Mais, chose plus importante encore, il a assis l'ordre commercial sur des bases institutionnelles solides, offrant pour le r�glement des diff�rends une instance permanente et un m�canisme contraignant.

Le GATT aussi reposait sur des r�gles et comportait un m�canisme de r�glement des diff�rends commerciaux. Mais le syst�me pr�sentait une grave faiblesse. Toutes les d�cisions �tant prises par consensus, une partie perdante dans un diff�rend pouvait, si elle le voulait, emp�cher l'adoption formelle d'une d�cision qui lui �tait contraire – et ce fut l� une option � laquelle les parties perdantes ont souvent eu recours. De ce fait, le syst�me devenait de plus en plus inad�quat, car l'incertitude pr�valait sur la pr�visibilit� qu'offre un syst�me de droit. En raison de cette faiblesse, le syst�me du GATT �tait souvent consid�r� comme une tribune diplomatique o� les parties cherchaient des solutions de compromis � leurs d�saccords souvent trop incertaines car ne reposant pas sur un m�canisme de droit.

Le nouveau syst�me de r�glement des diff�rends de l'OMC a �t� con�u pour rem�dier � ces d�fauts. � pr�sent, tous les jugements sont automatiquement "adopt�s" par les Membres de l'OMC (ce qui leur donne force obligatoire) � moins que tous les Membres – y compris la partie gagnante – ne s'y opposent. C'est ce que nous appelons dans notre jargon le "consensus n�gatif". Ce m�me principe d'automaticit� pr�vaut � chaque �tape du processus de r�glement des diff�rends.

Cependant, le syst�me a conserv� suffisamment de flexibilit� pour permettre la conclusion de solutions mutuellement acceptables. Le "M�morandum d'accord sur le r�glement des diff�rends" - qui �nonce les r�gles convenues par tous les Membres de l'OMC dans ce domaine - pr�voit express�ment qu'"une solution mutuellement acceptable pour les parties et compatible avec les accords [de l'OMC] est nettement pr�f�rable".

C'est l� une caract�ristique tr�s importante du syst�me. Il ne s'agit pas d'encourager les batailles juridiques dans lesquelles on s'en remet exclusivement au groupe sp�cial ("Panel") ou � l'Organe d'appel. Le but – et je cite � nouveau le M�morandum d'accord – est "d'arriver � une solution positive des diff�rends". Mais j'en reviens � la primaut� du droit, tout r�glement � l'amiable doit �tre pleinement conforme aux dispositions de l'Accord de l'OMC.

La deuxi�me caract�ristique du syst�me de r�glement des diff�rends de l'OMC c'est sa flexibilit�, laquelle transpara�t notamment dans le fonctionnement des groupes sp�ciaux qui examinent les plaintes commerciales. Ceux-ci d�terminent eux-m�mes en tr�s grande partie leurs proc�dures de travail pour r�pondre aux besoins particuliers du litige � l'examen.

Une troisi�me caract�ristique du syst�me c'est qu'il a �t� con�u pour donner des r�ponses finales dans des d�lais tr�s rapides. C'est en fait le processus de r�glement des diff�rends internationaux le plus rapide qu'il soit. Le respect de la rapidit� est donc un �l�ment essentiel du syst�me.

Pour l'instant, le syst�me fonctionne comme pr�vu. Dans environ 20 % des 150 plaintes soumises � l'OMC, une solution mutuellement acceptable a �t� trouv�e par voie de consultation. En outre, � ce jour, seules 50 des 150 plaintes ont conduit � la cr�ation d'un groupe sp�cial.

LA PROC�DURE D'APPEL

Un autre domaine qui t�moigne de la flexibilit� du syst�me – et qui constitue l'une des innovations les plus importantes de l'OMC – est la proc�dure d'appel. La partie � un diff�rend qui n'approuve pas les conclusions juridiques d'un groupe sp�cial peut d�sormais faire appel devant un nouvel organe, cr�� sp�cialement � cet effet: "l'Organe permanent d'appel". Il y a un repr�sentant de l'Union europ�enne, un allemand, qui a �t� choisi par les Etats membres de l'Union europ�enne, non par l'OMC. Sur les 19 rapports de groupes sp�ciaux qui ont �t� publi�s depuis 1995, 16 ont fait l'objet d'un appel.

L'Organe d'appel ne peut pas accro�tre ni r�duire les droits et obligations des Membres de l'OMC. Il lui incombe plut�t de pr�ciser, dans le contexte d'un diff�rend donn�, les dispositions existantes de ces accords. Ce faisant, l'Organe d'appel influe de mani�re notable sur l'�volution du droit commercial international. Cet Organe d'appel a eu � traiter un certain nombre de probl�mes extr�mement compliqu�s et controvers�s; par exemple, les affaires "�tats-Unis - Essence" et "�tats-Unis – Crevettes", deux diff�rends concernant la l�gislation des �tats-Unis en mati�re de protection de l'environnement. Dans ces cas, l'Organe d'appel a pr�cis� que ces politiques environnementales peuvent �tre tout � fait conformes aux exceptions pr�vues dans l'application du droit commercial � condition de respecter notamment le principe de la non-discrimination. Il s'agit d'un point essentiel pour �tablir un dialogue constructif entre la politique commerciale et la protection de l'environnement.

SURVEILLANCE DE LA MISE EN ŒUVRE

La phase finale du processus de r�glement des diff�rends dans le cadre de l'OMC – la surveillance de la mise en œuvre des d�cisions – est capitale. En droit international, les d�cisions ou r�solutions sont trop souvent n�glig�es en raison de la faiblesse ou de l'absence de m�canismes d'ex�cution. Et pourtant, le respect int�gral des d�cisions est fondamental pour la l�gitimit� et la survie de tout syst�me fond� sur des r�gles. C'est pr�cis�ment dans ce domaine de l'ex�cution que se manifeste en grande partie le caract�re unique du syst�me de r�glement des diff�rends de l'OMC.

Le nouveau syst�me d�finit des r�gles d�taill�es qui donnent � la partie gagnante des moyens juridiques et – en dernier ressort – �conomiques d'obtenir de la partie perdante qu'elle respecte pleinement les jugements rendus. Une fois que l'Organe de r�glement des diff�rends (organe supr�me en mati�re de r�glement des diff�rends o� si�gent tous les Membres de l'OMC), a adopt� les rapports du groupe sp�cial et de l'Organe d'appel, la partie perdante doit indiquer dans les moindres d�lais quelles sont ses intentions au sujet de la mise en œuvre des conclusions formul�es dans ces rapports.

Si la partie perdante se ne met pas en conformit� dans le d�lai fix� – g�n�ralement pas plus de 15 mois – la partie gagnante peut demander une compensation. Si une compensation n'est pas accord�e, la partie gagnante peut alors demander l'autorisation de suspendre des concessions – c'est-�-dire prendre des mesures de r�torsion – � l'�gard de la partie qui ne mettrait pas en œuvre les conclusions du jugement.

Je ne pr�tends pas d�crire en d�tail toute la complexit� du syst�me de mise en ex�cution des d�cisions des groupes sp�ciaux et de l'Organe d'appel. Je ne veux pas non plus courir le risque de donner l'impression que je suis en train d'interpr�ter les droits des parties, ce qui notamment pourrait faire l'objet de discussions dans un cas tel que celui de l'Affaire des Bananes. J'ai voulu indiquer seulement les lignes principales du syst�me et je voudrais r�p�ter que si on va dans le d�tail on peut noter que le syst�me offre des solutions � toutes les questions qui peuvent �tre pos�es y compris celles relatives � la compatibilit� des mesures prises par un Membre pour mettre en oeuvre les conclusions contenues dans les rapports des groupes sp�ciaux et de l'Organe d'Appel.

PERFECTIONNEMENTS

Pour �valuer le nouveau syst�me de r�glement des diff�rends, il faut d�terminer dans quelle mesure il est utilis� – et respect� – par les Membres. L'OMC n'a pas encore quatre ans et d�j� 150 plaintes lui ont �t� soumises – c'est-�-dire plus que le GATT n'en a trait� en plus de 40 ans. Un des r�sultats les plus satisfaisants est l'accroissement du nombre de plaintes pr�sent�es par les pays en d�veloppement, soit plus de 36 cas. Ceci d�montre que ces pays ont confiance dans le syst�me. Le cas le plus significatif a �t� celui du Costa Rica contre les �tats-Unis, o� le Costa Rica a gagn� et les �tats-Unis ont accept� de se conformer au jugement.

La mise en œuvre des r�sultats des groupes sp�ciaux a �t� tr�s satisfaisante. Elle est d�j� totale dans de nombreux cas. Dans tous les autres, ce qu'il est convenu d'appeler le "d�lai raisonnable accord� � la partie perdante pour proc�der � la mise en œuvre" n'a pas encore �t� d�termin� ou n'est pas encore venu � expiration. Dans aucune des affaires soumises jusqu'ici la partie gagnante n'a d� recourir � des mesures de r�torsion pour qu'il y ait mise en œuvre.

Je ne veux pas dire par l� que le syst�me de r�glement des diff�rends de l'OMC est parfait. Les membres sont actuellement en train de proc�der � une r�flexion d'ensemble sur le fonctionnement du m�canisme de r�glement des diff�rends pour voir si et comment, il faut l'am�liorer. Un des probl�mes par exemple est celui que l'on appelle la "transparence". Le processus de groupe sp�cial est en effet soumis � des prescriptions de confidentialit� strictes pour faciliter un climat favorable � des solutions amicales entre gouvernements. Certains y voient une r�miniscence de l'�poque du GATT – o� la politique l'emportait souvent sur le principe de la primaut� du droit et o� m�me le r�glement des diff�rends �tait principalement consid�r� comme une question de "n�gociations" uniquement entre gouvernements. � mesure que davantage de Membres de l'OMC recourent au syst�me et que davantage d'entreprises, de consommateurs et de citoyens sont touch�s par ses activit�s, l'importance donn�e � la confidentialit� est de plus en plus critiqu�e.

Parmi les diff�rents �l�ments qui sont discut�s il y a celui de garantir � l'ensemble des Membres les m�mes chances d'introduire des plaintes et de plaider leur cause devant l'OMC, un probl�me particuli�rement aigu pour les pays en d�veloppement. En d'autres termes, il s'agit d'assurer une v�ritable �galit� � tous les pays dans l'application du principe de la primaut� du droit en leur assurant les ressources financi�res et humaines n�cessaires.

CONCLUSION

L'av�nement de la primaut� du droit dans le syst�me commercial international et sa force obligatoire est, � mon avis, la caract�ristique la plus importante des relations internationales d'aujourd'hui.

Certains voient dans cette �volution une menace pour les souverainet�s nationales. La r�alit� est tout autre. Le syst�me de l'OMC �largit de fait la souverainet� des nations en leur permettant de g�rer leurs relations de mani�re collective et en donnant � chaque pays – qu'il soit grand ou petit – les m�mes droits, obligations et responsabilit�s. Aujourd'hui, ce n'est qu'en restant � l'�cart du syst�me qu'un pays affaiblit sa capacit� d'exercer sa souverainet�.

Certains commentaires font r�guli�rement r�f�rence � l'influence "am�ricaine" qui se manifesterait de plus en plus dans les affaires de l'OMC et en particulier dans le r�glement des diff�rends. Je ne partage pas cet avis. Le syst�me de r�glement des diff�rends de l'OMC a en fait �t� cr�� pour �viter les actions unilat�rales – �viter une situation dans laquelle un pays peut se faire justice lui-m�me. On a cit� la l�gislation dans les services financiers. Mais la lib�ralisation a �t� n�goci�e il y a quelques mois par la Communaut� en premi�re ligne.

Le d�fi qui est devant nous est d'une importance vitale pour l'�volution des relations internationales pour le 21�me si�cle. Il s'agit de savoir si nous allons r�ussir dans le syst�me commercial et � partir de celui-ci � inspirer les autres institutions internationales, � b�tir un syst�me universel, bas� sur un droit contraignant pour tous et non sur l'unilat�ralisme ou la force. C'est le v�ritable d�fi auquel les Membres de l'OMC doivent faire face chaque jour de leur action.

C'est un message difficile � faire passer dans les opinions publiques, m�me les plus qualifi�es. On parle de l'OMC comme d'un syst�me de lib�ralisme sauvage, de march�s sans r�gle, des in�galit�s croissantes. Certes le monde dans lequel nous vivons a beaucoup d'aspects qui sont inacceptables, notamment la pauvret� d�sesp�r�e d'un nombre important d'hommes et de femmes. Mais pour am�liorer ces fl�aux du monde on a besoin d'am�nager les institutions nationales et internationales pour am�liorer la gestion collective de la mondialisation, un processus qui va au del� des �changes commerciaux et de capitaux et qui se caract�rise de plus en plus par une dimension humaine. La mondialisation est aujourd'hui notamment le produit de nouvelles technologies sans fronti�re et des t�l�communications, dont la caract�ristique principale est de r�duire l'importance de facteurs tels que l'espace et le temps.

La solution n'est pas de s'opposer � ce processus in�vitable, mais de s'organiser pour mieux le g�rer.

Nous pensons, � l'OMC, avoir accompli un premier pas vers une meilleure gestion collective du syst�me commercial fond�e sur des r�gles obligatoires pour tous. C'est cela la contribution principale que nous offrons au virage du 21�me si�cle.