Découvrir ce qui se passe à l'OMC

NOUVELLES:  COMMUNIQUÉS DE PRESSE 1995

PRESS/25
16 octobre 1995

La complexité croissante des relations économiques internationales exige un élargissement et un approfondissement du système commercial multilatéral - déclare le Directeur Général de l'OMC

“Les théories politiques qui ont prévalu pendant la toute période de la guerre froide n'ont plus de raison d'être et les relations entre le Nord et le Sud, si souvent caractérisées dans le passé par une polarisation inutile et un dialogue de sourds ont irrémédiablement changé, a dit M. Renato Ruggiero, Directeur général de l'OMC, aujourd'hui 16 octobre à l'Université Harvard de Boston (Etats-Unis), à l'occasion de la Conférence Paul-Henri Spaak”.
“Du point de vue du système commercial multilatéral, nous avons maintenant une double tâche, celle de l'élargir géographiquement pour le rendre véritablement mondial et celle de veiller à ce qu'il reste efficace face à la complexité croissante des relations économiques internationales”.

Dans un discours stimulant, M. Ruggiero a décrit à grands traits les aspects les plus urgents du programme qui attend dès aujourd'hui le système de commerce multilatéral, soulignant que l'OMC doit tenir compte d'un plus large éventail d'intérêts à mesure qu'elle devient une institution plus globale.

Un objectif-clé était de faire entrer la Chine, la Russie et d'autres économies en transition dans le système commercial multilatéral à des conditions qui contribuent à leurs propres processus de réforme tout en respectant pleinement l'intégrité de ce système. Les initiatives prises par de nombreux pays en développement avaient réduit la fracture qui existait de longue date entre le Nord et le Sud. En effet, ces pays s'en étaient remis au système commercial de l'OMC pour la continuité, la stabilité et la promesse de débouchés commerciaux, puisqu'ils avaient adopté des politiques commerciales libérales et fait davantage appel à la concurrence internationale pour générer revenu et croissance. Mais pour les pays en développement à faible revenu qui ne participaient manifestement pas à l'accroissement de la prospérité mondiale, la responsabilité de l'OMC était engagée. Elle devait veiller à ce que ces pays puissent diversifier leur production pour l'exportation et accroître leurs débouchés à l'exportation dans des conditions de concurrence.

M. Ruggiero a souligné que la création de l'OMC marquait certes une étape cruciale mais que l'Organisation devait se développer en un système solide, en constante évolution, tout comme l'économie mondiale qu'elle sous-tendait. Sa crédibilité était subordonnée au plein respect par les gouvernements Membres des règles, disciplines et engagements en matière d'ouverture des marchés qui découlaient du Cycle d'Uruguay et à l'exécution du mandat établi dans ce contexte, qui était de mener d'autres négociations, en particulier dans le domaine du commerce des services.

M. Ruggiero a ensuite décrit les questions dont on pourrait s'occuper à l'avenir, du fait de l'élargissement du processus géopolitique d'intégration économique mondiale - question comme le commerce et l'environnement, le commerce et les normes sociales, la réciprocité et le principe NPF, la croissance du régionalisme et le système commercial multilatéral, ainsi que la politique en matière d'investissements et de concurrence. "Les défis que le système commercial multilatéral doit relever, a dit M. Ruggiero, dépassent de loin le cadre du commerce et des questions commerciales telles qu'on les définissait jusqu'ici. La confluence des événements politiques et économiques qui sont intervenus ces dernières années nous offre une occasion historique d'établir un système véritablement mondial pour la conduite efficace des relations économiques internationales."

On trouvera ci-joint le texte intégral de l'allocution de M. Ruggiero.

Note aux journalistes:

Paul-Henri Spaak (1899-1972) a été l'homme d'Etat le plus en vue de la Belgique dans les décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. Champion de la coopération européenne, il a joué un grand rôle dans la création de la Communauté économique européenne et de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord.

Le défi mondial: les possibilités et les choix qu'offre le système commercial multilateral

Quatorzième Conférence Paul-Henri Spaak

Renato Ruggiero
Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce
Université Harvard, 16 octobre 1995

I

Je suis ravi d'être ici aujourd'hui pour prononcer la quatorzième Conférence Paul-Henri Spaak et honorer la mémoire d'un grand homme d'Etat européen, d'un homme doué d'une grande clairvoyance. Spaak a consacré sa vie à la cause de la coopération internationale, et mené son action la plus importante à une époque où les dirigeants du monde entier cherchaient à redéfinir l'ordre mondial, après un conflit armé d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Il est tout à fait compréhensible que Paul-Henri Spaak ait été à la fois un pan-Européen engagé et un Atlantiste - il s'agissait là des pièces d'un même puzzle. De la même façon aujourd'hui, dans notre monde extraordinairement interdépendant, je ne pense pas que nous puissions parler de coopération internationale sans nous placer dans une perspective mondiale. C'est pourquoi j'aimerais traiter essentiellement de la coopération internationale dans son acception la plus large et je suis sûr que vous ne serez pas surpris si je souligne l'importance fondamentale du système commercial multilatéral pour la croissance et la stabilité internationales. Je veux vous décrire un système en constante évolution, tout comme l'économie mondiale qu'il sous-tend. Je commencerai là où Spaak a commencé, c'est-à-dire par les efforts consentis pour rebâtir un monde meilleur après 1945. J'espère vous prouver, à mesure que j'avancerai, que les défis et les possibilités qui s'offrent à nous aujourd'hui sont en quelque sorte comparables à ceux avec lesquels les pères fondateurs de notre système étaient aux prises. Nous devons d'urgence faire preuve de la même sagacité qu'eux.

Compte tenu des résultats que venait de donner un nationalisme destructeur et une politique économique de repli sur soi, les responsables conçurent les arrangements commerciaux internationaux d'après guerre de manière à placer toutes les nations dans une interdépendance économique qui devait aider à préserver la paix et la sécurité. Le commerce devait servir en priorité à cimenter les relations entre les nations, à garantir l'harmonie internationale. Depuis ses débuts, il y a une cinquantaine d'années, des débuts largement inspirés par l'Amérique avec leur orientation transatlantique, le système commercial du GATT a contribué de manière cruciale à la paix et à la prospérité, dans un cadre global, en perpétuelle expansion.

Au départ, le système reposait fermement sur le principe de la non-discrimination et soulignait l'importance d'une relation contractuelle solide, fondée sur des règles, entre les membres. Ces deux éléments expliquent le succès du GATT. Un succès dont témoigne la multiplication par 13 du commerce international depuis 1950. De plus en plus, les possibilités économiques reposent sur les échanges internationaux. Aux Etats-Unis, par exemple, les exportations ne représentaient que 5 pour cent du revenu national en 1960. Au début des années 90, la part des exportations dans le PIB avait plus que doublé. Malheureusement, nous n'avons pas de statistiques fiables sur le commerce international des services, mais nous savons que celui-ci progresse encore plus vite que le commerce des Goods et qu'il représente maintenant environ 20 pour cent des courants d'échanges internationaux.

Si le commerce gagne en importance, il en va de même de sa contribution à la création et au maintien d'emplois. Aux Etats-Unis seulement, plus de 7 millions d'emplois dépendent des exportations de Goods. Un tiers environ des emplois créés aux Etats-Unis au cours des dix dernières années s'expliquent par l'accroissement des exportations de Goods et la quasi-totalité des nouveaux emplois dans le secteur manufacturier découlent de l'activité exportatrice. Si nous disposions de données sur les services, ces chiffres seraient encore plus impressionnants.

Les flux d'investissement internationaux ont eux aussi progressé de façon spectaculaire ces dernières années. Les investissements étrangers directs au niveau mondial, qui se chiffraient à 50 milliards de dollars EU par an en moyenne pendant la première moitié des années 80, étaient passés à 194 milliards de dollars EU en 1993. Il y eut un temps où les milieux d'affaires internationaux avaient tendance à considérer le commerce et l'investissement comme des moyens interchangeables de s'assurer l'accès aux marchés étrangers. Aujourd'hui, les entreprises doivent pouvoir à la fois investir et commercer dans le monde entier - et pour cela elles doivent pouvoir faire fond sur des régimes de commerce et d'investissement ouverts et prévisibles.

Huit séries de négociations commerciales multilatérales se sont tenues sous l'égide du GATT. Grâce à elles, l'Organisation a pu progressivement réduire les droits de douane, qui sont aujourd'hui de moins de 4 pour cent en moyenne, soit le dixième de ce qu'ils étaient immédiatement après la guerre. Avec la réduction des droits de douane, d'autres mesures restreignant les échanges sont devenues plus apparentes. Dans les séries de négociations plus récentes, l'accent a été mis sur les obstacles non tarifaires au commerce, et l'on a assisté à la mise en place d'un ensemble de droits et d'obligations de plus en plus général et complexe. Parallèlement, les négociations se sont aventurées dans de nouveaux domaines, en dehors du commerce des Goods proprement dit, l'objectif étant de faire en sorte que le système soit à la hauteur de la tâche consistant à gérer les relations économiques internationales dans le monde d'aujourd'hui.

Le Cycle d'Uruguay, qui s'est achevé récemment, est le meilleur exemple de l'ampleur prise par notre programme pour faire face aux situations nouvelles. Avec le Cycle d'Uruguay, le GATT s'est transformé en une Organisation mondiale du commerce, donnant au système commercial des bases institutionnelles cohérentes et solides. Une nouvelle procédure intégrée de règlements des différends a été créée pour garantir un règlement rapide, objectif et neutre des différends commerciaux entre gouvernements. Des progrès considérables ont aussi été faits dans des secteurs dans lesquels les politiques protectionnistes étaient les plus résistantes, notamment l'agriculture et les textiles, et des disciplines plus rigoureuses ont été élaborées en ce qui concerne les subventions, le commerce d'Etat, les normes techniques et les procédures de licences, pour ne donner que quelques exemples. Le Cycle d'Uruguay a été la première série de négociations dans laquelle on a traité du commerce des services et de la protection des droits de propriété intellectuelle. En manifestant leur attachement continu à la libéralisation du commerce et au renforcement de la concurrence, les gouvernements font preuve de clairvoyance et contribuent de manière déterminante à l'activité économique mondialisée.

La mondialisation, terme par lequel je désigne la multitude des relations entre économies nationales, est la conséquence logique des progrès technologiques fait dans les domaines des communications et des transports. Elle découle aussi de l'environnement favorable que les règles et les engagements en matière d'accès aux marchés du système multilatéral assurent. Ainsi, grâce à des politiques et à des techniques modernes favorables, les entreprises ont été incitées à coopérer au plan international - comme la plupart le souhaitent naturellement -, ce qui aurait été très difficile il y a 20 ou 30 ans. L'intégration mondiale est manifeste si l'on en juge par l'avance prise année après année par la croissance du commerce sur la croissance de la production: à une augmentation de 10 pour cent de la production mondiale correspond une augmentation de 16 pour cent du commerce mondial. Cette tendance s'accélère; l'accroissement du commerce mondial l'année dernière a été près du triple de celui de la production mondiale. Cette progression du ratio du commerce mondial à la production mondiale n'est pas seulement la preuve de l'interdépendance croissante des nations. En attirant l'attention sur le fait que le commerce international a toujours été plus dynamique que la production pendant l'après-guerre, elle fait ressortir le rôle central que le commerce international a joué dans la croissance économique pendant cette période.

Il y a ceux qui voudraient remonter le temps et voir disparaître la dépendance mutuelle des nations. Mais personne ne peut arrêter le cours de l'histoire. L'interdépendance a énormément contribué à relever les revenus et à instaurer la paix entre les nations et elle est là pour rester - et pour se développer. La question est de savoir comment faire pour qu'elle s'applique à toutes les nations et qu'elle s'applique mieux.

La question est redoutable, il est vrai. Mais les événements récents nous donnent une occasion historique, une chance de définir quelque chose de différent et de durable dans les relations internationales. Les théories politiques prévisibles qui ont prévalu pendant toute la période de la guerre froide n'ont plus de raison d'être. Les relations entre le Nord et le Sud, si souvent caractérisées dans le passé par une polarisation inutile et un dialogue de sourds, ont elles aussi irrémédiablement changé. L'effondrement du bloc communiste a été symbolisé de manière frappante par la chute du mur de Berlin, mais aucun symbole de ce genre n'a appelé l'attention sur les changements qui sont intervenus dans les relations entre pays développés et pays en développement. Pourtant ces changements s'avéreront tout aussi importants.

II

Du point de vue du système commercial multilatéral, que signifie tout cela? Nous avons maintenant une double tâche à accomplir. Celle d'élargir le système géographiquement pour le rendre véritablement mondial, et celle de veiller à ce qu'il reste efficace face à la complexité croissante des relations économiques internationales. Vous savez tous que le débat va se poursuivre au sein de l'Union européenne au sujet des choix entre l'élargissement géographique de l'Union et l'approfondissement de ses dispositions fondamentales. Il s'agit d'un débat hautement politique car l'élargissement et l'approfondissement sont souvent considérés comme des solutions rivales. Mais pour le système commercial multilatéral, il n'y pas d'alternative. Précisément parce que l'OMC aspire à devenir une entité véritablement mondiale et compétente pour les questions commerciales, nous devons progresser simultanément sur les deux fronts.

En ce qui concerne l'expansion géographique, nous devons relever plusieurs défis. Premièrement, la douzaine d'Etats créés à la suite de la désintégration de l'Union soviétique ont cherché, ou chercheront, à devenir Membres de l'OMC. Le processus d'accession de la Russie est en cours, de même que celui de plusieurs autres pays de l'ex-URSS, y compris les Etats Baltes, l'Ukraine et l'Arménie. Les travaux sur les relations de la Chine avec le GATT durent depuis maintenant une dizaine d'années. Faire entrer la Chine, la Russie et d'autres économies en transition dans l'OMC, en tant que participants à part entière, est un objectif-clé des mois et des années à venir.

Dans le passé, des pays à économie planifiée comme la Pologne, la Roumanie et la Hongrie ont été autorisés à devenir Membres du GATT sans avoir à entreprendre une véritable réforme de leur économie. Des protocoles d'accession spéciaux ont été élaborés, qui reconnaissaient que des possibilités commerciales ne seraient pas créées par le libre jeu des forces du marché; aussi reposaient-ils sur des engagements en matière d'expansion des importations tout en permettant la persistance d'arrangements commerciaux discriminatoires. L'opportunisme politique et l'intérêt économique limité de ces arrangements n'ont aucune place dans l'OMC d'aujourd'hui. Les économies en transition se sont lancées dans des transformations économiques spectaculaires et difficiles pour passer à un système axé sur le libre jeu des forces du marché. Les conditions auxquelles elles accéderont à l'OMC doivent contribuer au processus de réforme et être réalistes. Mais la taille de certains de ces pays et leur puissance économique font aussi qu'il est important de veiller à ce que les modalités de leur accession soient pleinement compatibles avec l'intégrité du système commercial de l'OMC. La cohérence du système ne doit pas être sacrifiée au nom de l'universalité - même si l'universalité est l'objectif ultime; parce qu'un système commercial mondial qui exclut une partie importante de la population mondiale est tout à fait contradictoire.

L'autre révolution géopolitique du système commercial est la participation croissante des pays en développement. Ces dix dernières années, des dizaines de pays en développement ont adopté des politiques commerciales libérales et ont fait davantage appel à la concurrence internationale pour générer des revenus et renforcer la croissance. Plus de 70 pays en développement ont mis en oeuvre des mesures unilatérales de libéralisation pendant cette période. Ce processus a peu à peu réduit la fracture qui existait de longue date entre le Nord et le Sud. De nombreux pays à différents niveaux de revenu et de développement s'en sont remis au système commercial de l'OMC pour la continuité, la stabilité et la promesse de débouchés commerciaux. Cela ne signifie pas que les intérêts et les priorités des pays soient identiques. Si l'une des tâches de l'OMC est de trouver si possible les intérêts communs, et d'encourager une action collective, les pays ne peuvent pas être forcés à agir: il faut qu'ils fassent d'eux-mêmes le premier pas après avoir reconnu que tel était leur intérêt. Par conséquent, à mesure qu'elle devient une institution plus globale, l'OMC doit prendre en compte un plus large éventail d'intérêts. Il est possible que cela soit plus difficile que dans le monde d'hier, plus simple, dominé par quelques pays de même idéologie; mais nous devons réussir, et le succès sera au moins aussi gratifiant.

Toutefois, comme je l'ai déjà dit, les pays en développement Membres de l'OMC ont des intérêts différents. Si nombre d'entre eux continuent de croître et de se moderniser, en générant des richesses suffisantes pour améliorer les conditions de vie de leur population, certains pays en développement à faible revenu ne participaient manifestement pas à l'accroissement de la prospérité mondiale. Aucune société ne peut tirer efficacement profit des possibilités offertes par un marché mondial si nombre des individus qui la composent n'ont même pas le strict nécessaire. Nous nous devons de donner à ces pays les moyens de décoller. Dans le cadre du système commercial, nous devons faire tout notre possible pour que les pays en développement à faible revenu puissent à la fois diversifier leur production destinée à l'exportation et accroître leurs marchés d'exportation sur une base concurrentielle. A l'OMC, nous mettons en oeuvre un programme spécial pour l'Afrique, en particulier, dont l'objet est d'aider les gouvernements à mieux tirer parti des possibilités offertes en matière de commerce international et d'investissement étranger. Il s'agit là d'un effort modeste, et davantage doit être fait, notamment en collaboration avec d'autres institutions économiques multilatérales.

III

Voilà la tâche dont nous devons nous acquitter pour faire du système commercial de l'OMC un système véritablement universel d'un point de vue géographique. Qu'en est-il de l'approfondissement de système? En insistant sur la libéralisation, en ouvrant une brèche dans les domaines du commerce où le protectionnisme s'était longtemps révélé indestructible et en s'attaquant courageusement à des aspects entièrement nouveaux et très importants du commerce, le Cycle d'Uruguay a marqué de son empreinte les relations commerciales internationales. La création de l'OMC est certes un événement crucial. Mais il s'agit d'un point de départ. Notre institution devra relever trois grands défis dans les années à venir. Premièrement, il lui faudra consolider ce que nous avons obtenu, deuxièmement, appliquer le programme de négociation établi, qui consiste essentiellement à achever les travaux commencés au cours du Cycle d'Uruguay, et troisièmement s'attaquer aux nouveaux problèmes qui déjà pointent à l'horizon. Permettez-moi de dire quelques mots au sujet de chacune de ces tâches.

-  Voyons d'abord la consolidation ou mise en oeuvre. Le nombre des thèmes traités au cours du Cycle d'Uruguay est impressionnant, même pour les négociateurs les plus acharnés. Le texte auquel on a abouti comprend pas moins de 19 accords, 24 décisions, huit mémorandums d'accord et trois déclarations. Certains de ces textes sont évidemment plus importants que d'autres, mais ils représentent ensemble près de 500 pages de dispositions soigneusement élaborées, énonçant de nombreux engagements. (Et cela pour ne rien dire des 24 000 pages d'engagements spécifiques en matière d'accès aux marchés.) Pour certains pays, plusieurs de ces engagements coïncident avec les politiques existantes. Dans d'autres cas, ils appellent un changement. Un effort concerté est requis de tous les membres de l'OMC pour consolider les résultats du Cycle d'Uruguay et veiller à ce qu'ils soient pleinement mis en oeuvre. On se demande si des arrangements de mise en oeuvre progressive pour certains de ces engagements ne devraient pas être envisagés. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi les avantages de la libéralisation dans un pays devraient être retardés plus longtemps qu'il n'est absolument nécessaire. Même sous leur forme actuelle, les engagements exigent des travaux réguliers et continus dans les administrations nationales et à l'OMC au quotidien. Il s'agit de travaux qui font rarement les gros titres mais qui sont essentiels au bon fonctionnement du système.

-  Toutefois, notre première priorité est de faire en sorte que le nouveau système de règlement des différends fonctionne d'une manière juridiquement et politiquement crédible. Lorsque des difficultés et des désaccords surviennent, les dispositions de l'OMC en matière de consultations, de conciliation et de règlement des différends peuvent être mises en oeuvre. La volonté de se conformer à ces procédures de règlement des différends et aux constatations qui en découlent est tout aussi importante que le respect des règles. Après à peine neuf mois d'existence, il semble que le nouveau système donne déjà des résultats encourageants. Premièrement, les gouvernements y recourent d'une manière qui témoigne d'une très grande confiance dans l'OMC. Une vingtaine d'affaires ont été portées devant l'Organe de règlement des différends - soit beaucoup plus qu'en une seule des 47 années d'existence du GATT. Deuxièmement, la procédure automatique accélérée et la certitude que les résultats auxquels elle aboutit seront respectés semblent favoriser un règlement rapide dans le cadre du processus initial de consultation - on peut citer en exemple l'affaire concernant les voitures et les pièces détachées qui a récemment opposé les Etats-Unis et le Japon. Et c'est bien là l'objectif - résoudre rapidement les différends commerciaux plutôt que de créer une jurisprudence. Il est évident que de nombreux différends suivront le cours normal et je suis certain que nous pourrons aboutir à des jugements objectifs, précis, bien argumentés qui susciteront la confiance des gouvernements et des législateurs du monde entier. Nul ne doit craindre que les groupes spéciaux chargés du règlement des différends ou le nouvel organe d'appel ne parviennent à des conclusions arbitraires ou ne manquent de neutralité.

-  Pour tous les pays, de nouvelles obligations détaillées ont été créées en ce qui concerne la notification des politiques et des mesures, de manière que les partenaires commerciaux soient sûrs d'être pleinement informés. La transparence est essentielle si l'on veut encourager la confiance mutuelle et le respect des règles. De fait, l'un des résultats du Cycle d'Uruguay a été la mise en place d'un mécanisme d'examen des politiques commerciales dans le cadre duquel les politiques des différents Membres de l'OMC sont examinées multilatéralement dans le détail. Ces examens donnent aux pays l'occasion de procéder en toute franchise et sans acrimonie à des échanges de vues sur leurs politiques mutuelles. Ils contribuent utilement à la transparence et aident les partenaires commerciaux à prendre conscience des questions qui se posent.

-  Lors des précédentes séries de négociations commerciales multilatérales, les travaux inachevés traduisaient généralement une incapacité à se mettre d'accord sur des questions fondamentales, comme celle de savoir s'il fallait faire quelque chose au sujet de l'agriculture ou des textiles, ou s'il fallait concevoir de nouvelles règles sur les mesures de sauvegarde. Tel n'a pas été le cas lors du Cycle d'Uruguay. Toutefois, à la fin des négociations en 1993, il est apparu qu'un délai supplémentaire serait nécessaire dans quelques secteurs-clés. On le voit en particulier dans le domaine des services où nous avons déjà tenu des négociations faisant suite au Cycle d'Uruguay - sur les services financiers et le mouvement des personnes physiques - et où nous avons engagé des négociations sur l'ouverture des télécommunications de base et des services de transport maritime. Nous n'avons certainement pas obtenu tout ce que nous voulions dans les secteurs des services financiers et du mouvement des personnes physiques, mais nous avons fait des progrès. Pour ce qui est des services financiers en particulier, une trentaine de pays ont pris des engagements additionnels précieux en matière d'ouverture des marchés.

-  Les négociations sur les télécommunications de base doivent s'achever d'ici à la fin d'avril 1996. Elles offriront de nouvelles possibilités importantes dans les domaines du commerce et de l'investissement. Les négociations coïncident avec la tendance à la libéralisation du secteur, qui tient à la fois à des pressions des industries utilisatrices et à la rapidité des progrès techniques. Toutefois, dans de nombreux pays, on note une résistance à la suppression des arrangements monopolistiques en matière d'approvisionnement et une action multilatérale concertée est le meilleur moyen d'arriver à des résultats de vaste portée. Si ces négociations aboutissent, les exploitants de télécommunications devraient pouvoir offrir un large éventail de services à des prix compétitifs, tant sur les marchés nationaux que sur les marchés internationaux. Les Etats-Unis jouent un rôle de premier plan dans cette négociation puisqu'ils ont l'un des marchés des télécommunications les plus libéraux, où les coûts sont les plus faibles. C'est pourquoi leur attachement à un résultat véritablement multilatéral est crucial. Nous devons arriver à de solides résultats dans les négociations de l'OMC si nous voulons voir se concrétiser l'idée d'une société mondiale de l'information - avec tout ce que cela signifiera: revitalisation des économies, transformation de la société et développement des moyens à la disposition de l'individu.

-  Les négociations sur les services de transport maritime, quant à elles, portent sur l'un des moyens d'échange les plus anciens entre les peuples, moyen qui conserve son importance fondamentale pour le commerce des Goods. L'amélioration prodigieuse des techniques d'expédition ces dernières années doit s'accompagner d'une amélioration des politiques applicables dans ce secteur. Là aussi, il s'agit d'une négociation dans laquelle certains défendent fermement leur position et il est essentiel que nous nous rappelions qu'elle est tout aussi valable et importante que les négociations dans d'autres domaines.

-  Parmi les travaux inachevés du Cycle d'Uruguay, il y a aussi le programme d'action futur. Celui-ci comprend plusieurs éléments. Les Membres de l'OMC ont déjà prévu d'engager des séries de négociations successives sur le commerce des services en vue d'arriver progressivement à une libéralisation plus poussée. La première de ces séries de négociations doit commencer dans les cinq années à venir. De même, dans le secteur de l'agriculture, les Membres se sont engagés à entamer des négociations visant à réduire encore le soutien et la protection. Le délai envisagé est le même que pour les services. Ces engagements et plusieurs autres pris dans le cadre de l'Accord sur l'OMC montrent que les Membres ont bien reconnu qu'il fallait poursuivre et accroître la libéralisation du commerce - cercle vertueux d'efforts de coopération mondiale qui est la base d'un système multilatéral efficace.

Il y a ensuite ce que l'on appelle le “nouveau programme de travail” - soit les questions qui, à mesure que se poursuit le processus d'intégration économique mondial, entrent naturellement dans le champ du programme de travail futur de l'OMC.

-  Une question “nouvelle” qui fait déjà partie du programme de travail de l'OMC est celle du rapport entre le commerce et l'environnement. Au coeur du problème il y a la relation que nous établissons entre le système commercial multilatéral fondé sur des règles, la poursuite de la libéralisation du commerce et le développement futur de l'économie mondiale et les considérations et objectifs liés à l'environnement. Il est possible d'envisager des situations dans lesquelles le commerce, s'il n'est pas étayé par une politique environnementale saine, entraîne des dommages pour l'environnement - ou au contraire une situation dans laquelle les réglementations environnementales portent préjudice au commerce légitime. Dans ces cas, toutefois, il faut se montrer prudent et se demander si c'est la politique commerciale ou la politique environnementale qui doit être ajustée. On peut aussi facilement voir comment des accords environnementaux internationaux mal conçus risquent d'entraver inutilement les échanges et de réduire les revenus - voire de menacer la transformation et l'amélioration de l'environnement. Parallèlement, il est tout aussi important de reconnaître les cas dans lesquels, en encourageant l'efficacité et une meilleure répartition de ressources limitées, la libéralisation du commerce peut favoriser une amélioration de l'environnement. Je suis certain que les travaux que nous réalisons actuellement dans ce domaine à l'OMC contribueront à une meilleure compréhension des problèmes et aideront les gouvernements à élaborer des politiques plus cohérentes sur ce thème.

-  Le commerce et l'investissement est un sujet qui pourrait bien figurer dans le nouveau programme de travail, puisque l'une des conséquences de la mondialisation est de réduire l'écart entre les différentes formes d'accès aux marchés. Dans le cadre du GATT, nous avions l'habitude de penser à l'accès aux marchés simplement en termes de droits de douane et de mesures non tarifaires. La libéralisation consistait à réduire les droits de douane et à éliminer les autres obstacles au commerce à la frontière. L'investissement étranger était une question tout à fait différente. Certes, les pays considéraient souvent les droits et les autres obstacles au commerce comme des mécanismes pratiques d'incitation à l'investissement étranger. La protection du marché intérieur permettait aux investisseurs étrangers de dégager des bénéfices intéressants. Tel était le fondement de la stratégie du développement fondée sur le remplacement des importations - stratégie qui n'a guère fait ses preuves et a même été discréditée. Dans le monde des affaires internationales d'aujourd'hui, le commerce et l'investissement sont de plus en plus considérés comme complémentaires, et non comme substituables. Des entreprises internationales peuvent être implantées dans plusieurs pays. De plus en plus, les entreprises commercent pour investir et investissent pour commercer. L'OMC ne peut pas s'occuper uniquement d'un des termes de l'équation - le commerce - ce qui serait nier les réalités des pratiques commerciales mondiales d'aujourd'hui.

Ce n'est pas par hasard que l'investissement étranger direct a quadruplé au niveau mondial, passant à près de 200 milliards de dollars EU par an, pendant la période de dix ans qui a pris fin en 1993. De fait, l'importance de l'investissement a été reconnue dans l'Accord général sur le commerce des services négocié pendant le Cycle d'Uruguay; l'investissement, ou la présence commerciale, y est l'un des quatre modes de fourniture des services pour lesquels les Membres de l'OMC ont contracté des engagements en matière d'accès aux marchés. Mais, à mon avis, nous avons besoin d'une approche plus large, ou plus horizontale, en ce qui concerne les règles internationales en matière d'investissement. Ces règles reposeraient sur les principes de la non-discrimination et du traitement national de l'OMC et créeraient un climat destiné à encourager et à préserver l'investissement étranger, que ce soit dans le domaine des Goods ou dans celui des services. L'OCDE a déjà commencé de travailler dans ce sens mais je pense que, de plus en plus, les gouvernements reconnaîtront que des travaux sur l'investissement doivent être entrepris dans un cadre plus général. Et ce en particulier non seulement parce que les pays en développement sont la cible d'une part croissante de l'investissement international mais aussi parce qu'ils deviennent eux-mêmes d'importants investisseurs à l'étranger. Il convient de noter que l'Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce découlant du Cycle d'Uruguay prévoit que les Membres examineront dans les cinq années à venir s'il y a lieu d'élaborer des dispositions sur une politique de l'investissement.

-  Cela vaut aussi pour la politique en matière de concurrence, que nous devrons envisager d'inclure dans notre programme de travail futur. Bien sûr, ce que nous avons fait au GATT et à l'OMC pendant ces 50 dernières années pour mettre en place un environnement commercial libéral est précisément d'améliorer la concurrence. Mais si nous avons réussi à faire en sorte que les règles de la concurrence entre les pays soient efficaces, ce succès veut que nous allions plus loin et que nous nous demandions comment le comportement des sociétés peut fausser la concurrence internationale. Nous devrons voir s'il y a des domaines dans lesquels des règles expresses en matière de concurrence, ou des accords spécifiques, sont nécessaires au plan international pour compléter les lois que de nombreux gouvernements appliquent déjà. A mon avis, il ne fait aucun doute que les règles en matière de concurrence sont essentielles pour le bon fonctionnement des marchés - toutefois, ce que nous devons préciser c'est comment promouvoir au mieux ces disciplines, tant au plan national qu'au plan international.

-  Certains Membres de l'OMC aimeraient que l'on inclue dans le nouveau programme le thème du commerce et des normes sociales. Il s'agit d'une question hautement controversée et, en l'absence de consensus, elle ne peut figurer dans le programme de l'OMC.

Il est évident que ce qu'il faut avant tout c'est un effort global pour jeter une certaine lumière sur les nombreuses questions complexes en jeu.

La première question à préciser est celle de la nature du sujet; parlons-nous de l'avantage comparatif dont les pays en développement jouissent du fait du niveau plus bas de leurs salaires - comme on présente souvent les choses - des droits de l'homme ou des normes de travail? Il est fondamental de clarifier les termes du débat dans ses rapports avec le commerce.

En deuxième lieu, il faut identifier les questions-clés en relation avec le commerce; par exemple, faut-il considérer le travail des enfants et les droits syndicaux sous l'angle des normes de travail ou sous celui des droits de l'homme?

Ce sont là uniquement quelques-unes des questions auxquelles il faut répondre avant de se demander si un débat utile est en fait possible à ce sujet.

Heureusement, nous ne partons pas de zéro. Le débat sur la question a en fait commencé à la Conférence de Versailles sur la paix et certains des principes en jeu ont été repris dès le départ dans l'article XX du GATT. A l'ONU, à l'OCDE, à l'OIT et dans les administrations nationales, le débat a progressé utilement et a même abouti à certaines mesures concrètes. Je voudrais mentionner en particulier à ce sujet les travaux effectués très récemment par l'OIT pour identifier certains principes qui pourraient être importants si l'on devait examiner la question à l'OMC. Ces principes ont été présentés comme des “valeurs partagées” sans qu'aucune objection n'ait été soulevée par les membres de l'OIT.

Suivant l'un de ces principes, la croissance et le développement économiques et sociaux sont dans une large mesure interdépendants. Lorsque la situation économique est mauvaise, il est probable que la situation sociale sera également mauvaise. Et inversement, lorsqu'il y a croissance économique, celle-ci s'accompagnera probablement d'un développement social.

Personne ne devrait contester le droit légitime des pays en développement d'utiliser l'avantage comparatif que leur procure le bas niveau de leurs prix de revient, et personne ne devrait pratiquer un protectionnisme déguisé sous prétexte de défendre les droits de l'homme ou les normes sociales, mais aucun pays ne devrait délibérément bafouer les droits des travailleurs ou tenter de faire baisser artificiellement les coûts en recourant au travail forcé, en établissant une discrimination à l'égard des femmes, en exploitant les enfants, entre autres abus.

En aucun cas nous ne devrions permettre que ce débat fasse réapparaître la fracture Nord-Sud. C'est par le dialogue que nous trouverons les moyens de mieux faire respecter les normes de travail.

Enfin, l'OIT a reconnu la nécessité d'améliorer ses moyens d'action dans ce domaine.

Je voudrais mentionner les points exposés par la Présidente du Groupe de travail de l'OIT sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce international plus tôt dans l'année parce que je pense que, sur la base de ces valeurs partagées, il est possible d'engager le débat sur la question. J'estime aussi que, pour convaincre les pays en développement qu'aucune considération protectionniste n'entre dans le débat, il est essentiel de prouver que toutes les mesures possibles, autres que des sanctions commerciales, sont prises pour atténuer les problèmes. Un excellent exemple est le mémorandum d'accord sur l'élimination du travail des enfants dans l'industrie du vêtement au Bangladesh, qui a été signé en juillet par ce secteur, l'OIT et le FISE avec l'appui des gouvernements du Bangladesh et des Etats-Unis. Cette action conjointe associe des restrictions concernant le travail des enfants à l'amélioration du niveau d'instruction de ces enfants. Il s'agit là d'une approche ciblée et constructive face à un problème spécifique et en tant que telle elle offre, je crois, un modèle utile pour les actions à entreprendre à l'avenir. En revanche, restreindre simplement les importations de vêtements provenant du secteur visé n'aurait servi selon toute vraisemblance qu'à aggraver la situation de ces enfants.

Pour résumer, je répéterai qu'il est nécessaire à mon avis de procéder à un examen global de la question; c'est le seul moyen d'établir le degré de confiance nécessaire si l'on veut que tous les pays examinent ensemble si elle se rapporte au commerce et comment.

IV

Enfin et surtout j'aimerais dire quelques mots au sujet de deux questions liées - la réciprocité et la croissance du régionalisme dans les relations commerciales internationales.

-  Périodiquement, on préconise l'application de politiques commerciales fondées sur la réciprocité et non sur le principe fondamental du traitement NPF. Les défenseurs de cette approche partent de l'hypothèse que le degré de libéralisation auquel certains pays sont déjà parvenus ne leur donne aucun moyen de défense réel, dans une négociation multilatérale, vis-à-vis des pays dont le processus de libéralisation est beaucoup moins avancé. Les partisans de la réciprocité prétendent que ces pays n'ont pas vraiment de raison de pousser plus loin la libéralisation étant donné les avantages qu'ils tirent du système NPF.

-  J'aimerais formuler deux observations sur ce point. Premièrement, dire que la réciprocité remplace le principe NPF revient à rejeter un système commercial que nous avons mis 50 ans à édifier et va à l'encontre de ce que les pères fondateurs de ce système avaient envisagé.

-  Deuxièmement, je peux comprendre qu'une nation ou un groupement régional qui se considère comme un marché ouvert estime avoir le droit de se battre pour obtenir de tous ses partenaires le plus grand degré possible de libéralisation. Même si cet argument est utilisé de manière tactique et temporaire en tant qu'instrument de négociation, il y a peu de raison de s'alarmer au sujet de son incidence sur le système dans son ensemble. Mais s'il devient un instrument de politique permanent, le risque pour le système multilatéral pourrait devenir sérieux.

-  Le commerce est un domaine technique quant au fond mais hautement politique pour ce qui est de ses conséquences. La réciprocité en tant que substitut structurel du système multilatéral équivaut au bilatéralisme; qui dit bilatéralisme dit discrimination; en d'autres termes, des relations commerciales fondées sur la puissance plutôt que sur des règles. Ce serait rompre de manière très dangereuse avec la tradition du système multilatéral.

-  La progression du régionalisme est une question plus complexe. Il n'y a pas de contradiction réelle entre le régionalisme et le système multilatéral. Telle est l'idée que partagent la vaste majorité des négociants. Là où il y a une contradiction réelle, il faut toujours le souligner, c'est entre la liberté des échanges et le protectionnisme. Les initiatives commerciales régionales peuvent certainement contribuer à abaisser les obstacles au commerce et de ce fait à promouvoir la croissance économique. Mais la relation entre le régionalisme et un système multilatéral fondé sur le principe NPF n'en est pas moins complexe. Les dispositions du GATT visaient à assurer la compatibilité des accords régionaux en exigeant qu'ils couvrent l'essentiel des échanges commerciaux entre les partenaires et favorisent les politiques commerciales qui n'entraînent pas une protection plus élevée ou des restrictions supplémentaires pour le commerce des pays tiers. Dans la pratique, toutefois, il s'est révélé presque impossible d'évaluer la compatibilité des accords régionaux avec le système multilatéral en vertu de ces dispositions. Depuis la création du GATT il y a près de 50 ans, 108 accords régionaux ont été notifiés. Jusqu'ici, 80 accords existants ont été examinés et six seulement ont été jugés compatibles avec les règles que je viens de mentionner (l'UE n'en fait pas partie). Récemment, 20 nouveaux accords régionaux ont été notifiés, qui doivent être examinés dans le cadre de l'OMC. On ne sera pas surpris d'apprendre que les résultats ne devraient pas être très concluants. Il est manifestement nécessaire d'améliorer les règles et les procédures en vertu desquelles les Membres de l'OMC peuvent évaluer cette relation critique. Mais il est évident aussi que les questions juridiques ne sont qu'un élément parmi d'autres.

-  Dans la pratique, la relation entre la libéralisation régionale et la libéralisation multilatérale est différente, généralement plus positive. Par exemple, les élargissements successifs de l'Union européenne ont été suivis par des négociations commerciales multilatérales qui ont maintenu un lien de facto entre les progrès au niveau régional et les progrès au niveau multilatéral. Ces liens expliquent que la plupart des gens voient dans les accords régionaux des éléments contribuant à l'édification d'un système d'échanges multilatéraux libres.

-  La situation évolue-t-elle et devons-nous nous adapter à cette idée généralement positive? Permettez-moi d'avancer quelques arguments en réponse à cette question.

Jusqu'à une époque très récente, il n'y avait qu'un grand groupement régional, qui se limitait à un certain nombre de pays d'Europe occidentale. Les Etats-Unis étaient traditionnellement opposés au régionalisme. Mais cette situation a changé. Depuis les années 80, les Etats-Unis ont commencé à conclure leurs propres accords régionaux de libre-échange - Canada, ALENA, APEC, etc. A l'heure actuelle, la quasi-totalité des pays Membres de l'OMC appartiennent également à un accord commercial régional. Les accords régionaux ont perdu de leur importance en tant que moyen de réduire les droits de douane (cela également grâce au succès du GATT). En revanche, ils deviennent de plus en plus importants pour ce qui est des règles du commerce et pour le poids politique qu'ils représentent dans les négociations internationales. Il s'agit là d'éléments qui pourraient rompre le parallélisme entre les progrès régionaux et les progrès multilatéraux; il est à craindre que les antagonismes entre groupements régionaux rendent plus difficiles le développement du système multilatéral.

En outre, les initiatives régionales, comme la proposition visant à créer une zone de libre-échange transatlantique, pourraient donner l'impression que l'on cherche à rétablir une ligne de démarcation discriminatoire entre le Nord, riche, et le Sud, pauvre.

La conclusion à tirer de tout cela est que nous devons être vigilants et chercher à renforcer le lien qui a toujours existé entre les progrès régionaux et les progrès multilatéraux. Dans la pratique, il faut donc que les initiatives de libéralisation régionales soient prises pour ainsi dire en tandem avec les initiatives multilatérales. Ce que les pays souhaitent faire au plan régional, ils doivent aussi être prêts à le faire au plan multilatéral, de manière à maintenir le parallélisme entre engagements régionaux et engagements multilatéraux.

Au coeur de cette relation, il y a la question fondamentale de savoir quel type de système international nous souhaitons: un système mondial fondé sur le principe de la non-discrimination consacré par des règles convenues et contraignantes ou un monde divisé en blocs régionaux avec toutes les conséquences que cela entraîne pour la stabilité et la sécurité politiques.

V

En résumé, il est évident que les défis que le système commercial multilatéral doit relever sont loin de ne concerner que les questions commerciales telles qu'on les définissait jusqu'ici. Je sais que pour certains - pour certains pays aussi - la rapidité du changement est gênante, voir inquiétante. Face aux défis que la révolution de l'information constitue pour quiconque a plus de 30 ans ou au rythme de la mondialisation économique, il y a un réflexe compréhensible, celui qui nous fait souhaiter que le monde ralentisse un peu sa course. Néanmoins, nous savons qu'il ne le fera pas.

Si nous réduisons nos importations en provenance des pays en développement, nous réduisons leur croissance, et notre croissance aussi. Et la croissance de nombreux pays en développement sera le facteur de progrès le plus dynamique dans les pays développés.

Parallèlement, si nous réduisons les possibilités d'exportation des pays en développement, nous ne ferons qu'accroître le chômage et la pauvreté dans ces pays et restreindre encore les chances qui s'offrent aux jeunes.

Et si nous essayons de fermer nos frontières aux Goods et aux individus, nous ne ferons qu'accroître l'instabilité, la violence, les conflits et le terrorisme. Aussi, la seule politique soutenable à long terme que les pays en développement et nous-mêmes puissions adopter est de rester fermement attachés au principe de l'ouverture.

C'est pourquoi nous devons préserver le système multilatéral avec son ensemble de principes et de règles fiables: c'est un point d'ancrage solide dans un monde en mutation. Si la libéralisation se poursuit dans le cadre du système multilatéral, ce processus inexorable pourra se dérouler dans le respect de règles et de disciplines convenues au plan international. Nous sommes là à l'opposé d'un processus chaotique et incontrôlable - sans la sécurité du système multilatéral, le changement serait un saut dans les ténèbres.

Dans le même temps, le système multilatéral se politise. C'est que son évolution touche de plus en plus aux réglementations nationales et non plus seulement aux obstacles transfrontières; c'est aussi que les problèmes qui se posent au système sont de plus en plus politiques et de moins en moins techniques. Dans ce contexte, il pourrait être très important d'envisager la possibilité de consolider la base institutionnelle du système - par exemple, en renforçant la dimension politique de son institution centrale, l'OMC.

Je suis fermement convaincu que la confluence des événements politiques et économiques intervenus ces dernières années nous offre une occasion historique: celle d'établir un système véritablement mondial pour la conduite des relations économiques internationales, un système qui réagisse rapidement au changement et à l'évolution des besoins, un système auquel chaque nation souhaitera appartenir. Faisons face à ce défi, tout comme Spaak et les autres fondateurs du monde de l'après-guerre ont fait face aux leurs. Leurs réalisations ont façonné le monde d'aujourd'hui, elles devraient inspirer notre avenir.