ALLOCUTIONS — DG NGOZI OKONJO-IWEALA

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Douzième Conférence ministérielle Président S.E. M. Timur Suleimenov, Premier Chef de cabinet adjoint du Président de la République du Kazakhstan

Nos Vice-Présidents de la CM12,
S.E. M. le Sénateur Jerome Walcott, Ministre des affaires étrangères et du commerce extérieur — Barbade,
S.E. Don Farrell, Ministre du commerce et du tourisme — Australie,
S.E. Mme Harriet Ntabazi, Ministre d'État au commerce — Ouganda,
Le Président du Conseil général, M. l'Ambassadeur Didier Chambovey,
Mes DGA,
Excellences, Mesdames et Messieurs.

Bienvenue — enfin — à Genève! C'est merveilleux de vous voir tous ici en personne. La technologie fait des miracles mais rien ne vaut une réunion en personne.

Je tiens à remercier les autorités suisses pour le soutien et la générosité dont elles font preuve en nous accueillant ici. Je remercie le Président du Conseil général, M. l'Ambassadeur Didier Chambovey (Suisse), son prédécesseur M. l'Ambassadeur Dacio Castillo (Honduras) et l'excellent personnel de l'OMC d'avoir travaillé sans relâche pour que cette réunion puisse avoir lieu.

Il s'agit de ma première conférence ministérielle à l'OMC et c'est un grand privilège pour moi, qui suis votre Directrice générale depuis 15 mois, d'être là devant vous, prête à servir et désireuse de le faire.

Certes je suis fière d'être la première femme, la première Africaine et la première Américaine à tenir ce rôle, mais le plus important pour moi est de savoir si mercredi, lorsque cette conférence s'achèvera, je serai en mesure de dire que j'ai été la DG qui a soutenu les Membres de l'OMC lorsqu'ils se sont unis pour obtenir des résultats, à un moment où le monde avait vraiment besoin qu'ils le fassent. Le chemin que nous devrons emprunter pour arriver à des résultats sera-t-il facile? Certainement pas. Attendez-vous à un parcours chaotique, semé d'embûches, miné ça ou là. Mais nous arriverons à bon port.

Alors que nous sommes en proie à l'incertitude et confrontés à des crises sur plusieurs fronts — la guerre en Ukraine et la crise de la sécurité internationale inhérente qui l'accompagne, mais aussi les crises sanitaires, économiques, environnementales et géopolitiques — le moment est venu de démontrer que le multilatéralisme est efficace. De démontrer que l'OMC peut obtenir des résultats dans l'intérêt de la communauté internationale et des populations que nous servons.

Près de cinq années se sont écoulées depuis notre dernière Conférence ministérielle. Même si de nombreux Membres ont pris des mesures importantes à Buenos Aires — par exemple concernant l'utilisation du commerce comme vecteur de l'autonomisation économique des femmes — cette réunion n'a pas vraiment abouti. Bien que les Ministres se soient engagés à conclure les négociations sur les subventions à la pêche, ils n'ont même pas pu s'entendre pour réaffirmer l'importance du système commercial multilatéral fondé sur des règles et des principes fondateurs de l'OMC. C'est là une conséquence déplorable du déficit de confiance qui remonte à l'échec des négociations du Cycle de Doha, voire à une période antérieure. La couverture médiatique a été brutale, avec des titres dénonçant uniformément la faillite de l'OMC et l'échec des ministres.

En toute franchise, je pense que Genève a intériorisé beaucoup de ces messages négatifs. À ce négativisme s'ajoute un plaidoyer négatif de certains clubs de réflexion et groupes de la société civile ici à Genève ou ailleurs, selon lesquels l'OMC ne travaille pas pour les gens. Bien sûr cette idée est fausse, même si nous n'avons pas été en mesure de le prouver clairement, mais elle aggrave le déficit de confiance que j'ai remarqué au cours des 15 derniers mois. Malgré tout, les ambassadeurs ont travaillé d'arrache-pied, essayant de surmonter les difficultés, de travailler dur les uns avec les autres et d'obtenir des résultats. Je souhaite adresser mes vifs remerciements à tous les Ambassadeurs en poste à Genève. J'espère qu'au niveau des Ministres, vous pourrez travailler encore mieux, ensemble, pour finaliser des résultats qui sont près d'être livrables et ramener ainsi l'Organisation sur une trajectoire qui soit axée sur les résultats. J'aimerais que vous utilisiez, pour soutenir les accords multilatéraux de l'OMC, une toute petite partie du capital politique que vous avez en réserve pour vos discussions bilatérales et vos accords régionaux.

Excellences, cela vaut la peine d'investir dans cette Organisation — c'est la raison pour laquelle que je suis venue ici. Cela vaut la peine de la renforcer. Le système commercial multilatéral est un bien public mondial que nous avons collectivement et minutieusement construit pendant 75 années. S'il n'est certainement pas parfait, au regard du passé, il a produit plus de prospérité pour plus d'individus qu'aucun autre ordre économique mondial avant lui. Aujourd'hui, dans un contexte historique inquiétant, alors que le système multilatéral semble fragilisé, le moment est venu d'investir dans ce système et non de s'en retirer. Le moment est venu de mobiliser la volonté politique dont nous avons tant besoin pour montrer que l'OMC peut faire partie de la solution aux multiples crises qui frappent les biens communs mondiaux.

Excellences, les défis auxquels nous sommes actuellement confrontés sont également une chance à saisir. Entre aujourd'hui et mercredi, nous avons la possibilité de montrer au monde que l'OMC est capable d'être à la hauteur. Que nous pouvons prendre des mesures pour remédier aux problèmes de cette institution, la réformer et la moderniser. Que nous pouvons conclure à Genève des accords qui renforceront la capacité de tous les Membres de répondre aux attentes de leurs populations — qu'il s'agisse d'alimentation, de santé, de sécurité, de meilleurs emplois, de relèvement des niveaux de vie et d'un environnement durable sur la terre ferme, dans les océans et dans l'atmosphère. Nous devons montrer aux habitants de mon village, qui ne savent pas ce qu'est l'OMC, que l'OMC compte — que l'OMC concerne les gens et que c'est pour eux qu'elle travaille.

Aujourd'hui plus que jamais, le monde a besoin que les Membres de l'OMC s'unissent pour produire des résultats. Nous devons aussi obtenir des résultats pour ceux qui souhaitent nous rejoindre — les nombreux pays, en particulier en Afrique, en Asie centrale et au Moyen-Orient, qui souhaitent accéder à l'OMC.

Si nous n'obtenons pas de résultats — si nous permettons la fragmentation économique et réglementaire ou si nous nous engageons dans cette voie —, les coûts seront considérables pour vous au niveau national. En effet, comme l'a dit Martin Luther King Jr. dans un autre contexte, je cite: “Nous sommes peut-être tous venus sur des navires différents, mais nous sommes dans le même bateau maintenant . Soit nous avançons ensemble, soit nous coulons ensemble.” Je ne veux certainement pas couler, même en votre compagnie.

Les économistes de l'OMC estiment que si notre économie mondiale interdépendante se scinde en deux blocs commerciaux autonomes, il en résultera une réduction de la spécialisation et des retombées technologiques qui, à elle seule, entraînera une baisse à long terme du PIB réel mondial d'environ 5%.  À titre indicatif, on estime que la crise financière de 2008-2009 a réduit de 3,5% la production potentielle à long terme des pays riches. Or cette estimation de 5% ne représente que les prémisses du préjudice pour l'économie. Des pertes supplémentaires proviendraient de la réduction des économies d'échelle, des coûts de transition pour les entreprises et les travailleurs, de la réaffectation désordonnée des ressources et des difficultés financières. À l'intérieur de chaque bloc, de nouveaux obstacles au commerce et obstacles réglementaires viendraient s'ajouter à ces coûts.

Un retour à la “loi du plus fort” dans les relations commerciales internationales coûterait cher aux plus riches, et encore davantage aux autres. Les pays à faible revenu subiraient les pertes les plus importantes en termes de croissance potentielle.

Le découplage des échanges pérenniserait les revers en matière de développement causés par la pandémie de COVID-19 et il serait donc beaucoup plus difficile pour les pays pauvres de rattraper les plus riches. Nous entrerions alors dans une ère de perspectives restreintes, de mécontentement politique et de troubles sociaux exacerbés, et de pression migratoire intense, motivée par la recherche de meilleures conditions de vie. Les problèmes d'endettement que nous constatons déjà s'aggraveraient. Il est dans notre intérêt à tous de préserver le système commercial multilatéral afin que les échanges commerciaux entre les Membres et les alliances continuent de bénéficier de conditions claires et prévisibles.

 Les tensions géopolitiques auxquelles nous devons faire face sont réelles. Nous ne pouvons pas prétendre le contraire, et je ne le ferais pas. Cela étant, ce serait une erreur de laisser ces tensions se répercuter sur les travaux que nous menons ici. Si nous n'intervenions pas, cela aurait de graves conséquences sur les travaux de l'OMC et les fonctions du système commercial multilatéral. Les temps sont durs, mais dans les moments difficiles, ce sont les plus résistants qui s'en sortent. J'ai bon espoir qu'avec la volonté politique requise — expression que vous m'entendrez prononcer souvent —, nous pouvons nous atteler aux négociations en cours, avaliser les déclarations et prendre des décisions qui montreront au monde entier que l'OMC fait partie de la solution aux problèmes mondiaux brûlants.

Excellences, compte tenu du programme chargé que nous avons ces prochains jours, nous entamerons, immédiatement après cette séance, un échange de vues sur les difficultés auxquelles le système commercial multilatéral est confronté. Un nombre sans précédent de Membres et d'observateurs, 103 au total, ont manifesté leur volonté de prendre la parole au cours de cette séance; ils étaient en moyenne 60 lors des séances plénières antérieures. Ce grand nombre d'interventions témoigne à la fois de la pertinence de l'OMC et de la conjoncture difficile que nous traversons. J'espère que cette séance permettra aux Ministres de se préparer à agir dès demain pour traiter l'ensemble de notre programme pour la CM12. Dès demain matin, nous prendrons des décisions qui répondront aux situations d'urgence actuelles, en particulier à la pandémie et à la crise alimentaire. Nous tiendrons ensuite d'autres séances thématiques sur l'agriculture, la pêche, la réforme de l'OMC, ainsi que le programme de travail et le moratoire sur le commerce électronique. Ces séances, combinées aux réunions informelles qui se tiendront dans différentes configurations, doivent nous permettre d'obtenir des résultats.

Excellences, comme vous le savez, vos fonctionnaires en poste dans les capitales et vos équipes ici à Genève ont travaillé d'arrache-pied pour préparer la CM12 et en garantir le succès. Vous avez reçu les divers projets de textes, de déclarations et de décisions qui vous ont été envoyés.

Les Membres de l'OMC doivent répondre aux crises mondiales de toute urgence. À cet égard, vous devrez achever les travaux qui permettront à l'OMC d'apporter une réponse globale à cette pandémie et aux pandémies futures. Cela comprend deux volets: une déclaration sur le commerce et la santé et un accord juridiquement contraignant au sujet d'une dérogation à l'Accord sur les ADPIC.

Les documents qui vous sont soumis sont le résultat d'un processus douloureux d'âpres négociations, peu de progrès ayant été enregistrés pendant près de deux ans sur cette dernière question. Je tiens à vous remercier tous — ce qu'il est convenu d'appeler la Quadrilatérale, les Ambassadeurs, les négociateurs, les experts et les ministres qui ont fait le travail préparatoire qui nous a permis d'en arriver là —, ainsi que le personnel de l'OMC pour son soutien. Les décisions qui restent à prendre pour franchir la ligne d'arrivée exigent une volonté politique — et je sais que vous l'avez. La conclusion d'un accord sur la réponse à la pandémie permettra à des millions de personnes d'accéder à des vaccins abordables et de bénéficier de contre-mesures médicales maintenant et à l'avenir.

L'OMC doit aussi face faire à la menace d'une crise alimentaire. Les sécheresses, inondations, vagues de chaleur et autres phénomènes météorologiques extrêmes combinés à la COVID-19 et aux goulets d'étranglement dans les chaînes d'approvisionnement liés à la pandémie avaient déjà provoqué la hausse des prix des produits alimentaires dans le monde entier. La guerre en Ukraine a aggravé la situation. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture , les prix internationaux du blé ont augmenté de 56% par rapport au mois de mai de l'an dernier. Globalement, les prix des céréales ont progressé de près de 30%.  Les prix récents des huiles végétales ont enregistré une hausse de 45% d'une année sur l'autre. Enfin, l'indice des prix des engrais de la Banque mondiale dans les pays à revenu faible et intermédiaire est supérieur de 128 % à ce qu'il était il y a un an.

Partout dans le monde les économies subissent des pressions inflationnistes et ce sont les populations pauvres qui sont le plus durement frappées par la hausse des prix des produits alimentaires et de l'énergie. Bien que la Russie et l'Ukraine contribuent pour moins de 3% au commerce mondial des marchandises, elles occupent une place importante dans les exportations de produits alimentaires clés, puisqu'en 2019, elles représentaient 25% du blé entrant dans les échanges internationaux, 15% de l'orge et, avec le Bélarus, 20% des engrais. Nombre de pays à revenu faible et intermédiaire importent une grande partie de leurs produits alimentaires et de leurs intrants agricoles de cette région. Par exemple, 35 pays africains importent des produits alimentaires et 22 importent des engrais de la région de la mer Noire.

Les pays à faible revenu vont se retrouver dans une situation catastrophique si des mesures ne sont pas prises aux niveaux national et international.

Les Membres de l'OMC peuvent jouer un rôle utile en permettant la libre circulation des produits alimentaires et des intrants agricoles, en particulier à des fins humanitaires. Le projet de décision ministérielle sur l'exemption des restrictions à l'exportation pour les achats à des fins humanitaires du Programme alimentaire mondial et le projet de déclaration ministérielle sur le commerce et la sécurité alimentaire vous donnent, à vous Ministres, la possibilité de faire en sorte que les Membres de l'OMC fassent partie de la solution multilatérale à la crise que nous traversons. Cela doit aller de pair avec un soutien qui permette aux pays pauvres riches en terres et en ressources naturelles de produire davantage leurs propres denrées alimentaires. À cet égard, nous saluons les diverses initiative de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, ainsi que l'initiative FARM de la Présidence de l'UE, qui visent à apporter un tel soutien. J'espère que, collectivement, vous ferez ce qu'il convient et approuverez les propositions qui nous seront présentées demain.

Passons maintenant à des questions qui sont examinées depuis fort longtemps. L'agriculture occupe une place tellement importante dans le fonctionnement de chaque pays, pauvre ou riche, grand ou petit. Dans ce secteur, les batailles de politique intérieure sont souvent rudes. Les négociations sur l'agriculture durent depuis 25 ans — elles sont encore plus anciennes que celles sur les subventions à la pêche — et n'ont abouti qu'à peu d'accords décisifs, hormis le dernier accord sur les subventions à l'exportation conclu à Nairobi en 2015.

Nombre de mandats et décisions ministérielles concernant l'agriculture sont restés lettre morte et, en fait, depuis presque dix ans maintenant, il n'y a pas eu de texte convenu pouvant servir de base de travail et, par conséquent, pas de négociations fondées sur des textes.

De nombreux Membres ou groupes de Membres ont leurs propres domaines spécifiques de priorité dans les négociations sur l'agriculture: détention de stocks publics, soutien interne, mécanisme de sauvegarde spéciale, accès aux marchés, coton, etc. En l'absence d'un consensus cette année sur la manière d'obtenir des résultats sur les mandats ou dans les domaines prioritaires, nous avons tenté de présenter aux Ministres un projet de décision qui garantira la poursuite des travaux sur l'agriculture après la CM12. Je voudrais remercier Mme l'Ambassadrice Gloria Abraham Peralta (Costa Rica) et le personnel de la Division de l'agriculture et de l'Unité de la livraison des résultats d'avoir travaillé d'arrache-pied pour élaborer ce document.

Nous espérons que les Ministres adopteront cette décision afin de donner un nouvel élan aux négociations sur l'agriculture et à la mise en œuvre des mandats déjà convenus et existants.

Il convient aussi de noter que plusieurs Membres et groupes de Membres ont indiqué leurs propres priorités dans le domaine de l'agriculture, pour décision ou adoption. J'espère que les Ministres trouveront un moyen d'avancer sur ces questions après la CM12. Nous ne devons pas abandonner le dossier de l'agriculture simplement parce que nous avons des divergences.

Passons maintenant au secteur de la pêche. Je tiens tout d'abord à remercier le Président des négociations sur les subventions à la pêche, M. l'Ambassadeur Santiago Wills (Colombie), et toute l'équipe qui l'entoure pour leur travail sur un projet d'accord visant à réduire les pratiques de pêche préjudiciables qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, et à éliminer les subventions qui alimentent la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Ce projet d'accord illustre à merveille l'objectif fondateur de l'OMC inscrit dans le préambule de l'Accord de Marrakech, qui est de relever les niveaux de vie, créer des emplois et soutenir le développement durable.  Cet accord est crucial pour les 260 millions de personnes dans le monde dont les moyens de subsistance dépendent directement ou indirectement de la pêche maritime. Il est aussi essentiel pour la durabilité de nos océans alors que les dernières études montrent que près de 50% des stocks pour lesquels nous disposons de données sont surexploités.

Obtenir des résultats sur la pêche, c'est obtenir des résultats sur l'ODD 14.6! Je le dis et le répète: 21 ans, c'est assez. Combien de temps allons-nous attendre pour contribuer de manière significative aux objectifs mondiaux de développement durables? Nos enfants nous pardonneront-ils, les femmes et les hommes qui vivent pauvrement de la pêche nous pardonneront-ils si nous laissons les océans se dépeupler?

La Conférence des Nations Unies sur les océans aura lieu dans deux semaines et le monde a fait savoir qu'il sera alors demandé à l'OMC de rendre des comptes. Alors chers amis, Mesdames et Messieurs les Ministres, montrons-nous à la hauteur et concluons une bonne fois pour toutes un accord pour réglementer les subventions à la pêche préjudiciables.

Passons maintenant à la réforme de l'OMC. Il est évident que nos fonctions essentielles de suivi, de négociation et de règlement des différends n'ont pas évolué d'une manière qui reflète convenablement les rapides développements économiques et technologiques qui marquent notre époque.

En ce qui concerne les négociations, il est important de réaffirmer que l'approche multilatérale, l'engagement unique, est de loin l'instrument privilégié. Mais s'agit-il de la seule voie possible? Pourrait-on envisager une panoplie d'instruments ou d'approches de négociation différents? L'approche multilatérale n'a guère donné de résultats ces dernières années, ce qui a incité nombre de Membres, déçus, à se tourner vers des arrangements plurilatéraux. Notre approche fondée sur la prise de décisions par consensus, bien que démocratique et égalitaire — qualités fort louables —, conduit souvent à la paralysie étant donné qu'un seul Membre peut bloquer ce qui pourrait être un bon accord soutenu par le plus grand nombre. Nous devons réfléchir sérieusement aux moyens de moderniser notre fonction de négociation et d'inventer de nouvelles approches tout en améliorant celles qui existent déjà. Je le répète: l'instrument multilatéral est la meilleure des voies, et nous devons nous y engager.

La façon dont nous négocions les accords, avec des discussions qui se prolongent inutilement plusieurs années durant, est à son tour liée à la crainte de se retrouver pris dans notre système de règlement des différends, c'est pourquoi chaque mot, chaque virgule (peut-être à juste titre) est scruté pour en révéler le sens juridique ou les interprétations potentielles. Pour la plupart des Membres, le point le plus important de la réforme de l'OMC est la réforme de notre système de règlement des différends et de son approche à deux niveaux passant par l'Organe d'appel. Je suis heureuse de dire que l'ouverture du dialogue entre les Membres sur le plan technique commence maintenant à laisser entrevoir à quoi pourrait ressembler cette réforme.

Nous devons aussi améliorer nos fonctions de suivi, de notification et de transparence, et offrir aux pays en développement et aux pays les moins avancés le renforcement des capacités dont ils ont besoin pour rendre leur participation plus effective. Excellences, il ne fait guère de doute que si nous voulons une OMC prête pour l'avenir, nous devons placer ces aspects de sa réforme au cœur de nos travaux.

Un volet crucial de la réforme consiste à veiller à ce que l'OMC obtienne des résultats pour les pays en développement et les pays les moins avancés que nous comptons parmi nos Membres. Il est donc essentiel de réaffirmer l'importance du traitement spécial et différencié dans le cadre de l'Organisation. Nos accords fondateurs appellent à faire des efforts positifs pour que les pays en développement, et en particulier les moins avancés d'entre eux, puissent faire du commerce un moteur de leur développement économique.

Le commerce est un instrument de développement, et non une fin en soi. De fait, l'accès aux marchés internationaux pour les biens et services à valeur ajoutée est la voie de développement qui a fait ses preuves plus que toute autre dans l'histoire. Mais trop nombreux sont nos Membres qui n'ont pas pu s'engager sur cette voie ou y rester.

Voilà pourquoi le traitement spécial et différencié reste nécessaire. Il serait bon que les Membres qui n'ont pas besoin d'un tel traitement parce qu'ils sont sur la bonne voie indiquent clairement qu'ils n'y recourront pas, de sorte que les flexibilités puissent être accordées à ceux qui en ont besoin.

Les priorités des PMA méritent bien entendu une attention particulière. Certains d'entre eux ont eu d'assez bons résultats pour sortir de cette catégorie, et ils tiennent à aplanir les difficultés qui pourraient accompagner cette transition. Nous ne devons pas non plus oublier les questions intéressant des groupes tels que le groupe “Coton-4”, qui constituent un test de la capacité de l'OMC d'obtenir des résultats pour les pays les plus pauvres.

La réforme comporte également d'autres aspects, tels que les subventions aux secteurs industriel et agricole, entre autres, ainsi que les questions d'égalité des conditions, l'enjeu étant que le système commercial multilatéral fondé sur des règles puisse rester prévisible et transparent, tout en garantissant une concurrence loyale ainsi que la libre circulation des marchandises et des services.

La réforme vise aussi à faire du commerce un outil d'inclusion socioéconomique en aidant les femmes et les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) à s'intégrer dans les chaînes de valeur régionales et mondiales. À cet égard, j'espère que nous pourrons surmonter nos divergences sur notre document final afin que les femmes puissent faire partie intégrante de ce que nous prônons.

Le commerce se met au numérique et à l'écologie. La réforme vise à adapter l'OMC à sa finalité afin qu'elle puisse se saisir de ces dossiers et les traiter avec succès. Il sera essentiel de conclure des accords qui sous-tendent l'économie des services, le commerce électronique et le commerce vert, conformément à l'objectif d'élimination des émissions nettes de carbone pour 2050. Je suis ravie de dire que les Membres de l'OMC obtiennent déjà des résultats dans ces nouveaux domaines, qu'il s'agisse de l'Accord sur la réglementation intérieure dans le domaine des services conclu en décembre dernier, des négociations sur le commerce électronique et la facilitation de l'investissement, des discussions structurées sur la durabilité environnementale, le changement climatique et le commerce, ou, bien entendu, du Groupe de travail informel sur les femmes.

Vous aurez à prendre une décision importante dans le domaine du commerce numérique, en ce qui concerne le moratoire sur la perception de droits de douane sur les transmissions électroniques. J'ai reçu plus de lettres d'associations professionnelles du monde entier sur cette question que sur toute autre question auparavant. J'espère que les Ministres auront le courage de prendre la bonne décision dans ce domaine crucial.

Que recherchons-nous donc à la CM12 pour faire avancer la réforme de l'OMC? Nous recherchons une décision sur le processus. Quelle approche l'OMC devrait-elle suivre pour engager ces réformes? Quelle approche faciliterait l'obtention d'un accord sur le fond des réformes, un programme de travail et un calendrier pour que nous commencions à opérer des changements d'ici à la CM13? Excellences, il sera important pour la crédibilité de l'Organisation de parvenir à un consensus sur le processus des réformes.

Excellences, l'ordre du jour de la CM12 est enthousiasmant, mais il est aussi difficile. Au cours des trois prochains jours, nous devrons travailler dur pour parvenir à un consensus et obtenir des résultats sur les accords, déclarations et décisions dont nous sommes saisis.

Mesdames et Messieurs les Ministres, mon rêve est que nous obtenions des résultats sur ce programme, mais comme l'a dit Ellen Johnson Sirleaf, et je cite, “La taille de vos rêves doit toujours dépasser votre capacité actuelle de les réaliser”. Mme Johnson Sirleaf a raison. Toutefois, les rêves se réalisent étape par étape. Vous savez tous que la surcharge du système constitue un risque réel dans toute négociation. Trois résultats valent mieux que deux, et deux valent mieux qu'un seul. Mais obtenir ne serait-ce qu'un seul résultat nous rapprocherait de nos rêves davantage que de rentrer chez nous les mains vides.

Mesdames et Messieurs, Excellences, permettez-moi de conclure en disant que nous pouvons et devrions obtenir des résultats. Comme l'a dit Nelson Mandela: “Cela paraît toujours impossible jusqu'à ce que ce soit fait”. Alors faisons-le! Faisons en sorte qu'au terme de la CM12, nous puissions célébrer un succès et nous dire que nous avons jeté les bases de l'après-CM12, avec la CM13 en ligne de mire.

Je vous remercie, et je remercie à nouveau le personnel du Secrétariat de l'OMC dont le travail acharné rend cette Conférence possible.

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