NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

Strasbourg, 18 octobre 2005

Comité des organisations professionnelles agricoles de l'UE (COPA), confédération générale des coopératives agricoles de l'UE (COGECA)

Les négociations sur l'agriculture dans le cadre de l'OMC

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui pour parler de l'état d'avancement des négociations sur l'agriculture dans le Cycle de Doha. Interprétant les rêves du pharaon d'Égypte, le premier économiste agricole qui ait jamais existé — Joseph — avait prédit sept années d'abondance suivies de sept années de famine. Aujourd'hui, la plupart des économistes agricoles prédisent qu'un succès des négociations de l'OMC sur l'agriculture pourrait conduire à beaucoup plus d'abondance que de famine. En fait, un seul chiffre résume la situation. Plus de 70% des pauvres des pays en développement vivent dans les zones rurales. Le développement rural est donc essentiel pour étendre à d'autres l'abondance que seules connaissent quelques parties du monde.

Il n'est pas étonnant par conséquent que l'agriculture soit un des principaux piliers du Cycle de Doha. Mais c'est aussi un des piliers qui soulève le plus de difficultés, et chacune et chacun d'entre vous sait que les ministres de vos états membres sont en ce moment en réunion à Luxembourg. Ces difficultés tiennent aux nombreux points de vue différents qui existent sur l'agriculture. Pour certains Membres de l'OMC, l'agriculture n'est pas une activité économique comme les autres, et les produits agricoles ne peuvent tout simplement pas être mis sur le même pied que les chemises ou le charbon. Ceux qui pensent que l'agriculture est, je cite, “différente”, pensent qu'elle couvre beaucoup plus que l'alimentation. Elle couvre la sécurité alimentaire, la protection de l'environnement, le bien-être des animaux, qui sont des objectives légitimes des politiques publiques. C'est aussi une activité économique qui dépend de facteurs climatiques et géographiques. Par exemple, les européens font souvent valoir qu'en Europe les terres sont rares et les conditions d'exploitation difficiles. Sur ce continent, la taille moyenne des exploitations est de 20 hectares, 60% d'entre elles ayant même une superficie inférieure à 5 hectares, contre 200 hectares aux États-Unis et 2 000 hectares en Argentine.

Enfin, ils disent que l'agriculture est également liée aux choix que nous faisons pour gérer ce que la nature nous a donné, qu'il s'agisse de la terre, de l'eau ou d'autres ressources. En outre, les partisans de cette thèse particulière soutiendront que les politiques agricoles sont nécessaires pour assurer le développement rural et la cohésion sociale.

Mais cette thèse ne fait pas l'unanimité. Ce n'est pas que certains Membres de l'OMC ne jugent pas nécessaires la protection de l'environnement ou la cohésion sociale — tout le monde les juge nécessaires — mais des divergences fondamentales subsistent quant au rôle que ces objectifs de politique générale publique devraient jouer dans une politique agricole.

Il est donc évident que le débat sur le rôle de l'agriculture dans le commerce international reste largement ouvert. Mais qu'on croit ou non en la spécificité du secteur agricole, tous sont d'avis qu'il est important que la concurrence dans ce secteur soit loyale et que les subventions qui influencent le commerce international soient disciplinées. Et c'est précisément ce dont l'OMC s'occupe. Il ne s'agit pas de savoir si les pays peuvent ou non soutenir leurs agriculteurs mais de savoir comment les pays utilisent leur soutien à l'agriculture dès lors qu'ils exportent ou qu'ils importent.

Beaucoup des pays les plus pauvres du monde sont presque entièrement tributaires de leur production agricole et souhaitent que des disciplines s'appliquent au soutien à l'agriculture, et qu'il y ait effectivement une certaine ouverture des marchés. Ces pays ont été déçus par les résultats de la dernière série de négociations agricoles, celles du Cycle d'Uruguay. L'importance de l'agriculture pour les pays en développement est attestée par les nombreuses alliances différentes qui se sont constituées à l'OMC sur cette question. Les quatre pays africains auteurs de l'Initiative sur le coton demandent avec insistance la réforme de toutes les politiques qui faussent les échanges de ce produit. Le G20, formé de pays en développement émergents, réclame avec tout autant d'insistance moins de distorsion des échanges et une plus grande ouverture des marchés dans le secteur de l'agriculture — actuellement ils font même davantage entendre leur voix que le Groupe de Cairns.

En fait, de nombreux pays en développement ont bien fait comprendre que pour eux “agriculture” équivaudrait à “développement” au cours du Cycle de Doha.

On sait tous qu'avant le Cycle d'Uruguay l'agriculture échappait dans une large mesure aux règles du système commercial multilatéral. C'est en effet le Cycle d'Uruguay qui a permis de réaliser dans le secteur de l'agriculture une ouverture des échanges qui s'était produite une cinquantaine d'années auparavant dans le secteur industriel. Certes beaucoup ont été déçus par les résultats obtenus, mais cet accord a sans aucun doute modifié notre manière de voir les choses. Il a permis de se rendre compte que la réforme était inévitable si l'on voulait établir un système de commerce des produits agricoles plus équitable. De fait, la “boîte bleue” a été créée précisément pour encourager la réforme; elle a abouti au “découplage” des subventions de la production.

Dix ans exactement se sont écoulés depuis la fin du Cycle d'Uruguay. Maintenant, il nous incombe d'aller plus loin en ce qui concerne l'agriculture. Tout le monde sait que les tarifs agricoles restent élevés dans les pays développés. De fait, ils sont de deux à quatre fois plus élevés que les droits applicables aux produits manufacturés. En outre, près de 30% de la production intérieure des pays de l'OCDE est protégée par des contingents tarifaires. Les pics tarifaires et la progressivité des droits sont aussi monnaie courante. Et il y a bien sûr également les subventions à l'exportation et le soutien interne.

Il faut donc agir. Des initiatives sont déjà en cours. Pendant les années 90, d'importantes réformes ont été réalisées par les pays en développement de manière unilatérale. Parmi les pays développés, certains ont aussi pris la voie de la réforme. Et vous êtes bien placés pour le savoir vu les réformes de la politique agricole commune entreprises par l'UE depuis les années 90 — réformes qui reposent sur la force des européens en tant que producteurs de produits alimentaires à valeur ajoutée. Premièrement, les subventions à l'exportation ont été réduites et, dans la seule UE, elles sont tombées de 10 milliards d'euros en 1991 à moins de 3 milliards d'euros actuellement. Deuxièmement, les soutiens budgétaires ont été plafonnés et troisièmement de nombreux pays de l'OCDE, comme l'UE, ont opté pour un découplage de leur soutien agricole des quantités produites.

Le Cycle de Doha offre la possibilité de poursuivre la réforme. Pour l'UE, qui a déjà décidé sa propre réforme, c'est l'occasion d'obtenir un double dividende, si je puis parler ainsi. D'une part, vous pouvez bénéficier des effets de votre réforme; et, d'autre part, elle vous permet d'obtenir des autres Membres de l'OMC la réforme de leur propre politique agricole.

Le Cadre négocié en juillet 2004 fixe une feuille de route pour l'accord final sur l'agriculture. Il préconise des améliorations substantielles en matière d'accès aux marchés pour tous les produits, laissant la possibilité de désigner certains produits sensibles. Au sujet du soutien interne, il prévoit des réductions substantielles du soutien qui a le plus d'effets de distorsion des échanges ainsi qu'un “acompte” ou une réduction de 20% la première année de mise en œuvre de l'accord final. Il préconise aussi, par exemple, un durcissement des critères applicables à la boîte bleue de manière à encourager une réforme des politiques agricoles des Membres, comparable aux changements que l'UE a déjà apportés. Il consolide la “boîte verte” qui concerne les soutiens justifiés par des objectives de politiques publiques qui bénéficient les activités agricoles. Enfin, en ce qui concerne la concurrence à l'exportation, il prévoit l'élimination de toutes les formes de subventions à l'exportation. Il y a bien sûr aussi la question du coton, qui doit être réglée de manière ambitieuse et rapide dans ces négociations.

Tout le monde devra faire des compromis dans ces négociations. J'ai encouragé, dans un premier temps, les États-Unis et l'UE à parvenir à un accord. Les États-Unis doivent faire preuve d'une plus grande flexibilité en ce qui concerne le soutien interne et l'UE doit faire de même en ce qui concerne l'accès aux marchés. Et, d'ailleurs, les choses ont commencé à bouger la semaine dernière. Les États Unis sont maintenant décidés à entreprendre une réforme de leur politique agricole. Cela place le pilier soutien interne dans une position plus comparable à celle de la concurrence à l'exportation — en d'autres termes il se présente maintenant “sous une forme négociable,” ce qui est à mon sens, une avancée.

Au sujet de l'accès aux marchés, les propositions qui ont été présentées par le G-10, l'UE, les États-Unis, le G-33 et enfin le G-20 ont aussi donné de l'élan au processus. Toutefois, les positions en ce qui concerne ce pilier sont encore trop éloignées l'une de l'autre pour que les véritables négociations puissent commencer. La proposition des États-Unis se situe, sur le spectre des ambitions, à une extrémité, tandis que les propositions de l'UE et du G-10 sont à l'autre extrémité. Celle du G-20 se trouve quelque part au milieu. Les négociateurs doivent désormais fixer leur position quant au niveau d'ambition nécessaire pour ce pilier. Ce qui implique un mouvement des négociateurs européens en utilisant les marges de manœuvre crées par la réforme de la PAC.

Quand les pays réforment leurs politiques agricoles, il est important de garder à l'esprit qu'ils ne le font pas pour l'OMC. Les pays engagent des réformes avant tout pour eux-mêmes. L'OMC n'est là que pour consolider les réformes que les pays entreprennent pour améliorer leur propre bien être, contribuant ce faisant à la transparence et à la prévisibilité des échanges internationaux.

Une partie de ces réformes permettrait d'assurer que les politiques agricoles atteignent véritablement les objectifs pour lesquels elles ont été conçues. Chacun sait que dans plusieurs pays ce sont les plus riches et non les plus pauvres qui reçoivent l'essentiel du soutien agricole. Nul n'ignore non plus que ce soutien s'est traduit par une hausse des prix des terres, entraînant l'expansion d'exploitations déjà grandes et l'élimination de petites exploitations familiales. La réforme permettrait donc de corriger de tels déséquilibres. Elle permettrait aussi de garantir que les politiques agricoles qui sont destinées à protéger l'environnement deviennent plus ciblées.

Pendant ces négociations il faut se rappeler que le chapitre agriculture n'est que l'un des piliers des négociations. Nous devons avancer sur ce sujet pour que les négociations chiffrées puissent commencer dès que possible sur les autres piliers de la négociation, comme pour les produits industriels ou pour les services. Cette séquence, qu'il faut considérer avec lucidité, ne retirera rien au principe de l'engagement unique. A l'OMC, dès lors que la liste des sujets à négocier est fixée, et cela fut fait il y a quatre ans à Doha, il n'y a pas de concession partielle. Il n'y a que des concessions conditionnelles. Elles ne valent que si l'ensemble des pièces du puzzle se mettent en place.

Mesdames et Messieurs, le commerce n'est pas un jeu à somme nulle. Lorsque nous participons à une négociation commerciale, nous avons tous quelque chose à gagner du résultat qui en découlera. C'est pourquoi il nous faut maintenant d'aller de l'avant. Ne manquons pas l'occasion qui nous est offerte avec la Conférence ministérielle de Hong Kong. Elle pourrait ne pas se présenter si tôt. Je vous remercie de votre attention.