NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

Conférence organisée par le Centre for Trade and Economic Integration (Centre pour le commerce et l’intégration économique — CTEI) à l’Institut pour la recherche sur les échanges commerciaux internationaux, Genève

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> Allocutions: Pascal Lamy

C'est un plaisir pour moi de vous accueillir ici et d'avoir la possibilité de partager avec vous quelques réflexions sur l'énergie et ses relations avec le commerce et sa gouvernance. Il s'agit là, en effet, de questions complexes qui prennent de plus en plus d'importance dans les relations économiques internationales.

Je me suis engagé pour la première fois publiquement dans le débat sur l'énergie et le commerce devant le Congrès mondial de l'énergie, il y a deux ans, à Rome. Dans mon intervention, j'avais analysé certaines des raisons pour lesquelles l'énergie n'a pas occupé jusqu'ici une place de premier plan au GATT/à l'OMC, alors même que beaucoup des principes qui sous-tendent nos règles commerciales s'appliquent — de façon souvent déterminante — au commerce international de l'énergie et des services qui s'y rapportent. J'avais fait valoir également que, pour diverses raisons, le moment était peut-être venu de se pencher de plus près sur ces questions. Deux ans après, il me semble que c'est encore plus vrai. Je ne peux donc que me féliciter de l'initiative prise par les organisateurs de cette conférence.

Les principaux produits énergétiques ont des caractéristiques spéciales

Comme nous le savons tous, l'énergie en tant que produit présente des spécificités qui expliquent que la politique des pouvoirs publics lui accorde un traitement différent de celui réservé à bon nombre d'autres produits du secteur manufacturier ou du secteur agricole, par exemple.

Les marchés jouent à l'évidence un rôle dans l'économie de l'offre et de la demande d'énergie, mais ils le font de façon relativement plus complexe que ce qu'un manuel d'économie nous apprend en général du fonctionnement des marchés et du rôle du commerce international.

Arrêtons-nous quelques instants sur certaines des raisons de cette situation.

Premièrement, de nos jours, l'offre d'énergie — s'agissant des combustibles fossiles et du gaz naturel, en particulier — se caractérise pour une grande part par sa concentration géographique, le fait qu'elle porte sur des ressources fixes et la place prééminente qu'elle occupe dans la production et les échanges des pays qui en disposent. Du côté de l'offre, donc, les courants commerciaux sont largement prédéterminés et n'évoluent que lentement, contrairement à l'avantage comparatif instable que nous associons aux économies moins bien dotées en ressources.

Mais, comparée à la concentration géographique qui caractérise l'offre sur les marchés de l'énergie, la demande est très diversifiée car nous avons tous besoin d'énergie pour faire tourner nos économies. Cette relation entre l'offre et la demande a des conséquences importantes pour les conditions économiques et politiques dans lesquelles se font les échanges.

Les produits énergétiques clés d'aujourd'hui ont pour seconde caractéristique d'être rares et non renouvelables. Cette particularité, conjuguée à leur concentration en des lieux fixes, explique qu'il y ait moins de concurrence directe dans leur production et que des rentes économiques considérables se soient créées.

Troisièmement, les secteurs des ressources naturelles tendent à afficher des prix très volatils. Si aucun modèle économique majeur n'explique les causes d'une telle volatilité, certains facteurs sont connus: les aléas de l'offre, l'inélasticité de la demande due à l'absence de substituts immédiats aux produits énergétiques traditionnels, la spéculation et l'incertitude politique qui entoure certains pays producteurs.

Le commerce et l'accent mis traditionnellement par l'OMC sur des règles commerciales particulières ne jouent pas leur rôle “ordinaire” sur de nombreux marchés énergétiques — mais le commerce et les règles commerciales conservent leur pertinence

Ce concours de circonstances signifie que le commerce ne renforce pas la concurrence et n'ajuste pas l'allocation des ressources selon le processus “ricardien” type auquel nous pensons lorsque l'on évoque les échanges de produits manufacturés, de produits agricoles ou de services.

L'option retenue traditionnellement par le GATT/l'OMC, qui consiste à mettre l'accent sur les instruments de politique commerciale tels que les droits de douane et les contingents, s'applique moins bien aux marchés énergétiques. De fait, certains pensent que, pour l'essentiel, les préoccupations qui se manifestent dans le domaine de l'énergie ont trait davantage aux “marchés” qu'au “commerce”. Ces préoccupations — qui concernent entre autres la concurrence et l'accès aux approvisionnements — n'ont pas vraiment été, au fil des ans, au cœur des travaux du GATT/de l'OMC.

Sur un plan purement pratique, il est vrai également que bon nombre des fournisseurs de produits énergétiques traditionnels sont soit des pays ayant récemment accédé à l'OMC, soit des pays encore engagés dans le processus de négociation de leur accession. Je me contenterai de citer ici, à titre d'exemple, certains de ceux qui frappent aujourd'hui à la porte de l'OMC: la Russie, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, l'Algérie, la Libye, l'Iran, l'Iraq et le Soudan.

En outre, quel que soit l'endroit où se situent les sources d'énergie traditionnelles, les questions de souveraineté et les considérations d'ordre stratégique jouent un rôle beaucoup plus grand dans ce secteur et rendent les intéressés plus réticents à accéder à des accords internationaux contraignants.

Mais soyons clairs. Je ne soutiens pas — sur le plan des principes ou formellement — que l'OMC et le monde de l'énergie sont deux univers parallèles et devraient le rester à jamais. Loin de là. La culture de coopération commerciale internationale qui définit l'OMC — et bon nombre des règles sur lesquelles se fonde notre Organisation — est effectivement applicable ou pourrait s'appliquer à l'énergie, et ce de diverses manières sur lesquelles je reviendrai dans un instant.

La réalité des marchés de l'énergie change

Avant d'aller plus loin, pourtant, je voudrais rappeler certaines mutations importantes qui se produisent à l'heure actuelle sur les marchés de l'énergie et dont certains estiment qu'elles justifient encore davantage que l'OMC redouble d'attention vis-à-vis de ce secteur. Avec le temps, le nombre d'opérateurs actifs du côté de l'offre a augmenté. Les progrès technologiques et la diversification des sources d'énergie ont joué un rôle non négligeable à cet égard. Les énergies fossiles et le gaz naturel sont de plus en plus en concurrence avec d'autres sources, telles que le nucléaire ou les énergies renouvelables — notamment les biocarburants et les énergies éolienne, hydraulique et solaire.

La vogue des énergies renouvelables ne pourra que se poursuivre avec l'intensification des craintes d'un réchauffement de la planète. Le changement climatique et comment nous pouvons faire appel à la coopération internationale pour le combattre sont désormais au centre des préoccupations exprimées à travers le monde, et cela a des répercussions très importantes sur les marchés de l'énergie.

Je ne veux pas dire que la structure du marché de l'énergie va changer du jour au lendemain, ou que la technologie ne fera pas des miracles dans les énergies traditionnelles comme dans les nouveaux domaines — je pense au développement des techniques de captage et de stockage du carbone, par exemple. Mais j'affirme que le panorama est en train de se modifier et que cela doit conduire à une réflexion plus poussée sur la contribution qu'une institution comme l'OMC peut apporter à la mise en place d'un cadre de coopération ordonnée et bénéfique à tous dans le domaine de l'énergie.

Les questions qui concernent ou pourraient concerner l'OMC

Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'objectif de l'OMC, sa structure actuelle et la teneur de certaines de ses règles s'appliquent directement au secteur énergétique. J'ajouterais qu'à mon sens, des extensions naturelles des règles en vigueur pourraient s'appliquer elles aussi à ce secteur.

Voyons brièvement tout cela de plus près.

Pour toutes les raisons déjà évoquées, l'OMC ne traite pas l'énergie comme un secteur à part. Mais, au sens large, la mission et le cadre de notre Organisation s'appliquent à l'ensemble du commerce. La non-discrimination, la transparence, une structure de règles explicites qui apporte la prévisibilité et réduit les aléas, une plus grande ouverture avec le temps et un mécanisme de règlement des différends constituent les fondements du système.

C'est le point de départ. Ensuite, un certain nombre de règles spécifiques revêtent une importance toute particulière. Comme dans tout secteur où le commerce est possible, il est possible aussi de lui opposer des obstacles.

Dans le cas du secteur énergétique, divers problèmes viennent à l'esprit: les subventions qui faussent les échanges, les disciplines en matière de commerce d'État, les droits de transit pour le transport de l'énergie et les restrictions à l'exportation. Comme vous l'avez vu aujourd'hui lors d'une des séances précédentes, l'OMC a son mot à dire sur chacun de ces points.

S'agissant des services, l'OMC a mis sur pied un cadre de coopération qui inclut les services annexes à l'extraction du pétrole et du gaz, les services annexes à la distribution d'énergie et le transport de combustibles par conduites. Les négociations en cours sur les services relatifs à l'énergie visent en fait une vaste gamme d'activités importantes pour tous ceux qui fournissent ou négocient l'énergie et couvrent la totalité des sources de celle-ci, y compris les énergies renouvelables. Les gouvernements cherchent à obtenir des engagements mutuels dans des domaines tels que les forages, les services d'ingénierie, les services d'essais techniques, la construction de conduites et la distribution.

Bon nombre de ces questions — services relatifs à l'énergie, règles de transit, subventions, biens et services respectueux du climat — font actuellement l'objet de négociations dans le cadre du Cycle de Doha en cours.

Cela dit, des interrogations évidentes restent sans réponse. De plus en plus de questions posées dans le domaine de l'énergie concernent les politiques de concurrence et d'investissement, sur lesquelles l'OMC n'a pour ainsi dire pas d'influence à l'heure actuelle. En effet, il n'existe pas pour le moment de disciplines en matière de taxes à l'exportation.

D'autre part, à mesure que la crainte d'un changement climatique se répand, l'implication de l'OMC se justifie au regard du recours possible aux mesures commerciales pour désamorcer les craintes de fuites de carbone ou de pertes de compétitivité liées aux coûts de la contrainte carbone imposée aux producteurs. Le développement possible d'un marché international des permis d'émission de carbone et l'établissement, dans ce domaine, d'échanges compensés susceptibles d'être considérés comme un “subventionnement” pourraient aussi impliquer l'OMC sous cet angle.

Observations finales

Mon propos n'était pas de faire ici un compte rendu exhaustif de l'interface entre l'énergie et l'OMC. Mais les liens qui les unissent sont suffisamment clairs. Nous devons, à mon sens, nous poser une question clé, qui repose sur le triple constat que je viens de faire devant vous:

  • premièrement, l'énergie est d'une importance primordiale pour chacune de nos économies,

  • deuxièmement, le secteur énergétique présente des caractéristiques particulières qui influent sur la nature et le contenu de la coopération internationale,

  • troisièmement, ce secteur connaît une mutation rapide et à divers égards fondamentale.

La question clé à laquelle je fais allusion est la suivante: avons-nous besoin d'une nouvelle gouvernance mondiale, plus complète, du secteur énergétique? Dans l'affirmative, quelles devraient être la forme et la teneur d'une telle gouvernance et son cadre institutionnel? Enfin, quel serait le rôle de l'OMC dans cette nouvelle gouvernance de l'énergie? Notre Organisation devrait-elle, par exemple, adapter ses règles actuelles ou en définir de nouvelles, spécifiques au secteur énergétique?

Tels sont, selon moi, les points qu'il convient d'étudier. J'espère qu'une conférence comme celle-ci aidera à démêler l'écheveau complexe des questions posées et commencera à nous orienter vers des réponses fondées sur les recherches dans ce domaine. J'attends avec intérêt de connaître les résultats de vos délibérations.

Votre journée a été longue, je m'en tiendrai donc là. Je suis prêt à prendre connaissance de vos observations et à répondre, le cas échéant, à vos questions.

Je vous remercie.

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