NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY
“Vers un partage des responsabilités et une plus grande cohérence: droits humains, commerce et politique macroéconomique”
Colloque sur les droits humains dans l’économie globale, coorganisé par le Conseil international sur les politiques des droits humains et Realizing rights, Genève, 13 janvier 2010
La dernière fois que nous avons abordé cette
question, c'était dans la cathédrale de Genève avec Desmond Tutu. Il
peut sembler étrange de rapprocher les questions du commerce et des
droits de l'homme. Nombreux sont ceux qui voient dans le commerce la
cause de bien des maux. C'est un symbole de mercantilisme, de
capitalisme, l'outil au moyen duquel des multinationales puissantes
imposent leurs lois aux hommes, compromettant les droits sociaux,
économiques et culturels. L'histoire de la relation entre le commerce
et les droits de l'homme est faite de défiance et dans une certaine
mesure d'ignorance réciproque délibérée.
Et pourtant, on ne saurait dissocier le commerce des droits de
l'homme. Le commerce présuppose une interaction humaine, le respect et
la compréhension. S'il est mené dans le respect de l'homme, “le
commerce polit et adoucit les mœurs barbares”, pour citer Montesquieu
et sa théorie du “doux commerce”.
On oublie trop souvent que les droits de l'homme et les règles
commerciales, y compris celles de l'OMC, reposent sur les mêmes
valeurs: liberté et responsabilité individuelles, non-discrimination,
primauté du droit et bien être par une coopération pacifique entre les
individus. Non seulement d'ailleurs reposent ils sur les mêmes valeurs
fondamentales; mais ils sont aussi le résultat de préoccupations
communes. Aussi bien les droits de l'homme que les règles commerciales
mondiales étaient considérés comme une composante essentielle de
l'ordre établi à la suite de la deuxième guerre mondiale, un rempart
contre le totalitarisme. Ce n'est pas une coïncidence si les graines
du système commercial multilatéral ont été semées au moment même où la
déclaration universelle des droits de l'homme était rédigée, au milieu
des années 1940. Elles étaient toutes deux considérées comme
indispensables à la paix dans le monde. Malgré ces fondements communs,
pendant des décennies, l'interaction entre les communautés s'occupant
de commerce et de droits de l'homme apparaît avoir été dominée par la
méfiance.
Et pourtant, les droits de l'homme et le commerce se renforcent
mutuellement. Les droits de l'homme sont essentiels au bon
fonctionnement du système commercial multilatéral tandis que les
règles commerciales et celles de l'OMC contribuent à la réalisation
des droits de l'homme.
Quel rôle les droits de l'homme jouent ils dans le commerce? Tout
d'abord, les droits civils et politiques sont un ingrédient essentiel
d'une bonne gouvernance, laquelle est à son tour essentielle à la
bonne conduite des relations commerciales. La liberté d'expression,
par exemple, favorise la transparence, qui est l'un des principes
fondamentaux du système commercial mondial. Ensuite, les droits
sociaux, économiques et culturels, souvent considérés comme les
principales victimes de la mondialisation et de l'ouverture des
marchés, sont d'importants ingrédients d'une libéralisation réussie du
commerce. Je reviendrai sur ce point dans quelques minutes.
Comment le commerce peut il contribuer à promouvoir les droits de
l'homme? Je commencerai en faisant observer que les mesures
commerciales sont l'instrument le plus fréquemment utilisé dans les
pays développés pour exercer des pressions sur les États en situation
de violation des droits de l'homme.
Qui plus est, le commerce est un moyen au service d'une fin, laquelle
est d'élever les niveaux de vie et d'améliorer les conditions
d'existence de tout un chacun. L'objectif de développement durable
figure parmi les objectifs principaux de l'OMC. Les négociateurs
commerciaux ont choisi de l'inscrire dans le préambule de l'Accord sur
l'OMC. Comment cet objectif est il atteint? L'ouverture des marchés
est source d'efficacité, elle stimule la croissance et contribue au
développement, favorisant ainsi la mise en œuvre des droits de l'homme
fondamentaux que sont les droits sociaux et économiques. On pourrait
presque dire que le commerce, c'est les droits de l'homme mis en
pratique!
La réduction des obstacles commerciaux dans l'agriculture, un accès
aux marchés amélioré pour les produits agricoles et la diminution
progressive des subventions accordées par les pays riches à leurs
agriculteurs, par exemple, contribuent tous au même objectif: le droit
de tous à l'alimentation.
Mais permettez moi tout de suite d'éliminer un malentendu
malheureusement trop répandu. La vocation première de l'OMC est de
réglementer et non de déréglementer le commerce comme on le pense
souvent. En mettant en place des règles visant à réglementer les
courants d'échanges et à éliminer les distorsions faussant les
échanges, l'OMC vise à créer des conditions d'égalité pour tous, une
situation où l'équité est la règle et où les droits des membres
individuels sont préservés.
Je ferai observer à cet égard que la jurisprudence du mécanisme de
règlement des différends de l'OMC a reconnu que le droit commercial
international ne pouvait être interprété “en isolation clinique” du
droit international général. Et, incidemment, comment l'OMC, créée en
1994 par un instrument juridique international — pourrait elle
s'abstraire des règles de ce droit international général dont elle
tient sa mission et son existence même?
Bien sûr, les règles commerciales ne sont pas parfaites. Elles peuvent
dans certains cas avoir des conséquences sur les droits de l'homme qui
n'étaient pas voulues. C'est ce que certains ont soutenu dans le cas
par exemple des droits de propriété intellectuelle. Je perçois
cependant une prise de conscience croissante parmi les spécialistes du
commerce de l'importance des droits de l'homme et du rôle que le
commerce peut jouer pour promouvoir et renforcer ces droits. Les
préoccupations qu'ont suscitées certaines dispositions de l'Accord sur
les ADPIC [droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce] ont conduit les négociateurs commerciaux à décider en 2005
d'amender l'Accord sur les ADPIC pour faciliter l'accès des pays en
développement dépourvus de capacité de production pharmaceutique
intérieure à des médicaments abordables. De même, des discussions sont
en cours concernant la protection possible du folklore et des savoirs
traditionnels.
Mais permettez-moi de revenir sur la question du commerce, du
développement et des droits de l'homme. Si le commerce peut promouvoir
le développement et contribuer au renforcement des droits de l'homme,
il n'est pas une panacée. La libéralisation des échanges peut avoir
des coûts sociaux. Pour être réussie, l'ouverture des marchés doit
s'accompagner de politiques sociales solides capables de redistribuer
les richesses ou de fournir des garanties aux hommes et aux femmes
dont les changements dans les règles commerciales et la structure des
échanges bouleversent les conditions de vie.
C'est ce que j'ai appelé le “consensus de Genève”, selon lequel
l'ouverture du commerce est nécessaire au bien-être collectif mais pas
suffisante.
Insuffisante si elle n'est pas accompagnée de filets de sécurité
solides qui contribuent à corriger les déséquilibres entre gagnants et
perdants au niveau national. Insuffisante si les pays qui ne disposent
pas des ressources financières, techniques et humaines suffisantes
pour mettre en place l'infrastructure nécessaire ou introduire ces
filets de sécurité au plan national ne reçoivent pas le soutien de la
communauté internationale. D'où l'importance du mandat de l'OMC dans
le domaine de l'Aide pour le commerce.
Pour que le commerce soit un instrument positif de renforcement des
droits de l'homme, il faut un effort international coordonné. Une
approche cohérente, qui intègre les objectifs de l'action publique
dans les domaines du commerce et des droits de l'homme, devrait être
élaborée. Il n'est plus possible de faire des progrès en agissant de
manière isolée. La cohérence devrait devenir le principe qui nous
inspire dans notre action de promotion du développement et des droits
de l'homme: cohérence entre les échelons local et mondial, entre le
monde du commerce et celui des droits de l'homme, enfin, entre l'OMC
en tant qu'institution et les diverses organisations actives en
matière de droits de l'homme.
Le monde d'aujourd'hui est peut-être plat, pour paraphraser Thomas
Friedman, mais il n'est pas uni. Il est au contraire plus fragmenté
que jamais. Le vent de la mondialisation, qui souffle depuis quelques
décennies, a dispersé nos énergies. Nous devons maintenant les
rassembler et agir d'une manière concertée.
Cette responsabilité nous incombe à tous. Il revient aux Membres de l'OMC,
pratiquement tous parties soit au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques soit au Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels, de s'acquitter de leurs
obligations en matière de droits de l'homme en même temps que des
obligations auxquelles ils ont souscrit dans le cadre de l'Accord sur
l'OMC. Mais il revient aussi à l'OMC, au Haut Commissariat aux droits
de l'homme — qui est le gardien des traités relatifs aux droits de
l'homme — et à des organisations telles que l'International Council on
Human Rights et Realizing Rights, d'œuvrer à l'institutionnalisation
des relations entre le monde du commerce et celui des droits de
l'homme. C'est à nous qu'il incombe de coordonner nos actions d'une
manière efficace et judicieuse pour faire en sorte que le commerce ne
porte pas atteinte aux droits de l'homme mais qu'au contraire il les
renforce. Je suis conscient de la tâche que cela représente et du
changement de mentalité que cela sous-entend.
Le fait de m'avoir invité à cette réunion d'aujourd'hui marque un
premier pas et je vous remercie d'avoir pris cette initiative.
J'espère, comme le disait Sir Winston Churchill que “ce n'est pas la
fin. Ce n'est même pas le début de la fin. Mais c'est peut-être la fin
du début.”
Je vous remercie de votre attention.
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