Permettez-moi tout d'abord de remercier le
European Policy Centre d'avoir organisé la rencontre de ce matin.
Je suis heureux qu'on m'ait donné l'occasion de défendre la cause du
commerce international, qui est un élément important de la solution
globale à la récente récession économique. La nécessité de maintenir
l'ouverture des marchés internationaux s'impose au moment où les pays
tentent de se relever de la crise.
Période de turbulence
Nous vivons actuellement des moments
difficiles. Nous savons que la croissance du PIB réel mondial a été
négative en 2009, se chiffrant selon les estimations à -2,2 pour cent.
Qui plus est, le taux de chômage mondial a atteint un niveau record;
ainsi, d'après l'Organisation internationale du travail, il y aurait
plus de 200 millions de chômeurs dans le monde. La récente crise
financière a incontestablement eu des effets négatifs sur l'économie
mondiale en termes de production et d'emploi.
Le commerce mondial fait aussi partie des victimes de cette crise, son
volume s'étant contracté d'environ 12 pour cent en 2009 — soit la plus
forte baisse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette chute
brutale est principalement imputable à la réduction de la demande
globale simultanément dans toutes les grandes économies du monde. Le
financement du commerce s'est fait rare pendant cette période, ce qui a
également contribué à la contraction des courants d'échanges. Certains
pays ont relevé leurs droits de douane, augmenté leurs subventions
internes, établi de nouvelles mesures non tarifaires ou engagé des
actions antidumping, ce qui a eu un effet défavorable sur le commerce,
bien qu'à un degré moindre.
Le début de l'année dernière a été marqué par un effondrement des
échanges et un tarissement du financement pour le commerce, ainsi que
par la crainte d'une réduction du financement de l'''Aide pour le
commerce” par les donateurs et d'une montée du protectionnisme. Et
pourtant, un an après le commencement de la crise, force est de
constater, pour l'instant du moins, que le système commercial
multilatéral a prouvé sa solidité comme rempart contre un
protectionnisme effréné.
Dans la plupart des pays développés, y compris ceux de l'Union
européenne, des plans de relance ont contribué à freiner la baisse de la
production tout en ouvrant la voie à la reprise. Il est encore trop tôt
pour savoir si certaines des mesures prises pour stimuler les économies
renferment des dispositions qui favorisent les biens et services
produits localement, au détriment des importations.
Les effets positifs des plans de relance nationaux sont toutefois
fugaces, et l'inquiétude ne cesse de croître devant les énormes déficits
budgétaires que de nombreux gouvernements ont accumulés. Nous avons
besoin, de toute urgence, d'autres sources de croissance — de moteurs de
croissance durables qui ne pénaliseront pas davantage des économies déjà
lourdement endettées. C'est à cet égard que le commerce peut jouer un
rôle important, tant à long terme qu'à court ou moyen terme.
Le commerce, moteur de la croissance et de l'emploi
À long terme, la croissance économique est
fortement tributaire des avancées technologiques et de la qualité des
institutions nationales. Dans ce contexte, le commerce a un rôle
important à jouer.
Premièrement, le commerce peut accélérer les progrès technologiques en
accroissant les incitations à innover, en facilitant le transfert de
technologie et en favorisant l'“apprentissage par la pratique”.
Deuxièmement, la réforme du commerce peut directement améliorer la
qualité des institutions en amenant à adopter certaines normes
institutionnelles. En outre, les préférences qui sous-tendent ces
réformes institutionnelles peuvent être la conséquence indirecte de
l'action des forces du marché associées au commerce.
À court et moyen termes, le commerce permet à la demande extérieure de
compenser une faible demande intérieure au sortir de la crise. Cet
élément est particulièrement important dans plusieurs pays développés,
où la demande intérieure risque de rester faible en attendant la
reconstitution de l'épargne intérieure et le redressement du système
financier. L'ouverture des marchés de différents pays est importante
pour atténuer les effets d'une situation de crise.
D'une manière plus générale, le commerce peut accroître les niveaux de
revenu ou de production grâce aux gains d'efficience résultant d'une
spécialisation de la production sur la base d'avantages comparatifs,
d'une concurrence accrue, de l'accès à une gamme plus large d'intrants
intermédiaires, d'économies d'échelle et à d'une réaffectation
intrasectorielle des ressources.
Par ailleurs, les exportations, en particulier, peuvent accroître les
niveaux et les taux de croissance des revenus ou de la production, car
elles ont souvent une forte composante valeur ajoutée. Cela est
particulièrement vrai pour les pays développés, où les entreprises sont
spécialisées dans le segment à forte valeur ajoutée de la filière
d'approvisionnement. Il faut souligner que la composante valeur ajoutée
des exportations est susceptible d'avoir une incidence positive sur la
demande intérieure en raison des liens en amont avec plusieurs secteurs
de l'économie.
La réalité montre que la teneur en éléments nationaux de la valeur
ajoutée par les exportations augmente à mesure qu'un pays se développe.
En 2008, par exemple, 80 pour cent de la valeur des marchandises
exportées par les États-Unis étaient liés à la teneur en éléments
nationaux, alors que ce chiffre n'était que de 42 pour cent dans le cas
de la Malaisie. Outre l'argument de la valeur ajoutée, il apparaît que
“l'apprentissage par l'exportation” accroît la productivité et, partant,
favorise la croissance.
Je m'écarte quelques instants de mon propos pour souligner que le
commerce peut contribuer à maintenir les prix bas au sortir de la crise.
Ainsi, les prix n'augmenteront pas autant à la suite d'une hausse de la
production et d'une baisse du nombre de sans-emploi dans une économie
ouverte au commerce, parce que les échanges commerciaux permettent aux
pays de se procurer des biens ou intrants importants dans le reste du
monde.
L'augmentation des niveaux de production ou de revenu est un élément
essentiel du processus de reprise économique. Mais la réduction des taux
de chômage est un élément tout aussi crucial. Ces taux restent pour
l'instant beaucoup trop élevés. De nouveaux efforts doivent être
déployés pour donner à nos concitoyens les moyens de se prendre en
charge. Le commerce peut faire partie de la solution. Comment peut-il
donc atténuer ce problème?
Une hausse des revenus permet bien évidemment de créer des emplois dans
différents secteurs, en accroissant la demande intérieure, ce qui a un
effet d'entraînement. L'augmentation du nombre d'emplois qui en résulte
peut être qualifiée d'effet secondaire.
Mais il est également probable que le commerce, en général, et les
exportations, en particulier, contribuent directement à la baisse du
chômage au cours de la phase de reprise suivant la crise financière. Ces
effets “primaires” sont ceux ressentis par un certain nombre de pays qui
se caractérisent par une forte proportion d'emplois tributaires des
exportations.
On estime, par exemple, qu'en Allemagne 22 pour cent des emplois
dépendaient des exportations en 2008. De même, dans le secteur
manufacturier des États-Unis, deux emplois sur dix étaient liés aux
exportations en 2006. Le secteur des importations occupe également un
grand nombre de salariés. En Australie, par exemple, un salarié sur dix
exerçait une activité liée aux importations en 2008.
Envisageons maintenant l'avenir. Selon des estimations préliminaires, en
2010, environ 40 millions d'emplois en Chine pourraient être liés aux
exportations et environ 160 000 emplois pourraient être créés aux
États-Unis grâce aux exportations de produits manufacturés.
Ces chiffres semblent particulièrement pertinents au vu de la
conjoncture actuelle, où le commerce est en mesure de se redresser
fortement et de conduire à la création d'emplois, en particulier dans
les secteurs axés sur les exportations.
Il faut évidemment garder à l'esprit que tous les emplois qui seront
créés dans ces secteurs ne seront pas affectés à des chômeurs. Certains
seront attribués à des salariés qui auront rejoint le secteur des
exportations parce qu'il offre de meilleures perspectives.
Quand bien même, cette redistribution reste très positive d'un point de
vue économique. Elle entraîne un transfert des salariés des secteurs où
leur produit marginal est faible vers les secteurs où leur produit
marginal est plus élevé. Il en résulte des gains de productivité pour
l'économie et, de ce fait, une hausse de la production et du chômage.
Toutefois, compte tenu des sommets actuellement atteints par les taux de
chômage au niveau mondial, il est probable que bon nombre des personnes
qui seront recrutées dans ces secteurs seront issues des rangs des
sans-emploi.
Il faut également reconnaître que, du fait de la concurrence à
l'importation et de l'externalisation, le commerce pourra causer des
pertes d'emplois dans certains secteurs. Grâce aux programmes nationaux
de formation et de promotion de la mobilité professionnelle, les
salariés pourront être reclassés dans des secteurs économiques plus
efficients et plus dynamiques. En pareille situation, ils pourront
également compter sur les filets de sécurité sociale pour les aider à
supporter la transition à court terme.
Que peut-on dire sur le rôle de la politique commerciale pendant cette
période de récession? Le point essentiel est que le commerce est
susceptible d'avoir une incidence positive sur les revenus ou la
production et sur la création d'emplois en cette période de
ralentissement économique. Mais, pour ce faire, il faut que les marchés
internationaux restent ouverts et que les pays conservent des relations
commerciales basées sur l'avantage comparatif.
Maintenir et poursuivre l'ouverture du commerce
La spécialisation de la production et les
structures d'exportation basées sur l'avantage comparatif sont au cœur
de l'intégration économique européenne. La zone de libre-échange permet
aux pays qui en font partie de tirer profit des gains d'efficience
résultant de l'ouverture du commerce et générés par l'avantage
comparatif, les économies d'échelle, la concurrence accrue, l'accès à
différents intrants intermédiaires et l'affectation intrasectorielle des
ressources. En outre, l'UE constituant une forme d'intégration encore
plus approfondie, qui autorise la libre circulation des facteurs de
production entre ses États membres, les ajustements s'en trouveront
facilités en cas de choc économique asymétrique dans un pays.
Nous devons donc faire en sorte que le commerce reste ouvert. Mais nous
devons aussi nous efforcer d'ouvrir le commerce, et ce par la conclusion
du Cycle de Doha. Un accord offrirait de nouvelles possibilités
commerciales, grâce à la réduction des obstacles tarifaires et des
subventions internes. Par ailleurs, il permettrait de réduire les coûts
fixes des échanges commerciaux, pour autant, par exemple, que les
procédures et les formalités douanières figurent dans la partie des
négociations consacrée à la “facilitation des échanges”.
Enfin, et cela est très important, le PDD [Programme de Doha pour le
développement] instillera une plus grande certitude dans les
arrangements commerciaux en établissant des engagements contraignants
pour les pays Membres. Cela est particulièrement important pour que la
croissance économique se traduise par la création d'emplois:
l'expérience des récessions passées donne à penser que la reprise de
l'emploi sera peu soutenue au lendemain de la crise, même en cas d'un
retour à la croissance de la production.
Lors de la crise Internet, par exemple, l'économie des États Unis a
cessé de se contracter en novembre 2001 et a amorcé une reprise en
termes de production. Toutefois, le taux de chômage du pays a continué
de grimper jusqu'en juin 2003, c'est-à-dire pendant les 19 mois qui ont
suivi.
L'une des raisons communément invoquées pour expliquer cette “reprise
sans emploi” est l'incertitude des employeurs quant à la viabilité de la
croissance économique qu'ils observent. C'est seulement s'ils sont
convaincus que la croissance de la demande est durable qu'ils seront
disposés à recruter. L'aboutissement du Cycle de Doha réduira grandement
l'incertitude liée au protectionnisme, dont le spectre pourrait menacer
les créations d'emplois en particulier dans le secteur des exportations,
plus vulnérable aux restrictions des échanges.
Il est évident que l'ouverture des marchés risque d'exposer des pays et
leurs populations à une plus grande volatilité. Mais la réponse ne
saurait résider dans le refus de l'ouverture. Elle doit être de
s'assurer que l'ouverture des marchés est encadrée par des règles
internationales et par des politiques nationales et internationales,
comme l'Aide pour le commerce, qui atténuent les effets défavorables
éventuels pendant la période de transition.
S'il existait une justification géopolitique au lancement du Cycle de
Doha en 2001, cette autre année où le monde a été mis à l'épreuve, c'est
aujourd'hui un impératif économique que de le conclure.
Je vous remercie infiniment de votre attention.
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