NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY


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> Allocutions: Pascal Lamy

  

Mesdames et Messieurs,

C’est un réel plaisir d’être avec vous aujourd’hui pour partager quelques vues sur l’état du commerce international et sur les défis qui se posent à la fois pour l’économie mondiale et pour l’OMC.

Les entreprises, petites et grandes, sont le moteur du commerce international.  C’est à leur intention que les règles de l’OMC ont été établies.  Il est donc important que vous nous fassiez part de vos espoirs, de vos préoccupations et de vos attentes à l’égard de l’OMC.

Laissez-moi d’abord vous présenter les perspectives du commerce mondial.  Les nombreuses ondes de choc survenues après 2008 — la crise de la dette européenne, les troubles dans les pays arabes, le tremblement de terre et le tsunami au Japon et, on ne saurait l’oublier, les inondations qui ont touché ce pays à la fin de l’année dernière — ont toutes contribué à une contraction des échanges, dont la croissance a été ramenée à 5 pour cent en 2011, contre 6 pour cent en moyenne au cours des 15 dernières années.  Les prévisions pour 2012 sont encore plus modestes:  le commerce mondial devrait encore marquer le pas et afficher une croissance en volume inférieure à 4 pour cent.

Ce ralentissement résulte dans une large mesure de la croissance atone des économies avancées, en particulier de la zone euro, et de ses répercussions sur les exportations des pays émergents et en développement, dans lesquels le commerce participe également de moins en moins à la croissance.

Dans ce contexte difficile, on pourrait s’interroger sur la valeur ajoutée du système commercial international et sur le rôle que devrait jouer l’OMC.

En supervisant les règles qui régissent le commerce international, l’OMC garantit l’ouverture, la transparence et la prévisibilité dont vous avez besoin pour exercer vos activités à l’étranger.  Dans une économie mondiale de plus en plus mondialisée et interconnectée, un système commercial multilatéral fondé sur des règles est l’assurance d’un environnement stable pour vos entreprises.  L’OMC contribue pour beaucoup à vous protéger des mauvaises surprises.

Le système commercial multilatéral a incontestablement prouvé son utilité lors de la dernière crise financière mondiale.  Et ce n’était pas la première fois.  La crise financière asiatique de 1997 avait également éprouvé la solidité et l’intégrité des règles de l’OMC, qui avaient donné aux gouvernements de la région l’aide dont ils avaient tant besoin pour faire face aux demandes protectionnistes de puissants groupes de pression sur leur territoire.  En d’autres termes, par sa fonction de suivi et de surveillance, l’OMC est parvenue à tenir en échec les pires tendances protectionnistes et a aidé les gouvernements à maintenir les marchés ouverts.  Ce n’est cependant pas le moment de baisser la garde.  La crise n’est pas terminée.  Avec un chômage toujours élevé, nous ne pouvons permettre une résurgence du protectionnisme qui viendrait encore détériorer l’environnement économique actuel.

Et pourtant, comme le montre le rapport de l’OMC qui sera publié à la fin de cette semaine, des faits préoccupants ont été récemment observés.  Zones d’ombre et zones de lumière coexistent.  Mais les zones de lumière se font moins brillantes et les zones d’ombre plus obscures.

En Asie, la normalisation progressive des échanges entre l’Inde et le Pakistan, qui a été encouragée par les dirigeants politiques de ces deux pays, est une de ces zones de lumière.

Les zones d’ombre sont, malheureusement, plus nombreuses:  nette recrudescence du discours protectionniste, déclarations en faveur des politiques de substitution des importations, mesures administratives plus ou moins transparentes, allégements fiscaux, subventions, application de préférences nationales dans l’attribution des marchés publics.

Le protectionnisme est comme le cholestérol:  la lente accumulation depuis 2008 de mesures de restriction des échanges — qui visent désormais près de 3 pour cent du commerce mondial des marchandises et près de 4 pour cent des échanges du G-20 — peut finir par faire obstruction aux flux commerciaux.

Par ailleurs, le paysage du commerce mondial évolue et ressemble peu à ce qu’il était il y a seulement 15 ans.  De nouveaux acteurs sont apparus sur la scène internationale:  la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie et beaucoup d’autres.

Les économies asiatiques ont joué un rôle majeur dans ce rééquilibrage et pilotent désormais la croissance économique.  Pour preuve, en 2009, la Chine a supplanté l’Allemagne au rang de premier exportateur mondial de marchandises.

L’émergence de nouveaux acteurs a aussi fait évoluer la structure des échanges.  Au cours des dix dernières années, la contribution des pays en développement aux exportations mondiales de marchandises a considérablement augmenté, gagnant autour de 10 points de pourcentage.  Face au fléchissement de la demande des pays développés, les entreprises explorent de plus en plus les nouveaux débouchés proposés par les pays en développement.  Cela vaut également pour la Thaïlande, dont les exportations à destination des pays développés ont augmenté moins vite que celles à destination d’autres pays asiatiques:  la Chine a ainsi remplacé les États-Unis comme principale destination de ses exportations.

Avec l’intégration croissante des pays en développement dans le commerce international, les échanges Sud-Sud sont en plein essor, au point de représenter aujourd’hui plus de la moitié des échanges des pays en développement.  En outre, les pays en développement sont de plus en plus souvent les principaux destinataires des exportations des pays les moins avancés (PMA).  La Chine est actuellement la première destination des exportations des PMA, devant l’UE et les États-Unis;  la Thaïlande se classe elle-même en cinquième position.

À la Conférence ministérielle de Hong Kong, en 2005, les Ministres se sont engagés à intégrer les PMA dans le système commercial multilatéral et sont convenus que les pays développés Membres et les pays en développement Membres en mesure de le faire accorderaient un accès aux marchés en franchise de droits et sans contingent aux produits originaires des PMA.  Puisque la Thaïlande commerce déjà beaucoup avec les PMA, je voudrais l’encourager à ouvrir encore son marché à ce groupe de pays en décidant de mettre en œuvre un régime en franchise de droits et sans contingent.  Il ne fait aucun doute que non seulement les PMA mais aussi l’économie thaïlandaise auraient à y gagner, car il serait alors possible à vos entreprises d’accéder à moindre coût à un plus grand nombre de ressources et d’accroître encore leur compétitivité.

Cela m’amène à un autre aspect de l’évolution du paysage commercial:  l’expansion des chaînes de production mondialement intégrées.  Nulle part ce phénomène n’est plus visible qu’en Asie.  La plupart des économies asiatiques ont su s’adapter rapidement aux changements de la structure de la demande, qui amène les entreprises à situer les différentes étapes de leur processus de production sur les marchés les plus rentables.  La grande complémentarité des économies de cette région a été le terreau idéal pour l’émergence de ce qu’on allait appeler l’“Usine Asie”, dans laquelle les parties et composants circulent à travers des réseaux de production transfrontières avant leur assemblage et l’exportation du produit fini vers le consommateur final.  Des opportunités de marchés se sont alors ouvertes pour les pays qui étaient peu tournés vers l’exportation.  Les produits ne sont plus “fabriqués en Chine” ni “fabriqués au Japon”;  ils sont maintenant de plus en plus nombreux à être “fabriqués dans le monde”.

L’interconnexion entre les économies est encore renforcée par les chaînes de valeur mondiales.  Cela est clairement apparu pendant les inondations qui ont frappé votre pays en novembre 2011.  Cette catastrophe a causé la mort de centaines de personnes.  Elle a sérieusement endommagé l’infrastructure du pays et nui à sa production, portant un coup dur à l’économie nationale.  Par le jeu des chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment pour les disques durs et les composants automobiles, les inondations en Thaïlande ont fait sentir leurs effets dans le monde entier.

La création de valeur ajoutée qui survient tout au long des chaînes de valeur internationalement intégrées n’est pas sans conséquences pour la conception des politiques commerciales.  Mais elle a aussi des incidences sur les aspects politiques du commerce et réclame que nous ajustions notre approche des échanges.

Aujourd’hui, la compétitivité d’une entreprise ne dépend pas seulement de sa propre productivité, mais de la compétitivité de ses fournisseurs, de son accès aux services et de l’efficacité des infrastructures.  Cela implique une corrélation plus étroite entre la compétitivité du secteur des marchandises et la compétitivité du secteur des services.  Cela veut aussi dire que les importations sont tout aussi importantes que les exportations, contrairement au bon vieux mercantilisme selon lequel les “exportations sont une bonne chose et les importations une mauvaise”.  Dans le scénario actuel, il est évident que des mesures protectionnistes — quelle que soit la forme qu’elles pourront revêtir — risquent de causer des dommages encore plus graves que par le passé.

Enfin, étant donné l’importance des échanges de biens et de services intermédiaires dans le commerce international, les responsables de la politique commerciale auraient intérêt à réfléchir aux conditions qui favorisent le bon fonctionnement des transactions transfrontières.  Les mesures de facilitation des échanges, qui allègent les formalités administratives et simplifient les procédures douanières, sont structurellement déterminantes pour le bon fonctionnement des chaînes de valeur régionales et mondiales.  Les transports, la logistique et la connectivité régionale sont également importants.

La Thaïlande, qui est une économie très axée sur le marché, a fait des progrès impressionnants en matière de facilitation des échanges, adoptant des procédures d’importation dématérialisées et exprimant son intention d’instaurer un service de guichet unique.  Elle est en outre dotée d’un solide réseau d’infrastructures et participe à des programmes régionaux de développement de la connectivité.  Cela étant posé, la compétitivité de vos entreprises dépend aussi de l’efficacité des procédures et des infrastructures douanières de vos partenaires commerciaux.  C’est pour cela que la coopération multilatérale est importante.  C’est pour cela qu’un accord de l’OMC sur la facilitation des échanges sera incontestablement bénéfique à tous les Membres.  C’est pour cela qu’une entreprise, grande ou petite, devrait trouver un intérêt à un tel accord.

L’expansion des chaînes de valeur mondiales a été favorisée par un autre phénomène de taille:  l’essor des technologies de l’information.  En mai, l’OMC a fêté le quinzième anniversaire de l’Accord sur les technologies de l’information (ATI) et a mesuré à quel point l’élimination des droits de douane dans le secteur des TI avait été capitale pour stimuler l’innovation, pour rendre abordable l’accès à ces technologies et pour favoriser le fonctionnement d’autres secteurs de l’économie.

L’ATI, qui couvre 97 pour cent du commerce mondial des produits des technologies de l’information et compte 74 participants, dont la Thaïlande, montre comment l’ouverture du commerce peut avoir des résultats profitables à tous et avoir un effet domino sur la croissance.  Je veux féliciter la Thaïlande pour s’être engagée activement sur cette voie et j’espère qu’elle contribuera à l’élargissement de l’ATI.

L’évolution récente des échanges internationaux montre qu’en dépit du ralentissement de l’activité économique mondiale, le commerce demeure un secteur très dynamique, offrant de nombreuses possibilités en termes de croissance, de création d’emplois et de réduction de la pauvreté.  Si ces possibilités existent bel et bien, les entreprises, en particulier les PME, ont du mal à les saisir.  Il s’agit donc de savoir comment nous pourrions les y aider.  La réponse réside en partie dans la disponibilité et l’accessibilité du financement du commerce.  Comme je l’ai dit à diverses occasions, le financement du commerce est l’huile qui empêche les rouages du commerce mondial de gripper.  C’est l’une des formes de financement les plus sûres et qui présente l’avantage de promouvoir le développement directement par les échanges.

Malheureusement, la crise financière a eu des conséquences néfastes sur la disponibilité et le coût du financement du commerce, en particulier pour les petites entreprises.  Malgré le retour des liquidités, l’aversion pour le risque demeure.  Il convient que des mesures soient prises pour faciliter l’accès des PME au crédit, afin qu’elles deviennent le moteur de la reprise.  Pour progresser dans cette voie, nous comptons beaucoup sur la coopération multilatérale, en particulier sur la participation des banques régionales de développement — dans la région, la Banque asiatique de développement — et de la Société financière internationale de la Banque mondiale, dont il faut saluer la détermination à corriger les défaillances du marché en matière de financement du commerce.

De notre côté, à l’OMC, nous pouvons favoriser davantage la stabilité économique en mettant à jour notre corpus de règles.  En 2001, les Membres de l’OMC ont lancé un cycle de négociations pour passer en revue les règles de l’Organisation et s’assurer qu’elles rendaient bien compte de la réalité du commerce international.  Bien que les négociations soient actuellement dans l’impasse, les Membres restent aujourd’hui convaincus de la nécessité de redynamiser la coopération multilatérale.  Afin de trouver ce nouvel élan, ils ont décidé d’explorer de nouvelles approches de négociations susceptibles de donner des résultats, en commençant par les domaines dans lesquels les négociations seraient le plus près d’aboutir.

Une étape importante pour le commerce international, mais qui ne relève pas des négociations de Doha, a été franchie en décembre 2011, lorsqu’un consensus a été trouvé parmi un groupe de Membres pour réexaminer l’Accord plurilatéral sur les marchés publics.  Ces travaux déboucheront sur une mise en concurrence élargie et plus transparente dans les procédures de passation des marchés pour les 42 Parties à l’Accord et sur une grande amélioration des possibilités d’accès aux marchés pour les entreprises estimée à 100 milliards de dollars par an environ.  En encourageant de meilleures disciplines et une plus grande transparence dans l’adjudication des marchés publics, l’accord de l’OMC présente des avantages systémiques et économiques importants, puisqu’il contribue à une bonne gouvernance et à une utilisation plus efficiente des ressources publiques.  Par son impact sur de nombreux secteurs de l’économie, comme les fournisseurs d’infrastructures, les transports publics et d’autres services publics, l’accord participe en outre à la relance.

L’accession de nouveaux membres à l’accord viendra encore potentialiser ses avantages.  Un certain nombre de pays, dont la Chine, sont en voie d’en devenir partie.  Je voudrais saisir cette occasion pour inciter la Thaïlande à demander le statut d’observateur au Comité des marchés publics afin de se familiariser avec ses travaux et de se rendre compte des perspectives offertes.

Les éléments que je viens d’exposer, ainsi que d’autres questions qui occupent actuellement l’OMC — comme le changement climatique, la sécurité alimentaire (y compris la question sensible des restrictions des exportations de produits alimentaires) et le commerce et l’investissement — sont la source à la fois de nouveaux défis et de nouvelles perspectives pour l’OMC, mais aussi pour les agents économiques du monde entier.  Il me semble important d’examiner et de mieux comprendre ces nouvelles tendances.  J’ai donc convoqué, il y a quelques semaines, un “Groupe de réflexion de l’OMC sur l’avenir du commerce” pour analyser les facteurs qui déterminent aujourd’hui et détermineront demain le commerce mondial et pour jeter un regard neuf sur les implications de l’ouverture du commerce au XXIe siècle.  Par leur participation, les entreprises apporteront au Groupe de réflexion les données empiriques et pratiques que seuls peuvent fournir les praticiens du commerce.  C’est pourquoi j’ai besoin de votre avis et de votre engagement pour fixer les orientations du système commercial multilatéral et pour le faire aller de l’avant.

J’attends avec intérêt vos vues sur le commerce international et l’OMC.

Je vous remercie de votre attention.

 

 

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