NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

“Le système commercial multilatéral et la coopération économique régionale”


POUR EN SAVOIR PLUS:
> Allocutions: Pascal Lamy

  

M. le Président de la University of International Business and Economics,
Distingués invités,
Membres de la Faculté et étudiants,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais remercier M. Shi pour son aimable invitation à venir parler à l’UIBE, cette éminente institution universitaire créée en 1951.  C’est en effet un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui et de pouvoir m’exprimer devant vous et m’entretenir avec vous de quelques‑unes des questions commerciales de notre temps.  Je sais par expérience que, dans des occasions comme celle‑ci, la distinction entre enseignants et apprenants n’a plus cours.  Nous sommes tous des apprenants.

C’est également un honneur d’assister à l’inauguration de l’International Centre for Research Networking and Collaboration.  Les priorités en matière de recherche de ce nouvel établissement semblent particulièrement judicieuses, puisqu’elles incluent l’investissement et la promotion des exportations.

Multilatéralisme et régionalisme

Ce matin, j’aborderai le thème du système commercial multilatéral et de la coopération économique régionale.  L’intitulé est bien choisi en ce qu’il associe le multilatéralisme au commerce et le régionalisme à la coopération économique.  Il ne s’agira donc pas exactement de comparer des approches différentes au service d’objectifs identiques.  Les initiatives régionales dépassent souvent, par leur couverture et leur portée, le champ d’action plus ciblé de l’OMC.  Cela s’explique aisément:  les préoccupations et les intérêts de voisins d’une même région ne touchent pas forcément aussi directement ceux qui sont moins proches.  Il est par conséquent souhaitable que la coopération dans des domaines politiques ou économiques comparables, et parfois transversaux, emprunte plusieurs voies.

Cela ne veut pas dire que la coopération multilatérale et la coopération régionale soient toujours parfaitement en phase et complémentaires.  Ce n’est pas le cas.  En outre, bon nombre d’accords dits de coopération régionale ne sont pas du tout des accords régionaux mais couvrent plusieurs régions.  En fait, près de la moitié des accords commerciaux préférentiels en vigueur ne sont pas des accords régionaux au sens strict.  Dans une certaine mesure, il est donc compréhensible que ces accords puissent parfois se substituer à une approche multilatérale.  C’est là un des points auxquels nous allons nous intéresser.

Tout comme l’OMC ne peut répondre à tous les besoins qui intéressent une région, les accords régionaux ne peuvent faire certaines choses, pour lesquelles l’OMC reste indispensable.  Cela vaut pour des aspects clés de la coordination, sans lesquels nous serions la proie de divisions politiques.  Cela vaut également pour certaines questions, comme celle des subventions.

L’essor du régionalisme

À la création du GATT, en 1948, les arrangements régionaux étaient considérés comme l’exception.  Ce n’est qu’avec le lancement du processus d’intégration européenne dans les années 1950 qu’une large proportion des échanges internationaux s’est inscrite dans un cadre préférentiel.  Plusieurs autres accords préférentiels ont été conclus dans les années qui ont suivi, mais il a fallu attendre les années 1980 pour qu’ils se multiplient jusqu’à devenir aujourd’hui la principale composante du commerce mondial.  Leur augmentation a été particulièrement visible dans les années 1990.  On recense actuellement près de 400 accords commerciaux préférentiels en vigueur et, en moyenne, chaque Membre de l’OMC est partie à 13 accords différents.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer pourquoi les accords préférentiels se sont développés et perdurent.  Les accords préférentiels peuvent servir des buts politiques ou stratégiques.  Il est possible que des pays veuillent progresser sur la voie de l’intégration économique plus vite et plus loin que ne le leur permet l’OMC.  Les accords préférentiels peuvent être motivés par la peur de l’exclusion, à mesure que les pays concurrents s’assurent un meilleur accès aux marchés qui les intéressent.  Ils peuvent être une assurance contre l’émergence du protectionnisme.  Ils peuvent lancer un signal positif aux investisseurs étrangers.  Ils peuvent aussi contribuer à la rationalisation des politiques intérieures, en faisant valoir l’obligation internationale de réduire le poids des intérêts nationaux dans la politique commerciale.

Droits de douane et accords commerciaux préférentiels

Des données récentes semblent indiquer que les accords commerciaux préférentiels ne peuvent avoir pour principal objet de garantir des préférences tarifaires.  Cela est notamment étayé par le fait que plus de la moitié des échanges mondiaux s’effectuent déjà en franchise de droits et sur la base de la nation la plus favorisée (NPF).  Selon l’édition 2011 du Rapport de l’OMC sur le commerce mondial, seulement 15 pour cent environ des flux commerciaux mondiaux de marchandises ont bénéficié d’un traitement tarifaire préférentiel en 2008.  Ce chiffre quelque peu surprenant ne s’explique pas simplement par l’ampleur du commerce NPF en franchise de droits, mais aussi par le fait que les accords préférentiels ont souvent maintenu des taux NPF lorsque ces taux étaient supérieurs à la moyenne.  À peu près deux tiers des lignes tarifaires soumises à des taux NPF supérieurs à 15 pour cent n’ont fait l’objet d’aucun abaissement de droits dans le cadre d’accords commerciaux préférentiels.  De fait, moins de 2 pour cent du commerce mondial est admis à bénéficier d’une marge de préférence de plus de 10 points de pourcentage.

            Il convient en outre de noter que les taux de droits NPF non préférentiels sont bas.  Ils étaient de 4 pour cent en moyenne en 2009.  Ces données nous amènent à conclure que les droits de douane sont devenus au fil des ans des instruments de politique commerciale de moindre importance et qu’ils ne sont plus l’une des raisons d’être des accords commerciaux préférentiels.  Cela ne signifie pas pour autant que les droits de douane n’ont plus aucune importance.  Les taux élevés applicables dans certains secteurs — ce que nous appelons les “crêtes tarifaires” dans notre jargon — et les droits de nuisance observables dans d’autres méritent toujours notre attention.

Intégration profonde, chaînes de valeur mondiales et mesures non tarifaires

Une analyse de fond révèle une nette tendance des accords commerciaux préférentiels de plus vaste portée qui ont fait leur apparition ces dernières années à approfondir des questions auxquelles l’OMC n’avait accordé que peu ou pas d’attention.  On peut mentionner les mesures non tarifaires (MNT), sous différentes formes, comme les normes de produits, mais aussi d’autres questions, comme l’investissement et la politique de concurrence.

L’intégration profonde résulte en partie de l’émergence des chaînes de valeur mondiales.  Récemment encore, les produits ne pouvaient, selon nous, être originaires que d’un seul pays, comme l’attestait l’inscription “fabriqué en Chine” ou “fabriqué en Allemagne” sur leurs étiquettes.  En raison du développement des chaînes de valeur mondiales depuis une vingtaine d’années, la plupart des produits sont maintenant obtenus par l’assemblage d’intrants d’origines très diverses.  Autrement dit, les produits d’aujourd’hui sont de plus en plus “fabriqués dans le monde”.  Le commerce des produits intermédiaires — qui a valeur d’indice de production des chaînes de valeur mondiales — représente actuellement près de 60 pour cent du commerce total de marchandises et reste un secteur dynamique du commerce international.

Une des retombées notables de l’évolution des réseaux de production est de mettre importations et exportations sur un pied d’égalité et de les faire contribuer conjointement à la création d’emplois et à la croissance.  Par le commerce naît ainsi une forme d’interdépendance nouvelle et plus forte.

Les caractéristiques des MNT et leurs motivations

Si nous considérons les accords commerciaux préférentiels, du moins dans une certaine mesure, comme l’expression d’une volonté de soutenir et de favoriser les chaînes de valeur mondiales, et que leur véritable motivation ne réside pas dans les droits de douane, alors nous devons nous tourner vers les mesures non tarifaires (MNT) pour analyser l’importance de la relation entre les approches de coopération commerciale multilatérales et préférentielles.

Les MNT englobent une très large gamme de mesures — en fait, toutes les mesures autres que les droits de douane.  Au regard du thème qui nous occupe, une distinction fondamentale doit être faite entre les MNT substituables aux droits de douane et les MNT au service d’objectifs précis de politique publique, comme la santé, la sécurité et la qualité de l’environnement.  Les MNT qui se limitent à remplacer les droits de douane sont largement rejetées par les règles de l’OMC car elles ont souvent des motivations protectionnistes et peuvent généralement s’apparenter à un obstacle à l’accès aux marchés.

Les MNT au service de questions de politique publique donnent lieu à des considérations totalement différentes.  Il est évident que les gouvernements ne vont pas sacrifier ces mesures sur l’autel de la concurrence internationale.  Au contraire, ils jugeront capital que les objectifs de politique publique soient atteints.  Il convient alors de se poser les questions suivantes:  comment ces mesures sont‑elles conçues, et comment sont‑elles mises en œuvre?  Du point de vue de la politique commerciale, le danger est que ces mesures puissent être conçues ou mises en œuvre de manière à restreindre les échanges de manière injustifiée.  Lorsque des MNT se mettent ainsi au service d’un double objectif, nous sommes ramenés à des préoccupations commerciales classiques, autour de l’interventionnisme et de ses conséquences sur les conditions de concurrence à l’intérieur d’un marché.

Dans des discussions de politique commerciale, il est très difficile et très délicat de faire la distinction entre des MNT légitimes et des MNT moins légitimes.  À cela s’ajoute que les nations ne partagent pas toutes les mêmes priorités, soit parce que leurs perspectives sociales et culturelles sont différentes, soit parce que leur capacité à poursuivre certains objectifs est affectée par des écarts de revenu et de développement.  Quelle que soit la raison, nous vivons dans un monde où la diversité est une réalité et nous devons trouver un équilibre entre le respect de cette diversité et les tentatives pour la supprimer.

Il ne me semble pas exagéré de dire que la bonne gestion des MNT est l’une des principales difficultés en matière de coopération internationale.  En outre, l’instauration de conditions égales pour tous dans ce domaine pose des problèmes d’une autre nature que ceux qui sont liés aux droits de douane.  Laissez‑moi encore mentionner un élément qui peut ajouter à la complexité du sujet:  il n’y a pas qu’une seule façon d’arriver à destination.  Si une politique publique répond à une approche dans un accord commercial préférentiel et à une autre approche dans un autre accord, cela peut affecter les échanges, même involontairement.  Ce risque de divergence fortuite plaide en faveur d’une cohérence multilatérale.

Des approches multilatérales pour arriver à la cohérence des accords commerciaux préférentiels

Il est donc important que nous réfléchissions à une manière de gérer la relation entre les accords commerciaux préférentiels et le système commercial multilatéral qui soit profitable au commerce mondial.  Car nous partons du postulat que les accords commerciaux préférentiels ne vont pas disparaître de sitôt.

Une voie possible serait de poursuivre les négociations et d’établir un cadre multilatéral qui réponde aux besoins exprimés dans les accords préférentiels qui pourraient être satisfaits au moyen d’une approche multilatérale.  Cela pourrait passer par une refonte des règles existantes qui régissent les accords commerciaux préférentiels, comme celles de l’article XXIV du GATT.

Certains ont aussi préconisé d’engager un processus qui permettrait aux Membres de l’OMC de mieux comprendre les accords commerciaux préférentiels, leurs motivations et leurs points de convergence et de divergence.  Dans un premier temps, il s’agirait moins de négociations que de discussions, de celles qui pourraient être tenues dans le cadre du Mécanisme pour la transparence récemment créé pour centraliser les notifications et échanges de vues concernant les accords commerciaux préférentiels.  La finalité de ce processus serait de faire fond sur les points de convergence des accords commerciaux préférentiels qui pourraient être multilatéralisés sur une base non discriminatoire.  Comme notre Rapport sur le commerce mondial 2011 le soulignait, il est question de “cohérence”, et non simplement de “coexistence”.

Je conclurai en disant que, en tant que communauté internationale, nous devons poursuivre notre lutte contre le protectionnisme, mais que dans le cadre plus spécifique de l’OMC, nous devons aussi combattre la fragmentation des politiques.

Merci beaucoup.

 

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