NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

“Renforcer le système commercial multilatéral”


POUR EN SAVOIR PLUS:
> Allocutions: Pascal Lamy

  

C’est un grand plaisir de me trouver aujourd’hui parmi vous, qui représentez les entreprises européennes établies à Singapour, pour parler des tendances du commerce et de la politique commerciale.

L’économie mondiale

Mais avant cela, permettez-moi simplement de replacer le commerce dans le cadre de l’évolution générale de l’économie mondiale.  Depuis quelques mois, nous subissons une nouvelle vague de préoccupations au sujet de la solidité de l’économie mondiale, à la suite du redressement opéré pour sortir de la grande récession de 2008.

Ce rapide redressement est grande partie à mettre au compte de cette région du monde, beaucoup d’économies d’Asie retrouvant des taux de croissance vigoureux, tandis que l’Europe, le Japon et les États-Unis subissaient de fortes contractions.  C’est en adoptant une politique macro-économique expansive que ces dernières économies ont cherché à se rétablir, la politique budgétaire et monétaire contribuant ensuite fortement à développer les situations auxquelles elles sont confrontées tant en ce qui concerne les déficits budgétaires que l’endettement public et privé.

Je ne voudrais pas qu’on en déduise de ces propos que je ne tiens pas compte des difficultés d’ajustement que connaissent bon nombre d’économies, qui sont très réelles et pressantes.

La croissance ralentit presque partout cette fois, ce qui prouve, au cas où il y aurait le moindre doute, qu’il n’y a eu aucune dissociation dans l’économie mondiale entre l’Est et l’Ouest, ou entre le Nord et le Sud.

La zone euro est passée par une période difficile et de nature à semer la division, au cours de laquelle des questions très fondamentales se sont posées au sujet de l’avenir de l’Europe et du rôle de la monnaie commune.  Les récents événements peuvent être vus comme les premières dispositions crédibles pour définir une feuille de route qui permettrait à l’Europe de sortir de la crise dans les années à venir.  La réussite dépendra de la mesure dans laquelle cette crise renforcera l’intégration, si elle est utilisée pour procéder à des réformes structurelles qui dynamiseront la croissance.

Même si la croissance du PIB est négative en Europe actuellement, et relativement anémique ou en phase de ralentissement dans la majeure partie du reste du monde, nous pouvons raisonnablement nous attendre à une amélioration de la situation dans les années à venir, empêchant toute rechute importante.  Toutefois, le redressement sera lent et exigera une discipline constante de la part des pouvoirs publics dans les pays confrontés aux plus grandes difficultés pour maintenir la viabilité de leurs économies.

La situation au plan de la politique commerciale

La croissance du commerce mondial cette année va connaître un ralentissement plus marqué que ce que nous avions prévu à la fin du premier trimestre de 2012.  Aujourd’hui même, l’OMC a ramené sa prévision concernant la croissance des échanges commerciaux en volume et en prix constants de 3,7 pour cent à 2,5 pour cent.

Au regard des chiffres enregistrés dans le passé, il s’agit d’un niveau bas en moyenne et ce n’est pas une bonne nouvelle, mais les chiffres correspondent essentiellement au ralentissement mondial et ne peuvent pas être rattachés à un ensemble de circonstances distinct touchant le commerce.

Cela signifie que la politique commerciale est restée stable et que les économies sont demeurées ouvertes.  C’est en grande partie vrai, même si certains gouvernements ont mis en place des mesures de restriction des échanges.  Et il n’y a pas lieu d’être optimiste.  Les pressions exercées sur les pouvoirs publics pour qu’ils prennent des mesures protectionnistes sont plus fortes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient juste après 2008.  C’est inquiétant et nous le constatons par nos activités de surveillance ordinaires à l’OMC.

Nous sommes à un stade des relations commerciales où il faut absolument que les gouvernements réaffirment concrètement leur engagement en faveur de la coopération internationale en matière de commerce et des mécanismes institutionnels qui soutiennent le système commercial multilatéral.  Si nous ne réaffirmons pas cet engagement au-delà des mots, en particulier quand la situation devient difficile, nous risquons une dérive jusqu’au point où il deviendra plus difficile de remonter la pente d’une dégradation continuelle.

La contribution incontestée que l’ouverture des marchés et le maintien de marchés ouverts — sur la base de règles mondiales — ont apportée à la croissance et à la prospérité dans un si grand nombre de pays dans l’après-guerre devrait suffire à convaincre les gouvernements et le public de la nécessité de poursuivre la coopération en matière de commerce.  Mais nous savons tous que les choses ne sont pas aussi simples.  Les pouvoirs publics sont soumis à des pressions immédiates les poussant à prendre des mesures qui semblent opportunes en faveur de la production nationale, en oubliant non seulement les conséquences internes de ces mesures pour l’efficience et la productivité de l’économie du pays, mais aussi la probabilité de mesures de rétorsion de la part des partenaires commerciaux.

Je ne pense pas que vous, les représentants d’entreprises internationales qui m’écoutez, trouverez beaucoup à redire lorsque je parle des avantages d’une économie internationale efficiente et ouverte.  Mais peut-être pouvez-vous user de votre influence dans vos contacts avec les gouvernements.

La montée du régionalisme et le système commercial multilatéral

Il y a une question qu’il m’a été demandé d’évoquer ce soir:  la relation entre les accords commerciaux régionaux et le système commercial multilatéral.  J’apprécie qu’il s’agisse d’un sujet actuellement débattu à Singapour et ailleurs en Asie, les discussions en cours se déroulant dans le cadre de divers forums, que ce soit l’APEC, le Partenariat transpacifique (TPP), l’ASEAN ou l’ASEAN +.  Avec sa longue expérience en matière d’intégration régionale, l’ASEAN est un intervenant de premier plan dans nombre de ces configurations.

En moyenne, chaque Membre de l’OMC est partie à pas moins de 13 accords commerciaux préférentiels distincts.  Cela signifie qu’outre leurs engagements multilatéraux, les Membres de l’OMC doivent administrer en moyenne 13 régimes de commerce distincts supplémentaires.  Vous admettrez certainement que cela ne saurait être la façon la plus efficiente de commercer et de faire des affaires au-delà des frontières nationales.

Plusieurs problèmes se posent

Premièrement, les dispositifs de ce type entraînent des coûts commerciaux.  Je sais que certains dans le milieu des entreprises se heurtent à de multiples ensembles de règles d’origine lorsqu’ils produisent pour une chaîne d’approvisionnement dont font partie plusieurs pays.

Deuxièmement, l’ajout continuel de nouveaux accords commerciaux préférentiels au stock existant a un effet direct sur la valeur de ce stock.  Les accords existants deviennent moins préférentiels et sont un facteur d’instabilité pour les conditions dans lesquelles se déroulent les échanges commerciaux.

Troisièmement, si la plupart des accords préférentiels ne semblent pas conçus dans l’intention explicite d’exclure ou de pénaliser les tiers, ils peuvent néanmoins incorporer des tensions géopolitiques et posséder un caractère exclusif qui en font un médiocre succédané de réel accord multilatéral pour les relations commerciales.

Quatrièmement, les sujets qui comptent pour beaucoup de membres plus petits et plus faibles du système commercial multilatéral sont laissés de côté, par exemple les subventions à l’agriculture, les subventions à la pêche, voire les mesures de défense commerciale qui faussent les échanges.

Cinquièmement, quelle que soit l’intention, politique ou au niveau de la politique commerciale, derrière ces accords commerciaux, ils peuvent créer des divergences pernicieuses dans les méthodes d’action qui rendent plus difficile l’élaboration d’accords commerciaux plus larges et à vocation plus multilatérale.  Le risque de divergence des moyens d’action s’aggrave dans le monde d’aujourd’hui, où les droits de douane sont de plus en plus un instrument du passé et les mesures non tarifaires sont le fer de lance de la politique commerciale.  J’aimerais en dire davantage à ce sujet dans un instant.

De crainte que vous ne pensiez que je monte une campagne contre les initiatives commerciales régionales, permettez-moi de dire quelques mots des raisons qui expliquent à mon sens la soudaine prolifération, ces dernières années, des accords commerciaux préférentiels.

La première est qu’on a constaté que le système commercial multilatéral avait du mal à progresser, que ce soit dans l’ouverture des marchés ou dans l’amélioration des règles commerciales.  Le recours aux accords préférentiels comme substitut reflète la réticence de certains États à utiliser ce cadre pour mener des activités commerciales et la frustration de certains autres qui n’arrivent guère à faire avancer les initiatives multilatérales.

Par ailleurs, les accords commerciaux préférentiels peuvent combler certains besoins auxquels l’OMC ne peut pas répondre et qui vont des intérêts généraux de voisinage jusqu’aux préoccupations autres que d’ordre commercial explicites communes auxquelles il peut être répondu plus efficacement par une intégration économique plus étroite, y compris le commerce.  En outre, lorsque des pays sont liés à leurs voisins par des intérêts économiques plus étroits, y compris par les chaînes de valeur mondiales, ils peuvent chercher à tisser des relations commerciales plus intenses et de plus grande envergure que celles qu’ils pourraient espérer établir dans un cadre multilatéral.

Mais il ne faudrait pas s’imaginer que les accords commerciaux préférentiels sont la “solution facile” pour créer une égalité de conditions au niveau mondial.

L’importance croissante des mesures non tarifaires

La première difficulté résulte de l’importance croissante des mesures non tarifaires.  Celles-ci sont très différentes, par leur nature et leur portée, des instruments de politique plus traditionnels visant et affectant les échanges commerciaux.

Elles sont plus difficiles à identifier et à évaluer.  Elles servent souvent d’importants objectifs de politique publique, et ne sont pas de simples instruments administratifs ou des instruments de protection proprement dits.  Autrement dit, nous ne voulons pas nécessairement les éliminer.  Il faut donc — et c’est là une entreprise délicate — faire la distinction entre l’élaboration de politiques publiques légitimes et le protectionnisme déguisé.

 Lorsqu’une mesure non tarifaire correspond à un objectif de politique publique, même les politiques les mieux conçues, peuvent ajouter au coût de l’activité commerciale si les pays adhèrent à des valeurs et des normes différentes.  Ce n’est pas quelque chose qu’il convient simplement d’éliminer par la recherche d’une uniformité qui ferait fi de la diversité des cultures, mais qu’il faut plutôt examiner sous l’angle du moindre coût de l’activité commerciale.

Dans la pratique, la façon dont une mesure non tarifaire est appliquée, parfois même au quotidien, peut être beaucoup plus importante que les questions concernant la conception des politiques.  La possibilité d’un détournement du processus à des fins protectionnistes est peut-être encore plus troublante du point de vue de la politique commerciale.

Multilatéralisme et gouvernance mondiale

Ce bref détour dans l’univers des mesures non tarifaires aura montré, je pense, qu’un certain nombre de questions de politique commerciale importantes ne peuvent pas être résolues facilement en dehors d’un cadre multilatéral.  J’aurais pu parler des subventions pour défendre exactement la même idée.

La gouvernance mondiale nous pose donc un défi, qui est de savoir comment faire en sorte que les avantages d’un système commercial multilatéral ne soient pas oubliés ou hypothéqués par négligence.  Je n’ai entendu aucun gouvernement nier la valeur ou l’importance de la dimension multilatérale de la coopération internationale en matière de commerce.  Je me risquerai à faire valoir plus largement que ce type de coopération est déterminant également dans beaucoup d’autres domaines de politique.

Je ferai valoir par conséquent qu’il va de l’intérêt de la communauté mondiale que les décideurs trouvent des moyens de relancer la coopération au niveau multilatéral et fassent passer les négociations de l’OMC de leur état actuel à un mode actif leur permettant de contribuer plus efficacement à notre besoin commun de coopération internationale, qui est tout à la fois urgent et persistant.  Nous savons tous que l’OMC est plus que le Programme de Doha pour le développement.  L’OMC, c’est aussi le système de règlement des différends, le suivi et la surveillance, l’Aide pour le commerce.  Cependant, l’impasse des négociations est politique et doit être traitée au niveau politique si nous voulons que le système commercial multilatéral nous aide à sortir de la crise, de préférence le plus rapidement possible.

Je vous remercie de votre attention.

Flux de nouvelles RSS

> Des problèmes pour visualiser cette page?
Veuillez écrire à [email protected] en indiquant le système d’exploitation et le navigateur que vous utilisez.