NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

“Accords commerciaux multilatéraux et bilatéraux: amis ou ennemis?”
Conférence annuelle en mémoire de Gabriel Silver, Université de Columbia, New York

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Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir et honoré d’échanger quelques-unes de mes réflexions avec vous tous ainsi qu’avec M. le doyen Anderson et Mme le professeur Merit Janow. Comme vous le savez, Mme Janow est membre de l’Organe d’appel de l’OMC et, en tant que Directeur général, je dois rester neutre — et je ne suis pas censé tenter de l’influencer en quoi que ce soit. Mais j’espère me montrer convaincant ce soir!

Lorsque j’ai d’abord été invité à parler à Columbia sur le multilatéralisme et le bilatéralisme dans les accords de libre-échange, j’ai songé immédiatement à mon ami le professeur Bhagwati et j’ai hésité à me lancer dans un sujet sur lequel il a dit déjà tant de choses. Toutefois, étant donné la suspension actuelle des négociations dans le cadre du Programme de Doha à l’OMC et le bilatéralisme en vogue partout dans le monde, j’ai décidé d’accepter l’invitation de ce soir et de regarder de plus près ce qui motive ce regain de bilatéralisme.

Il y a toujours eu des accords commerciaux régionaux. L’un des premiers instruments juridiques internationaux qui ait laissé une trace dans l’histoire est le traité commercial conclu entre le pharaon égyptien Aménophis IV et le roi d’Alashiya au XIV e siècle avant J.-C. Ce traité exemptait les marchands chypriotes de droits de douane en contrepartie de l’importation d’une certaine quantité de cuivre et de bois.

Rien n’a fondamentalement changé depuis: au début du XXI e siècle, les pays continuent de négocier des accords commerciaux préférentiels. Toutefois, l’incidence de ces accords sur le système commercial mondial nous a conduits à décider qu’ils seraient notifiés à l’OMC, où leur conformité avec les règles de l’Organisation doit être vérifiée.

 

Les avantages des accords commerciaux préférentiels

Depuis la création du GATT, puis de l’OMC qui lui a succédé, 362 accords commerciaux régionaux ont été notifiés à l’Organisation, dont 211 sont en vigueur à l’heure actuelle. Mais si l’on compte les accords qui sont en vigueur mais n’ont pas été notifiés, ceux qui ont été signés mais ne sont pas encore entrés en vigueur, ceux qui sont en cours de négociation et ceux qui sont à l’état de proposition, on arrive à un chiffre de près de 400 accords qui pourraient être appliqués d’ici à 2010.

Il est également intéressant de noter que l’on s’éloigne de plus en plus de la notion traditionnelle d’intégration entre des partenaires commerciaux naturels, c’est-à-dire entre des pays géographiquement proches, pour aller vers des accords commerciaux régionaux conclus entre pays d’une région ou d’un hémisphère à l’autre. Les exemples abondent, que ce soit l’Accord AELE-Chili, l’Accord États-Unis—Australie ou l’Accord CE-Afrique du Sud, pour n’en citer que quelques-uns.

Les accords commerciaux régionaux entre pays en développement connaissent eux aussi un essor certain. Parmi ceux dont l’OMC a reçu notification et qui sont actuellement en vigueur, il y en a eu 15 qui ont été notifiés au cours des 50 années d’existence du GATT, et 23 autres au cours des onze années écoulées depuis la création de l’OMC. De plus, s’agissant des accords commerciaux régionaux qui sont actuellement en vigueur mais n’ont pas été notifiés à l’OMC, la plupart ont été conclus entre des pays en développement. Les grands pays en développement — Chine, Inde ou Brésil — paraissent presque rivaliser dans la mise en place dans leur région d’un réseau d’accords commerciaux dont ils sont le centre. La compétition à laquelle se livrent ces pays se traduit par un nombre croissant d’accords commerciaux Sud-Sud en cours de négociation.

Le nombre d’accords a augmenté; mais, surtout, leur portée s’est élargie. Il est de plus en plus courant de trouver dans ces accords des dispositions sur les services. Et on y trouve de plus en plus des dispositions commerciales portant sur des domaines qui ne font pas l’objet d’une réglementation au plan multilatéral.

Dans une étude récente, Perspectives économiques mondiales, la Banque mondiale a estimé que le pourcentage des échanges soumis à des préférences peut varier entre 40 et 15 pour cent en fonction des restrictions qui sont utilisées. Cela porte un coup assez rude au principe de la “nation la plus favorisée”, qui est l’une des pierres angulaires de l’OMC. Ces chiffres impressionnent, mais la question que l’on doit se poser est de savoir pourquoi tant de pays acceptent au niveau bilatéral des règles et des disciplines qu’ils ne sont pas prêts à accepter au plan multilatéral, et si de tels accords peuvent être bénéfiques, et comment.

Du fait de similitudes sur le plan des intérêts et de valeurs communes souvent plus évidentes, des accords commerciaux bilatéraux peuvent être conclus dans des domaines nouveaux comme l’investissement, la concurrence, les normes du travail ou l’environnement, où il n’y a pas de consensus entre les Membres de l’OMC. Dans la mesure où les parties sont moins nombreuses, les accords commerciaux préférentiels peuvent être conclus plus rapidement. Souvent, les pays peuvent être amenés par des considérations politiques ou géostratégiques à court terme à conclure des accords commerciaux régionaux avec un nombre restreint de partenaires, ce qui établit une discrimination à l’égard de tous les autres Membres de l’OMC.

Pour ce qui est des services en particulier, un accès préférentiel peut créer ce que l’on appelle un “avantage au premier arrivant”, du fait que les coûts de production locaux irréversibles sont importants dans de nombreux secteurs de services. De ce fait, l’accès préférentiel dans des secteurs comme les télécommunications ou les services financiers peuvent procurer un avantage durable à des fournisseurs de moindre valeur, même si les préférences sont étendues par la suite à d’autres pays.

Lorsque des pays en développement négocient avec des pays développés plus puissants, on observe souvent de leur part l’attente d’avantages préférentiels exclusifs, ainsi que l’attente d’une aide au développement et d’autres gratifications non commerciales. Les accords bilatéraux sont aussi vus comme un moyen d’obtenir des “bons points” et avoir un avantage sur d’autres Membres de l’OMC.

Les accords commerciaux bilatéraux sont également utiles aux négociateurs pour apprendre à négocier et à se familiariser avec la terminologie difficile des échanges commerciaux, ce qui contribue à édifier et à renforcer les institutions commerciales du pays. Bien souvent, les accords commerciaux régionaux ont permis de bâtir la paix et une stabilité politique plus grande. Enfin, ils peuvent être utilisés pour mener des réformes sur le plan interne dans des domaines où le système multilatéral n’offre pas la même efficacité.

Mais les accords commerciaux régionaux ont leurs propres limitations. S’ils sont mal gérés, ou pas suffisamment intégrés et subordonnés au système commercial multilatéral, ils risquent de réduire à néant leur contribution positive à l’économie mondiale.

 

Distorsions, inconvénients, risques et limites des accords commerciaux régionaux

Par définition, les accords commerciaux régionaux créent un environnement discriminatoire pour les non-parties. Celles-ci peuvent voir leurs exportations chuter du fait que les approvisionnements sont de plus en plus assurés auprès de pays appartenant à l’accord commercial préférentiel, et perdre des IED du fait que les flux d’investissement sont redirigés vers les Membres disposant d’un accès préférentiel à un plus grand marché. Mais les accords commerciaux préférentiels peuvent également détourner les courants d’échanges de leurs partenaires si les importations en provenance d’un partenaire d’un accord commercial régional qui est inefficient sur le plan économique entraînent un déplacement des importations plus compétitives produites ailleurs. Seuls quelques accords commerciaux préférentiels peuvent réellement aboutir à un commerce totalement libre entre les parties. Souvent, les restrictions appliquées à des produits sensibles demeurent en place, et des études ont montré que des règles d’origine restrictives peuvent conduire les exportateurs à utiliser les taux multilatéraux plutôt que les taux préférentiels, surtout si la marge de préférence est faible.

La conclusion d’accords commerciaux régionaux peut également inciter à encore plus de discrimination, lorsque des pays qui ne font pas partie de l’accord essayent vite de conclure des accords avec d’autres pays qui en font partie afin de ne pas être exclus — phénomène que l’on a appelé “effet domino” ou “effet d’imitation”, et qui explique largement l’activité observée récemment en Asie en matière d’accords commerciaux régionaux. Il y a aussi le phénomène que j’appellerais la “manie du régionalisme”, qui consiste pour les pays à tenter d’établir des relations préférentielles avec tous leurs grands partenaires commerciaux. Dans ce scénario, certains pays, en particulier les pays en développement qui ont un petit marché intérieur, risquent d’être laissés sur la touche et de se retrouver encore plus marginalisés.

La multiplication des accords commerciaux régionaux peut compliquer grandement l’environnement commercial en créant un dédale de règles incohérentes et des règles d’origine complexes. Un nombre croissant de Membres de l’OMC sont parties à plus de dix accords commerciaux dont la plupart contiennent des règles d’origine spécifiques pour un Membre donné. Cela complique les processus de production des fournisseurs qui peuvent se retrouver contraints d’adapter leurs produits en fonction des différents marchés préférentiels pour satisfaire aux règles d’origine. Cela complique aussi la vie des agents des douanes, qui sont obligés d’évaluer le même produit différemment en fonction de son origine, ce qui compromet la transparence du régime commercial. C’est là que l’on commence à avoir, pour emprunter l’expression du professeur Bagwhati, une véritable “assiette de spaghetti”, un enchevêtrement de règles d’origine.

Les accords commerciaux régionaux peuvent détourner les énergies et les ressources de négociation des enceintes multilatérales — ce qui est un grave problème pour les pays en développement qui ont des capacités limitées; nous en voyons déjà les premiers signes: étant donné la suspension des négociations à l’OMC, le personnel de nombre de nos Membres se trouve à présent réaffecté vers les départements qui s’occupent des accords commerciaux régionaux.

Outre leurs effets de distorsion, les accords commerciaux préférentiels comportent également de réelles limitations: certaines questions ne peuvent simplement pas être traitées du tout dans le cadre de ce type d’accords. Prenez par exemple les négociations visant à éliminer ou à réduire les subventions agricoles ou les subventions aux pêcheries qui faussent les échanges. Un éleveur “bilatéral” ou des poulets “bilatéraux” cela n’existe pas, pas plus qu’un éleveur ou des poulets “multilatéraux”. Les subventions sont versées aux éleveurs pour l’ensemble de leur production de volailles. Il en va de même pour les règles visant à lutter contre le dumping.

Les accords commerciaux bilatéraux sur les services ont tendance à exclure ou à ne couvrir qu’en partie les domaines dans lesquels les partenaires plus importants se heurtent à une résistance interne à la concurrence étrangère, pour ne rien dire de toute réforme réelle: en d’autres termes, ces accords sont peu opérants pour libéraliser le commerce dans les secteurs sensibles. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où les ministères du commerce qui coordonnent ces questions se heurtent à quelques “poids lourds” — les ministères chargés des finances, des télécommunications, du travail, des transports, de la santé ou de l’éducation — pour lesquels le “multilatéralisme” n’est pas franchement la priorité, en particulier lorsque sont en jeu des “intérêts acquis” qu’il est plus facile de protéger dans le contexte bilatéral.

Les arrangements bilatéraux pour le règlement des différends ne peuvent pas remplacer le système de règlement des différends multilatéral de l’OMC, dont les avantages découlent de l’application générale et des effets des décisions de l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

Les accords commerciaux préférentiels peuvent également conduire à la création d’alliances politiques où le prix à payer pour un pays en développement qui conclut un accord commercial régional avec un pays développé est l’adhésion à la position politique plus générale adoptée par ce pays à l’OMC ou dans d’autres enceintes. En ce sens, on peut dire que les accords bilatéraux ne corrigent pas les déséquilibres de puissance entre les partenaires. Tout est pour le mieux si vous vous appelez Brésil, Chine, Union européenne, Inde ou États-Unis mais, pour le Ghana, le Cambodge ou le Pérou, le bilatéralisme est loin d’offrir des moyens aussi importants que le multilatéralisme.

Une autre limitation intrinsèque des accords commerciaux régionaux tient au phénomène d’autodégradation des préférences offertes: une préférence en matière d’accès aux marchés accordée à un premier partenaire d’un tel accord perd de sa valeur lorsque le même accès est offert à un autre partenaire dans le cadre d’un autre accord régional. Dans le même temps, les pays qui sont exclus subissent une discrimination croissante du fait de la multiplication des partenariats préférentiels. Ce problème est particulièrement prononcé dans les configurations en étoile où les “pointes” de l’étoile sont vulnérables face aux accords commerciaux futurs conclus par le “cœur” de l’étoile. Prenez par exemple l’accord de partenariat économique conclu entre l’Union européenne et les pays ACP: le statut des ACP, qui sont fortement tributaires d’un accès préférentiel au marché de l’UE, pourrait être remis en question à un moment où l’UE manifeste certaines intentions d’étendre ses partenariats préférentiels.

Enfin, les accords commerciaux régionaux sont souvent un frein aux négociations multilatérales étant donné les coûts associés à l’élimination progressive des préférences. Certains pays effectuent 90 pour cent de leurs échanges voire davantage avec des partenaires préférentiels et courent ainsi le risque de favoriser la création de puissants lobbies nationaux qui résistent à toute libéralisation des droits de douane au plan multilatéral, ce qui pourrait remettre en cause leurs préférences. Dans le domaine des services, il est clair à présent qu’un certain nombre de Membres ont conclu des accords commerciaux bilatéraux qui prévoient des améliorations sensibles par rapport à leurs engagements multilatéraux existants tant en ce qui concerne la portée que le degré de la libéralisation du marché. Ces accords vont souvent bien au-delà des offres présentées pour l’AGCS dans le cadre des négociations en cours. Par exemple, grâce à un certain nombre d’accords bilatéraux, les États-Unis ont obtenu un accès aux marchés significatif pour les services comparativement à ce que leurs partenaires bilatéraux se sont engagés ou sont prêts à offrir dans le cadre de l’OMC.

On peut se demander si l’hyperactivité actuelle autour des accords commerciaux régionaux n’a pas incité un certain nombre de Membres à présenter des offres minimales afin de conserver un atout dans les diverses négociations concernant des accords commerciaux régionaux. Suivant la notion de libéralisation compétitive, les accords bilatéraux ne sont-ils pas censés transformer les pays participants en adeptes du libre-échange multilatéral? Les pays qui prennent part à des accords bilatéraux devraient être prêts à montrer la voie et à soutenir le multilatéralisme en réduisant l’écart entre les engagements au titre d’accords commerciaux régionaux et les offres liées à l’AGCS. En tout état de cause, les avantages que les pays en développement peuvent obtenir en contrepartie de leurs engagements dans le domaine des services sont bien plus importants à l’OMC que dans le cadre d’accords bilatéraux.

Si les accords commerciaux régionaux peuvent être utilisés comme laboratoire pour des questions nouvelles comme les droits liés au travail, l’investissement, la concurrence ou les accords “ciel ouvert”, c’est aussi dans le cadre de ces accords que les pays sont susceptibles de perdre les droits et les privilèges qu’ils ont négociés collectivement à l’OMC: accès aux médicaments, prescriptions en matière de collecte des données ou dispositions relatives au traitement spécial et différencié, pour n’en citer que quelques-uns.

Il ressort clairement de ce qui précède que si les accords commerciaux régionaux peuvent compléter le système commercial multilatéral, ils peuvent aussi être une source de perturbation et de difficultés pour les échanges. Conscients de ces atouts et de ces faiblesses, les pères de l’ancien GATT et, plus récemment, les Membres de l’OMC ont négocié des disciplines relatives à la façon dont les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux devraient être conçus afin qu’ils ne faussent pas les échanges, soient complémentaires du système de l’OMC et donnent toute la mesure de leurs avantages potentiels.

 

La position de l’OMC concernant les accords commerciaux régionaux

Le GATT et à présent l’OMC reconnaissent le droit assorti de certaines conditions qu’ont les Membres de conclure des accords commerciaux régionaux et de déroger dans la mesure nécessaire à certaines de leurs obligations dans le cadre de l’OMC. L’OMC considère que les accords commerciaux régionaux sont des exceptions au principe multilatéral de l’OMC et que donc, en cas de contestation, c’est au Membre partie à l’accord commercial régional de justifier la compatibilité de celui-ci avec les règles de l’OMC.

L’OMC impose trois types de conditions de fond que les accords régionaux doivent respecter pour être compatibles avec les règles de l’OMC. Premièrement, en ce qui concerne l’incidence globale de l’accord vis-à-vis des autres Membres. Dans les zones de libre-échange et les unions douanières, il y a obligation de ne pas élever d’obstacles au commerce avec les tierces parties. Cet aspect est quantifiable du point de vue des droits de douane mais moins facile à mesurer du point de vue d’autres règles commerciales comme les normes ou les règles d’origine. Par exemple, une règle d’origine restrictive, qui impose un pourcentage élevé d’éléments d’origine régionale, pourrait pénaliser les fournisseurs extérieurs à l’accord commercial régional.

Deuxièmement, ce que nous appelons “l’obligation extérieure”. Un accord de libre-échange ne peut pas entraîner des droits d’importation plus élevés pour ses membres tandis qu’une union douanière doit harmoniser les politiques commerciales extérieures de ses membres et dédommager en conséquence les non-membres concernés.

En troisième lieu, il y a les conditions qui concernent la “dimension interne” des accords commerciaux régionaux: les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives doivent être éliminés pour “l’essentiel” des échanges commerciaux. À nouveau, la composante droit de douane peut être quantifiée mais c’est plus difficile dans le cas des autres réglementations commerciales restrictives en l’absence de définition convenue de cette notion.

D’une manière générale, nous pouvons dire que l’OMC autorise les accords commerciaux régionaux dont le fonctionnement ne doit pas conduire à des situations où les pays qui n’en sont pas membres devraient “payer le prix” des préférences internes.

Afin de garantir la cohérence entre l’OMC et les accords commerciaux régionaux, ceux-ci doivent être notifiés “dans les moindres délais” à l’OMC et examinés par ses Membres avant leur mise en œuvre. En pratique, les accords commerciaux régionaux sont le plus souvent notifiés postérieurement à l’application du traitement préférentiel, souvent très longtemps après. De plus, la règle du consensus pour la prise des décisions à l’OMC a abouti à un blocage du processus d’examen au Comité de l’OMC chargé des accords commerciaux régionaux. Le Comité n’a explicitement considéré comme étant compatible avec les règles de l’OMC qu’un seul accord commercial régional. Ainsi, en cas de désaccord, le seul recours possible est le mécanisme de règlement des différends de l’OMC. Mais les groupes spéciaux et l’Organe d’appel de l’OMC sont-ils les mieux placés pour déterminer le bien-fondé juridique, économique et politique de tel ou tel accord commercial régional?

Enfin, en vertu de ce que l’on appelle la Clause d’habilitation, les accords commerciaux régionaux conclus entre pays en développement peuvent être soumis à des disciplines beaucoup moins strictes que celles qu’imposent le GATT ou l’OMC. Les paramètres exacts de ces disciplines et l’absence de notification et de transparence des accords de cette nature commencent à susciter des inquiétudes du fait que des acteurs plus importants empruntent aujourd’hui cette voie.

   

Options futures

Les accords commerciaux régionaux sont aujourd’hui un aspect de plus en plus marquant d’un paysage qui est là pour durer. De ce fait, sachant que l’OMC les autorise, le défi devant lequel nous nous trouvons aujourd’hui est de faire en sorte qu’ils contribuent au bon fonctionnement du système commercial mondial en réduisant au minimum le risque qu’ils soient une entrave à l’amélioration des conditions au plan mondial ou limitent les économies d’échelle. Nous devons veiller à ce que les accords commerciaux régionaux ne remplacent pas le système commercial multilatéral mais le complètent. Nous devons rendre opérationnelles les règles du GATT et de l’OMC relatives aux accords régionaux afin d’assurer une surveillance juridique et économique efficace. C’est dans ce but que les Membres de l’OMC ont décidé de mettre cette question à l’ordre du jour des négociations dans le cadre du Programme de Doha.

Que pouvons-nous faire pour faire mieux cohabiter les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux? Je songe à des initiatives régionales encourageantes telles que les Lignes directrices de l’APEC sur les accords commerciaux régionaux. Les meilleures pratiques recensées par l’APEC sont notamment l’exhaustivité (dispositions prévoyant la libéralisation dans tous les secteurs), la transparence, des mesures pour améliorer la facilitation des échanges, des règles d’origine simples qui facilitent les échanges, et l’option de l’adhésion pour les tierces parties. Elles complètent les règles de l’OMC et encouragent la compatibilité avec ses disciplines.

Je pense que nous devons aussi nous attaquer au problème de l’“assiette de spaghetti” des règles d’origine. L’harmonisation de règles d’origine qui soient simples, faciles à appliquer et non restrictives, entre les différents accords commerciaux régionaux, simplifierait les conditions commerciales et contribuerait beaucoup à la transparence. Autre possibilité, ne pourrait-on pas, tout en visant l’harmonisation, envisager une certaine forme de hiérarchie des règles selon le modèle de l’Accord antidumping et de l’Accord sur l’évaluation en douane, qui prévoient d’autres méthodes de calcul des prix lorsque la méthode privilégiée et généralement la plus simple n’est pas applicable ou efficace? Pouvons-nous songer à des principes de présomption, d’équivalence ou de reconnaissance mutuelle pour les règles d’origine, qui pourraient être contestés au moyen d’un renversement de la charge de la preuve?

Les Membres de l’OMC sont déjà parvenus à un accord — qui doit encore être formellement adopté — au sujet d’un nouveau mécanisme pour la transparence qui préconise la notification des nouveaux accords commerciaux régionaux avant l’application du traitement préférentiel. Ce nouveau mécanisme pour la transparence envisage un rôle renforcé pour le Secrétariat de l’OMC: le Secrétariat, sous sa propre responsabilité et en pleine consultation avec les parties, établira une présentation factuelle de tous les accords commerciaux régionaux notifiés à l’OMC. Ce processus a pour le moment un caractère facultatif. La présentation factuelle est un moyen d’améliorer la transparence des accords commerciaux régionaux en offrant un aperçu systématique de leurs aspects liés à la libéralisation des échanges et à la réglementation. C’est un premier pas dans la bonne direction pour faire en sorte que les accords bilatéraux ou multilatéraux restent des amis et ne deviennent jamais des ennemis.

À présent que les négociations à l’OMC sont suspendues, il est essentiel que les accords bilatéraux ne deviennent pas une porte de sortie facile. Renoncer à l’OMC n’est pas une solution compte tenu de la valeur économique, politique et systémique intrinsèque du système commercial multilatéral, où les accords bilatéraux peuvent trouver un espace d’expression positif. Si le système multilatéral disparaît, les avantages potentiels des accords commerciaux régionaux disparaîtront avec lui. Si vous me permettez une analogie avec la cuisine française, les accords commerciaux régionaux sont aux accords multilatéraux ce que le poivre est à une sauce réussie. Le poivre ajoute de la saveur et peut améliorer une sauce, mais, tout seul, il n’a pas bon goût; et même un bon poivre, si la sauce est mauvaise, ne donne rien de bon! Utilisez la mauvaise recette, et voilà votre dîner complètement raté!

Un système commercial multilatéral solide et moderne associé à des accords commerciaux régionaux qui en amplifient les effets bénéfiques plutôt qu’ils ne les réduisent, telle est la réponse censée à la nouvelle génération d’accords commerciaux régionaux.

Merci de m’avoir écouté.

 

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