ALLOCUTIONS — DG ROBERTO AZEVÊDO

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[Traduction du discours prononcé en portugais]

Observations du Directeur général Roberto Azevêdo – "Règlement des différends et promotion du commerce international"

Mesdames et Messieurs,
Bonjour.

C'est un grand plaisir d'être ici aujourd'hui et un honneur d'être nommé parrain de la branche brésilienne du Chartered Institute of Arbitrators (CIArb).

Je suis très reconnaissant d'être ainsi honoré.

Le rôle de l'Institut, et de ses mécanismes de règlement des différends, est très important.

Les solutions négociées sont cruciales pour l'efficacité des systèmes de réglementation - en particulier dans le commerce international.

Ces instruments sont essentiels pour éviter toute escalade des tensions. Ils évitent en outre des coûts et dommages excessifs aux participants.

Je félicite donc le CIArb pour le travail accompli au fil des années et souhaite plein succès à cet évènement qui débute ici au Brésil.

Le calendrier est en outre favorable. Le Brésil cherche à accroître sa part dans le commerce mondial, à conclure de nouveaux accords et à rendre son économie plus compétitive. Les travaux du CIArb peuvent également s'avérer utiles (et de façon significative) sur tous ces fronts.

Je considère aussi l'honneur que je reçois aujourd'hui comme un signe de soutien sans réserve en faveur des travaux de l'Organisation mondiale du commerce.

Ce soutien est très apprécié. L'OMC joue un rôle clé dans le règlement des différends commerciaux au niveau mondial. D'une manière générale, elle est responsable de l'administration des règles qui s'appliquent à 98% du commerce mondial dans ses 164 pays Membres.

Ces règles ont été négociées et mutuellement convenues par les Membres de l'Organisation, et ce sont eux qui en assurent le suivi et l'application avec le soutien de l'OMC.

Avec l'intégration croissante des économies, ces efforts deviennent encore plus cruciaux. Aujourd'hui, les deux tiers des marchandises commercialisées dans le monde sont fabriquées à partir de composants provenant d'au moins deux pays. En d'autres termes, la stabilité des flux commerciaux internationaux est essentielle pour préserver la santé de l'économie mondiale.

Bien évidemment, lorsqu'il s'agit de flux commerciaux à cette échelle, des divergences surviennent immanquablement. Et une part très importante des travaux de l'OMC concerne précisément le règlement des différends.

L'OMC fournit des outils permettant de résoudre les différends commerciaux de façon transparente et prévisible. Ce processus se déroule suivant des procédures objectives qui sont appliquées uniformément à tous les Membres de l'Organisation. Ce travail contribue à dépolitiser les tensions et à éviter l'escalade des désaccords.

Il suffit d'observer le niveau d'activité de ce système pour en comprendre l'importance pour les Membres.

Notre système de règlement des différends a déjà examiné près de 600 différends depuis 1995, année de la création de l'OMC.

Au fil des années, deux tiers des Membres de l'OMC, y compris des pays développés et des pays en développement, ont participé à ce système d'une façon ou d'une autre.

Le Brésil utilise activement ce système. Il a pu mettre ses intérêts en avant dans des secteurs importants comme ceux des produits agricoles, des textiles et de l'aéronautique, en portant des différends devant l'OMC.

Comment cela fonctionne-t-il dans la pratique?

De façon générale, il existe deux types d'arbitrage à l'OMC:

  • la médiation, utilisée dans les domaines de négociation ainsi que dans le règlement des différends; et
  • l'arbitrage au sens strict, qui a lieu dans le cadre du système de règlement des différends. Aujourd'hui, j'aimerais commencer par parler de celui-ci.

Ce mécanisme peut uniquement être déclenché à la demande des Membres concernés. Il convient de rappeler que les instruments de l'OMC diffèrent quelque peu de l'arbitrage commercial dans le secteur privé.

À l'OMC, les parties au différend sont strictement des États. L'Organisation n'examine pas les différends entre des entités privées et l'État, comme c'est le cas dans les arbitrages relevant de certains accords bilatéraux d'investissement.

Des intérêts privés sont bien évidemment en jeu, mais ils sont défendus par les gouvernements. Quelques exemples sont emblématiques, comme l'affaire impliquant Embraer et Bombardier, dans laquelle le Brésil et le Canada se sont affrontés pour défendre leurs constructeurs d'aéronefs.

Une autre particularité de l'arbitrage à l'OMC est qu'une fois qu'il a été engagé par l'une des parties, il est contraignant. L'autre partie n'a pas la possibilité de le rejeter.

La première étape repose sur des consultations au cours desquelles les parties tentent de trouver une solution avant d'engager les procédures de règlement de différend proprement dites.

Si les consultations n'aboutissent pas, le différend passe à l'étape du groupe spécial. Le groupe spécial équivaut à une juridiction de premier ressort.

L'affaire est alors analysée par un groupe d'arbitres qui sont généralement spécialistes du domaine concerné et peuvent être choisis par les parties ou désignés par moi-même en cas de désaccord. Après la publication du rapport de ces arbitres, si l'une des parties n'est pas satisfaite, elle peut faire appel de la décision.

Le différend est alors porté devant l'Organe d'appel de l'OMC. Cet organisme examine l'affaire sur la base de plaintes spécifiques concernant uniquement des points de droit (et non de fait) de la décision.

À ce stade, une section est constituée avec trois des sept membres de l'Organe d'appel, qui ont un mandat spécifique et sont choisis par les Membres de l'Organisation.

Une décision prise par l'Organe d'appel – la juridiction de dernier ressort à l'OMC – est définitive. Pour qu'elle ne le soit pas, un "consensus négatif" des Membres est nécessaire, c'est-à-dire que l'ensemble des 164 Membres de l'OMC doivent s'opposer à la décision concernée.

J'ai eu le privilège de participer aux travaux de ce mécanisme en y jouant tous les rôles, sauf celui de membre de l'Organe d'appel.

J'y ai participé en tant que chef de l'unité du règlement des différends du Brésil. J'ai également siégé dans plusieurs groupes spéciaux et présidé l'un d'entre eux.

En tant que Directeur général, je participe à la composition des groupes spéciaux et à l'administration du système de règlement des différends. J'offre également mes bons offices si les parties en font la demande.

C'est donc en pleine connaissance de cause, et même avec fierté, que j'affirme que ce système est essentiel pour le bon fonctionnement de l'économie mondiale.

Par exemple, l'existence de ce mécanisme nous a aidés à contrôler les pressions protectionnistes au lendemain de la crise financière de 2008.

Les Membres savaient quelles étaient les règles en vigueur. Ils savaient qu'ils étaient tous assujettis aux mêmes règles. Ils savaient quelles étaient leurs limites et quelles seraient les conséquences s'ils les transgressaient.

Ce système a été mis à l'essai et il a fait ses preuves.

Cependant, comme n'importe quel autre système, le mécanisme de règlement des différends de l'OMC peut être amélioré. L'un des principaux sujets de discussion est la crise que traverse l'Organe d'appel.

L'Organe d'appel est normalement composé de sept personnes, mais aujourd'hui, il ne compte plus que trois membres en exercice, soit le nombre minimum pour constituer une section d'appel. Or les mandats de deux d'entre eux arrivent à expiration en décembre de cette année.

Autrement dit, il est fort probable que l'Organe de règlement des différends de l'OMC se retrouvera dans l'incapacité de fonctionner et que le système sera paralysé lorsqu'une partie souhaitera saisir l'Organe d'appel.

En temps normal, les Membres de l'OMC engagent le processus visant à pourvoir les postes vacants longtemps à l'avance.

Cependant, il est nécessaire de parvenir à un consensus pour lancer ce processus. Jusqu'à présent, cela n'a pas été possible en raison du veto opposé par les États-Unis. Ces derniers affirment que l'Organe d'appel doit régler certains problèmes fondamentaux avant que de nouveaux membres ne soient désignés.

D'après les États-Unis, l'Organe d'appel de l'OMC s'est écarté du rôle dont les Membres étaient convenus en 1994. Parmi les principales critiques, les États-Unis allèguent que l'Organe d'appel:

  • dépasse le délai de 90 jours prévu pour rendre les décisions d'appel;
  • réexamine souvent les constatations de fait des groupes spéciaux, comme certains aspects de la législation nationale des parties (le "droit interne");
  • émet des avis sur des questions qui ne sont pas nécessaires pour régler un différend ("avis consultatifs" ou "obiter dicta");
  • autorise ses membres à achever leurs travaux sur des affaires en cours même après la fin de leur mandat (règle 15 des Procédures de travail pour l'examen en appel);
  • tend à considérer les décisions adoptées antérieurement comme des précédents contraignants (au lieu de reconnaître que ses décisions s'appliquent uniquement et exclusivement au différend initial, sans créer de jurisprudence). Il existe même, entre les cultures de la common law et celles du droit civil, une certaine tension qui ne peut être ignorée dans le contexte clairement multiculturel de l'OMC ou dans certaines situations d'arbitrage ou de médiation comme celles qui sont traitées par le CIArb.

Ce dernier point est indéniablement un sujet de tension à Genève.

Selon les Accords de l'OMC, le résultat d'un différend ne vaut que pour les parties au différend et pour l'affaire concernée. Il ne peut constituer un précédent contraignant pour les différends ultérieurs.

En même temps, le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends indique que la prévisibilité est essentielle. En d'autres termes, on pourrait s'attendre à une certaine harmonisation des décisions de l'Organe d'appel au fil du temps.

Tout cela a abouti à un débat plus large sur la façon d'améliorer le système de règlement des différends de l'OMC. Un certain nombre de Membres estime que des améliorations sont possibles et tente d'aborder ces questions de façon constructive.

Les Membres de l'OMC ont lancé un processus de discussion sur le sujet sous la direction du Président de l'Organe de règlement des différends.

Plusieurs propositions sont actuellement sur la table. Elles abordent diverses améliorations pouvant être apportées au système.

C'est une très bonne chose. Mais nous n'avons pas encore accompli les progrès nécessaires pour sortir de l'impasse concernant la désignation des membres de l'Organe d'appel. Et nous ne savons pas encore très bien comment remédier aux problèmes identifiés.

Le fait est que la situation susceptible de se produire en décembre a déjà des conséquences sur les décisions qui sont prises aujourd'hui. Les Membres qui engagent actuellement une action ne savent pas avec certitude quelle sera la situation à la fin des procédures de groupe spécial.

Les Membres doivent étudier sérieusement les options et solutions possibles. Et ils doivent le faire maintenant.

La situation actuelle est inquiétante. Mais cette crise représente également une occasion unique de moderniser et de renforcer ce système essentiel.

Lorsqu'il existe des tensions, la valeur du système apparaît encore plus clairement. Les Membres de l'OMC ne restent pas sans rien faire. En plus de réfléchir aux solutions pour renforcer le système de règlement des différends, ils examinent une série de mesures visant à rendre l'Organisation plus apte à répondre aux défis mondiaux.

Ces discussions portent notamment sur la façon d'améliorer nos travaux quotidiens, par exemple en renforçant la transparence et en améliorant les systèmes de notification.

Un débat animé a également lieu sur la façon de consolider notre fonction de négociation. Dans ce cadre, des discussions sont en cours sur l'agriculture et sur la façon d'éliminer les subventions qui conduisent à la surpêche.

Des groupes de Membres ont également des discussions sur des thèmes émergents dans l'économie mondiale. Ces initiatives "plurilatérales" sont ouvertes à tous les Membres qui souhaitent y participer et proposent une façon innovante de travailler à Genève.

Dans ce format, nous tenons des discussions sur le commerce électronique, la facilitation des investissements, la réglementation des services, les petites et moyennes entreprises (PME) et l'autonomisation économique des femmes.

Le Brésil est un participant actif dans tous ces domaines, ce qui est logique. En fin de compte, ces sujets sont d'une grande importance pour l'économie du pays.

D'une certaine façon, cette crise a permis de prendre conscience de la valeur du système et stimulé les efforts pour le renforcer et l'améliorer. En dépit des récents progrès réalisés grâce à des accords comme celui sur la facilitation du commerce et celui sur les technologies de l'information, tous deux estimés à des milliers de milliards de dollars, le logiciel de l'Organisation et ses règles ont besoin d'une nouvelle mise à jour.

Je suis absolument convaincu que ces discussions doivent se poursuivre. Nous devons nous efforcer de perfectionner le système chaque fois que cela sera possible, y compris pour nous adapter aux mutations structurelles qui transforment le monde à grande vitesse.

Je vous conseille à tous de suivre ces discussions de près. Ce monde vous paraît peut-être lointain, mais de nombreux parallèles peuvent être établis avec votre propre domaine d'activité.

Ces leçons que nous tirons à l'échelle mondiale, dans un environnement culturellement diversifié, peuvent également contribuer à façonner des décisions dans les contextes parfois plus limités de la médiation et de l'arbitrage.

De ce fait, en tant que parrain du CIArb, et sur la base de l'expérience que j'ai acquise tout au long de ma carrière, je souhaiterais conclure par quelques points qui me semblent essentiels pour réussir une négociation ou une médiation qui, d'après ce que je crois comprendre, représentent aussi un important pilier de cet institut. Je sais bien que je prends le risque de donner des conseils inutiles à des experts en la matière, mais allons-y!

Premier point, il faut connaître le sujet en discussion. Une connaissance approfondie du sujet est indispensable pour être un bon négociateur ou pour aider à trouver une solution. Et les parties verront rapidement si vous savez réellement de quoi vous parlez …

Deuxième point, il est essentiel d'écouter et de comprendre ce que veulent les parties et de se mettre à la place de l'autre. Ici, ce qui importe le plus, c'est d'écouter. Un bon négociateur sait écouter ce qui est dit, mais aussi ce qui ne l'est pas.

Le troisième point concerne la crédibilité, le fait d'agir de bonne foi.

En tant que professionnels, vous devez garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas de votre dernière négociation ou médiation. Et votre image, votre profil vous précèdent.

Quatrième point, il faut s'adapter. Vous devez bien savoir qu'une méthode qui fonctionne dans un type de négociations peut échouer dans un autre. Il faut toujours chercher la meilleure façon d'agir et s'adapter aux différents environnements culturels.

Le cinquième point est de se rappeler que la solution ne se trouve pas seulement dans une salle. Résoudre le différend en cours ne signifie pas mettre fin au conflit. Nous devons également comprendre le contexte politique qui entoure les différentes positions. Les procédures de règlement des litiges, en plus de dépolitiser certaines questions plus délicates, peuvent jeter les bases d'accords négociés ultérieurement; cela se produit très souvent.

Enfin, il est nécessaire d'avoir de bonnes aptitudes interpersonnelles, de l'énergie et de l'endurance - et une grande patience. Je pense que la combinaison de ces éléments facilite la tâche consistant à trouver des solutions négociées, quel que soit l'instrument utilisé pour régler un différend.

Voilà, brièvement résumés, certains aspects de notre travail qui pourraient tous faire l'objet d'une conférence entière. Malheureusement, nous n'avons pas le temps d'entrer plus dans les détails aujourd'hui, mais je suis sûr que nous aurons d'autres occasions de le faire.

Dans les moments de fortes tensions comme ceux que nous vivons actuellement, les négociateurs ont un rôle clé à jouer pour maintenir la stabilité et la prévisibilité des flux économiques.

La complexité, les coûts financiers et le temps requis pour agir efficacement dans un système de règlement des différends comme celui de l'OMC constituent des arguments en faveur de mécanismes simplifiés et moins coûteux, exactement comme ceux qui sont promus par le CIArb.

Il s'agit, selon moi, d'un domaine fascinant qui présente encore un fort potentiel d'expansion. Je ferai tout mon possible pour atteindre cet objectif, tant que je suis encore à l'OMC ou après mon second et dernier mandat qui prendra fin dans moins de deux ans.

Je souhaite donc encore une fois plein succès au CIArb ici au Brésil, et à vous tous qui êtes présents aujourd'hui.

J'espère que cet événement est le premier d'une longue série pour l'Institut, ici, au Brésil.

Encore une fois, c'est un grand honneur d'être parmi vous et j'espère que nous forgerons une relation encore plus étroite à l'avenir.

Merci beaucoup.

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