NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG ROBERTO AZEVÊDO


POUR EN SAVOIR PLUS:
> Allocutions: Roberto Azevêdo

  

Bon après-midi.

M. Edgar Haug (Président élu de la Federal Circuit Bar Association — FCBA), je vous remercie de m’avoir invité à cette conférence.

C’est pour moi un grand privilège de me joindre à cette éminente assemblée de juristes, de praticiens du droit et d’experts du monde entier.

Je félicite la Federal Circuit Bar Association d’avoir organisé cette conférence et mis sur pied un programme aussi intéressant. Et je salue votre volonté de travailler avec nous et avec d’autres acteurs de la communauté internationale ici à Genève.

Le thème assigné à cette conférence — “Systèmes, problèmes, solutions: commerce, propriété intellectuelle, tribunaux et gouvernance” — rencontre un fort écho à l’OMC et, plus généralement, à Genève.

Cela fait maintenant 20 ans que des normes régissant la propriété intellectuelle ont été intégrées au droit commercial international sous la forme de l’Accord de l’OMC sur les ADPIC.

Depuis lors, l’importance de la propriété intellectuelle n’a cessé de croître dans les politiques publiques et dans l’économie.

L’OMC s’occupe aujourd’hui d’une multitude de questions de gouvernance internationale qui se situent à l’intersection du commerce, de la propriété intellectuelle et des politiques publiques.

Et l’OMC continue à jouer un rôle crucial dans le renforcement et l’ancrage d’un système commercial multilatéral transparent et fondé sur des règles.

Mais, parallèlement, nous sommes confrontés à un certain nombre de difficultés. Le règlement des différends est toujours plus complexe et, par ailleurs, nous devons trouver des solutions pour faire avancer les négociations commerciales multilatérales. La propriété intellectuelle est et restera l’un des leviers de la politique commerciale.

J’entends utiliser le temps qui m’est imparti aujourd’hui pour m’arrêter sur la place qu’occupe la propriété intellectuelle dans le système commercial multilatéral, après presque deux décennies d’existence de l’OMC.

 

LA CRÉATION DES ADPIC ET LEURS ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS

À Punta del Este en 1986 — il y a de cela une génération — les ministres du commerce ont jeté les bases des négociations consacrées à ce qu’ils ont appelé les “aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce” — et que nous désignons à l’OMC par l’acronyme “ADPIC”.

La question de la propriété intellectuelle, au même titre que celles du commerce des marchandises et du commerce des services, était donc inscrite dans le programme du Cycle d’Uruguay de négociations qui a donné naissance à l’OMC.

En définissant ce mandat novateur, les ministres ont mis en lumière la nécessité de parvenir à un équilibre entre une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle, d’une part, et les avantages que cette protection apporterait à la société, d’autre part.

Ils voulaient aussi éviter que les moyens à employer pour faire respecter la propriété intellectuelle fassent obstacle au commerce légitime.

Ce fut le début d’une longue discussion multilatérale — qui se poursuit encore aujourd’hui à bien des égards — sur la manière dont une approche équilibrée de la protection et du respect de la propriété intellectuelle peut être assurée et permettre ainsi aux pays de développer leur commerce international. Comment la propriété intellectuelle peut servir à produire des biens publics en s’appuyant sur l’innovation et la créativité.

L’Accord sur les ADPIC était donc très important et, de fait, c’est un accord historique.

Il a innové en introduisant des normes fondamentales de propriété intellectuelle dans le droit commercial multilatéral.

Et il a consolidé et renforcé le cadre international dans lequel s’inscrivent les systèmes nationaux qui accordent et administrent les droits de propriété intellectuelle et les font respecter.

Le texte de l’Accord sur les ADPIC, entré en vigueur il y a 20 ans, a actualisé, étendu et codifié des normes fondamentales couvrant un large éventail de droits de propriété intellectuelle. Il a en outre incorporé au corpus juridique de l’OMC les principales conventions de l’OMPI, notamment la Convention de Paris relative à la propriété industrielle et la Convention de Berne relative au droit d’auteur.

 

L’Accord sur les ADPIC a innové également en instituant des normes multilatérales visant à une application équilibrée et efficace des droits de propriété intellectuelle. Ce faisant, il ciblait directement l’interaction entre commerce et respect de la propriété intellectuelle, en ayant pour objectif de lutter contre le commerce illégitime — en particulier de marchandises de marque contrefaites ou de marchandises pirates portant atteinte au droit d’auteur — sans pour autant menacer le commerce légitime.

Et il a associé les normes de propriété intellectuelle au système de règlement des différends de l’OMC. Il a donc ouvert une voie multilatérale au traitement des contentieux sur la propriété intellectuelle entre partenaires commerciaux d’une manière fondée sur des règles et transparente.

Il a par ailleurs mis en place un mécanisme de suivi et de réexamen de la législation nationale sur la propriété intellectuelle. Il est le gage d’une transparence sans précédent à propos du travail législatif et des politiques des pays en matière de propriété intellectuelle à une époque de dynamisme exceptionnel dans ce domaine.

L’Accord ADPIC nous rappelle en outre que le système de propriété intellectuelle est un instrument essentiel de l’action des pouvoirs publics.

Il pose comme principe que la protection de la propriété intellectuelle a pour objectif de contribuer à la promotion de l’innovation technologique et au transfert et à la diffusion des technologies.

La protection de la propriété intellectuelle devrait aussi opérer à l’avantage mutuel de ceux qui génèrent des connaissances techniques et de ceux qui les utilisent, contribuant ainsi au bien-être social et économique.

La plupart des travaux effectués depuis lors autour de l’Accord sur les ADPIC — à l’OMC même et dans d’autres enceintes internationales, comme l’OMPI — relèvent d’un effort collectif visant à atteindre dans de nombreux secteurs et systèmes nationaux les objectifs ainsi évoqués.

 

LES ADPIC À l’OMC

Passons maintenant aux travaux concernant les ADPIC que nous menons à l’OMC. J’aimerais appeler votre attention sur quatre domaines.

Premièrement, dans le cadre de la fonction de surveillance de l’OMC, le Conseil des ADPIC a examiné de près les systèmes de propriété intellectuelle de quelque 130 Membres de l’OMC, parcourant plus de 4 000 textes juridiques de Membres mettant en œuvre l’Accord sur les ADPIC.

Cet examen de grande envergure a porté sur le processus de refonte des dispositifs législatifs, administratifs et judiciaires des Membres de l’OMC, où règne une très grande diversité.

Nous traversons aujourd’hui la période d’évolution législative et réglementaire la plus active et la plus inclusive géographiquement jamais vue en matière de propriété intellectuelle.

Et ce processus a ceci de remarquable qu’il a, pour l’essentiel, généré sa propre dynamique. Il a été déclenché par la prise de conscience collective que les systèmes de propriété intellectuelle, sous réserve qu’ils soient équilibrés et efficaces, sont un ingrédient clé de la croissance et du bien-être à une époque où les connaissances sont elles-mêmes essentielles au commerce et à la décision économique.

Je me tourne à présent vers le deuxième domaine d’activité de l’OMC en matière de propriété intellectuelle. Il s’agit du travail accompli par le Conseil des ADPIC sur une série de questions de politique publique.

Ce travail reflète la maturation du travail du Conseil. La phase initiale de mise en œuvre des ADPIC étant sur le point d’aboutir, sauf pour les pays les moins avancés de l’OMC, le Conseil des ADPIC entend passer à la phase suivante. Il souhaite examiner ce que l’on pourrait appeler le “régime appliqué” — autrement dit la comparaison des différentes expériences du travail accompli sur les politiques générales dans le cadre instauré par l’Accord sur les ADPIC.

Prenons un exemple. Très récemment, le Conseil a ouvert un débat important entre Membres sur l’interaction entre système de propriété intellectuelle et réponses aux défis du changement climatique, et il s’est penché sur divers aspects de la politique d’innovation.

Cela étant, l’enjeu majeur impliquant les ADPIC qui a suscité le plus d’attention ces deux dernières décennies est sans aucun doute la santé publique.

L’imminence d’une autre crise sanitaire internationale nous rappelle à quel point il est important d’encourager et de faciliter l’innovation en matière de santé, tout en assurant à ceux qui en ont le plus besoin l’accès aux technologies médicales.

En traitant cette question à la Conférence ministérielle de Doha en 2001, la Déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique a marqué un jalon très important pour plusieurs raisons:

  • Les ministres du commerce ont affiché clairement les préoccupations que leur inspiraient les problèmes de santé publique à travers le monde et ils ont insisté sur la nécessité d’une action internationale pour y faire face.
  • Ils ont indiqué à ce propos que le système de propriété intellectuelle, et les ADPIC en particulier, faisaient partie de la solution.
  • Ils ont recensé un certain nombre de manières dont les règles ADPIC pouvaient contribuer à des résultats en matière de santé publique.
  • Et la Déclaration elle-même a prescrit des négociations sur une nouvelle flexibilité, une nouvelle voie pour l’accès aux médicaments pour les pays ayant des capacités de fabrication insuffisantes ou n’en disposant pas dans le secteur pharmaceutique. Et les Membres ont donc pu parvenir à un accord sur une première modification de l’ensemble des textes de l’OMC, dans le but de promouvoir des résultats de santé publique.

En outre, la Déclaration de Doha a contribué à renforcer les bases de la coopération en matière de santé publique au sein du système multilatéral. Ainsi, dans le prolongement de la Déclaration, l’OMS, l’OMPI et l’OMC se sont progressivement associées pour apporter un soutien concerté aux gouvernements sur les dossiers se situant à l’intersection de la santé publique, du commerce et de la propriété intellectuelle.

L’année dernière, nous avons vu le lancement d’une étude trilatérale commune présentant un panorama inédit des politiques de soutien à l’innovation et à l’accès aux technologies médicales.

Il s’agissait de jeter les bases d’un dialogue et d’une coopération technique dans ce domaine critique, et de mettre fin au cloisonnement des savoirs qui entrave parfois la collaboration pourtant si nécessaire dans tous les secteurs.

Et notre approche coordonnée et globale de la coopération trilatérale et de la concertation a continué à évoluer.

Ainsi, dans deux semaines, j’accueillerai à l’OMC mes homologues, les directeurs généraux de l’OMS et de l’OMPI, pour une concertation trilatérale.

Nous ne cessons de travailler à la coordination de notre action.

Passons maintenant au troisième domaine de travail que je voulais aborder. Il s’agit de l’examen des questions liées aux ADPIC dans le cadre du Cycle de négociations commerciales de Doha.

La Conférence ministérielle de Doha a vu le lancement au sein de l’OMC de travaux portant sur diverses questions de propriété intellectuelle — certains aspects de la protection des indications géographiques, et le lien entre le système des brevets et les principes de la Convention sur la diversité biologique.

Vous ne serez sans doute pas surpris si je vous dis que ce travail ne progresse guère — en raison de la situation à l’OMC sur le versant négociations. Nous avions pourtant fait une percée majeure à Bali en décembre dernier en approuvant unanimement le paquet de Bali. Et cela annonçait une nouvelle ère dans les négociations.

Or, les Membres de l’OMC font face aujourd’hui à des difficultés considérables dans la mise en œuvre de ce qu’ils ont accepté en décembre.

À l’heure actuelle, nous n’avons pas de solution pour sortir de l’impasse où se trouvent les négociations. Mais nous travaillons dur pour en trouver une.

J’ai dit la semaine dernière à tous les Membres de l’OMC que nous devions trouver le moyen de poursuivre nos travaux et d’aller de l’avant, tout en recherchant une solution pour sortir de l’impasse.

En ce qui concerne les questions liées aux ADPIC, elles se sont révélées très délicates en soi, ce qui ne faisait que refléter les intérêts puissants en jeu et les divergences de vues entre Membres.

Il ressort des positionnements actuels que les clivages d’antan — nord contre sud, pays développés contre pays en développement — cèdent désormais la place à une juxtaposition complexe d’intérêts divers dans le cadre du système de propriété intellectuelle. Voilà qui est intéressant.

Le débat déjà ancien sur les indications géographiques, par exemple, voit certains pays développés et pays en développement se rapprocher au-delà de ces clivages.

Le dernier domaine de travail de l’OMC dont j’aimerais vous parler aujourd’hui a trait aux différends.

Les obligations découlant de l’Accord sur les ADPIC sont soumises au mécanisme de règlement des différends de l’OMC, au même titre que les différends commerciaux portant sur les biens et sur les services.

Même si l’on a pu craindre que les pays en développement soient visés par de nombreuses plaintes en matière de protection de la propriété intellectuelle, l’expérience a montré qu’il fallait nuancer une fois de plus l’idée d’une fracture nord-sud.

En fait, la majeure partie des plaintes en matière d’ADPIC a visé des pays développés, et non pas des pays en développement.

Ainsi, les sept plaintes ADPIC déposées au cours des cinq dernières années l’ont toutes été par des pays en développement et elles visaient des pratiques de pays développés

À ce jour, l’Accord sur les ADPIC a été cité dans 7% de tous les différends à l’OMC — 34 plaintes au total, portant sur 24 questions distinctes.

Nombre de ces différends ont été réglés par un accord entre les parties, ce qui montre bien que la préférence est donnée à des solutions où chacun trouve son compte plutôt qu’à des procédures contentieuses.

J’ai été moi-même impliqué dans deux de ces différends qui ont été résolus à l’amiable.

La plupart de ces différends mettaient en jeu des allégations faisant référence à d’autres accords de l’OMC, tels que les accords sur les biens et services. Cela confirme que les Membres voient dans les normes de propriété intellectuelle un élément légitime faisant partie intégrante du cadre plus large du droit commercial.

Pour les juristes comme pour les responsables publics, les différends sur les ADPIC ont produit une jurisprudence importante illustrant l’équilibre fragile entre la protection des droits de propriété intellectuelle et la libéralisation du commerce, et les enjeux de politique publique.

Je citerai un exemple, bien connu des avocats spécialisés en brevets, qui concerne l’exception pour examen réglementaire dans le cadre du droit des brevets.

Il s’agit d’un outil spécifique permettant de trouver un équilibre entre les droits légitimes que confère un brevet et le bon fonctionnement du système de réglementation pharmaceutique propre à faciliter l’accès aux médicaments.

La portée de l’exception pour examen réglementaire a été précisée dans une affaire sur les ADPIC qui a fait jurisprudence en 2000. Cela en a facilité l’application ultérieure dans divers systèmes juridiques nationaux.

Je tiens à signaler aussi le partenariat que l’OMC et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ont constitué sur toute une série de questions de politique générale et de coopération technique.

Votre conférence est une bonne illustration de la qualité de cette collaboration.

Et l’expérience accumulée en matière de règlement des différends nous rappelle que ce partenariat a une dimension juridique importante, de nature plus formelle, étant donné que l’Accord ADPIC a incorporé les principaux traités de l’OMPI.

Ainsi, malgré la crainte initiale que le droit international de la propriété intellectuelle se morcelle, ou se scinde en deux courants distincts, l’expérience concrète du règlement des différends fait ressortir un résultat inverse. Les groupes spéciaux chargés de régler des différends ont pris l’habitude de solliciter des informations concrètes auprès de l’OMPI sur la genèse des accords et sur l’application ultérieure des traités de l’OMPI.

Dans toute une série d’affaires, les renseignements ainsi communiqués par l’OMPI ont guidé l’interprétation des dispositions des traités et des textes en découlant, renforçant ainsi la complémentarité et la cohérence du droit international de la propriété intellectuelle.

 

CONCLUSION

Au moment où nous jetons un regard rétrospectif sur près de 20 années de travail sur les ADPIC et où nous considérons avec intérêt les perspectives que dessine l’avenir, la situation est complexe mais sans aucun doute plus favorable que ne le laissaient augurer certaines craintes.

Depuis l’adoption de l’Accord sur les ADPIC, nous avons assisté à une révolution dans la nature du commerce international.

La propriété intellectuelle est de plus en plus intégrée aux biens et aux services échangés — et responsable de la “valeur ajoutée” pour une large gamme de produits de marque à fort contenu technologique et très élaborés, allant des smartphones aux vêtements de mode en passant par les produits alimentaires traditionnels.

Et la propriété intellectuelle est devenue un objet de commerce international en soi avec l’émergence de nouveaux modèles économiques dans la musique, l’édition et les logiciels.

En 2013, les exportations mondiales de redevances de propriété intellectuelle et de droits de licence ont atteint 310 milliards de dollars, soit à peine moins que le commerce des services de communication, de construction et d’assurance pris ensemble.

L’expansion spectaculaire de la composante “connaissances” dans les échanges souligne la pertinence de la propriété intellectuelle dans le système commercial international d’aujourd’hui.

Et les deux dernières décennies ont montré que l’Accord sur les ADPIC pouvait constituer un fondement multilatéral solide et équilibré pour la croissance du commerce des produits et services incorporant beaucoup de connaissances.

La propriété intellectuelle reste, toutefois, un domaine technique complexe, voire impénétrable, pour les non-spécialistes.

Aussi l’expertise que vous apportez à cette conférence n’est-elle pas seulement précieuse et éclairante pour un public s’intéressant à la politique commerciale — elle est essentielle.

Je crois qu’un dialogue actif et inclusif entre spécialistes de la propriété intellectuelle et nous tous est aujourd’hui un élément déterminant du travail multilatéral.

Je vous remercie.

 

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