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LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE: OMS-OMPI-OMC

Chapitre 3: L'innovation dans les technologies médicales

B. Le paysage actuel de la R D

Points importants

  • Le modèle classique de l'innovation en matière de technologies médicales est aujourd'hui confronté à des défis considérables, du fait de l'évolution des marchés, de l'augmentation des coûts et de l'adoption de réglementations plus strictes.
  • Le secteur public a un impact important sur le cycle de l'innovation à différents stades, en fournissant directement des intrants précieux pour la R‑D, en aidant à orienter les priorités des sociétés privées en matière de R‑D et en exerçant une influence sur la manière dont les produits de santé sont achetés et diffusés.
  • L'élaboration de nouveaux produits pharmaceutiques et leur mise sur le marché est un processus généralement long et coûteux. Mais faute de données suffisantes, il est difficile d'avoir une évaluation fiable et indépendante des coûts véritables de la recherche médicale.
  • Il existe de multiples mécanismes pour promouvoir l'innovation. Les droits de propriété intellectuelle sont un moyen d'incitation utile, mais la question se pose de savoir si le système de PI peut stimuler les inventions dans les domaines où il n'existe pas de marché.
  • La Commission de l'OMS sur les droits de propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique (CIPIH) a conclu que le cycle de l'innovation est autoentretenu dans les pays industrialisés qui ont un marché étendu permettant aux firmes pharmaceutiques de récupérer les sommes investies dans l'innovation. Cela n'est pas le cas dans les pays à faible revenu où les marchés sont restreints et les services de santé insuffisamment financés.
  • Les instruments de politique destinés à favoriser l'innovation peuvent être différents selon qu'ils visent à promouvoir des recherches financées et effectuées par le secteur public, des recherches financées par le secteur public mais effectuées par le secteur privé ou des recherches financées et effectuées par le secteur privé.
  • Les vaccins se distinguent des médicaments à plusieurs égards. Étant donné qu'il n'existe pas de vaccins génériques, le processus nécessaire pour prouver l'innocuité et l'efficacité d'un vaccin – même s'il s'agit d'une "copie" – requiert toujours un dossier très complet. On a assisté ces dernières années à une forte progression du développement de nouveaux vaccins et de nouveaux modèles d'innovation, s'accompagnant d'une multiplication du nombre des fabricants de vaccins dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
  • L'OMS a établi un registre des essais cliniques mettant les données d'essai à la disposition du public. La publication des résultats des essais cliniques est dans l'intérêt à la fois de la santé publique et de la science.

Dans la section qui suit, nous examinerons les problèmes auxquels est confrontée aujourd'hui l'industrie pharmaceutique, par rapport à l'évolution décrite dans la section précédente.

1. Une époque de défis pour l'industrie pharmaceutique

Le modèle classique de l'innovation dans l'industrie pharmaceutique fait face aujourd'hui à des défis considérables, non seulement en ce qui concerne la manière dont l'innovation s'effectue par le biais de réseaux de savoir, mais aussi en ce qui concerne les marchés que l'on cherche à desservir (Tempest, 2011). La structure de l'industrie elle‑même évolue, en particulier par le jeu des fusions et acquisitions entre entreprises de R‑D pour essayer de renforcer les filières pharmaceutiques innovantes. L'industrie évolue aussi du fait des acquisitions de fabricants de médicaments génériques par des entreprises de R‑D et vice‑versa, ce qui brouille les frontières classiques entre les entreprises de R‑D et les sociétés de fabrication de génériques.

D'autres facteurs de changement dans les modèles commerciaux et la structure de l'industrie résultent en particulier:

  • De la diversité croissante des modèles d'innovation et des processus de développement des produits – avec une intensification de la concurrence non seulement entre les firmes elles‑mêmes, mais aussi entre différentes stratégies d'innovation. Par exemple, l'exploration des utilisations de la R‑D virtuelle par de grandes entreprises de R‑D pharmaceutique avec des technologies de l'information et de la communication reposant sur l'utilisation de modèles de collaboration (PwC, 2008).
  • Des processus de réglementation, y compris des normes de sécurité et de la surveillance postcommercialisation plus strictes en raison d'une plus faible acceptation du risque.
  • L'expiration de brevets sur des médicaments phares: selon une estimation, entre 2012 et 2018, l'arrivée à l'expiration des brevets et l'entrée sur le marché des génériques qui en résultera fera baisser les revenus des entreprises de R‑D pharmaceutique de près de 148 milliards de dollars EU (PwC, 2012).
  • La place plus grande donnée aux économies émergentes – à la fois en tant que marché grandissant pour les technologies médicales et en tant que base de plus en plus viable pour la R‑D et la commercialisation des produits de la recherche. Ainsi, par exemple, les pays hors OCDE représentaient, en 2008, 18,4% de la R‑D mondiale, contre 11,7% en 1996 (PwC, 2008).
  • L'émergence des produits biologiques qui ne peuvent être reproduits aussi aisément que de nouvelles petites molécules pharmaceutiques (voir d'autres explications ci‑après).
  • Le ralentissement de la demande sur les marchés des pays développés par suite de la récession et des pressions concurrentes s'exerçant sur les budgets nationaux et la montée en puissance des marchés émergents avec l'augmentation de la demande sur ces marchés.

La dernière vague d'innovations en matière de technologies médicales, qui s'est accélérée à partir des années 1980, se fonde sur les avancées des biotechnologies et de leurs applications. L'utilisation croissante de la bio‑informatique dans la R‑D virtuelle pour créer des modèles informatisés d'organes et de cellules offre des possibilités importantes de découverte et de développement de médicaments "sur mesure" (PwC, 2008). Le décodage du génome humain à la fin des années 1990 a fait naître l'espoir d'une nouvelle vague d'innovations dans une médecine personnalisée. Toutefois, la promesse que la génomique pourrait déboucher sur des outils diagnostiques et des traitements plus précis, ce que l'on appelle aussi les "médicaments de précision", ne s'est pas encore pleinement réalisée (Pray, 2008).

Des changements se produisent aussi dans la manière dont l'innovation se déroule. L'importance croissante des marchés des économies émergentes pour l'industrie, par exemple, conduit les fabricants d'appareils médicaux à adapter leurs modèles d'innovation pour répondre aux demandes spécifiques de ces marchés (voir l'encadré 3.1).

2. Les chercheurs du secteur public jouent un rôle capital dans la R D médicale

Dans la première phase de la R‑D médicale moderne, la plupart des produits étaient mis au point par des entreprises privées qui se souciaient peu de comprendre les causes de telle ou telle maladie ou pathologie ou les mécanismes métaboliques. Il a fallu un effort résolu de la part des gouvernements pour obtenir que les résultats des recherches du secteur public influent sur les priorités du secteur privé en matière d'élaboration de produits. La division des tâches entre secteur privé et secteur public au cours de ces dernières "vagues" d'innovations était telle que le secteur public a commencé à se spécialiser dans la recherche en amont qui fournissait des connaissances scientifiques de base sur les mécanismes de la maladie et les réactions immunitaires. Grâce à la concentration des travaux dans ce domaine, les chercheurs ont pu identifier les mécanismes d'action de médicaments efficaces. Les entreprises privées ont alors mis l'accent sur la recherche en aval et le développement de nouveaux produits, ce qui a permis de traduire les résultats de la recherche fondamentale en produits médicaux. La raison principale de cette division du travail était que, à l'échelle mondiale, l'essentiel des résultats de la recherche initiale – qui par définition ne sont ni commercialisables ni rentables en tant que tels – sont financés par les gouvernements et d'autres institutions du secteur public. Le secteur public influe donc de manière importante sur le cycle de l'innovation en déterminant les priorités de la recherche, du moins en ce qui concerne la recherche fondamentale (OMS, 2006b; USCBO, 2006).

Actuellement, les organismes du secteur public continuent à avoir une influence sur les premiers stades du développement des médicaments, mais ils jouent aussi un rôle important dans le cycle de l'innovation aux stades suivants. Les gouvernements contrôlent, par exemple, la qualité des produits de santé par le biais de leur cadre réglementaire, qui détermine si un produit va pouvoir être mis sur le marché et, dans l'affirmative, dans quels délais. En outre, le secteur public joue un rôle crucial dans la phase de diffusion des produits de santé du fait que les gouvernements sont généralement les principaux acheteurs de ces produits et qu'ils en organisent souvent la distribution et la diffusion.

Encadré 3.1 Adapter l'innovation aux besoins locaux dans le secteur des appareils médicaux 

De plus en plus, les firmes du secteur privé fabriquant des appareils médicaux cherchent à concevoir de nouveaux matériels et de nouveaux modèles de prestation des soins de santé pouvant s'adapter aux besoins des pays à revenu faible et intermédiaire. Cette démarche correspond à une volonté croissante de la part de ces firmes de desservir des marchés longtemps négligés; elle reflète aussi leur intérêt accru pour les possibilités commerciales offertes par la satisfaction des besoins de santé de personnes se situant au milieu et à la base de la pyramide socioéconomique. Ces firmes consacrent donc davantage de ressources à l'évaluation des obstacles locaux et régionaux et conçoivent des produits et des services spécialement adaptés pour répondre à des besoins culturels ou géographiques spécifiques. L'un des résultats de cette tendance est la mise au point d'appareils répondant mieux aux besoins des pays à revenu faible ou intermédiaire. Ces appareils sont aussi moins coûteux que ceux destinés aux marchés des pays à revenu élevé et sont donc plus abordables. Leur conception peut aussi permettre d'en améliorer l'accessibilité. La mise au point d'une version portative et moins coûteuse de l'électrocardiographe classique – visant à améliorer l'accès aux soins de santé dans les zones rurales à faible revenu – en est un exemple intéressant.1 

Encadré 3.2. Le cas du paclitaxel 

Une étude sur l'if du Pacifique en vue d'en rechercher les effets thérapeutiques a été réalisée conjointement par le Département de l'agriculture et l'Institut national du cancer des National Institutes of Health (NIH) des États‑Unis. En 1964, des extraits de l'écorce de l'if du Pacifique ont été testés contre deux lignées cellulaires cancéreuses et les résultats ont été jugés prometteurs. En 1969, après des recherches sur des extraits de l'écorce de cet arbre, le composé actif, le paclitaxel, a été isolé. En 1979, la pharmacologue Susan Horwitz et ses collaborateurs du Collège de médecine Albert Einstein de l'Université Yeshiva ont fait état d'un mécanisme d'action original pour le paclitaxel. En 1983, l'Institut national du cancer a appuyé la réalisation d'essais cliniques avec ce produit et en 1989, des chercheurs cliniques financés par l'Université Johns Hopkins ont rapporté des effets très positifs dans le traitement du cancer de l'ovaire à un stade avancé. En 1989 également, l'Institut national du cancer a conclu un accord avec une firme pharmaceutique pour augmenter la production, l'offre et la commercialisation du paclitaxel. Ce produit a commencé à être commercialisé pour le traitement du cancer de l'ovaire en 1992. Par la suite, la firme pharmaceutique a adopté un procédé semi‑synthétique pour sa fabrication.2 

Pour appuyer les sciences biomédicales et pour faciliter la recherche à l'université, certains gouvernements ont créé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle des instituts de recherche dédiés. C'est ainsi qu'a commencé à se développer l'interaction entre les universités et les instituts de recherche publics qui effectuaient des recherches fondamentales et le secteur privé qui mettait au point et commercialisait des médicaments élaborés sur la base de ces recherches. Ces dernières années, plusieurs universités se sont constitué d'importants portefeuilles de brevets et beaucoup de nouvelles firmes spécialisées dans les biotechnologies sont issues à l'origine de l'université. Diverses entités à but non lucratif jouent un rôle important dans le financement de la recherche biomédicale, principalement dans les pays à revenu élevé – l'Institut médical Howard Hughes aux États‑Unis et le Wellcome Trust au Royaume‑Uni sont de bons exemples de ce type d'initiative. Dans les pays en développement, les instituts de recherche commencent aussi à se constituer d'importants portefeuilles de brevets. Par exemple, en janvier 2013, le Council for Scientific and Industrial Research en Inde détenait 702 brevets de médicaments et 450 brevets en sciences biologiques.3Le gouvernement des États‑Unis fournit un financement important pour la R‑D médicale, en particulier par l'intermédiaire des National Institutes of Health (NIH).

L'histoire de la mise au point et de la commercialisation du paclitaxel est un exemple de la manière dont les entreprises du secteur public et du secteur privé peuvent coopérer pour développer de nouvelles découvertes et de nouveaux médicaments (voir l'encadré 3.2).

Selon une étude récente, les recherches du secteur public semblent avoir eu des effets plus immédiats sur l'amélioration de la santé publique qu'on ne pouvait s'y attendre (Stevens et al., 2011). D'après cette étude, sur les 1 541 approbations données par la Food and Drug Administration des États‑Unis entre 1990 et 2007, 143 (9,3%) concernaient des médicaments mis au point à la suite de recherches effectuées par le secteur public. Mais sur les 348 médicaments ayant bénéficié d'un examen prioritaire, 66 (19%) étaient issus de recherches du secteur public. Autrement dit, les taux d'examens prioritaires étaient deux fois plus élevés que la moyenne pour les recherches du secteur public. Dans un autre ordre d'idée, 46,2% des demandes d'homologation de nouveaux médicaments issus de recherches du secteur public ont bénéficié d'examens prioritaires contre 20% de celles concernant des médicaments issus de recherches du secteur privé, soit 2,3 fois plus. Les produits issus de recherches financées par le secteur public ont donc apparemment de plus grands effets thérapeutiques que ceux issus de recherches du secteur privé.

3. Coûts de la R D médicale

L'un des principaux arguments avancés par l'industrie pharmaceutique pour réclamer une protection stricte des droits de propriété intellectuelle est le coût élevé de la R‑D pour les nouveaux produits médicaux. Développer un produit pharmaceutique depuis le stade du laboratoire jusqu'à celui de la commercialisation est une entreprise de longue haleine qui suppose en outre de satisfaire à des processus d'approbation réglementaire très stricts, ce qui fait que seul un petit nombre de produits réussissent à percer. Toutefois, on ne dispose que de très peu de sources de données permettant d'évaluer les coûts véritables de la recherche médicale.

D'après le rapport sur l'enquête de la Commission européenne relative au secteur pharmaceutique, pendant la période 2000‑2007, les laboratoires de princeps européens ont consacré en moyenne 17% du chiffre d'affaires qu'ils ont réalisé avec les médicaments vendus sur ordonnance à des activités de R‑D. Environ 1,5% du chiffre d'affaires était consacré à de la recherche fondamentale destinée à découvrir de nouveaux médicaments potentiels et 15,5% consacrés au développement des médicaments potentiels identifiés à l'aide d'essais cliniques sur les produits. Comme au cours des décennies précédentes, les coûts des activités de commercialisation et de promotion ont été supérieurs à ceux de la R‑D, représentant 23% du chiffre d'affaires des laboratoires de princeps pendant cette période.4

Ces chiffres donnent une idée du coût de la recherche par rapport au chiffre d'affaires total des laboratoires de princeps, mais plusieurs estimations ont aussi été faites concernant les coûts moyens en termes absolus de la R‑D pour les nouveaux médicaments. Ces coûts dépendent en grande partie du type de médicaments considéré. Il y a d'énormes écarts selon que le médicament est basé sur une nouvelle entité chimique jamais utilisée auparavant dans aucun produit pharmaceutique ou qu'il s'agit d'une simple modification d'un médicament existant. Toutefois, même pour les nouvelles entités chimiques, les coûts indiqués diffèrent fortement.

En 2007, la Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA) a estimé qu'il fallait entre 10 et 15 ans pour amener sur le marché un nouveau médicament basé sur une nouvelle entité chimique, pour un coût moyen de R‑D compris entre 800 millions et 1 milliard de dollar EU. Cette estimation tient compte du coût des projets de recherche qui ont échoué (PhRMA, 2007). En 2011, PhRMA a estimé ce coût moyen à plus de 1,2 milliard de dollar EU.5Ces chiffres sont tirés d'une étude de DiMasi et al. (2003), qui ont évalué le coût moyen par nouvelle entité chimique à 802 millions de dollars EU en 2000 pour les médicaments basés sur de petites molécules et 1 318 millions de dollars EU en 2005 pour les produits biologiques (DiMasi et Grabowski, 2007). Ils incluent des coûts d'opportunité élevés. Une publication plus récente de Munos (2009) semble indiquer que les coûts actuels de la recherche seraient plus élevés que les coûts moyens mentionnés par DiMasi et al. (2003).

Une étude systématique, comportant l'évaluation de publications traitant des coûts d'élaboration des produits pharmaceutiques, a révélé que les estimations des coûts de R‑D varient dans un rapport de plus de 1 à 9 – de 92 millions de dollars EU (161 millions de dollars EU capitalisés) à 883,6 millions de dollars EU (1,8 milliard de dollars EU capitalisés). Certaines de ces variations peuvent s'expliquer par des différences dans les méthodes et les sources de données utilisées et dans les périodes considérées, mais les auteurs soulignent qu'il existe un manque de transparence, du fait que la totalité ou une partie des données sur lesquelles s'appuyaient la plupart des études citées dans les publications analysées avaient été fournies à titre d'informations confidentielles par des sociétés anonymes concernant des produits non spécifiés (Morgan et al., 2011).

Toutes ces estimations se fondent sur de multiples variables telles que le temps moyen estimé de développement des produits, l'ampleur et les coûts moyens des essais cliniques, et les chances que les produits parviennent finalement à être mis sur le marché. En outre, il est très difficile de vérifier les données sous‑jacentes, dans la mesure où celles‑ci ne sont pas divulguées. Ces chiffres ont donc été abondamment discutés et contestés (Love, 2003; Light et Warburton, 2011). Des doutes ont aussi été exprimés quant à l'utilité de ces estimations dans la mesure où les coûts varient fortement d'une firme à l'autre ainsi qu'entre le secteur privé et le secteur public.

Même s'il n'y a pas d'accord sur le niveau précis des coûts, il est évident que la R‑D médicale est très coûteuse et très risquée et que, bien souvent, il n'y a pas de retour sur investissement du fait que les produits ne franchissent pas la phase des essais cliniques. La difficulté à mettre au point des produits phares innovants, en raison soit de l'abandon rapide des pistes de recherche, soit de leur non‑existence explique que l'on ait assisté à un nombre croissant de fusions et d'acquisitions dans ce secteur, ainsi qu'à une baisse de la valeur boursière des laboratoires pharmaceutiques même les plus grands ces dernières années.

 

4. Modèles d'incitation dans le cycle d'innovation

Le rapport mondial sur la propriété intellectuelle 2011 (OMPI, 2011a) souligne que "les droits de propriété intellectuelle sont utiles lorsque l'incitation à innover va dans le sens des préférences de la société pour de nouvelles technologies. Toutefois, une telle convergence n'est pas toujours présente. De plus, il n'est pas clair que le système de propriété intellectuelle favorise une invention lorsqu'elle est encore loin d'une application sur le marché, comme dans le cas de la recherche fondamentale". En replaçant le système de propriété intellectuelle dans le contexte plus vaste des politiques d'innovation, le rapport distingue trois mécanismes de promotion de l'innovation:

 

  • l'innovation financée sur les deniers publics qui voit le jour dans les établissements universitaires et les organismes publics de recherche;
  • les travaux de recherche entrepris par des entreprises privées mais financés par les pouvoirs publics – notamment par le biais de marchés publics, de subventions à la recherche, de prêts assortis de conditions avantageuses, de crédits d'impôts pour la recherche‑développement et de primes à l'innovation;
  • les travaux de recherche‑développement exécutés dans le secteur privé et financés par le marché plutôt que sur les recettes de l'État et stimulés par le système de propriété intellectuelle qui est le seul mécanisme de politique publique à même de promouvoir l'innovation.

Source: OMS (2006b, p.23)

(a) Le cycle de l'innovation

L'innovation est souvent présentée comme un processus linéaire qui culmine avec le lancement d'un produit, mais l'innovation dans le domaine de la santé peut aussi être vue comme un cycle (voir la figure 3.2). Ce cycle va de la recherche‑développement de nouveaux composés de base jusqu'aux essais et à la mise au point de nouveaux produits et à la distribution de ces produits, puis retourne à la recherche‑développement de nouveaux produits (ou à l'optimisation des produits existants) (via la surveillance postcommercialisation systématique et l'élaboration d'un modèle de plus en plus efficace de la demande fondé sur les besoins de santé).

Lorsqu'on présente les innovations en matière de santé sous la forme d'une boucle, un point crucial saute aux yeux: le cycle actuel de l'innovation fondé sur le marché fonctionne mieux pour les pays développés, où la demande effective de produits de santé s'accompagne de la capacité de payer pour ces produits. En revanche, pour les maladies qui affectent principalement des patients de pays en développement, il existe un manque criant d'incitations susceptibles de nourrir le cycle de l'innovation classique. Alors qu'il existe un besoin urgent de nouveaux médicaments pour traiter les maladies qui touchent prioritairement les pays en développement, ce marché est caractérisé par un pouvoir d'achat limité, aggravé dans de nombreux pays par l'absence de systèmes d'assurance maladie.

(b) Absence d'un cycle de l'innovation autoentretenu dans le cas des petits marchés des pays à faible revenu

La Commission de l'OMS sur l'innovation, les droits de propriété intellectuelle et la santé a fait observer dans ce contexte que le système de propriété intellectuelle a besoin d'un certain type d'environnement pour produire les résultats attendus. Dans les pays à faible revenu, le cycle de l'innovation n'est pas autoentretenu du fait que les marchés sont restreints, les services de santé insuffisamment financés et la capacité de recherche en amont généralement faible. Dans ce type d'environnement, les droits de propriété intellectuelle ne fournissent pas à eux seuls une incitation efficace pour la recherche médicale (OMS 2006b). Les États membres ont par la suite confirmé cette constatation dans la stratégie et le plan d'action mondiaux de l'OMS pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle (GSPA‑PHI).6

Ce fossé – entre les besoins spécifiques des pays en développement et l'effort de recherche médicale – a alimenté un débat de politique générale sur la capacité des structures actuelles en matière d'innovation médicale à répondre aux besoins des pays en développement qu'il s'agisse de faire face à la charge de morbidité dans ces pays ou de trouver des solutions appropriées pour les malades. La nécessité urgente de combler ce fossé a aussi donné lieu au cours de la dernière décennie à toute une série d'initiatives pratiques pour trouver les moyens de combiner les divers intrants, infrastructures et ressources qui sont nécessaires pour développer de nouveaux produits. Dans le cadre de ces initiatives, on a exploré de nouvelles manières d'intégrer ces différents intrants et d'amener les produits candidats à travers les différentes phases du processus d'innovation pour aboutir à la mise au point de nouvelles technologies sûres et efficaces. Cette approche s'est généralement appuyée sur des structures plus collaboratives, sur une plus grande variété de modèles de concession de licences de technologie non exclusives et segmentées, sur le développement de plates‑formes technologiques préconcurrentielles ainsi que sur des "partenariats pour le développement de produits" (PDP) qui mobilisent les capacités du secteur privé pour atteindre des objectifs de santé publique dans une optique non lucrative. Ce type d'initiatives pratiques s'inscrit dans la dynamique de l'innovation médicale actuelle et contribue aussi à l'influencer en rendant accessibles de nouvelles technologies et en illustrant pratiquement les possibilités offertes par le recours à un plus large éventail de modèles d'innovation.7

Même s'il est important de stimuler l'innovation nécessaire pour les maladies négligées, il faut aussi veiller à ce que les nouvelles technologies médicales issues de ces initiatives soient d'un coût abordable pour les populations qui en ont besoin. Dans l'écosystème existant de l'innovation stimulée par les brevets, les retours sur investissement sont généralement tributaires du prix auquel sont vendus les produits de nouvelle génération. Par opposition, les nouveaux mécanismes et initiatives de financement innovants cherchent à faire financer le coût de la R‑D autrement que par le prix des produits finis en parvenant à dissocier coût de la R‑D et prix du produit.8

Il y a eu quelques exemples réussis d'innovation "sur mesure", visant à répondre à des besoins médicaux spécifiques comme dans le cas du vaccin contre la méningite mis au point pour l'Afrique (voir l'encadré 3.3).

 

(c) Créer des réseaux d'innovation

La Commission de l'OMS sur les droits de propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique a souligné que "la création de réseaux efficaces, aux niveaux national et international, entre institutions de pays en développement et de pays développés, sur le plan formel et informel, est un élément important de la mise en place d'une capacité d'innovation" (OMS, 2006b). Parmi les initiatives actuelles pour constituer de tels réseaux de collaboration pour l'innovation, on peut mentionner le Réseau africain pour l'innovation dans le domaine des médicaments et des produits diagnostiques en Afrique (ANDI) (voir l'encadré 3.4).

(d) Aperçu général des structures d'innovation

Des structures d'innovation très diverses sont utilisées pour développer de nouvelles technologies médicales. Comme l'illustre la figure 3.3, ces structures se caractérisent par deux facteurs – le niveau d'incitation fourni par le marché, et la mesure dans laquelle une certaine mainmise ou exclusivité est exercée sur la technologie. Souvent, les processus d'innovation ne se situent ni dans un contexte entièrement "non commercial", sans aucune mainmise exercée sur les technologies, ni dans un cadre rigide, fortement exclusif et entièrement privé de développement technologique. Les instruments juridiques à eux seuls, en particulier au niveau international, ne déterminent généralement pas où une stratégie d'innovation particulière pour une nouvelle technologie spécifique va ou devrait concrètement se situer sur cette échelle, et d'autres facteurs guident habituellement les choix concernant le panachage entre intrants publics et privés et la gestion de la technologie.

 

Une des caractéristiques principales du paysage de l'innovation, toutefois, est la ligne de démarcation qui sépare les intrants "préconcurrentiels" utilisés pour l'innovation de ceux soumis aux pressions concurrentielles. Des projets de recherche phares tels que le projet Génome humain9 et le projet international HapMap10ont visé à mettre en place un corpus de données préconcurrentielles en libre accès pouvant être largement utilisées pour la recherche et le développement d'intrants à un stade précoce de la filière de développement des produits – de manière à fournir aux entreprises une plate‑forme commune leur permettant ensuite de se faire concurrence pour la mise au point des produits finis. À un stade plus avancé de la filière de R‑D, un certain degré de concurrence et de différenciation entre les entreprises peut favoriser une plus grande diversité des technologies disponibles. (Olson et Berger, 2011). L'idée d'une plate‑forme de savoirs "préconcurrentiels" était déjà un thème récurrent dans les modèles d'innovation du secteur public autour de l'an 2000, mais ce concept fait maintenant de plus en plus partie des stratégies d'innovation des grands laboratoires de recherche du secteur privé.

Encadré 3.3. Mise en pratique de nouveaux modèles d'innovation: conception d'un vaccin contre la méningite spécialement adapté à l'Afrique

Le succès du lancement du vaccin MenAfriVac en 2010 met en lumière le rôle joué par les nouvelles approches de l'innovation et du développement de produits pour répondre aux besoins sanitaires des pays en développement. Auparavant, il existait des vaccins pour différentes souches de méningite, mais ils étaient trop coûteux pour les sujets à risque vivant dans ce que l'on appelle la ceinture africaine de la méningite. En outre, ils n'offraient pas de solution appropriée pour les environnements aux ressources limitées. Face aux épidémies récurrentes et au taux de mortalité croissants, les parties prenantes étaient confrontées au grand défi consistant à mettre au point un vaccin qui serait à la fois adapté sur le plan clinique mais aussi pérenne et d'un coût abordable. Le projet Vaccins méningite, un consortium dirigé par l'OMS et le Programme PATH (Programme for Appropriate Technology in Health), une organisation à but non lucratif spécialisée dans la technologie sanitaire, s'est mis en devoir de produire un vaccin contre la méningite à méningocoque A qui ne coûterait pas plus de 0,5 dollar EU la dose. Après examen des différentes options, il a été décidé de lancer un processus de production et de transférer la technologie pertinente à un producteur à bas coût du tiers monde, plutôt que de subventionner un fabricant de vaccins de pays industrialisé pour qu'il se charge du développement et de la production. Un modèle innovant de développement du vaccin a été établi et les matières premières de base ont été obtenues en Inde et aux Pays‑Bas. La technologie mise au point par le Centre d'évaluation et de recherche sur les produits biologiques de la Food and Drug Administration des États‑Unis et le know‑how ont été transférés au Serum Institute of India Ltd pour qu'il produise d'abord les vaccins destinés aux essais cliniques puis, à terme, qu'il se charge de la production à grande échelle. Ce modèle de développement aurait coûté environ un dixième du coût estimatif de production d'un nouveau vaccin par le processus classique. Le développement et l'introduction de ce nouveau vaccin constituent un grand pas en avant vers l'élimination de la méningite épidémique en Afrique subsaharienne.11  

 

Les instruments de politique générale ont une grande influence sur la manière dont l'innovation se déroule. Le tableau 3.1 présente les différentes caractéristiques des principaux d'entre eux et illustre la manière dont ils se différencient selon qu'ils concernent des recherches financées et exécutées par le secteur public, des recherches financées par le secteur public mais exécutées par le secteur privé ou des recherches financées et exécutées par le secteur privé.

 

Encadré 3.4. Réseau africain pour l'innovation dans le domaine des médicaments et des produits diagnostiques

ANDI est un réseau d'innovation implanté en Afrique qui offre une approche efficace en termes de délais et de coût pour atteindre l'objectif central consistant à lier l'innovation au développement dans le domaine des produits pharmaceutiques et de la santé (Nwaka et al., 2010).12L'idée est de créer une plate‑forme durable pour l'innovation et la R‑D en Afrique afin de répondre aux besoins sanitaires spécifiques de l'Afrique. La mise en œuvre d'ANDI est liée à la Stratégie et au plan d'action mondiaux pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle (GSPA‑PHI). Dans ce contexte, ANDI a développé une stratégie ciblée pour la gestion des droits de propriété intellectuelle, tant dans le cadre de la formation que pour les besoins de projets spécifiques. Ses objectifs sont en particulier:

  • d'accroître la collaboration en matière de R‑D entre les instituts et les pays africains, y compris en gérant des centres d'excellence en matière d'innovation sanitaire;
  • de financer et de gérer un portefeuille de projets de R‑D en matière sanitaire;
  • d'appuyer et de promouvoir des partenariats public‑privé et la création de nouvelles firmes en Afrique pour permettre la mise au point et la production de nouveaux médicaments, et outils diagnostiques et autres produits de santé;
  • d'encourager et de récompenser l'innovation locale, y compris la recherche s'appuyant sur la médecine traditionnelle, et la propriété intellectuelle;
  • de soutenir la collaboration Sud‑Sud et Nord‑Sud;
  • de promouvoir la viabilité économique à long terme en appuyant la R‑D et l'accès aux produits sanitaires en Afrique.

Parmi les progrès réalisés à ce jour, on peut mentionner:

  • la mise au point et l'approbation du plan d'activité stratégique d'ANDI, fondé sur les priorités locales;
  • la désignation de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) en tant qu'organisation hôte en Afrique, et le transfert du Secrétariat d'ANDI du Programme spécial de l'OMS pour la recherche et la formation concernant les maladies tropicales (TDR) à Genève à la CEA à Addis‑Abeba, Éthiopie;
  • l'établissement d'un conseil de gouvernance à l'échelon ministériel qui reconnaît le rôle important des Ministères de la santé et des sciences et technologies dans les travaux d'ANDI;
  • la mise en place des premiers centres d'excellence panafricains;
  • le lancement réussi du premier appel à projets de R‑D, avec plus de 200 propositions reçues;

L'établissement d'ANDI est appuyé par plusieurs institutions africaines, par l'OMS, via le Programme TBR, le Bureau régional de l'Afrique (AFRO) et le Bureau régional de la Méditerranée orientale (EMRO), par la CEA, la Commission européenne et la Banque africaine de développement.

(e) Les vaccins: Un défi particulier pour l'innovation

La mise au point de vaccins se distingue du développement de petites molécules servant à la fabrication de produits pharmaceutiques de synthèse. Les vaccins sont des entités biologiques complexes et il n'existe pas de vaccins "génériques". Pour prouver l'innocuité et l'efficacité d'un vaccin, même s'il s'agit de la "copie" d'un vaccin existant, il faut un dossier réglementaire complet contenant des données sur les essais précliniques et cliniques. Cela se traduit par des années de travail supplémentaires et ajoute à la complexité du processus de fabrication – même pour copier des vaccins existants. Les vaccins sont par définition administrés à des personnes en bonne santé et en particulier à des nourrissons en bonne santé à titre de mesure prophylactique contre une infection pouvant survenir par la suite. L'innocuité est donc d'une importance capitale et tout soupçon de risque même lointain pour le patient peut entraîner un retrait ou une non‑autorisation du vaccin.

Les coûts d'établissement des installations de fabrication et d'obtention des autorisations réglementaires expliquent en partie qu'un nombre limité de fabricants travaillent dans le domaine des vaccins et qu'un nombre relativement faible de produits et de producteurs obtiennent l'agrément. D'autres raisons sont par exemple le manque de savoir‑faire en matière de production qui peut être un réel obstacle à la reproduction viable des technologies vaccinales. Les vaccins requièrent aussi souvent des infrastructures coûteuses pour le maintien de la chaîne du froid et il ne faut qu'un assez petit nombre de doses pour réaliser une vaccination, ce qui fait que les marges bénéficiaires peuvent être relativement faibles par rapport à celles réalisées avec d'autres produits pharmaceutiques.

Tous ces facteurs font que les fabricants privés ont pendant longtemps manqué des incitations nécessaires pour investir dans le domaine des vaccins, en particulier ceux qui visent à répondre aux besoins spécifiques des pays en développement. Presque tous les vaccins importants et innovants introduits au cours des 25 dernières années étaient le fruit de découvertes faites initialement par des instituts de recherche du secteur public (Stevens et al., 2011).

(i) Mise au point de nouveaux vaccins au XXIe siècle

Au cours de la première décennie du XXIe siècle, on a vu apparaître un nombre record de nouveaux vaccins, y compris des vaccins contre la méningite à méningocoques et contre les rotavirus, les infections à pneumocoques et le cancer du col de l'utérus causé par le papillomavirus humain. Parallèlement, le marché de vaccins s'est développé de manière spectaculaire puisqu'il a triplé depuis 2000, atteignant plus de 17 milliards de dollars EU à l'échelle mondiale à la mi‑2008 (OMS, UNICEF, Banque mondiale, 2009).

Cette accélération dans le développement de nouveaux vaccins est due à un certain nombre de facteurs clés: l'apparition de nouvelles technologies innovantes, la meilleure compréhension des mécanismes immunitaires, les investissements réalisés par des Partenariats pour le développement de produits (PDP) tels que l'Alliance GAVI 13et, plus récemment, la mise en place de nouvelles sources de financement et de nouveaux mécanismes tels que les engagements d'achats anticipés, qui contribuent au financement public du développement des vaccins (voir l'encadré 3.5.). Ces changements continuent à façonner l'environnement actuel dans lequel travaillent les fabricants de vaccins.

(ii) Rôle des pays en développement fabricants

L'industrie des vaccins a connu des changements majeurs au cours des dernières décennies. La part de marché détenue par un petit nombre de firmes multinationales est passée d'environ 50% (en termes de chiffre d'affaires) en 1988 à environ 70% en 2005. À l'échelle mondiale, on dénombre moins de 40 fournisseurs de vaccins, et 90% de l'ensemble des vaccins produits le sont par seulement 15 fabricants (OMS, 2011c).

Toutefois, pour des questions de responsabilité et de respect des exigences réglementaires ou à la suite de fusions et d'acquisitions, les fabricants des pays développés abandonnent de plus en plus le marché des vaccins. De petites et moyennes entreprises, ainsi que des sociétés émergentes au Brésil, en Inde, en Indonésie et en République de Corée détiennent environ 10% du marché en valeur (Milstien et al., 2005). Toutefois, en termes de volume de production, la part des fabricants de vaccins des pays en développement est plus importante.14Ces fabricants investissent aussi de plus en plus dans la recherche. Ainsi par exemple, le Serum Institute of India a mis au point un vaccin contre la méningite à méningocoques A destiné à l'Afrique subsaharienne (voir l'encadré 3.4.) ainsi qu'un vaccin antirougeoleux administré par aérosol.15Cuba a des laboratoires de recherche en biotechnologie très dynamiques qui ont mis au point un certain nombre de vaccins innovants, y compris un vaccin contre la méningite à méningocoques B et un vaccin de synthèse contre haemophilus influenza, type B.16Elle a aussi de nombreux produits innovants en phase de développement. Une firme chinoise a mis au point un vaccin contre l'hépatite E et développe actuellement un vaccin contre le cancer du col de l'utérus et les verrues génitales.17Au Brésil, la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), par l'intermédiaire de son Institut de technologie en immunobiologie (Bio‑Manguinhos), a fourni 47% des vaccins acquis par le Programme national brésilien de vaccination en 2007. Bio‑Manguinhos a actuellement 25 projets en cours de développement, dont 13 portent sur des vaccins antibactériens ou antiviraux.18Au Brésil également, l'Institut Butantan, qui détenait 51% du marché des vaccins au Brésil en 2010, a mis au point un nouvel adjuvant dérivé d'un sous‑produit de la production du vaccin anticoquelucheux.19

5. Enregistrement des essais cliniques dans la mise au point de produits pharmaceutiques

L'enregistrement des essais cliniques s'entend de la mise à la disposition du public, au moyen d'un registre, d'informations convenues sur la conception, la conduite et l'administration des essais cliniques.20Un registre des essais cliniques est une base de données accessible au public, qui contient ces informations.

Encadré 3.5. Garantie de marché: sauver des vies grâce aux vaccins

Les vaccins sont parmi les interventions de santé publique les plus efficaces, mais rares sont ceux qui sont ciblés sur les maladies affectant principalement les pays en développement. Dans le passé, les nouveaux vaccins ne parvenaient généralement aux pays à faible revenu que des dizaines d'années après leur lancement dans les pays développés. Un projet pilote de garantie de marché (Advance Market Commitment, AMC) pour les vaccins antipneumocoques a été lancé en 2007 grâce à des fonds du Canada, de la Fédération de Russie, de l'Italie, de la Norvège, du Royaume‑Uni et de la Fondation Bill & Melinda Gates. Les infections à pneumocoques sont visées par ce projet car elles sont responsables de 1,5 million de décès chaque année, principalement parmi les enfants en Asie et en Afrique.

L'AMC garantit un marché aux fabricants de vaccins antipneumocoques nouveaux et efficaces, avec un prix de lancement élevé de 7 dollars EU par dose. Ce prix est garanti pour environ 20% des doses que les fabricants s'engagent à vendre, et il est fixé de manière à les aider à récupérer le coût de la mise en place de moyens de production. En contrepartie, les fabricants ont accepté de fournir des doses supplémentaires à un prix de départ de 3,50 dollars EU pendant au moins dix ans.

Sous la supervision de la Banque mondiale et de l'Alliance GAVI, un premier appel d'offres a été lancé en septembre 2009 dans le cadre de l'AMC, conjointement avec l'UNICEF. Depuis, deux sociétés pharmaceutiques se sont engagées à produire chacune 30 millions de doses par an d'un vaccin conjugué antipneumocoque, qui a été mis sur le marché avec succès.

En décembre 2010, le Nicaragua a été le premier pays à vacciner les enfants avec ce nouveau vaccin. Depuis, 15 autres pays – Bénin, Burundi, Cameroun, Éthiopie, Gambie, Guyana, Honduras, Kenya, Malawi, Mali, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sierra Leone et Yémen – ont ajouté ce vaccin à leurs programmes de vaccination nationaux.21

L'OMS gère le Système d'enregistrement international des essais cliniques (ICTRP).22Le portail de recherche de l'ICTRP (222 000 enregistrements au 29 octobre 2012) donne accès à une base de données consultable, qui contient les données d'enregistrement d'essais fournies par 14 registres nationaux répondant à certains critères de contenu et de contrôle de qualité. Ces ensembles de données constituent des normes internationales pour l'enregistrement des essais cliniques. Le système a aussi la capacité particulière de relier entre eux les enregistrements effectués dans différents pays (essais multipays). La base de données de l'ICTRP contient actuellement 63 203 enregistrements d'essais en phase de recrutement. Elle est mise à jour une fois par semaine.

L'OMS estime que l'enregistrement de tous les essais cliniques interventionnels est une responsabilité scientifique, éthique et morale. L'ICTRP est fondé sur les considérations suivantes:

  • Les décisions relatives en matière de soins de santé doivent s'appuyer sur toutes les preuves existantes. Elles sont difficiles à prendre en raison du biais de publication et du caractère sélectif des renseignements communiqués.
  • Elles sont difficiles à prendre en raison du biais de publication et du caractère sélectif des renseignements communiqués.
  • Une meilleure connaissance des essais identiques ou similaires permet aux chercheurs et aux bailleurs de fonds d'éviter toute duplication inutile.
  • La description des essais cliniques en cours peut faciliter l'identification des lacunes dans les recherches basées sur des essais cliniques et la définition des priorités de la recherche.
  • Le fait que les chercheurs et les participants potentiels ont accès à des informations sur les essais peut faciliter le recrutement et accroître la participation active des patients aux essais cliniques.
  • La collaboration entre les chercheurs peut être plus efficace si les chercheurs et les praticiens de santé ont la possibilité d'identifier les essais qui les intéressent. Cette collaboration peut comprendre une méta‑analyse prospective.
  • Le fait que le processus d'enregistrement prévoit la vérification des données fournies peut améliorer la qualité des essais cliniques en permettant d'identifier les problèmes potentiels dès les premières phases de la recherche.

D'autres initiatives nationales ou régionales visent à renforcer les capacités dans les pays en développement, notamment le Partenariat Europe‑pays en développement pour les essais cliniques (EDCTP) dont le but est d'accélérer le développement de médicaments, vaccins, microbicides et méthodes de diagnostic, nouveaux ou améliorés, contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme, l'accent étant mis sur les essais cliniques de phase II et de phase III en Afrique. L'EDCTP soutient des projets qui associent les essais cliniques, le renforcement des capacités et la mise en réseaux. Plusieurs pays européens ont un partenariat avec une quarantaine de pays africains (EDCTP, 2011).

La publication des résultats des essais cliniques est tout aussi importante pour la santé publique que l'enregistrement de ces essais. Les patients qui prennent part à des essais cliniques le font par altruisme, dans l'espoir de contribuer aux progrès de la science médicale. Ils s'attendent à ce que les résultats soient utilisés pour poursuivre la recherche scientifique. Bien souvent, les commanditaires d'essais cliniques ne veulent pas fournir de renseignements sur les essais qui ont échoué, alors que ces renseignements seraient précieux et permettraient de ne pas reproduire ces essais et, donc, de ne pas exposer les patients à des risques inutiles. Il serait dans l'intérêt de la santé publique de rendre publics les détails de tous les essais cliniques et de permettre aux parties intéressées de vérifier les données. L'Agence européenne des médicaments (EMA) a l'intention de donner accès aux données des essais cliniques et de permettre aux parties intéressées de les vérifier (voir l'encadré 3.6).

Encadré 3.6. L'Agence européenne des médicaments donnera accès aux données des essais cliniques

En décembre 2010, l'EMA a adopté une nouvelle politique concernant l'accès du public à ses documents.23En réponse aux nombreuses demandes concernant la sécurité reçues depuis 2010, l'EMA a donné accès à 1,5 million de pages de données d'essais cliniques. Pendant la deuxième phase de mise en œuvre, l'EMA envisage de publier les données d'essais cliniques qui lui sont fournies dans le cadre du processus d'autorisation. L'objectif de cette initiative est de permettre aux parties intéressées de consulter et de vérifier l'ensemble des données cliniques présentées par les entreprises pour démontrer la qualité, la sécurité et l'efficacité de leurs produits. La divulgation de ces données est jugée d'intérêt public dans la mesure où elle permettra aux chercheurs indépendants et aux autres groupes intéressés d'analyser les données brutes et d'évaluer eux‑mêmes l'efficacité et les éventuels effets secondaires du produit. Les modalités d'accès aux données d'essais cliniques sont à l'étude (voir EMA, 2012; Reuters, 2012). La nouvelle politique devait entrer en vigueur en janvier 2014.24 


1. Source: GE Healthcare (2011) et Immelt et al. (2009). retour au texte

2. Source: www.britannica.com/EBchecked/topic/1357082/pharmaceutical-industry/260283/History; et Newman et al. (2008). retour au texte

3. Voir http://patestate.com/category.htmretour au texte

4. Voir http://ec.europa.eu/competition/sectors/ pharmaceuticals/inquiry/communication_en.pdfretour au texte

5. Voir www.phrma.org/issues/intellectual-propertyretour au texte

6. Assemblée mondiale de la santé, Résolution WHA61.21: Stratégie et plan d'action mondiaux pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle, paragraphe 7. retour au texte

7. Pour plus de renseignements, voir le chapitre III, section C. retour au texte

8. Ibid. retour au texte

9. Voir www.ornl.gov/sci/techresources/Human_Genome/home. shtmlretour au texte

10. Voir http://hapmap.ncbi.nlm.nih.gov/index.html.enretour au texte

11. Source: www.meningvax.orgretour au texte

12. Voir www.andi-africa.orgretour au texte

13.Pour plus de renseignements, voir le chapitre IV, encadré 4.3. retour au texte

14. Voir www.economist.com/node/18836582retour au texte

15. Voir www.seruminstitute.com/content/research.htm; et www.who.int/immunization_delivery/new_vaccines/ technologies_aerosol/en/retour au texte

16. Voir www.cigb.edu.curetour au texte

17. Voir www.innovax.cnretour au texte

18. Voir www.fiocruz.br/bio_eng/cgi/cgilua.exe/sys/start.htm?tpl=home

19. Voir www.fapesp.br/week/media/pres/kalil.pdfretour au texte

20. Le contexte juridique et les questions de politique concernant la protection juridique des données d'essais pharmaceutiques sont examinés dans le chapitre II, section B.1 c). retour au texte

21. Source: Ker (2012). retour au texte

22. Assemblée mondiale de la santé, Résolution WHA58.34: Sommet ministériel sur la recherche en santé. Site Web de l'ICTRP: http://apps.who.int/trialsearch/retour au texte

23.EMA, "European Medicines Agency Policy on Access to Documents (Related to Medicinal Products for Human and Veterinary Use)", Policy/0043, 2010. retour au texte

24. EMA, "Workshop on Access to Clinical‑Trial Data and Transparency Kicks Off Process Towards Proactive Publication of Data", communiqué de presse, 23 novembre 2012. retour au texte