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LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE: OMS-OMPI-OMC

Chapitre 3: L'innovation dans les technologies médicales

C. Pallier les défaillances du marché: le problème des maladies négligées

Principaux points

  • L'innovation dans le domaine des technologies médicales pour les maladies négligées souffre des défaillances du marché car les incitations conventionnelles fondées sur la propriété intellectuelle ne correspondent pas à la nature de la demande de traitements pour ces maladies. L'un des facteurs clés est la faiblesse du pouvoir d'achat des gouvernements et des patients dans les pays où ces maladies prédominent.
  • Bien qu'il y ait encore des lacunes importantes dans la recherche, le paysage de la R-D concernant les maladies négligées est en train de changer et le nombre d'acteurs engagés dans la recherche et dans son financement va en augmentant.
  • De nombreux mécanismes et modèles d'innovation visant à intensifier la R-D pour trouver des traitements efficaces contre les maladies négligées ont été examinés et mis en œuvre aux niveaux international et national. Un modèle innovant issu de la coopération entre plusieurs parties prenantes est le projet WIPO Re:Search – Mettre les innovations en commun pour lutter contre les maladies tropicales négligées.
  • De nombreuses propositions de ce type sont évaluées dans les rapports publiés par le Groupe de travail d'experts de l'OMS sur le financement et la coordination de la recherche‑développement et par le Groupe de travail consultatif d'experts sur le financement et la coordination de la recherche‑développement (CEWG).
  • Le CEWG a recommandé des actions spécifiques, notamment l'adoption d'un instrument mondial contraignant concernant la R‑D pour les pays en développement.
  • Les partenariats pour le développement de produits (PDP) ont notablement augmenté le nombre de produits en cours de développement pour le traitement des maladies qui touchent principalement les pays en développement.

 

L'encouragement de la R‑D médicale pour les maladies qui touchent surtout les populations pauvres des pays en développement se heurte à un problème particulier car les mécanismes du marché, tels que les droits de propriété intellectuelle (DPI), ne fonctionnent pas dans ce cas. La faiblesse du pouvoir d'achat des gouvernements et des patients dans les pays où ces maladies prédominent est un facteur clé. La mise au point de médicaments pour le traitement de ces maladies n'a pas de retombées positives, à la différence des médicaments destinés aux marchés plus riches. La présente section traite de ces maladies, appelées maladies négligées, et des défis de l'innovation médicale dans ce domaine.

1. Maladies touchant de façon disproportionnée les pays en développement: les maladies négligées

La Commission sur les droits de propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique (CIPIH) (OMS, 2006b) ainsi que la Stratégie mondiale et le Plan d'action pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle de l'OMS font référence aux maladies qui touchent de façon disproportionnée les populations des pays en développement. Ce concept recouvre les trois types de maladies identifiés par la Commission macroéconomie et santé (OMS, 2001a):

  • Les maladies de type Iqui sont observées dans les pays riches comme dans les pays pauvres et qui touchent dans les deux cas un grand nombre de personnes vulnérables. Il s'agit de maladies transmissibles, comme la rougeole, l'hépatite B et l'Haemophilus influenzae de type b, et de maladies non transmissibles, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires et les affections liées au tabagisme.
  • Les maladies de type II, qui touchent les pays riches comme les pays pauvres, mais avec une forte proportion de cas dans les pays pauvres, par exemple le VIH/SIDA et la tuberculose. Ces deux maladies sont présentes dans les pays riches et dans les pays pauvres, mais plus de 90% des cas surviennent dans les pays pauvres.
  • Les maladies de type III, qui touchent essentiellement ou exclusivement les pays en développement. Il s'agit, par exemple, de la maladie du sommeil (ou trypanosomiase africaine) et de la cécité des rivières (ou onchocercose).

Les maladies de types II et III sont souvent qualifiées de maladies négligées. Elles comprennent 17 maladies tropicales négligées qui reçoivent une attention particulière dans les travaux de l'OMS. On estime que ces maladies tropicales négligées portent atteinte à la vie d'un milliard de personnes (OMS, 2010f). Elles ont plusieurs caractéristiques communes:

  • Leur impact sur les individus, les familles et les communautés dans les pays en développement est énorme en termes de charge de morbidité, de qualité de vie, de perte de productivité et d'aggravation de la pauvreté, et en raison du coût des soins de longue durée qu'elles nécessitent.
  • Elles touchent dans une large mesure les personnes à faible revenu, politiquement marginalisées, habitant dans les zones rurales ou en milieu urbain. Ces personnes ne peuvent pas influer directement sur les décisions administratives et gouvernementales qui concernent leur santé, et bien souvent elles ne semblent pas avoir de représentants susceptibles de parler en leur nom. Elles sont donc vraisemblablement "négligées" par les décideurs politiques.

La localisation de ces maladies dépend du climat et en particulier de son effet sur la répartition des vecteurs et des hôtes réservoirs. Dans la plupart des cas, le risque de transmission au‑delà des tropiques semble faible. À la différence de la grippe, du VIH/SIDA, du paludisme et, dans une moindre mesure, de la tuberculose, la plupart des maladies tropicales négligées représentent une faible menace pour les habitants des pays à revenu élevé et suscitent de ce fait peu d'attention. Elles sont quelque peu délaissées par la recherche pharmaceutique, alors que celle‑ci est nécessaire pour mettre au point de nouveaux outils diagnostiques et thérapeutiques et pour rendre accessibles les interventions permettant de prévenir, de traiter et de gérer les complications de ces maladies (OMS, 2010f).

Le manque de technologies médicales pour combattre efficacement les maladies négligées est l'un des problèmes majeurs rencontrés pour faire face à cette tragédie humaine et sanitaire. La situation est caractérisée par un manque chronique d'investissements dans la R‑D pour trouver des traitements efficaces contre ces maladies. L'effort d'innovation est nettement insuffisant par rapport au défi de santé publique qu'elles représentent. Comme ces maladies sont concentrées dans les pays pauvres et touchent surtout les populations pauvres, ce ne sont pas seulement les maladies qui sont négligées; ce sont aussi les patients qui en meurent.

En 1990, la Commission de la recherche médicale au service du développement a estimé que, sur les 30 milliards de dollars EU d'investissements dans la recherche médicale au niveau mondial en 1986, seulement 5%, soit 1,6 milliard de dollars, avaient été consacrés spécifiquement aux problèmes sanitaires des pays en développement, alors que ces pays supportaient environ 93% de la charge mondiale de mortalité évitable (Commission de la recherche médicale au service du développement, 1990, chapitre 3). Sur la base de ces données, le Forum mondial pour la recherche en santé a forgé plus tard l'expression "écart 10/90" pour souligner l'écart entre la part de la charge de morbidité mondiale et les ressources dépensées pour y remédier.

Bien qu'il existe encore aujourd'hui un énorme déficit de recherche sur les maladies négligées, le paysage de la recherche en santé et la répartition de la charge de morbidité mondiale ont évolué de manière positive depuis 1990. D'après G‑Finder, le financement de la R‑D pour les maladies négligées a dépassé 3 milliards de dollars EU en 2011, destinés principalement à trois maladies: le VIH/SIDA (33,8%), la tuberculose (17,3%) et le paludisme (18,4%). À peine plus de 30% du financement reste donc disponible pour la recherche sur toutes les autres maladies négligées (Moran et al., 2012). Beaucoup plus d'argent est dépensé pour la mise au point de nouveaux médicaments que pour les vaccins. D'après certaines sources, moins de 5% du budget annuel total de la R-D alloué à la lutte contre les maladies négligées sont destinés aux produits diagnostiques (BIO Ventures, 2010). Le financement vient surtout du secteur public. En 2011, celui‑ci a fourni près des deux tiers du financement mondial (1,9 milliard de dollars EU, soit 64%), dont 95,9% provenaient des pays à revenu élevé. Les organismes philanthropiques ont apporté une contribution de 570,6 millions de dollars EU (18,7%), tandis que l'industrie a investi 525,1 millions de dollars EU (17,2%) (Moran et al., 2012).

2. Nouvelles approches de l'innovation dans le domaine des maladies négligées

Cette section décrit quelques uns des modèles d'innovation actuellement envisagés pour les maladies négligées. Elle fournit des renseignements sur les éléments nouveaux apportés par l'OMS, notamment le rapport du CEWG (OMS, 2012a). Elle examine aussi le rôle des partenariats pour le développement de produits (PDP) et les efforts de recherche des sociétés pharmaceutiques.

Au cours des dernières années, on s'est efforcé de trouver des moyens alternatifs et innovants pour développer la recherche axée sur les besoins. De nouvelles initiatives ont été lancées pour intensifier la R‑D afin de mettre au point des traitements efficaces contre les maladies négligées avec différents acteurs, et un grand nombre de partenariats ont été mis sur pied pour remédier au manque d'innovation médicale dans ce domaine. De nombreuses propositions sont encore en discussion, mais de nouvelles mesures ont déjà été prises pour combler le déficit de recherche. Un modèle innovant issu de la coopération entre plusieurs parties prenantes est le projet WIPO Re:Search – Mettre les innovations en commun pour lutter contre les maladies tropicales négligées (voir la section C.6 ci‑dessous).

Ce débat a produit un concept important, celui du découplage du prix des médicaments et du coût de la R‑D. Actuellement, les brevets permettent aux développeurs de recouvrer les coûts et de réaliser des bénéfices en fixant un prix supérieur aux coûts de production. Ce mode de financement de la R‑D est considéré comme un obstacle à l'accès aux médicaments dans les pays où les gens paient les médicaments de leur poche et n'ont pas les moyens de payer un prix élevé. L'idée du découplage part du principe qu'il faut compenser les coûts et les risques associés à la R‑D et encourager cette activité au moyen d'incitations autres que les prix. Ce découplage est particulièrement préconisé dans le cas de la R‑D pour les maladies négligées.

Il peut être facilité par des mécanismes d'incitation en amont ou en aval. Les mécanismes d'incitation en amont consistent notamment en l'octroi de subventions et de crédits d'impôts pour l'investissement dans la R‑D. Les mécanismes d'incitation en aval consistent quant à eux à récompenser le résultat final de la R‑D de certains produits, par exemple au moyen de primes intermédiaires ou de primes pour le produit final. La section suivante, qui n'est pas exhaustive, décrit certaines de ces méthodes. Une évaluation de nombreuses propositions à ce sujet figure dans les rapports du Groupe de travail d'experts1et du CEWG.

(a) Découverte et mise au point de médicaments de source ouverte

La découverte et la mise au point de médicaments de source ouverte reposent sur deux principes empruntés au développement de logiciels libres. Premièrement, la découverte de médicaments de source ouverte est fondée sur l'idée de collaboration, c'est‑à‑dire sur l'organisation et la motivation de groupes de chercheurs indépendants pour contribuer à des projets de recherche. Deuxièmement, elle est fondée sur une approche ouverte de la propriété intellectuelle qui rend les résultats de la recherche accessibles à tous, soit en les mettant dans le domaine public, soit par le biais de licences personnalisées (Maurer, 2007; Masum et Harris, 2011).

Le succès des modèles de source ouverte dans les secteurs des technologies de l'information (par exemple technologie Internet et système d'exploitation Linux) et des biotechnologies (séquençage du génome humain) montre qu'il est nécessaire et possible d'établir un modèle analogue dans le domaine des soins de santé, par exemple pour la découverte de médicaments. Plusieurs projets de ce genre sont en cours.2La plupart sont financés par des fonds publics ou par des sources philanthropiques. Les fonds servent à couvrir les dépenses administratives et, le cas échéant, à financer l'accès aux laboratoires, le matériel informatique et la rémunération des chercheurs.

À ce jour, les initiatives de source ouverte n'ont eu qu'un faible impact sur la santé publique dans les pays en développement. Elles semblent convenir parfaitement pour promouvoir la recherche préconcurrentielle, mais elles ne permettent pas encore de fournir des produits finis aux patients ni de faire passer les produits par des phases de développement coûteuses. Les entreprises biopharmaceutiques ont eu recours à différents modes d'organisation (accords de licence, alliances non participatives, achat et fourniture de services techniques et scientifiques) pour établir des relations avec différents types de partenaires, dans le but d'acquérir ou d'exploiter commercialement des technologies et des connaissances. Ces relations peuvent être établies avec de grandes sociétés pharmaceutiques, des fabricants de produits biotechnologiques, des plates‑formes biotechnologiques et des universités. L'encadré 3.7 décrit une initiative récente d'innovation ouverte pour la découverte de médicaments.

(b) Subventions

Une subvention peut permettre à une petite ou moyenne entreprise de financer la recherche initiale d'un médicament contre une maladie négligée et de réaliser des essais de phase I sur un nouveau médicament potentiel, stade auquel il est possible d'attirer un financement commercial. Les mécanismes d'incitation en amont fonctionnent bien dans la phase initiale du processus de R‑D.

Il est vrai que les subventions peuvent servir à stimuler la R‑D, mais, comme la plupart des mécanismes en amont, elles ne garantissent pas la mise au point d'un médicament viable. En effet, elles sont versées indépendamment des résultats obtenus. L'incidence des programmes de subventions sur le développement de traitements efficaces contre les maladies négligées est dès lors incertaine. Par ailleurs, les données sur certains programmes de subventions américains semblent indiquer que 60% des projets soutenus par des subventions aboutissent à une mise sur le marché. Elles montrent aussi que le financement accordé dans le cadre de ces programmes a permis à près de 80% des bénéficiaires de mobiliser par la suite des capitaux supplémentaires.3

Encadré 3.7. Le modèle de découverte de médicaments de source ouverte du Conseil de la recherche scientifique et industrielle

Le modèle de découverte de médicaments de source ouverte (Open Source Drug Discovery – OSDD) du Conseil indien de la recherche scientifique et industrielle (CSIR) consiste en un consortium visant à fournir des produits de santé à un prix abordable aux pays en développement en mettant en place une plate‑forme mondiale permettant aux chercheurs de collaborer pour tenter de résoudre collectivement certains des problèmes complexes associés à la recherche de nouvelles thérapies contre les maladies négligées comme le paludisme, la tuberculose et la leishmaniose. Afin d'accélérer la découverte de médicaments, le consortium rassemble les informations biologiques et génétiques dont disposent les scientifiques. Ainsi, les chercheurs, les médecins, les technocrates, les étudiants et d'autres personnes possédant des compétences variées ont une occasion unique de travailler pour une cause commune. Dans le cadre de ce modèle, le CSIR s'est également associé à certaines entreprises de recherche pharmaceutique. L'OSDD constitue une vaste communauté comprenant plus de 4 800 utilisateurs inscrits dans 130 pays.

Aux premiers stades de la recherche, l'OSDD établit un modèle collaboratif avec la participation de la communauté. Mais au stade du développement, il collabore avec l'industrie, avec des organismes de recherche sous contrat et avec des organismes financés par des fonds publics.4 

 

(c) Primes

Les primes constituent une incitation en aval en faveur de la R‑D car elles augmentent la récompense de la réussite rendant ainsi l'investissement plus attractif, ce qui accroît les chances d'obtenir un produit. Les mécanismes d'incitation en aval sont généralement plus efficaces dans les dernières phases du processus de R‑D. Les primes peuvent également avoir une incidence favorable sur la fourniture d'un produit. Par exemple, certaines exigences concernant la propriété intellectuelle peuvent être imposées au bénéficiaire de la prime, y compris celle de permettre le libre usage de la technologie par le secteur public ou par les pays en développement, de manière à promouvoir la concurrence au niveau de l'offre. Il existe deux catégories de primes: la première est accordée pour atteindre un résultat intermédiaire spécifié dans le processus de R‑D; la seconde récompense l'obtention d'un résultat final précis (par exemple un produit diagnostique, un vaccin ou un médicament nouveaux ayant un profil déterminé en termes d'effets, de coût et d'efficacité ou d'autres caractéristiques importantes). Des primes peuvent être offertes dans le domaine des maladies négligées.

L'octroi de primes encourage la mise au point de médicaments, mais il vise aussi à découpler le coût de la R‑D du prix des médicaments. L'effet des primes sur l'innovation et sur l'accès aux médicaments dépend dans une large mesure de l'application et de la conception des produits mis au point et de la manière dont la recherche répond aux priorités sanitaires, mais leur objectif est aussi de faciliter l'accès aux médicaments en maintenant les prix bas.

(d) Garanties de marché

Les accords de garantie de marché (Advance market commitments – AMC) visent à encourager davantage la R‑D pour un produit donné en créant un marché ou en réduisant les risques. Il s'agit en quelque sorte d'un contrat entre un acheteur (généralement un État ou un organisme de financement international) et des fournisseurs. Le contrat contient en général une garantie en matière de prix ou de volume. La garantie effective d'un marché incite les sociétés pharmaceutiques à investir dans la R‑D.5L'encadré 3.5 donne un exemple montrant comment les garanties de marché peuvent être mises en œuvre.

(e) Allégements fiscaux pour les entreprises

De nombreux pays accordent des crédits d'impôt pour les dépenses de R‑D, ce qui permet aux entreprises de déduire ces dépenses de l'impôt. Certains gouvernements accordent des crédits d'impôt supplémentaires dans le but exprès d'encourager la recherche sur certaines maladies négligées, comme le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme (Commission européenne, 2003).

L'effet des allégements fiscaux sur l'innovation et la R‑D dans le domaine des maladies négligées est discutable. En effet, les crédits d'impôt ne peuvent en soi pallier l'absence d'un marché effectif. Autrement dit, tant qu'une entreprise doit récupérer une grande partie des fonds investis dans la R‑D par le biais du prix de vente, le crédit d'impôt ne peut pas être un moyen efficace d'encourager l'innovation pour des produits pour lesquels il n'existe pas de demande effective.

De même, les crédits d'impôt n'ont aucune utilité quand les entreprises travaillent à perte – ce qui est le cas de certaines sociétés de biotechnologie en phase de démarrage, avant le lancement sur le marché d'un produit homologué. Un autre inconvénient des crédits d'impôt tient au fait qu'ils peuvent simplement subventionner des travaux de R‑D qu'une entreprise aurait réalisés de toute façon.

(f) Communautés de brevets

Une communauté de brevets est un accord par lequel deux ou plusieurs détenteurs de brevets mettent en commun leurs droits de brevet pour une technologie particulière, et concèdent l'un à l'autre – et à des tiers – le droit d'exploiter ces brevets, sous certaines conditions, comme le paiement de redevances. La mise en commun des brevets nécessaires pour utiliser une technologie ou fabriquer des produits en aval permet aux preneurs de licences de souscrire un seul accord de licence avec une personne morale et est préconisée dans le domaine de la R‑D concernant les maladies négligées. Les communautés de brevets sont utilisées depuis le XIXe siècle dans divers secteurs industriels. Les premières, qui avaient pour but de fixer les prix et d'exclure les concurrents du marché, étaient contraires au droit de la concurrence. Aujourd'hui, la plupart des communautés de brevets visent à permettre l'accès à de nouvelles technologies et à stimuler la concurrence en aval. En réduisant les coûts de transaction pour les preneurs de licences, elles facilitent l'accès à toutes les technologies brevetées nécessaires pour fabriquer des produits standardisés. L'industrie audiovisuelle, par exemple, a adopté ce mécanisme pour faciliter la cession de licences pour des technologies standard et elle a mis en place avec succès un certain nombre de communautés de brevets.6Dans le domaine des inventions pharmaceutiques, la Fondation de la communauté de brevets pour les médicaments a été créée, avec un financement d'UNITAID,7 pour la mise en commun des brevets sur les antirétroviraux (voir le chapitre IV, section C.3 b) i)).

La mise en commun de brevets a également été envisagée comme une solution possible au problème du maquis des brevets pour faciliter la lutte contre le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) (voir l'encadré 3.8).

Encadré 3.8. Les communautés de brevets

Après l'épidémie de SRAS en 2002, l'OMS a établi un réseau de collaboration entre laboratoires pour aider à déterminer la cause de la maladie. Cela a permis d'identifier le pathogène responsable, un virus de la famille des coronavirus.8Les laboratoires qui ont participé au décodage du génome du virus ont déposé un certain nombre de demandes de brevets portant sur la séquence génomique du coronavirus du SRAS. Cela a fait craindre que la diversité des titulaires de brevets revendiquant tout ou partie de la séquence génomique du virus entrave la mise au point de produits médicaux, notamment de vaccins et de tests diagnostiques. Pour répondre à cette crainte, et aussi pour faciliter la mise au point des produits nécessaires, il a été suggéré de créer une communauté de brevets en mettant en commun tous les brevets essentiels et en permettant leur exploitation par les participants et par des tiers sur une base non exclusive.9Pour donner suite à cette proposition, certaines des entités qui devaient obtenir un nombre important de brevets concernant le virus du SRAS ont signé une lettre d'intention en vue de la création de cette communauté de brevets. L'étape suivante devait consister à déterminer quelles demandes de brevets étaient essentielles pour la communauté et à rédiger l'accord sur la constitution de la communauté de brevets.10Mais, comme il n'y a pas eu de nouvelle flambée de SRAS, le projet de communauté de brevets a été abandonné, faute d'incitation économique.

 

(g) Titres d'examen prioritaire

Le titre d'examen prioritaire (PRV) est un instrument visant à récompenser les entreprises qui développent des produits de santé destinés à des petits marchés ou à des groupes de patients limités, comme dans le cas des maladies négligées. Le PRV donne à une entreprise le droit de bénéficier d'un examen prioritaire (c'est‑à‑dire d'un examen plus rapide par l'autorité réglementaire responsable) pour un produit de santé qui, sans cela, ne pourrait pas en bénéficier. Ainsi, un laboratoire peut avancer la date de mise sur le marché d'un médicament susceptible d'être un produit vedette, ce qui lui permet d'en tirer plus rapidement des recettes importantes.

Un système de PRV a été mis en place aux États‑Unis en 2007. Les laboratoires qui obtiennent de la FDA l'autorisation de mettre sur le marché un produit destiné au traitement ou à la prévention d'une des 16 maladies tropicales négligées peuvent bénéficier d'un PRV. Celui‑ci peut être utilisé par le bénéficiaire ou peut être vendu à une autre société.

On estime que la différence entre le délai d'homologation d'un produit bénéficiant d'un examen prioritaire et celui d'un produit soumis à un examen standard est d'environ un an en moyenne, et que la valeur moyenne d'un PRV est supérieure à 300 millions de dollars EU (Ridley et al., 2006; Grabowski et al., 2008). Depuis l'introduction de ce système aux États‑Unis, deux PRV ont été délivrés – l'un en avril 2009 pour la mise au point d'un médicament antipaludique et l'autre en décembre 2012 pour le premier médicament antituberculeux produit depuis 40 ans. Le premier laboratoire a utilisé le titre en février 2011 pour accélérer l'examen par la FDA d'un médicament contre l'arthrite. On ne sait pas encore comment le deuxième laboratoire utilisera le titre.

Certains pensent que la valeur du titre d'examen est trop faible pour influencer véritablement l'affectation de ressources à la R‑D par les grandes entreprises pharmaceutiques. Un titre peut être intéressant pour les entreprises plus petites, mais celles‑ci ont peu de chances de faire avancer un produit de santé jusqu'à la phase de développement, en raison du coût élevé de cette dernière. En fait, la valeur d'un titre d'examen est incertaine car le titre ne garantit pas qu'un nouveau produit de l'entreprise sera homologué par l'autorité de réglementation, ni que le temps gagné avec un examen prioritaire dépassera un an (Noor, 2009).

(h) Un cadre mondial contraignant pour la R D concernant les maladies négligées

La proposition de négocier un traité international sur la R D concernant les maladies négligées est discutée depuis un certain temps. En 2005, la Commission sur les droits de propriété intellectuelle, l'innovation et la santé (CIPIH) a reçu une proposition concernant un traité sur la R D et a conclu: "Conscients de la nécessité de mettre en place un mécanisme international pour renforcer la coordination et le financement de la R-D médicale au niveau mondial, les partisans du projet de traité sur la R-D médicale devraient poursuivre leurs travaux pour approfondir cette idée de manière que les gouvernements et les décideurs puissent se prononcer en connaissance de cause" (OMS 2006b).

Dans la Stratégie mondiale et le Plan d'action pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle, l'Assemblée mondiale de la Santé a demandé "la poursuite des discussions préparatoires sur l'utilité d'éventuels instruments ou mécanismes pour la recherche‑développement sanitaire et biomédicale essentielle, y compris, entre autres, un traité sur ce type de recherche".11

Plusieurs propositions ont été faites concernant un traité international sur la R‑D. L'une des plus

récentes a été présentée au Groupe de travail consultatif d'experts. Elle appelait "à créer un nouveau cadre mondial pour appuyer des travaux de recherche‑développement prioritaires dans le domaine médical, sur la base d'un partage juste et équitable des coûts, sur l'accès aux fruits de ces travaux et sur des incitations à investir dans des activités de R-D axées sur les besoins et respectueuses des droits de l'homme, l'objectif étant que le progrès scientifique profite à tous" (OMS, 2012a).

 

3. Groupes de travail d'experts de l'OMS sur le financement de la R-D

La Stratégie mondiale et le Plan d'action pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle, et la Résolution WHA61.21 demandaient à l'OMS de "créer d'urgence un groupe de travail d'experts à durée limitée, axé sur les résultats et en liaison avec d'autres groupes compétents, qui sera chargé d'examiner le financement et la coordination actuels de la recherche‑développement, ainsi que des propositions de sources de financement nouvelles et innovantes pour stimuler la recherche‑développement portant sur les maladies des types II et III et les besoins spécifiques en matière de recherche‑développement des pays en développement concernant les maladies du type I".12Deux groupes de travail d'experts (le Groupe de travail d'experts et le CEWG) ont examiné le financement et la coordination actuels de la R-D, ainsi que des propositions visant à trouver de nouvelles sources de financement pour stimuler la R‑D axée sur les besoins spécifiques des pays en développement.

Le Groupe de travail d'experts a rassemblé 109 propositions sur la manière de relever le niveau de la R‑D concernant les maladies négligées, puis il a mis au point une méthode pour évaluer la faisabilité de ces propositions. Son rapport a été présenté à l'Assemblée mondiale de la santé en 2010 (OMS, 2010g). Par la suite, les États membres ont décidé de créer le CEWG pour poursuivre les travaux du Groupe de travail d'experts.13

Le CEWG a effectué une analyse approfondie des propositions figurant dans le rapport du Groupe de travail d'experts, il a examiné d'autres documents et propositions émanant des acteurs concernés, et il a étudié le bien‑fondé de différentes méthodes de financement de la R‑D et la faisabilité de leur application dans chacune des six régions de l'OMS. Le CEWG a défini plusieurs critères pour évaluer les propositions, notamment: l'impact sur la santé publique; le rapport coût/efficacité; la faisabilité technique et financière et la facilité de mise en œuvre; la propriété intellectuelle, le découplage, l'accès, la gouvernance et la responsabilisation, et les possibilités de renforcement des capacités.14

Le CEWG a conclu que les propositions qui répondaient le mieux à ses critères étaient les suivantes: un cadre mondial pour la R‑D; un système de source ouverte pour la R‑D et l'innovation; la mise en commun de fonds; des subventions directes aux entreprises; des primes intermédiaires et des primes pour le produit final; et des communautés de brevets. Les propositions qui ne répondaient pas aux critères du CEWG étaient notamment les suivantes: des allégements fiscaux pour les entreprises; une législation sur les médicaments orphelins; la propriété intellectuelle "verte"; les titres d'examen prioritaire; les DPI transférables; le Fonds d'impact sur la santé; les accords d'achat ou de fourniture. Ces propositions sont présentées et analysées en détail dans l'annexe 3 du rapport de 2012 du CEWG (OMS, 2012a) (voir l'encadré 3.9).

Encadré 3.9. Rapport de 2012 du CEWG: principales recommandations

Approches de la R‑D:

  • Innovations fondées sur le libre accès au savoir; plates‑formes de R-D préconcurrentielles, systèmes fondés sur le libre accès et utilisation de primes, en particulier de primes intermédiaires.
  • Régime de licences équitable et communautés de brevets.

Mécanismes de financement:

  • Chaque pays devrait s'engager à consacrer au moins 0,01% de son PIB à la R-D financée par le secteur public pour répondre aux besoins de santé des pays en développement concernant la conception de produits.

Mise en commun des ressources:

  • Entre 20% et 50% des fonds recueillis pour la R-D liée à la santé et axée sur les besoins des pays en développement devraient être distribués par le biais d'un fond commun.

Renforcement des capacités de R-D et transfert de technologie:

  • Prise en compte des besoins des établissements universitaires et des instituts de recherche publics des pays en développement en matière de capacités.
  • Utilisation de subventions directes aux entreprises dans les pays en développement.

Coordination:

  • Création, sous les auspices de l'OMS, d'un observatoire mondial de la R‑D en santé et de mécanismes consultatifs appropriés.

Mise en œuvre au moyen d'un instrument mondial contraignant pour la R‑D et l'innovation en matière de santé:

  • Engager des négociations formelles sur une convention internationale sur la R‑D en santé au niveau mondial.15 

 

Le CEWG a recommandé que les États membres de l'OMS négocient une convention ou un traité mondial au titre de l'article 19 de la Constitution de l'OMS. Cette convention aurait pour but de mettre en place des mécanismes de financement et de coordination efficaces pour promouvoir la R‑D. Elle obligerait chaque gouvernement à investir 0,01% du produit intérieur brut (PIB) dans la R‑D pour les maladies de type II et de type III et dans la R‑D axée sur les besoins spécifiques des pays en développement en rapport avec les maladies de type I. Une partie de ces contributions serait versée à un fonds commun au niveau mondial. Le rapport du CEWG a été présenté à la 65ème Assemblée mondiale de la santé en mai 2012, en vue d'un examen plus approfondi par les États membres. En novembre 2012, ceux‑ci ont décidé, au cours d'une réunion ouverte, d'établir un observatoire mondial de la R‑D en santé au sein du Secrétariat de l'OMS pour suivre et analyser les informations pertinentes sur la R‑D concernant les maladies négligées. Les États membres ont également décidé d'explorer et d'évaluer les mécanismes existants pour l'apport de contributions à la R‑D concernant ces maladies et, s'il n'existe pas de mécanisme approprié, d'élaborer une proposition pour l'établissement de mécanismes efficaces, y compris la mise en commun des ressources et les contributions volontaires, ainsi qu'un plan pour surveiller de manière indépendante leur efficacité.16

4. Partenariats pour le développement de produits: de nouvelles voies vers l'innovation

L'expression "partenariat public‑privé" (PPP) désigne habituellement un partenariat entre un État et au moins une entreprise du secteur privé. Aujourd'hui, ces partenariats gèrent une grande partie des projets de mise au point de médicaments contre les maladies négligées dans le monde entier. Les PPP ont plusieurs caractéristiques communes:

  • ils intègrent les approches du secteur public et du secteur privé et utilisent généralement les pratiques de l'industrie dans leurs activités de R‑D;
  • ils gèrent des portefeuilles de R‑D concernant les maladies négligées et ciblent une ou plusieurs de ces maladies;
  • ils sont créés pour poursuivre des objectifs de santé publique et non à des fins commerciales, et aussi pour fournir des fonds afin de combler les lacunes de la recherche;
  • ils veillent à ce que les produits mis au point soient abordables (OMS, 2006b).

Il est cependant difficile d'identifier le dénominateur commun de toutes les initiatives qualifiées de "PPP". Certains partenariats ne sont pas véritablement "public‑privé" dans la mesure où il n'y a pas nécessairement un partenaire du secteur public et du secteur privé (Moran et al., 2005). C'est le cas des partenariats pour le développement de produits (PDP), qui ne peuvent pas être considérés comme des PPP au sens strict. Cette catégorie plus large comprend donc des organisations publiques à but non lucratif axées sur la santé, qui utilisent les méthodes du secteur privé pour développer de nouveaux produits avec des partenaires extérieurs. Dans la présente étude, on parle de PDP, et non de PPP, car cela décrit mieux les nouvelles structures de l'innovation médicale.

L'apparition, au cours des 15 dernières années, de PDP réunissant des acteurs publics et privés a été une avancée majeure dans les efforts faits pour orienter la R‑D vers les maladies qui touchent surtout les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Ces nouveaux partenariats ont été constitués de diverses manières, mais généralement avec le concours d'organisations à but non lucratif, de fondations et d'entreprises. Les sociétés philanthropiques sont leur principale source de financement, notamment la fondation Bill & Melinda Gates (Grace, 2010). Grâce à ces partenariats, le nombre de produits en cours de développement destinés aux maladies et affections qui touchent principalement les pays en développement a considérablement augmenté. Les PDP jouent un rôle important dans l'identification des voies de la recherche concernant les maladies négligées et dans l'élimination des obstacles auxquels elle se heurte.

D'après une étude de 2005, les portefeuilles de 5 PDP et ceux d'un certain nombre d'entreprises pharmaceutiques contenaient 63 nouveaux projets de développement de médicaments contre les maladies négligées (y compris les maladies tropicales, le paludisme et la tuberculose). Cette étude a révélé que un quart des projets de développement émanaient de l'industrie pharmaceutique travaillant seule, un quart de l'industrie pharmaceutique travaillant avec des PDP et le reste de PDP réunissant des petites entreprises, des entreprises de pays en développement, des établissements universitaires et le secteur public. Les PDP étaient donc impliqués dans les trois quarts des projets de développement de médicaments contre les maladies négligées en 2005 (Moran et al., 2005).

Les PDP forment des alliances avec des parties prenantes des secteurs public et privé car chacune de ces entités peut tirer profit des possibilités offertes par les autres. Les PDP servent à intégrer les intrants fournis par les différentes branches d'une industrie très diverse. Leurs coûts de recherche semblent inférieurs à ceux des entreprises de recherche pharmaceutique, pour plusieurs raisons. Les PDP ont des coûts d'investissement plus faibles, grâce à leur capacité d'obtenir des intrants en nature. Ils tirent aussi avantage du fait qu'ils n'ont pas à financer un programme de développement très chargé, puisqu'ils sélectionnent leurs projets parmi ceux qui existent dans les domaines public et privé. Cela étant, on peut s'attendre à une augmentation notable de leurs coûts à mesure que les projets parviennent au stade des essais à grande échelle de phase III. Dans ce cas, le rapport coût/efficacité des PDP changera probablement car les échecs sont plus coûteux en phase finale que dans les phases initiales (Moran et al., 2005). Quelques exemples de PDP établis pour trouver des solutions pour les maladies négligées sont donnés dans l'encadré 3.10. L'Initiative médicaments pour les maladies négligées (DNDi) est un exemple concret de partenariat axé sur les besoins (voir l'encadré 3.11).

Encadré 3.10. Partenariats public‑privé et partenariats pour le développement de                  produits

En 2011, les fonds alloués aux PDP participant à la recherche sur les maladies négligées se sont élevés au total à 451,4 millions de dollars EU, soit 14,8% du financement global de la recherche concernant ces maladies. Quatre PDP – le Programme de technologie appropriée en santé (PATH), l'Opération médicaments antipaludiques (MMV), l'Initiative internationale pour les vaccins contre le SIDA (IAVI) et la Fondation mondiale Aeras pour les vaccins antituberculeux – représentaient plus de la moitié du financement total des PDP (Moran et al., 2012).

Fondé en 1996, l'IAVI est l'un des premiers partenariats pour le développement de produits, mais beaucoup d'autres ont été créés ensuite, notamment:

VIH/SIDA

  • IAVI
  • Partenariat international pour les microbicides
  • Initiative sud‑africaine pour les vaccins contre le SIDA

Paludisme

  • Initiative pour les vaccins antipaludiques
  • MMV

Tuberculose

  • Fondation mondiale Aeras pour les vaccins antituberculeux
  • Fondation pour les méthodes diagnostiques novatrices (FIND)
  • Alliance mondiale pour la mise au point d'antituberculeux
  • Initiative pour un vaccin contre la tuberculose

 

Il faut mentionner aussi les partenariats suivants:

  • Initiative sur les médicaments pour les maladies négligées
  • Institut OneWorld Health
  • PATH
  • Institut international de recherche sur les vaccins
  • Institut de recherche sur les maladies infectieuses
  • Innovative Vector Control Consortium
  • Sabin Vaccine Institute
  • European Vaccine Initiative.17

 

5. La recherche concernant les maladies négligées: le rôle grandissant des laboratoires pharmaceutiques

Les entreprises de recherche pharmaceutique s'engagent de plus en plus dans la recherche à caractère philanthropique. En 2011, elles sont devenues le deuxième bailleur de fonds de la recherche concernant les maladies négligées, après l'Institut national de la santé des États‑Unis et devant la Fondation Bill & Melinda Gates (Moran et al., 2012). Plusieurs entreprises ont créé des instituts de recherche spécialisés pour mettre au point des produits nouveaux ciblant les pathologies qui touchent surtout les pays en développement, ou participent à des projets de coopération et à des PDP, partageant ainsi leurs ressources et leurs connaissances. Le tableau 3.2 donne des précisions sur certains centres de R‑D soutenus par l'industrie et spécialisés dans les maladies négligées. En 2012, les laboratoires pharmaceutiques participaient à 132 projets visant à développer de nouveaux médicaments et de nouveaux vaccins contre les maladies qualifiées de prioritaires par le Programme spécial de recherche et de formation concernant les maladies tropicales (TDR) de l'OMS. Parmi ces projets, 112 sont menés en collaboration avec des PDP, et 20 sont pilotés par des laboratoires pharmaceutiques sans la participation de tierces parties (FIIM, 2013).

Encadré 3.11. L'Initiative médicaments pour les maladies négligées (DNDi): un exemple concret de partenariat axé sur les besoins

L'Initiative médicaments pour les maladies négligées est une initiative de R‑D collaborative à but non lucratif, axée sur les besoins des patients, dont le but est de combler les lacunes de la R‑D sur les médicaments essentiels contre les maladies négligées.18Afin d'assurer l'accès aux médicaments et aux technologies médicales dans les pays d'endémie, la DNDi négocie des licences non exclusives avec les titulaires de droits pour faire en sorte que le produit final soit enregistré et vendu à un prix abordable et de façon équitable dans tous les pays touchés. De plus, l'Initiative obtient de ses partenaires industriels des engagements contractuels pour que les produits soient vendus au prix coûtant majoré (coût de production plus une marge raisonnable pour soutenir la production à long terme). En négociant des engagements d'accès au tout début du processus de R‑D, la DNDi favorise l'accès grâce au découplage des coûts de R‑D (financés par la DNDi) et du prix final du produit (maintenu au plus bas niveau possible par le partenaire industriel).

L'exemple de l'ASAQ, nouvelle combinaison à dose fixe d'artésunate (AS) et d'amodiaquine (AQ) pour le traitement du paludisme sans complication, illustre cette approche. La DNDi a coordonné le développement de l'ASAQ avec divers partenaires publics et privés, tout en conservant la propriété intellectuelle du produit. Elle a ensuite concédé une licence à une entreprise pharmaceutique pour la production industrielle, l'enregistrement et la distribution de l'ASAQ en Afrique et dans d'autres pays en développement. Aux termes de l'accord, l'entreprise s'engageait à fournir l'ASAQ au secteur public des pays d'endémie au prix coûtant maximum de 1 dollar EU par traitement pour adulte. Dans le secteur privé, l'entreprise est libre de vendre le produit au prix du marché et elle verse à la DNDi une redevance de 3% sur les ventes, qui est réinvestie dans de nouvelles recherches. Les partenaires publics et privés sont convenus de ne pas déposer de demande de brevet sur l'ASAQ. De ce fait, le médicament peut être produit et distribué librement par toute autre entreprise pharmaceutique dans le monde. Les résultats de cette approche sont concluants: l'ASAQ est enregistré dans 30 pays d'Afrique subsaharienne et en Inde. Il est préqualifié par l'OMS, et plus de 130 millions de traitements ont été distribués à ce jour. De plus, la DNDi facilite le transfert de technologie à un fabricant africain.

 

Tableau 3.2. Centres de R D industriels spécialisés dans les maladies qui touchent surtout les pays en développement

 

Entreprise

 

Centre

 

Lieu

 

Maladie

 

Depuis

 

AstraZeneca 

 

Bangalore Research Institute 

 

Bangalore, Inde       

 

Tuberculose

Paludisme

2003

2009

GlaxoSmithKline 

 

Centre de développement de médicaments de Tres Cantos 

 

Tres Cantos, Espagne  

 

Paludisme

Tuberculose

Infections à kinétoplastidés 

 

2002

MSD/Merck & Co. 

 

Laboratoires MSD Wellcome Trust Hillemann 

 

New Delhi, Inde

 

Rotavirus 

 

2009

Novartis

Institut Novartis pour les maladies tropicales (NITD) 

 

Singapour

Dengue

Paludisme

Tuberculose

 

2002

Novartis

Institut pour la santé mondiale Novartis vaccins (NVGH) 

 

Sienne, Italie

Maladies diarrhéiques

Salmonelloses 

 

2008

Novartis

Institut de génomique de la Fondation Novartis pour la recherche (GNF) 

 

La Jolla, Etats-Unis  

 

Salmonelloses

Leishmaniose

Paludisme

2010

Novartis           

Instituts Novartis pour la recherche biomédicale (NIBR) 

 

Horsham, Royaume Uni 

 

Diarrhée infectieuse 

 

2009

Source: FIIM (2013)

Le 30 janvier 2012, les entreprises pharmaceutiques et divers partenaires publics et privés se sont réunis à Londres et ont décidé de s'unir pour fournir de nouveaux efforts coordonnés afin d'accélérer les progrès vers l'élimination ou le contrôle de dix maladies tropicales négligées. Ils ont confirmé leur engagement d'élargir les programmes en cours qui garantissent l'offre nécessaire de médicaments et d'autres interventions, de faire avancer la R‑D grâce à des partenariats et à un financement pour développer des traitements de nouvelle génération, et de fournir un soutien financier continu afin d'accélérer les progrès vers l'élimination ou le contrôle de ces maladies à l'horizon 2020. Ces engagements ont été inscrits dans la "Déclaration de Londres sur les maladies tropicales négligées".19

Encadré 3.12. WIPO Re:Search

 

En octobre 2011, l'OMS, en collaboration avec des chercheurs des secteurs public et privé et BIO Ventures for Global Health, a lancé un nouveau consortium, dénommé WIPO Re:Search, dans lequel des organismes publics et privés partagent des actifs de propriété intellectuelle et des compétences avec la communauté mondiale de la recherche en santé dans le but d'encourager la mise au point de nouveaux médicaments, vaccins et diagnostics pour le traitement des maladies tropicales négligées, du paludisme et de la tuberculose. Certains actifs de propriété intellectuelle sont mis à la disposition des chercheurs, partout dans le monde, dans le cadre de licences sans redevances. Lorsque les produits seront mis sur le marché, ils seront vendus sous licence sans redevance dans tous les pays les moins avancés et avec une redevance négociable dans les autres pays en développement.

Cet engagement de ressources devrait accélérer la mise au point de médicaments, de vaccins et de diagnostics contre les maladies négligées, le paludisme et la tuberculose, et faciliter l'établissement de nouveaux partenariats. L'OMS soutient ce projet en fournissant des avis techniques. L'initiative WIPO Re:Search s'appuie sur des accords volontaires et fonctionne sur la base de licences volontaires. Elle repose sur la conviction que la propriété intellectuelle et les savoirs peuvent être utilisés de manière créative pour stimuler l'investissement dans la recherche et le développement de nouvelles solutions de santé. En octobre 2012, WIPO Re:Search comptait 62 membres et avait facilité 11 collaborations ou accords de recherche entre les membres.20 

6. WIPO Re:Search: un nouveau partenariat pour l'utilisation de la propriété intellectuelle dans le domaine de la santé publique

L'OMS, en collaboration avec de nombreuses parties prenantes du secteur privé, des milieux universitaires et de la société civile, a créé un nouveau partenariat – WIPO Re:Search Mettre les innovations en commun pour lutter contre les maladies tropicales négligées (voir l'encadré 3.12). WIPO Re:Search propose un modèle innovant de partage et de gestion de la propriété intellectuelle, qui repose sur la conviction que la propriété intellectuelle et les savoirs peuvent être utilisés de manière créative pour encourager la recherche de nouvelles solutions de santé tout en assurant aux populations les plus désavantagées l'accès à ces solutions, et pour démontrer que la propriété intellectuelle peut répondre aux besoins des pays, quel que soit leur niveau de développement.

WIPO Re:Search a pour but de favoriser la collaboration afin de stimuler et de faire progresser la recherche et le développement de meilleurs traitements contre les maladies tropicales négligées (voir la section C.1 ci‑dessus), le paludisme et la tuberculose. Les membres de WIPO Re:Search comprennent, outre des entreprises pharmaceutiques, des universités et des centres de recherche du monde entier. Plusieurs centres de recherche d'Afrique y participent, ce qui est particulièrement important pour la mise au point de traitements nouveaux et plus efficaces contre les maladies tropicales négligées.

L'approche de WIPO Re:Search est nouvelle en ceci que les organismes publics et privés participants mettent de précieux actifs de propriété intellectuelle à la disposition de chercheurs qualifiés, partout dans le monde, pour développer de nouvelles solutions contre les maladies tropicales négligées, le paludisme et la tuberculose. Toutes les licences accordées pour la R-D et la fabrication doivent être libres de redevances pour tout utilisateur, n'importe où dans le monde. Les produits développés contre ces maladies dans le cadre d'un accord WIPO Re:Search doivent être vendus sans redevances dans tous les pays les moins avancés (PMA). Pour les autres pays en développement, les conditions d'accès doivent faire l'objet d'un accord entre les parties. Des services, comme l'accès aux installations de recherche des entreprises, le criblage des composés, le partage des compétences et l'accueil des chercheurs, sont également fournis par le biais de WIPO Re:Search. Les principaux outils de mise en œuvre conçus par WIPO Re:Search sont: la base de données publique qui garantit la transparence et l'accessibilité de l'information, et la plate‑forme de Partenariat, qui facilite la collaboration et les partenariats intersectoriels.

La base de données publique contient les actifs de propriété intellectuelle que les participants ont choisi de mettre à disposition par le biais de WIPO Re:Search. Toutes les données sont accessibles au public sans inscription préalable. Ceux qui les fournissent présentent des informations résumées concernant les composés actifs et les têtes de séries, les candidats précliniques et cliniques, les technologies habilitantes, la propriété intellectuelle, la formulation, les outils diagnostiques, les vaccins, les nouvelles entités biologiques, le savoir‑faire et d'autres services visant à faciliter la R-D.

Comme la collaboration est indispensable au succès dans le domaine scientifique, la plate‑forme de partenariat est une composante essentielle de WIPO Re:Search. Son administrateur, BIO Ventures for Global Health (BVGH), est une organisation non gouvernementale basée à Seattle (États‑Unis), qui travaille activement avec les membres – grandes entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques, établissements universitaires, instituts de recherche à but non lucratif, organismes publics et organisations non gouvernementales – pour faciliter la collaboration entre eux dans la recherche concernant les maladies tropicales négligées.

Grâce à la plate‑forme de partenariat, WIPO Re:Search met en rapport les fournisseurs et les utilisateurs potentiels pour le partage d'actifs et de connaissances, afin d'accélérer la mise au point de produits contre ces maladies. À mesure que WIPO Re:Search se développe, l'OMPI et BVGH recueillent et analysent les commentaires faits en retour pour faire en sorte que les activités du consortium, en particulier la base de données et les services connexes, soient utiles à la communauté mondiale des chercheurs en santé.

Par exemple, les premiers accords dans le cadre de WIPO Re:Search ont été conclus entre l'industrie et des instituts de recherche pour l'étude de nouveaux traitements contre la maladie de Chagas, la maladie du sommeil, la schistosomiase (fièvre de l'escargot) et la tuberculose. Ces accords prévoient notamment les actions suivantes:

  • Les inhibiteurs de la cathepsine, développés initialement pour l'ostéoarthrite, seront testés pour évaluer leur activité dans le dépistage biochimique et phénotypique de deux maladies parasitaires: la schistosomiase et les infections à kinétoplastides, telles que la leishmaniose, la maladie du sommeil et la maladie de Chagas.
  • Les chercheurs testeront une série d'inhibiteurs du glycogène synthase kinase (GSK)-3, initialement mis au point pour traiter la maladie d'Alzheimer, contre les parasites responsables de la maladie de Chagas, de la leishmaniose et de la maladie du sommeil.
  • Des inhibiteurs de l'isocitratelyase seront développés comme nouveau traitement de la tuberculose.
WIPO Re:Search est un projet axé sur les résultats qui, grâce à l'utilisation créative et novatrice de la propriété intellectuelle, facilite la R-D et le transfert de technologie pour trouver des solutions concrètes à l'un des plus graves problèmes de santé au niveau mondial.

1. Voir OMS (2010g). retour au texte

2. Projet Praziquantel de The Synaptic Leap, www.thesynapticleap.org/node/286. Initiative de découverte de médicaments en source libre (OSDD) du Conseil indien de recherche scientifique et industrielle (CSIR), www.osdd.net/. Communication du Groupe de travail d'experts: "Open Source Drug Discovery", www.who.int/phi/public_hearings/second/contributions/ZakirThomasCouncilofScientificIndustrialResearch.pdf. Sage Bionetworks at http://sagebase.org/retour au texte

3. Communication du Groupe de travail consultatif d'experts: New Investment Strategy: Innovative Developing Country Research Awards Global Forum for Health Research 2011, www.who.int/phi/news/cewg_2011/en/ index.htmlretour au texte

4. Source: www.osdd.netretour au texte

5. Pour des renseignements sur l'utilisation des accords de garantie de marché dans le domaine des vaccins, voir le chapitre III, encadré 3.5. retour au texte

6. Pour des exemples, voir: www.mpegla.com; www.vialicensing.com; and www.sisvel.comretour au texte

7.Voir le chapitre I, section B.2 a), et l'annexe I, sections A.8 et B.9. retour au texte

8. Voir www.who.int/csr/sars/goarn2003_4_16/en/retour au texte

9. Simon et al. (2005). Voir aussi la présentation, www.who.int/intellectualproperty/events/en/JamesSimon.pdfretour au texte

10. Correa (2009) et Verbeure et al. (2006). retour au texte

11. Stratégie mondiale et Plan d'action pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle, élément 2.3 c).. retour au texte

12. Stratégie mondiale et Plan d'action pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle, élément 7.1 a). retour au texte

13. Assemblée mondiale de la santé, Résolution WHA63.28: Constitution d'un groupe de travail consultatif d'experts sur le financement et la coordination de la recherche‑développementretour au texte

14. On trouvera à l'annexe 3 du rapport de 2012 du Groupe de travail consultatif d'experts une présentation et une analyse détaillées de chacune de ces propositions (OMS, 2012a). retour au texte

15. Source: Røttingen et al. (2012); voir aussi OMS (2012a). retour au texte

16. Voir http://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/EB132/ B132_21-en.pdfretour au texte

17.Sources: OMS (2006b); Widdus et White (2004). retour au texte

18. Voir aussi l'annexe I, section B.4 pour plus de renseignements sur les objectifs et l'approche en matière de propriété intellectuelle. retour au texte

19. Uniting to Combat NTDS, "London Declaration on Neglected Tropical Diseases", 30 janvier 2012. retour au texte

20. Source: www.wiporesearch.orgretour au texte