Click here to return to ‘trade topics’

LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE: OMS-OMPI-OMC

Chapitre 3: L'innovation dans les technologies médicales

D. Les droits de propriété intellectuelle dans le cycle de l'innovation

Principaux points

  • Le cadre juridique international régissant les droits de propriété intellectuelle (DPI) et, ce qui est peut‑être plus important, les choix faits dans ce cadre aux niveaux régional et national peuvent être des déterminants essentiels du cycle d'innovation.
  • Le rôle du droit des brevets dans le développement de nouvelles technologies médicales dépend non seulement de la conception juridique et administrative du système de brevets, mais aussi des décisions prises par chaque partie aux différents stades du processus de développement concernant la demande ou non de droits de brevet, le moment de cette demande et la manière d'exercer ces droits.
  • Les progrès de la biotechnologie dans le domaine de l'innovation médicale ont relancé le débat sur ce qui devrait être considéré comme brevetable et sur la manière de déterminer l'applicabilité/l'utilité industrielle dans ces cas.
  • L'innovation incrémentale peut améliorer la sécurité, l'effet thérapeutique ou le mode de délivrance d'un médicament ou d'un vaccin existant. La question de savoir si ces inventions méritent d'être brevetées est décidée au cas par cas.
  • Bien qu'un brevet portant sur une innovation incrémentale ne prolonge pas la durée du brevet initial, on s'inquiète des effets négatifs de cette stratégie de brevetage sur l'innovation future et l'accès. Ces stratégies de perpétuation des brevets restent controversées.
  • Certaines lois sur les brevets autorisent la protection par un brevet d'un produit pour lequel une nouvelle indication thérapeutique a été trouvée, mais seulement à condition que le produit proposé satisfasse à tous les critères de brevetabilité. Dans ces circonstances, le produit est considéré comme nouveau eu égard à la nouvelle indication.
  • Le brevetage des outils de recherche est particulièrement controversé dans le secteur biopharmaceutique car il peut retarder la poursuite de la recherche en aval.
  • Bien que l'exception pour la recherche soit l'une des exceptions limitées les plus courantes dans les législations nationales sur les brevets, l'approche varie selon les pays qui n'utilisent pas tous ce type d'exception.
  • Les licences sont des moyens de renforcer les partenariats et la coopération et elles peuvent permettre à des entités publiques d'atteindre des objectifs de politique publique. Les licences peuvent être limitées à un contenu particulier ou à un certain degré d'exclusivité, et elles peuvent porter sur le savoir‑faire.
  • La cartographie des brevets est devenue un moyen d'explorer, d'analyser et d'illustrer la situation des brevets ou l'activité de brevetage dans un domaine technologique particulier; elle permet ainsi aux décideurs de suivre les tendances de l'innovation médicale.
  • Une analyse de la liberté d'exploitation sert de base aux décisions de gestion des risques en rapport avec la R‑D, le lancement d'un produit et la commercialisation.

Après l'exposé sur les DPI au chapitre II, section B.1, la présente section examine l'impact des DPI sur l'innovation dans le secteur pharmaceutique, en mettant l'accent sur les questions relatives aux brevets. Elle évoque d'abord l'interdépendance des cadres internationaux, régionaux et nationaux et l'importance des choix en matière de gestion des DPI, puis elle analyse les questions de brevetabilité qui se posent avant l'octroi d'un brevet et les questions relatives à l'exploitation des brevets après l'octroi. Pour conclure, elle donne un aperçu des questions concernant la liberté d'exploitation.

1. Le rôle des normes internationales et nationales et la gestion de la propriété intellectuelle

Si la dimension juridique internationale des DPI revêt une importance capitale pour l'écosystème de l'innovation médicale – et suscite une grande attention dans le débat de politique publique –, il est essentiel d'examiner les différentes strates du droit et de la politique de la propriété intellectuelle qui influencent les orientations de la recherche. Les dispositions de l'Accord sur les ADPIC, par exemple, peuvent être considérées comme un élément de l'interaction entre le droit international, le droit national et les politiques. Les mesures qui ont une incidence sur les technologies médicales vont des stratégies des projets aux normes du droit international. Elles comprennent:

  • les politiques générales et les stratégies en matière de gestion de la propriété intellectuelle au niveau institutionnel ou au niveau des projets dans le secteur privé, le secteur public ou le secteur philanthropique, y compris les choix pratiques tels que la décision de déposer ou non une demande de brevet, le choix du lieu de dépôt et le choix de la manière d'exercer les droits conférés;
  • le cadre national de la politique d'innovation, y compris les mesures d'incitation ciblées, et la politique de gestion de la recherche médicale financée sur fonds publics;
  • le cadre législatif national, notamment les lois sur la propriété intellectuelle et leur interaction avec d'autres éléments du régime réglementaire, comme la politique de la concurrence et la réglementation des médicaments;
  • la coopération internationale en matière de santé publique et les initiatives internationales spécifiques, notamment dans le domaine de la recherche sur les maladies négligées;
  • le cadre juridique international, comprenant des instruments et des normes contraignants et non contraignants portant sur le commerce et l'investissement, la propriété intellectuelle, la santé publique, les droits de l'homme, la bioéthique et les domaines associés.

En conséquence, si les normes juridiques internationales peuvent avoir une incidence importante sur les systèmes d'innovation (en exigeant, par exemple, que les inventions pharmaceutiques soient brevetables), les choix effectués aux niveaux régional et national dans le cadre du droit international peuvent être tout aussi importants, sinon plus (par exemple en définissant et en appliquant des critères de brevetabilité spécifiques dans le cadre de la législation nationale). De même, les choix faits par un organisme de recherche public ou par une entreprise privée concernant la gestion de la propriété intellectuelle peuvent avoir un impact immédiat sur les résultats de la R‑D. Ces choix sont souvent déterminés par les structures globales de l'innovation, comme celles qui sont examinées dans la section B.4 e), ci‑dessus.

2. La propriété intellectuelle et le processus de développement de produits

Un aperçu des questions de propriété intellectuelle qui se posent à chaque stade de processus de développement de produits peut aider à clarifier les liens entre, d'une part, les questions et les choix spécifiques dans le contexte opérationnel plus étroit et, d'autre part, l'objectif général d'amélioration de la santé publique. Ces questions sont indiquées dans le tableau 3.3. Il ne s'agit pas de questions étroitement "techniques" qui peuvent être analysées isolément. Au contraire, le développement et la diffusion réussis d'une nouvelle technologie dépendent de l'effet combiné des choix faits à chacune de ces étapes.

Le débat sur la valeur et l'incidence pratique du système de brevets, notamment pour la fourniture des technologies médicales nécessaires, a fait ressortir deux points essentiels:

  • Tout d'abord, le droit des brevets n'est pas un système d'innovation autonome. C'est seulement un élément du processus d'innovation, qui peut être utilisé différemment dans différents scénarios d'innovation. Le droit des brevets a peu d'influence sur les nombreux autres facteurs qui déterminent le développement réussi d'une technologie, tels que la nature et l'étendue de la demande, les avantages commerciaux procurés par les services de marketing et les services auxiliaires, la viabilité commerciale et technique du processus de production et le respect des prescriptions réglementaires, notamment grâce à une gestion efficace des données d'essais cliniques.
  • Le rôle du système de brevets dans le développement d'une nouvelle technologie médicale dépend non seulement du cadre législatif et réglementaire, mais aussi des choix effectués par les individus à différents stades du processus de développement, concernant la demande ou non de droits de brevet, le moment de cette demande et la manière d'exercer ces droits. Ils peuvent reposer sur des exclusivités commerciales ou s'appuyer sur des structures de licences non exclusives et ouvertes, sur l'abandon de droits et sur des engagements spécifiques à ne pas faire valoir les droits. Il faut souligner que, dans le cas des initiatives de santé publique à but non lucratif, ces approches ne visent pas nécessairement à obtenir des avantages financiers, mais visent plutôt à tirer parti de l'accès à des technologies complémentaires.

Les brevets n'ont pas la même importance pour tous les secteurs d'activité. En outre, ils ont des impacts assez différents sur les marchés, comme le montre la comparaison entre l'industrie des dispositifs médicaux et l'industrie pharmaceutique (voir le tableau 3.4).

3. Questions antérieures à la délivrance des brevets: questions de brevetabilité

Cette section examine certains aspects du droit des brevets qui présentent un intérêt particulier pour l'innovation dans le domaine des technologies médicales.

(a) Brevetage de substances présentes dans la nature

S'il est vrai que la biotechnologie moderne joue un rôle de plus en plus important dans la R-D et la production pharmaceutiques, des brevets sont octroyés pour des inventions biotechnologiques depuis le XIXe siècle.1Par exemple, le brevet allemand DE 336051 a été accordé en 1911 à Friedrich Franz Friedmann pour un vaccin contre la tuberculose à base de bacilles paratuberculeux provenant de tortues.

Tableau 3.3. Illustration des questions de propriété intellectuelle qui se posent à chaque stade du processus de développement de produits

 

Planification de l'innovation pour des résultats en matière de santé

   

– Définition de politiques et de stratégies en matière de PI, y compris clarification des considérations de titularité, d'accès et de contrôle sur les résultats de la recherche.
– Études de la technologie existante en tant que base de recherche et modèles de titularité (selon le détenteur du brevet et l'effet territorial des brevets en vigueur), de manière à identifier les partenaires et les obstacles éventuels et définir des pistes pour de nouvelles activités fructueuses de recherche.

– Étude de liberté d'exploitation, situation de la technologie existante, en plus des perspectives de partenariat technologique et des options de mise en commun.  

Début des recherches sur les besoins non satisfaits en matière de santé publique

 

– Incitations – fondées ou non sur la PI – à l'investissement dans la recherche et autres contributions (y compris moyens financiers et autres, technologie sous‑jacente, infrastructures, compétences de gestion scientifique et technologique, gestion des procédures réglementaires, exposition au risque et coût d'opportunité).
– Négociation des modalités et conditions couvrant la R-D, notamment en s'appuyant sur la PI lors de la négociation des garanties de mise au point et d'accès au produit fini; négociation ou mise en œuvre des mesures de protection de l'intérêt public afin de garantir un accès adéquat aux résultats des recherches.

– Définition et mise en œuvre de la publication et des politiques de gestion de la PI à l'intention des chercheurs.    

Premiers choix concernant la présence et l'absence de protection de la PI

 

– Après obtention des premiers résultats de la recherche et leur élaboration, décision au niveau de l'institution ou de l'entreprise de demander la protection de la PI sur les innovations particulières et détermination des juridictions de dépôt de la demande, conformément à une stratégie globale de mise au point, de commercialisation et de diffusion des produits.
– Décisions aux niveaux national et régional concernant la brevetabilité du résultat de la recherche, conformément aux critères d'octroi du brevet.

– Gestion du savoir‑faire, des renseignements confidentiels et des autres formes de protection de la PI.  

Au‑delà de la recherche initiale: validité du concept et mise à l'échelle

 

– Dispositions en matière de PI dans le cadre des négociations concernant le financement et la conduite des essais cliniques et de la recherche de nouveaux investissements, de soutien philanthropique ou d'affectation de ressources publiques.
– D'autres incitations déclenchent l'innovation dans certains domaines, par exemple par le biais de dispositifs concernant les "maladies orphelines".

– Évaluation des répercussions sur la PI qu'aurait le fait de passer de la recherche pure aux étapes préliminaires de la mise au point d'un médicament.  

Essais cliniques et homologation par les autorités de réglementation

   

– Dispositions relatives à la génération et à la protection des données des essais cliniques, ainsi qu'à l'accès à ces données; incitations à l'investissement dans ce processus, lois et orientations régissant ces aspects; mécanismes visant à faciliter l'homologation par les autorités de réglementation ou à en réduire le coût, tels que les incitations par impulsion ou par attraction, par exemple garanties de marché.

– Aspects liés à la PI de certaines questions telles que la reconnaissance réciproque d'homologations par les autorités de réglementation, l'échange de données, la négociation – ou la garantie sous une autre forme – de l'accès aux données des essais cliniques et l'utilisation de ces données.  

Fabrication et distribution

   

– Accès aux facilités de production nécessaires, aux excipients et adjuvants, à la délivrance du médicament et aux technologies de base.
– Stratégies de gestion de la PI pour une meilleure efficacité au plan mondial (y compris modification de la titularité selon le marché ou la juridiction; méthodes différentes de contrôle ou de cession sous licences des DPI dans les pays riches et les pays pauvres; rôle de la PI dans la tarification graduée; droits d'intervention et autres formes de garanties d'accès à la recherche financée par des fonds publics ou d'origine philanthropique).

– Prescriptions des politiques nationales de la concurrence.  

Phase de distribution et de commercialisation

   

– Contrôle et application des garanties d'accès, telles que les dispositions relatives aux licences prévoyant l'accès effectif de certains groupes de patients et les prescriptions relatives à l'introduction de médicaments dans certains marchés.
– Gestion de la PI pouvant concerner les améliorations et les nouvelles indications, et approbation par les autorités de réglementation; respect des engagements en matière d'accès.

– Évaluation des implications des règlements régissant l'utilisation de la PI sur le marché (par exemple mesures contre les pratiques anticoncurrentielles).

.

 

Tableau 3.4. Le rôle différent des brevets dans l'industrie des dispositifs médicaux et dans l'industrie pharmaceutique 2 

Industrie des dispositifs médicaux

Industrie pharmaceutique

Caractéristiques: les dispositifs médicaux reposent essentiellement sur la technologie mécanique/électrique, les technologies de l'information et l'ingénierie des systèmes. Le déclencheur de l'innovation réside généralement dans la pratique des cliniciens.

 

Caractéristiques: les produits pharmaceutiques reposent sur la chimie, la biotechnologie et la génétique. La recherche fondamentale et la recherche appliquée, y compris celle qui s'appuie sur les savoirs traditionnels, sont les bases de l'innovation.

 

Brevets: du fait de l'interaction entre de nombreux domaines techniques, les dispositifs techniquement complexes peuvent être protégés par des centaines de brevets portant sur la structure, la fonction et/ou la méthode d'utilisation du dispositif.

 

Brevets: les principes actifs/les composés chimiques sont généralement couverts par un petit nombre de brevets, des brevets supplémentaires couvrant les variations de ces substances, telles que les sels et esters, les polymorphes, les modes de délivrance ou les formules.

Conception et contournement: dans le domaine des dispositifs médicaux, il est assez courant de choisir un modèle non protégé et donc de contourner les brevets, car des solutions techniques alternatives peuvent être trouvées. Cela permet de stimuler la concurrence avec la mise sur le marché d'autres types de dispositifs, faisant l'objet de variations et d'améliorations itératives continues de la part d'autres entreprises pendant la durée des brevets. La concurrence et la nécessité constante d'innover conduisent à des cycles de vie commerciale relativement courts d'environ 18 à 24 mois, très inférieurs à la durée théorique d'un brevet, qui est de 20 ans. Toutefois, bien que le produit soit susceptible de changer fréquemment, la technologie peut continuer à être utilisée sur les produits suivants.

Conception et contournement: dans le domaine pharmaceutique, le contournement des brevets est souvent plus difficile. Les brevets portant sur les composés chimiques peuvent empêcher les concurrents de fabriquer des produits comparables pendant toute la durée du brevet. En général, s'ils sont efficaces et sûrs, les produits pharmaceutiques peuvent avoir un long cycle de vie commerciale de 10 à 20 ans ou plus, sans modifications importantes. De ce fait, les brevets sont exploités jusqu'à la fin de leur période de validité.

 

Le développement du génie génétique a suscité un vif débat public sur l'opportunité d'appliquer le droit des brevets à la biotechnologie moderne. Des dispositions législatives et administratives importantes ont été prises pour clarifier certaines de ces questions, telles que la Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques3 et les Lignes directrices pour déterminer l'utilité des inventions liées aux gènes du 5 janvier 2001 de l'Office des brevets et des marques des États‑Unis (USPTO).4Certaines juridictions exigent que la fonction d'un gène soit clairement définie et rattachée à la partie de la séquence génique pour laquelle un brevet est demandé. Ainsi, la section 1a 3) de la Loi fédérale allemande sur les brevets dispose: "L'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle de gène doit être décrite de manière précise dans la demande, en indiquant la fonction remplie par la séquence ou la séquence partielle." Concernant les séquences géniques, la loi suisse sur les brevets limite les droits d'exclusivité résultant du brevet aux parties de la séquence génique qui sont strictement nécessaires pour remplir les fonctions décrites dans le brevet (article 8c de la Loi fédérale sur les brevets d'invention).

Une étude publiée par l'OMPI en 20015donne des renseignements sur la législation des États membres concernant la protection des inventions biotechnologiques dans le cadre des systèmes de brevets et/ou de protection des obtentions végétales, notamment des renseignements sur les pays qui pourraient admettre le brevetage de gènes, de cellules ou d'obtentions végétales.

Une question particulière concernant le droit des brevets biotechnologiques qui est importante pour la production pharmaceutique est celle de la brevetabilité des substances présentes dans la nature ou dans des composés chimiques de synthèse ou obtenus par extraction, en particulier s'ils sont identiques à un composé existant dans la nature. Une distinction est faite entre les composés qui existent dans la nature et les composés extraits et isolés artificiellement. Ces derniers sont considérés comme de nouvelles entités qui sont brevetables dans certaines juridictions.

En 1911, le Japon a accordé un brevet (n° 20785) pour une substance isolée présente dans la nature, l'acide abérique (aujourd'hui appelé thiamine ou vitamine B1) extrait du son de riz, qui permet de prévenir le béribéri, maladie causée par une carence en vitamine B1. La même année, un tribunal des États‑Unis a confirmé un brevet accordé à un inventeur qui avait isolé l'adrénaline de la glande surrénale de l'homme, l'avait purifiée et avait découvert qu'elle pouvait être utilisée dans le traitement des maladies cardiaques. (Parke-Davis & Co. v. H.K. Mulford Co., 189 F. 95, 103, District Court, Southern District of New York, 1911).

Dans bien des cas, les critères de brevetabilité sont appliqués à bon escient par les spécialistes du droit des brevets et par les tribunaux pour déterminer la brevetabilité des inventions biotechnologiques, mais deux jugements rendus par des tribunaux américains montrent bien que la controverse continue (voir les encadrés 3.13 et 3.14).

(b) Première et deuxième indications médicales

Il arrive qu'une substance connue, utilisée dans un but déterminé, se révèle, plus tard, efficace dans le traitement d'une maladie; une demande de brevet peut alors être déposée, revendiquant la "première utilisation médicale" (aussi appelée "utilisation secondaire" ou "nouvelle utilisation") du produit connu.6Si la première utilisation du produit était déjà d'ordre médical, la revendication est qualifiée de "deuxième indication médicale". L'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) n'aborde pas expressément cette question, et les législations nationales sur les brevets diffèrent sur ce point. Certaines excluent expressément le brevetage de la première ou de la deuxième indication médicale. Par exemple, la Décision 486 de la Communauté andine – législation commune des États membres de la Communauté andine en matière de propriété intellectuelle – dispose ce qui suit à l'article 21: "Les produits ou procédés déjà brevetés, compris dans l'état de la technique au sens de l'article 16 de la présente décision, ne peuvent pas faire l'objet d'un nouveau brevet du seul fait qu'ils sont destinés à un usage autre que celui couvert par le brevet initial."7Certaines juridictions autorisent le brevetage d'une substance thérapeutique connue utilisée comme nouvelle méthode de traitement, si cette utilisation n'est pas connue. C'est par exemple le cas de l'article 54 4) et 5) de la Convention sur le brevet européen (CBE), révisée en 2000.8

Encadré 3.13. BRCA‑1 et BRCA‑2: l'"affaire Myriad"

BRCA‑1 et BRCA‑2 sont deux gènes associés à la susceptibilité au cancer du sein et de l'ovaire. La présence de certaines mutations dans l'un ou l'autre de ces gènes augmente le risque de maladie. Il est, par conséquent, important pour le diagnostic et le suivi des femmes à risque de pouvoir détecter ces mutations. La société Myriad Genetics, en collaboration avec l'Université de l'Utah, l'Institut du cancer du Japon et le Centre de recherche du Chul du Canada, a obtenu des brevets sur la séquence ADN isolée codant les deux gènes, BRCA‑1 et BRCA‑2, et sur une méthode de dépistage. Étant donné que le brevet de produit protège non seulement les fonctions divulguées dans le brevet mais aussi toutes les autres applications thérapeutiques possibles du gène, il a été avancé que tout autre brevet pour une utilisation différente des gènes dépendrait des brevets détenus par Myriad Genetics (Von der Ropp et Taubman, 2004) et que cela risquait de dissuader la poursuite de la recherche sur les fonctions possibles de ces gènes.

Dès l'entrée en vigueur des brevets, Myriad Genetics a adopté une politique de licence restrictive lui réservant le droit d'effectuer une analyse de séquence génique complète, dans ses laboratoires aux États‑Unis (Matthijs et Van Ommen, 2009). Du point de vue de la santé publique, il était problématique de n'avoir qu'une source d'épreuves diagnostiques.

En 2010, le tribunal de première instance du District Sud de New York a statué que les brevets sur les gènes BRCA‑1 et BRCA‑2 étaient invalides car ces gènes, même isolés, n'étaient pas sensiblement différents de ce qui existait dans la nature et n'étaient donc pas brevetables. Le jugement indiquait: "L'existence de l'ADN sous une forme "isolée" ne modifie ni sa qualité fondamentale d'ADN existant dans le corps, ni l'information codée." Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel du Circuit fédéral des États‑Unis en 2011. La Cour d'appel a fait observer que la distinction entre un produit naturel et une invention humaine dépendait de la modification de l'identité chimique par rapport à ce qui existe dans la nature. Une séquence génique isolée ("portion autonome d'une molécule d'ADN naturelle") pouvait être revendiquée comme une invention brevetable, à la différence d'un fragment d'ADN purifié. La Cour indiquait en outre: "La purification rend pure une substance auparavant impure, mais ne la modifie pas. L'ADN isolé a dû être retiré de son environnement cellulaire et chromosomique d'origine, mais il a également subi des manipulations chimiques pour produire une molécule sensiblement différente de celle qui existe dans le corps humain." La Cour d'appel a précisé qu'"il est permis aux biologistes de considérer les molécules du point de vue de leur utilisation, mais les gènes sont des matériaux qui possèdent une nature chimique et, en tant que tels, il est préférable de les décrire dans les brevets par leur structure plutôt que par leurs fonctions". Saisie en appel, la Cour suprême a renvoyé l'affaire Myriad Genetics à la Cour du circuit fédéral en 2012, pour qu'elle la réexamine à la lumière de la décision rendue dans l'affaire Mayo contre Prometheus (voir l'encadré 3.14).p

Dans sa décision du 16 août 2012, la Cour du circuit fédéral a confirmé qu'elle considérait que les revendications visant les molécules d'ADN isolées pouvaient faire l'objet d'un brevet conformément à l'article 101 du titre 35 du Code des États‑Unis, et a indiqué que la décision dans l'affaire Mayo contre Prometheus ne modifiait en rien ce résultat. Elle a cependant réaffirmé qu'elle avait statué sur l'admissibilité au brevet et non sur la brevetabilité, sur laquelle elle n'avait émis aucune opinion. La Cour a estimé que certaines revendications de méthode étaient admissibles au brevet, alors que d'autres ne l'étaient pas.10

La Cour suprême des États‑Unis a rendu une ordonnance de certiorari dans cette affaire en novembre 2012, acceptant de fait de réexaminer la question de savoir si les gènes humains sont admissibles ou non à une protection par brevet.11

Encadré 3.14. Mayo Collaborative Services contre Prometheus Laboratories

Dans l'affaire Mayo Collaborative Services contre Prometheus Laboratories, la Cour suprême a statué à l'unanimité, le 20 mars 2012, que les revendications de Prometheus Laboratories sur des méthodes d'administration de médicaments contre des maladies gastro‑intestinales auto‑immunes n'étaient pas suffisamment différentes des lois de la nature pour satisfaire à la règle d'admissibilité au brevet énoncée à l'article 101 de la Loi sur les brevets. Les revendications litigieuses portaient sur un procédé d'optimisation de l'efficacité thérapeutique du traitement d'une maladie gastro‑intestinale à médiation immunitaire comprenant deux étapes:

  • l'administration d'un type de médicament (thiopurines);
  • la détermination du taux d'un métabolite spécifique dans le sang, un taux inférieur à un certain seuil indiquant qu'il fallait augmenter le dosage du médicament pour en accroître l'efficacité, et un taux supérieur qu'il fallait diminuer la dose pour éviter les effets toxiques.12 

Il faut noter que tous les autres critères de brevetabilité énoncés dans la CBE doivent être respectés pour qu'un brevet soit délivré pour une nouvelle utilisation médicale d'une substance connue. La Grande Chambre de recours de l'Office européen des brevets a précisé: "Lorsque l'utilisation d'un médicament particulier pour traiter une maladie particulière est déjà connue, l'article 54 5) CBE n'exclut pas que ce médicament soit breveté pour une utilisation dans un traitement thérapeutique différent de la même maladie."13Cela signifie qu'une substance connue – qui satisfait aux critères généraux de brevetabilité – peut être brevetée pour une utilisation dans un traitement différent de la même maladie. Toutefois, cette utilisation secondaire n'étend pas la protection par brevet de l'utilisation thérapeutique déjà connue.

Encadré 3.15. Brevets d'utilisation secondaire: le cas de la fluoxétine

La fluoxétine (plus connue sous le nom de "Prozac") a été mise sur le marché aux États‑Unis en 1987 pour le traitement de la dépression, et le brevet américain a expiré 14 ans plus tard, en 2001. Mais entre‑temps, on a découvert que la fluoxétine permettait aussi de traiter une autre indication: le trouble dysphorique prémenstruel. En 1990, une firme pharmaceutique a obtenu un brevet pour cette utilisation secondaire (brevet américain n° 4 971 998) et, en 2000, elle a obtenu une approbation réglementaire pour cette indication sous le nom de Sarafem. Bien que les deux médicaments contiennent le même principe actif (le chlorhydrate de fluoxétine) à une dose identique (20 mg), leurs prix sont très différents aux États‑Unis: dans une pharmacie, le prix d'un comprimé de Prozac était de 0,83 dollar alors que celui d'un comprimé de Sarafem était de 9,26 dollars.

Le cas du brevet pour l'utilisation secondaire de la fluoxétine montre que le même produit peut être vendu à des prix très différents en fonction de son application thérapeutique (voir l'encadré 3.15).

La brevetabilité des indications secondaires est sujette à débat et illustre bien la difficulté, en droit des brevets, de trouver un équilibre entre l'accès aux médicaments et l'innovation. D'une part, les opposants aux brevets d'utilisation secondaire soutiennent que ces brevets limitent l'accès aux médicaments, récompensent des activités non inventives et prolongent inutilement la protection par un brevet de certaines substances thérapeutiques. D'autre part, les défenseurs de ces brevets sont d'avis qu'une utilisation médicale supplémentaire peut être en soi une invention et que la mise au point et l'essai clinique d'une seconde utilisation ont tout autant besoin d'incitations, cette seconde utilisation pouvant même avoir, dans certains cas, des effets thérapeutiques plus importants que la première.

Des indications sur l'octroi de brevets par l'Office européen des brevets (OEB) pour des indications médicales secondaires figurent dans ses directives concernant l'examen des brevets.14

(c) Innovation incrémentale et adaptative

Les innovations incrémentales peuvent faire l'objet de brevets si elles satisfont aux critères de brevetabilité. L'application du critère de l'activité inventive de la non‑évidence15a des implications pour l'innovation incrémentale. L'innovation incrémentale peut améliorer la sécurité, l'effet thérapeutique et le mode d'administration d'un médicament ou d'un vaccin existant, ou l'efficacité du processus de fabrication, avec des résultats positifs pour la santé publique.

(i) Exemples d'innovation incrémentale

Bien souvent, la première homologation d'un médicament est suivie de modifications de la formule ou du mode d'administration qui améliorent l'efficacité du traitement. Ces innovations incrémentales comprennent par exemple:

  • Les nouvelles formes galéniques qui améliorent l'observance: Les formules à libération contrôlée, qui permettent une seule prise par jour, voire par semaine (au lieu de plusieurs prises), peuvent améliorer l'observance du traitement et la stabilité de la concentration du médicament et réduire les effets secondaires. Les exemples sont nombreux. Il s'agit notamment des formules à libération prolongée d'antibiotiques oraux d'hormones injectables ou d'hormones topiques. Les nouvelles formes galéniques qui améliorent l'observance comprennent aussi les comprimés sublinguaux ou à dispersion rapide, qui sont plus faciles à prendre que les gélules et qui ont un effet plus rapide. Les benzodiazépines sublinguales en sont un exemple.
  • Les nouvelles formes galéniques ayant une meilleure efficacité: L'ajout d'un additif ou d'un deuxième principe actif peut souvent améliorer l'efficacité d'un médicament. Les deux substances peuvent être administrées séparément, mais le fait de les combiner les rend plus efficaces car le respect de la posologie est assuré. Le conditionnement et la prescription sont également simplifiés. Il y a de nombreux exemples de nouvelles formes galéniques plus efficaces, comme l'association de corticostéroïdes à des antiviraux et la coformulation de médicaments antirétroviraux.
  • Les nouvelles formules ayant de meilleures caractéristiques de conservation: De nombreux médicaments perdent leur efficacité s'ils ne sont pas conservés dans la chaîne du froid, ce qui limite l'accès à ces médicaments. De nombreux produits de deuxième génération, ayant une meilleure stabilité thermique (ou nécessitant moins de volume de stockage), sont plus faciles à transporter et à stocker, et sont donc accessibles dans les régions pauvres en ressources. C'est notamment le cas des vaccins qui peuvent être conservés dans un réfrigérateur au lieu d'un congélateur (vaccin antipoliomyélitique oral, vaccin nasal contre la grippe) et des médicaments oraux qui peuvent être stockés à température ambiante.
  • Les nouvelles voies d'administration: De nombreux médicaments sont homologués initialement pour être administrés par injection, ce qui limite l'accès. De nouvelles voies d'administration (voie orale ou nasale, timbre topique, par exemple) sont mises au point, simplifiant grandement l'emploi, l'accès et l'efficacité. Les antibiotiques administrés par voie orale et les vaccins nasaux en sont des exemples.

D'autres innovations incrémentales concernant un médicament connu et homologué peuvent avoir un effet notable sur l'efficacité. Par exemple, l'amélioration des procédés de production peut réduire le coût de fabrication. Et l'amélioration des procédés de purification peut réduire la contamination du médicament par des substances résiduelles potentiellement toxiques.

(ii) Grappes de brevets et perpétuation des brevets

Certains se sont inquiétés du fait que les grappes de brevets sur un médicament existant, c'est‑à‑dire le brevetage de nouvelles formes ou de variations mineures d'un produit existant n'ayant pas d'effet thérapeutique supplémentaire et peu de caractère inventif puisse servir à prolonger de manière inappropriée la protection par brevet, ce qui aurait un effet négatif sur l'accès aux médicaments et sur l'innovation – stratégie dite perpétuation des brevets (evergreening). Selon la définition de la Commission sur les droits de propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique (CIPIH) la perpétuation des brevets est une expression couramment utilisée pour désigner les stratégies de brevetage par lesquelles, "en l'absence de nouveau bénéfice thérapeutique apparent, les titulaires de brevets utilisent différentes stratégies pour prolonger la durée de leur exclusivité au‑delà des 20 années de validité du brevet" (OMS, 2006b).

La Commission européenne a déterminé que la création de "grappes de brevets" par le dépôt de nombreux brevets pour le même médicament est une stratégie courante des laboratoires pharmaceutiques. Ceux‑ci déposent un grand nombre de brevets additionnels sur des variations du même produit, en particulier pour des médicaments vedettes, très tard dans le cycle de vie du médicament, quand la validité du brevet principal est proche d'expirer.16La Commission estime que, en raison de ces grappes de brevets, il est plus difficile pour les fabricants de génériques de déterminer s'ils peuvent développer une version générique du médicament originel sans porter atteinte à l'un des nombreux brevets déposés sur ce médicament. Le nombre de brevets accroît en outre le risque de litiges coûteux pour les fabricants de génériques.

En examinant la question de la perpétuation des brevets, la CIPIH a observé que "faire le départ entre les innovations incrémentales qui débouchent sur de véritables améliorations cliniques, des avantages thérapeutiques ou des progrès sur le plan de la fabrication et celles qui n'apportent aucun véritable bénéfice thérapeutique n'est pas chose facile. Mais cela est capital pour éviter que les brevets ne soient utilisés pour faire obstacle à une concurrence légitime." Elle a recommandé que les gouvernements prennent "des mesures pour éviter que ne soient élevés des obstacles à la concurrence légitime en étudiant la possibilité d'élaborer des principes directeurs à l'intention des examinateurs de brevet sur la manière d'appliquer correctement les critères de la brevetabilité et, le cas échéant, en envisageant de modifier leur législation nationale en matière de brevets".17

La question centrale est de savoir à quel moment l'adaptation ou la modification d'une première invention brevetée devient elle‑même brevetable. À cet égard, il est important de juger chaque invention revendiquée dans un brevet en fonction de ses spécificités. Le simple fait qu'une innovation est incrémentale n'est pas une raison pour refuser le brevet. En fait, l'innovation est presque toujours incrémentale par nature car la technologie évolue généralement par étapes. Pour distinguer les inventions qui satisfont au critère de l'activité inventive/de la non‑évidence de celles qui n'y satisfont pas, le droit et la pratique en matière de brevets ont établi des critères de brevetabilité auxquels est subordonnée la délivrance d'un brevet.

Certains décideurs dans le domaine de la santé estiment que l'efficacité thérapeutique devrait être un critère supplémentaire pour empêcher la perpétuation des brevets et faire en sorte que la protection des innovations incrémentales ne soit accordée que si l'invention apporte suffisamment d'avantages thérapeutiques additionnels. Bien que, dans la plupart des juridictions, la valeur thérapeutique d'un produit ne soit pas en soi un critère de brevetabilité, les avantages thérapeutiques apportés par rapport à l'état antérieur de la technique18peuvent être pris en compte pour déterminer le degré d'inventivité. Par ailleurs, l'intention du brevet – par exemple multiplier les brevets pour se défendre contre la concurrence – n'est pas un critère pertinent dans la procédure de délivrance. Des mesures peuvent être prises a posteriori, notamment des exceptions et des limitations, ou la réglementation des pratiques de licences, pour faire face aux effets indésirables de brevets valablement accordés. Par conséquent, un brevet doit être accordé si les critères de brevetabilité que sont la nouveauté, l'activité inventive et l'applicabilité industrielle sont remplis.

Dans le contexte d'un système de brevets, et dans la mesure où le débat sur la perpétuation concerne l'octroi de brevets (et non la manière dont les détenteurs de brevets exercent leurs droits), la question peut être abordée sous deux angles:

  • Comment les critères de brevetabilité sont‑ils définis par la législation nationale et comment sont‑ils interprétés par la jurisprudence et la pratique? De nombreux pays ont révisé leur législation et adopté différents types de mesures. La section 3 d) de la Loi de 1970 sur les brevets de l'Inde (voir l'encadré 3.16) et la section 22 du Code de la propriété intellectuelle des Philippines sont deux exemples d'une définition étroite des critères de brevetabilité. Les pays ont cependant des approches différentes, et il existe différentes définitions et pratiques en ce qui concerne l'octroi de brevets pour les inventions pharmaceutiques (inventions revendiquées pour une deuxième utilisation médicale, posologies, etc.).
  • Les critères de brevetabilité sont‑ils appliqués par les examinateurs de manière cohérente et conforme aux définitions et aux interprétations établies? Certains offices des brevets ont adopté des lignes directrices pour la recherche et l'examen afin de faciliter le travail des examinateurs et d'assurer la qualité des brevets délivrés. Ces lignes directrices doivent être revues et mises à jour régulièrement. L'OMPI a publié une série de liens permettant d'accéder rapidement aux directives établies par différents offices des brevets.19L'Argentine a adopté en mai 2012 des lignes directrices destinées aux examinateurs de brevets fondées sur des critères analogues à ceux de la section 3 d) de la Loi de l'Inde sur les brevets de 1970.20Les offices des brevets doivent en outre assurer la formation régulière des examinateurs et maintenir une infrastructure de soutien (par exemple des bases de données sur l'état antérieur de la technique).

Encadré 3.16. Comment l'Inde définit et applique les critères de brevetabilité

Lorsqu'elle a révisé sa législation sur les brevets pour se conformer à la prescription de l'Accord sur les ADPIC selon laquelle les produits pharmaceutiques doivent être brevetables, l'Inde a adopté des critères spécifiques de brevetabilité pour les produits chimiques en ajoutant la section 3 d) dans sa Loi sur les brevets (Loi de 2005 portant modification de la Loi sur les brevets). Selon cette section, "la simple découverte d'une nouvelle forme d'une substance connue qui ne se traduit pas par une amélioration de l'efficacité connue de cette substance ou la simple découverte d'une propriété nouvelle, ou d'une nouvelle utilisation d'une substance connue, ou la simple utilisation d'un procédé, d'une machine ou d'un dispositif connus, à moins que cette dernière ne débouche sur un nouveau produit ou n'emploie au moins un nouveau réactif" n'est pas considérée comme une invention et n'est donc pas brevetable.

En 2007, l'Office indien des brevets, suite à l'opposition exprimée par une organisation de malades, a refusé un brevet à un laboratoire pharmaceutique pour son médicament anticancéreux imatinib mesylate en se fondant sur la section 3 d) pour dire que la forme cristalline bêta de l'imatinib mesylate était une nouvelle forme d'une substance connue qui n'améliorait pas son efficacité. Le laboratoire a engagé deux procédures pour contester la décision de l'Office des brevets. Dans la première, il a allégué que l'imatinib mesylate satisfaisait aux critères de brevetabilité de la Loi indienne sur les brevets car il améliorait l'efficacité d'une substance connue. Dans la seconde procédure, le laboratoire a fait valoir que la section 3 d) n'était pas conforme à l'Accord sur les ADPIC et violait la Constitution indienne. Le 6 août 2007, la Haute Cour de Madras a décidé qu'elle n'était pas l'instance appropriée pour examiner la conformité de la loi avec l'Accord sur les ADPIC et elle a rejeté l'allégation relative à la constitutionnalité de la loi. Le 6 juin 2009, la Commission d'appel de la propriété intellectuelle de Chennai a rejeté la plainte contre l'Office indien des brevets. Le demandeur du brevet a fait appel de ce jugement auprès de la Cour suprême, dont la décision est en instance. Cette décision devrait avoir des conséquences importantes pour la fourniture de médicaments génériques provenant d'Inde dans l'avenir (ONUSIDA/OMS/PNUD, 2011).

Dans deux autres affaires, en 2008 et 2009, l'Office indien des brevets a appliqué l'interprétation de l'"efficacité" donnée par la Haute Cour de Madras pour rejeter des demandes de brevets portant sur la formule de deux médicaments existants contre le VIH/SIDA, dont l'un était une suspension à usage pédiatrique d'hémihydrate de névirapine et l'autre, le ténofovir disoproxil.

Une question qui a été soulevée est de savoir si la tâche de vérifier si une innovation incrémentale, qui satisfait par ailleurs aux critères de brevetabilité, apporte des avantages thérapeutiques ou empêche la concurrence doit incomber à l'office des brevets ou devrait plutôt être confiée aux autorités de la concurrence ou aux autorités sanitaires (Yamane, 2011).

Laissant de côté la question de la brevetabilité, il faut noter que l'octroi d'un brevet sur une amélioration incrémentale d'un produit pharmaceutique est indépendant du brevet délivré pour le produit d'origine. Plus précisément, il ne prolonge pas la durée de validité du premier brevet. Le nouveau brevet couvrira la forme améliorée du médicament, mais la protection de la version d'origine prendra fin à l'expiration du premier brevet.

(d) Stratégies de dépôt de brevets dans le secteur public et le secteur privé, et exercice des droits de brevet

Indépendamment des dispositions du droit national et international et de leur interprétation par les tribunaux, les stratégies des demandeurs de brevets peuvent avoir un effet déterminant sur l'innovation et l'imitation dans le domaine des technologies médicales. Le dépôt d'une demande de brevet implique une série de décisions concernant l'invention pour laquelle un brevet est demandé, l'objectif pratique de la demande, la juridiction dans laquelle elle est déposée, au nom de qui elle est déposée, avec quels fonds et à quel moment.

Les facteurs déterminant la décision de déposer ou non une demande de brevet ont trait notamment à la question de savoir si la technologie est une meilleure solution que toute autre option disponible, à la taille du marché potentiel pour cette technologie et à la concurrence probable. Pour les chercheurs du secteur public, notamment dans le domaine de la santé, il s'agit surtout de savoir si la décision de breveter ou non la technologie contribuerait aux objectifs institutionnels ou politiques de leur établissement de recherche, et si un brevet aiderait à trouver des partenaires appropriés pour le développement du produit en aval. Les capitaux requis pour poursuivre le développement de la technologie jusqu'à l'obtention d'un produit médical doivent être pris en considération, de même que la nécessité d'obtenir une licence pour toute autre technologie propriétaire, le coût du respect des prescriptions réglementaires, et la possibilité d'attirer des investisseurs ou des partenaires pour financer ou codévelopper le produit si ces exigences ne peuvent pas être satisfaites en interne.

Du point de vue de l'inventeur, il se peut que la protection par un brevet ne soit pas la meilleure stratégie si le secret peut être maintenu et si la technologie ne peut pas faire l'objet d'une ingénierie inverse. De même, le brevetage n'est pas la meilleure stratégie si les concurrents peuvent développer facilement des alternatives à l'invention brevetée (autrement dit, s'ils peuvent la contourner) ou s'il est difficile de vérifier s'ils utilisent la technologie sans autorisation.

Les stratégies de dépôt de demandes de brevets déterminent aussi le pays ou le territoire où la protection sera demandée. Des redevances doivent être payées pour l'octroi et le maintien en vigueur de chaque brevet dans chaque pays ou territoire, ce qui peut être coûteux et ne pas être justifié sur des marchés où le brevet ne sera probablement pas exploité. Le Traité de coopération en matière de brevets (PCT) permet de déposer une seule demande de brevet valable pour tous les États parties au traité. Dans la mesure où l'examen d'une demande au niveau national n'a lieu qu'au cours de la phase nationale ultérieure, les demandeurs de brevets peuvent mettre à profit la phase internationale pour déterminer dans quels pays parties au PCT ils demanderont la protection par brevet. D'après une enquête de l'OMPI sur les stratégies de dépôt de brevets, réalisée en 2009 et en 2010 (OMPI, 2011b), les entreprises pharmaceutiques interrogées ont déclaré qu'elles s'attendaient à une légère augmentation du nombre de demandes de brevets déposées dans le cadre du PCT et dans leur propre pays entre 2009 et 2010. En revanche, elles s'attendaient à une forte augmentation des demandes de brevets déposées à l'étranger.

Les stratégies de dépôt de brevets peuvent être offensives ou défensives. Une stratégie offensive vise à obtenir des droits exclusifs sur une technologie afin de tirer des bénéfices économiques de l'utilisation exclusive de la technologie brevetée, ou d'accords de licence. Une stratégie défensive vise uniquement à protéger la liberté d'exploitation de l'inventeur ou du titulaire du brevet utilisant sa propre technologie, en évitant qu'un concurrent obtienne des droits exclusifs sur cette technologie. De même, les détenteurs de brevets peuvent renoncer publiquement ou formellement à leurs droits, ou accorder une licence libre de redevances, ou encore déclarer qu'ils ne feront pas valoir les droits conférés par certains brevets obtenus sur certains territoires, pour certains usages ou en général.21

Il existe des différences entre les stratégies de brevetage du secteur privé et du secteur public. Les entités privées – qui sont pour la plupart des sociétés cotées en bourse ou entreprises à capitaux privés – cherchent à générer un retour sur l'investissement de leurs actionnaires. En revanche, les entités publiques ou d'intérêt public se consacrent généralement à la recherche pour servir un intérêt public général ou spécifique, et ne fabriquent pas des produits commerciaux. Elles possèdent un portefeuille de brevets plus petit, contenant généralement des revendications plus larges sur des résultats essentiels de la recherche en amont. Ces brevets peuvent être cédés à des entreprises privées ayant la capacité de poursuivre la R‑D, ce qui peut aboutir à la fourniture de nouveaux produits au public et peut aussi générer des recettes pour les entités publiques.

Certains pays ont adopté des politiques visant à encourager les instituts de recherche et les universités à prendre des brevets sur des inventions issues de la recherche financée par des fonds publics. L'exemple le plus connu de ce type de politiques est la Loi Bayh‑Dole de 1980 des États‑Unis. Cela a encouragé l'adoption de lois analogues dans d'autres pays, comme en Afrique du Sud, la Loi de 2008 sur les droits de propriété intellectuelle provenant de la recherche et du développement financés par des fonds publics et, aux Philippines, la Loi de 2009 sur le transfert de technologie (voir l'encadré 3.17). Ces politiques, conjuguées à une tendance générale à la gestion plus active des technologies créées grâce à la recherche financée par des fonds publics, conduisent à l'accumulation progressive de portefeuilles de brevets détenus par le secteur public, notamment de brevets sur des technologies d'amont essentielles, qui servent de base à nombre de nouvelles technologies médicales.

Les PDP axés sur la R-D de nouveaux produits destinés à répondre aux besoins de santé négligés peuvent également adopter des stratégies différentes en matière de dépôt de brevets et de gestion de la propriété intellectuelle (voir le chapitre III, section C.4).

4. Questions postérieures à la délivrance des brevets: questions relatives à l'exploitation des brevets

Une fois qu'un brevet a été délivré, certaines considérations d'ordre juridique et pratique déterminent l'influence et l'impact qu'il aura sur le développement et la diffusion de la technologie brevetée. Il s'agit notamment des options pour déterminer la portée juridique des droits conférés par le brevet, et des méthodes de cession de ces droits. Cette section présente les considérations les plus pertinentes pour le développement de produits.

Encadré 3.17. La Loi des Philippines de 2009 sur le transfert de technologie

Reconnaissant l'importance de la science, de la technologie et de l'innovation pour le développement et le progrès, cette loi a pour objectif déclaré de "promouvoir et faciliter le transfert, la diffusion ainsi que l'utilisation, la gestion et la commercialisation efficaces de la propriété intellectuelle, de la technologie et des connaissances issues de la R‑D financée par l'État dans l'intérêt de l'économie nationale et des contribuables" (section 3). Les DPI résultant de la recherche financée par l'État et les recettes provenant de leur commercialisation appartiennent en règle générale à l'institut de R‑D chargé de la recherche. Toutefois, les organismes publics de financement peuvent être autorisés à utiliser l'invention protégée dans des cas d'extrême urgence ou pour des raisons d'intérêt général, notamment de santé publique. Il est explicitement demandé aux instituts de R‑D qui bénéficient de fonds publics d'identifier, de protéger et de gérer les DPI générés par leurs activités et d'assurer l'exploitation commerciale de l'invention, notamment par l'établissement d'entreprises dérivées (section 8 a) et k)). Les instituts de R‑D sont aussi encouragés à établir leurs propres bureaux de concession de licences de technologie (section 20).22  

(a) Outils de recherche

Les inventions biotechnologiques brevetables ne sont pas nécessairement des produits finals tels que de nouveaux médicaments, mais peuvent être des outils de recherche "en amont" indispensables pour le développement de produits pharmaceutiques "en aval". Ces outils de recherche peuvent être des objets ou des procédés destinés à être utilisés en laboratoire. Lorsque les technologies comprennent des séquences d'ADN, les chercheurs en génétique n'ont souvent aucun moyen de les contourner. Par exemple, les étiquettes de séquences exprimées sont des petits fragments de gène qui peuvent servir à identifier des gènes inconnus et à localiser leur emplacement dans un génome. La réaction en chaîne à la polymérase est un outil de recherche bien connu qui est utilisé pour amplifier de petits segments d'ADN. Un brevetage large de ces types d'inventions peut désavantager ceux qui souhaitent s'en servir pour développer d'autres produits, alors que des revendications plus étroites peuvent faciliter leur utilisation en aval.

C'est pour ces raisons que la Suisse, pays doté d'une importante industrie pharmaceutique basée sur la recherche, a institué un droit de licence non exclusive pour l'utilisation des outils de recherche, par exemple pour la prolifération cellulaire dans le domaine de la biotechnologie.23

(b) Exception pour la recherche

Une exception pour la recherche ou pour l'utilisation expérimentale est l'une des "exceptions limitées" les plus courantes aux lois nationales sur les brevets, conformément à l'article 30 de l'Accord sur les ADPIC. Un Groupe spécial de l'OMC l'a définie comme étant "l'exception en vertu de laquelle l'utilisation du produit breveté à des fins d'expérimentation scientifique, pendant la durée du brevet et sans le consentement du titulaire, n'est pas une contrefaçon".24De nombreux pays prévoient différents niveaux d'exception pour des actes effectués à des fins expérimentales ou pour la recherche scientifique. Un rapport du Comité du développement et de la propriété intellectuelle de l'OMPI identifie 98 exemples.25Certains pays limitent l'exception aux actes accomplis sans but lucratif ou commercial. Cette exception permet aux chercheurs d'examiner les inventions brevetées et de chercher des améliorations sans craindre de porter atteinte au brevet. En général, l'exception pour la recherche s'applique à la recherche sur une invention brevetée, visant, par exemple, à explorer les effets inconnus de l'invention ou à la développer davantage. De nombreux pays n'appliquent pas l'exception pour la recherche aux recherches effectuées avec l'invention brevetée, ce que font les chercheurs en aval quand ils utilisent des outils brevetés pour la recherche génétique.

Ainsi, dans le droit suisse des brevets, la recherche à des fins commerciales ou non commerciales est autorisée à condition que l'objectif de cette recherche soit d'obtenir de nouvelles connaissances sur l'invention brevetée (article 9 G b de la Loi suisse sur les brevets).26Au Brésil, la législation sur les brevets exempte les actes accomplis par des tiers sans l'accord du titulaire du brevet, à des fins expérimentales en rapport avec des études ou des recherches scientifiques ou technologiques.27L'Accord de Bangui dispose que "les droits découlant des brevets ne s'étendent pas … aux actes relatifs à une invention brevetée accomplis à des fins expérimentales dans le cadre de la recherche scientifique et technique". Les auteurs d'une étude estiment qu'en l'absence de termes restrictifs, les dispositions de ces instruments protègent pratiquement toutes les activités de recherche scientifique et technologique contre la contrefaçon de brevets.28

D'autres juridictions admettent les exceptions pour recherche sous réserve de certaines limitations. Ainsi, aux États‑Unis, la Cour d'appel du circuit fédéral a soutenu, dans l'affaire Madey contre Duke University29, que l'utilisation d'un brevet sans le consentement du titulaire du brevet pour servir "les intérêts commerciaux légitimes du contrevenant" devait être considérée comme une atteinte à un brevet. D'autres lois nationales sur les brevets distinguent les activités de recherche et d'expérimentation menées à des fins commerciales ou non commerciales.

Les réponses à un questionnaire des États membres et des bureaux régionaux de l'OMPI fournissent des renseignements sur les diverses pratiques nationales concernant les exceptions pour l'utilisation expérimentale et la recherche scientifique.30

Dans les juridictions où l'exception générale pour la recherche n'est pas suffisamment large pour permettre une recherche de suivi, par exemple avec un outil de recherche breveté, le chercheur doit obtenir une licence à des conditions qui doivent être convenues d'un commun accord. Il se peut que le régime de licences obligatoires permette cette recherche en aval, sous réserve du respect des dispositions de la législation nationale.31

(c) Licences et cession de brevets dans le contexte de l'innovation

Bien souvent, le détenteur d'un brevet ne dispose pas des ressources nécessaires pour exploiter une invention et pour passer du stade de la recherche en laboratoire à celui de la mise sur le marché d'un produit. Pour développer un produit, il faut posséder les compétences, les installations et les capitaux nécessaires pour poursuivre la recherche; il faut effectuer des tests et des essais et organiser la production; il faut ensuite obtenir une approbation réglementaire, et enfin, il faut fabriquer, commercialiser et distribuer le produit final. L'ingéniosité d'une invention et l'avantage concurrentiel qu'elle procure ne suffisent pas à garantir le succès. Dans ce cas, le titulaire du brevet – qu'il appartienne au secteur public ou au secteur privé – doit examiner s'il est dans son intérêt de céder la technologie ou de concéder une licence à une autre partie qui a les moyens de la développer. Chaque option offre différents degrés de contrôle sur la technologie et peut assurer différents niveaux de rentabilité et différents avantages sanitaires.

La cession d'un brevet peut consister en une vente ou en un transfert sans compensation, par exemple à un PDP. Elle implique une perte de contrôle sur la technologie. En général, la cession dans les premières étapes de la R‑D est moins rentable qu'à un stade ultérieur, car le cessionnaire assume alors plus d'incertitude et de risque. Le cédant peut être obligé de fournir des conseils techniques pendant une certaine période.

Les licences de brevet ont une portée variable. Une licence exclusive garantit au preneur de licence qu'il ne sera pas exposé à la concurrence au cours de la production et de la distribution du produit, pas même de la part du donneur de licence. Les licences peuvent être limitées à un territoire particulier et elles peuvent aussi autoriser ou interdire les sous‑licences. Une licence non exclusive permet au donneur d'accorder des licences à d'autres parties sur le territoire contractuel.

Les licences peuvent également être limitées à certains domaines d'utilisation. Cela permet de céder une licence pour le même brevet ou des brevets connexes à différentes parties dans différents domaines. Les brevets portant sur des technologies médicales se prêtent souvent à des licences limitées à un domaine d'utilisation, parce que ces technologies ont souvent des usages multiples. Par exemple, une même technologie peut être utilisée à des fins diagnostiques ou thérapeutiques pour la même maladie ou pour différentes maladies. La licence limitée à un certain domaine laisse au titulaire du brevet plus de liberté pour céder le brevet à d'autres parties pour d'autres domaines d'utilisation et en tirer plus de profit. Les licences peuvent aussi prévoir la commercialisation de composés supplémentaires ou l'utilisation dans d'autres domaines, ce qui permet au preneur de licence de développer d'autres produits. La rémunération que le donneur de licence obtient du preneur dépend de l'objectif poursuivi par chacun d'eux, du degré d'exclusivité, de l'étendue du territoire contractuel, des restrictions d'utilisation, des options prévues dans la licence et de sa durée, ainsi que de la valeur de la technologie. Il est possible en outre de partager volontairement la technologie sans contrat de licence formel.

La stratégie d'une entité en matière de licences porte à la fois sur ses apports et sur ses résultats dans le processus de développement d'un produit. La stratégie consiste à déterminer, conformément aux objectifs globaux de l'entité, quels modèles de licences appliquer, et dans quel but. La gestion de la propriété intellectuelle dans l'intérêt général peut stimuler l'innovation par l'octroi de licences non exclusives ou, si une licence exclusive est nécessaire pour encourager la poursuite du développement, elle peut restreindre le domaine d'utilisation de la licence afin de réserver les autres domaines de la recherche pouvant utiliser la même technologie, ou tous les usages non commerciaux.

(d) Les brevets dans les accords de R-D et les autres formes de collaboration

Le développement des technologies médicales passe par diverses formes de collaboration qui ont des implications sur l'accès à ces technologies après la délivrance des brevets. À une extrémité, la recherche publique traditionnelle place tous les résultats dans le domaine public, où ils peuvent être utilisés librement par tous ceux qui participent à la mise au point de produits. À l'autre extrémité, il y a le modèle conventionnel de l'entreprise privée verticalement intégrée, qui procède à la R‑D en interne en exerçant des droits d'exclusivité pour empêcher l'utilisation des résultats par des tiers, de manière à défendre les intérêts commerciaux de l'entreprise. Rares sont les entreprises pharmaceutiques qui ont encore la capacité d'opérer de façon pleinement intégrée et exclusive.

Entre ces deux extrêmes, il y a de nouvelles formes de collaboration commerciale qui combinent différents intrants pour fournir un produit complexe, comme un nouveau médicament ou un nouveau vaccin. Dans le domaine de la biotechnologie, il est fréquent que plusieurs donneurs de licences et autres titulaires de droits interviennent avant la mise sur le marché du produit final. Les droits de brevet peuvent également être exploités par d'autres moyens non conventionnels, par exemple en permettant l'accès aux améliorations et aux développements de technologies sous licence, par le biais du libre accès et de communautés de brevets pour la santé publique, ou de communautés de brevets commerciaux qui permettent aux concurrents de développer des produits sur la base de plates‑formes technologiques préconcurrentielles (voir l'analyse des structures de l'innovation au chapitre III, section B.4 e), ci‑dessus).

(e) Maquis de brevets

Il n'existe pas de définition communément admise de l'expression "maquis de brevets". Selon un auteur, elle désigne "un réseau dense de droits de propriété intellectuelle à travers lequel une entreprise doit se frayer un chemin pour pouvoir commercialiser une nouvelle technologie" (Shapiro, 2000). Dans cette situation, la multiplicité des droits de brevet détenus par différentes parties doit être prise en compte par les concurrents et par les nouveaux arrivants sur un marché dans un domaine technologique donné. Cela peut les obliger à négocier des accords de licence multiples, ce qui peut soulever des difficultés et entraver la mise en œuvre d'un projet.

Il existe un maquis de brevets pour des technologies complexes, comme les technologies de l'information et de la communication (TIC) et les produits pharmaceutiques. Le phénomène peut se produire dans les domaines techniques où plusieurs entreprises entrent en concurrence sur le même segment et où il se produit une fragmentation de la titularité des brevets. Les maquis de brevets soulèvent un certain nombre de problèmes, notamment la forte densité des brevets, qui peut faire obstacle à la R‑D; les coûts élevés, voire excessifs, des licences; le refus des titulaires de brevets d'accorder une licence; et les difficultés liées au contournement des brevets (IPO, 2011).32

Une solution proposée consiste en accords de licence croisés. Mais certains ont fait valoir que cette mesure risquait d'aggraver le problème car elle pourrait amener les entreprises concurrentes à demander un plus grand nombre de brevets pour renforcer leur pouvoir de négociation. Les communautés de brevets ont également été suggérées comme un moyen de réduire les coûts de transaction.33

Les études empiriques sur les maquis de brevets donnent des résultats très variés. D'après l'une d'elles, 3% des chercheurs universitaires travaillant dans le domaine biomédical avaient abandonné un projet au cours des trois années précédentes en raison du trop grand nombre de brevets portant sur leur domaine de recherche. Cette étude a révélé que l'accès à l'investissement matériel en recherche était plus problématique, 20% des demandes intra‑universitaires étant refusées.34D'après une autre étude, 40% des chercheurs interrogés – dont 76% des chercheurs en biosciences ayant répondu à l'enquête – considéraient que leurs travaux souffraient des difficultés d'accès aux technologies brevetées. Parmi ces chercheurs, 58% ont signalé des retards et 50% des modifications de leurs projets de recherche, et 28% ont dit avoir abandonné leurs travaux de recherche. Le plus souvent, la modification ou l'abandon d'un projet de recherche était dû à la trop grande complexité de la négociation de contrats de licence (58%), suivie par le niveau élevé des redevances individuelles (49%).35

Dans le domaine pharmaceutique, une étude de la Commission européenne utilise également l'expression "maquis de brevets" pour désigner une stratégie des laboratoires de principes consistant à déposer une multiplicité de brevets pour le même médicament, de manière à retarder ou bloquer la mise sur le marché de médicaments génériques (Commission européenne, 2009).

(f) Cartographie des brevets et technologies médicales

L'expression "cartographie des brevets" est utilisée dans cette étude pour désigner un rapport analysant et illustrant la situation des brevets ou une activité de brevetage dans un domaine technologique particulier, sur la base de critères prédéfinis et de questions concrètes. Il n'existe pas de définition communément admise de cette expression, ni du contenu de ce type de rapport. Il peut s'agir d'une liste exhaustive des demandes de brevets ou des brevets trouvés, ou d'un rapport plus élaboré contenant des analyses et des illustrations.

Un rapport cartographique a plus d'intérêt s'il permet de visualiser les résultats et les conclusions tirées des observations empiriques. La cartographie des brevets peut donc être utile pour l'examen des politiques à mener, la planification de la recherche stratégique ou le transfert de technologie. Elle ne fournit cependant qu'une vue instantanée de la situation des brevets au moment où l'enquête a été effectuée.

La première étape de la cartographie consiste généralement en une recherche minutieuse sur les demandes de brevets/les brevets dans le domaine technologique considéré. L'étape suivante consiste normalement à identifier les membres de la famille de brevets pertinente. Les résultats sont ensuite analysés, par exemple pour répondre à des questions précises, comme celles qui concernent les grandes tendances du brevetage (Qui dépose les demandes? Quel est l'objet des demandes et où celles‑ci sont‑elles déposées?) ou certains schémas d'innovation (tendances de l'innovation, diversité des solutions à un problème technique, coopération entre chercheurs). L'analyse ultérieure des observations peut conduire à diverses conclusions ou recommandations.

Certains rapports cartographiques vont plus loin et examinent la situation juridique des demandes de brevets/des brevets, indiquant par exemple si les demandes ont abouti à la délivrance de brevets et si ceux‑ci sont encore en vigueur. Toutefois, les rapports portent rarement sur les aspects juridiques car ces renseignements sont généralement difficiles à obtenir vu qu'ils ne sont pas recueillis systématiquement et conservés dans une base de données unique.36De plus, la situation juridique peut changer à tout moment. Il est cependant essentiel de déterminer la situation juridique pour une analyse de la liberté d'exploitation (FTO).

L'OMPI a dressé la liste des rapports cartographiques sur les brevets dans différents domaines techniques qui ont été publiés par des organisations internationales, des offices nationaux de propriété intellectuelle, des organisations non gouvernementales et des entités privées.37

(g) Aperçu des questions relatives à la liberté d'exploitation

L'analyse de la liberté d'exploitation est liée à la portée des rapports de cartographie des brevets. Cette sous‑section analyse brièvement les questions soulevées dans cette analyse.38

(i) Définition de la liberté d'exploitation

L'évaluation de la liberté d'exploitation (FTO) est importante pour décider de lancer ou de poursuivre des projets de R‑D et d'utiliser ou de commercialiser de nouveaux produits. Cette évaluation repose sur un avis juridique sur le point de savoir si la fabrication, l'utilisation, la vente ou l'importation d'un produit donné n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle ou aux droits de propriété matérielle de tierces parties. Les décideurs utilisent une analyse FTO pour prendre des décisions en matière de gestion des risques concernant la R‑D, ainsi que le lancement et la commercialisation d'un produit. Toutefois, la FTO ne signifie pas qu'il n'y a aucun risque d'atteinte aux droits de propriété intellectuelle d'une autre partie. Il s'agit d'une évaluation relative fondée sur l'analyse et la connaissance de la cartographie de la propriété intellectuelle pour un produit donné, dans une juridiction particulière et à un moment donné.

(ii) Stratégies en matière de liberté d'exploitation

La décision d'entreprendre une analyse FTO et de demander un avis en la matière à un avocat ou à un conseil en brevets est fondée sur une évaluation préliminaire des risques. Les considérations relatives à la liberté d'exploitation sont pertinentes à tous les stades du cycle de développement d'un produit. Mais dans la pratique, il serait difficile d'effectuer une analyse FTO détaillée et d'obtenir un avis juridique en la matière pour chaque produit ou procédé dans les premières phases du processus. En effet, les caractéristiques détaillées du produit ne peuvent pas être connues de manière suffisamment détaillée et avec assez de certitude à ce stade. Par ailleurs, si une licence est demandée à un stade avancé du processus, on risque de ne pas l'obtenir, ou de devoir négocier dans des conditions défavorables et avec une marge de manœuvre réduite. De plus, on court le risque d'être impliqué dans une procédure pour atteinte à la propriété intellectuelle.

La négociation d'une licence est une façon simple d'obtenir le consentement du titulaire d'un droit en vue d'une activité commerciale. Cette approche peut présenter l'avantage de privilégier les intérêts mutuels dans une affaire, d'une manière bénéfique pour toutes les parties. Les licences peuvent contenir des renseignements supplémentaires, notamment du savoir‑faire, des données réglementaires, des secrets commerciaux et des marques de fabrique ou de commerce. Les accords peuvent prévoir des versements initiaux, des paiements d'étape, des redevances ou une combinaison des trois; ils peuvent aussi consister en accords de licence croisée, dans le cadre desquels les preneurs et les donneurs de licence s'accordent mutuellement certains droits. Les licences peuvent aussi prévoir – cela est même fréquent – une obligation de rétrocession pour les améliorations, des options sur les nouvelles inventions et le partage des nouvelles données. Ces options peuvent être particulièrement utiles si une collaboration à long terme est envisagée et si la poursuite de la recherche peut conduire à des améliorations de la technologie sous licence ou protégée.

Cependant, la négociation d'une licence n'aboutit pas toujours à l'accord souhaité, même si le preneur de licence potentiel a fait des efforts raisonnables pour obtenir la licence. Dans des situations de ce genre, une licence obligatoire est une voie à explorer.39

Au lieu de chercher à obtenir un accord de licence ou une licence obligatoire, on peut chercher à faire invalider le brevet "bloquant". Ce brevet peut en effet avoir été accordé à tort, auquel cas il peut être contesté et invalidé. Mais une action en justice peut être coûteuse et longue, et le résultat est souvent incertain.

Une autre option est de demander un pacte de non‑revendication en vertu duquel un détenteur de droits confirme dans une déclaration publique que les droits ne seront pas exercés dans certaines circonstances, dans certains domaines ou dans certains lieux. Un tel accord peut être particulièrement adapté dans le cas de licences "humanitaires" visant à répondre à des besoins socioéconomiques. Il présente en outre l'avantage de simplifier les questions de responsabilité du fait des produits (Krattiger, 2007a).

Au lieu d'utiliser les moyens juridiques disponibles, la société peut adapter le projet à la situation sur le plan de la propriété intellectuelle. Une option peut être de modifier le produit de telle sorte qu'il ne soit pas nécessaire d'obtenir une licence. Cette stratégie fonctionne s'il existe des variantes du produit et si les différentes options sont analysées au début du processus de R‑D (c'est‑à‑dire à un moment où il est plus facile de modifier le produit). L'absence d'autres options peut stimuler la recherche pour trouver une nouvelle solution pour le projet. Le contournement peut retarder le développement du produit mais peut aussi conduire à de nouvelles inventions – et même à de meilleurs produits – ce qui peut aboutir à un nouvel objet de propriété intellectuelle pouvant faire l'objet d'une licence croisée. Par ailleurs, le contournement d'un brevet peut augmenter les coûts.

L'examen des différentes options juridiques, financières et en matière de recherche peut amener à décider d'abandonner un projet. En revanche, la décision de ne pas tenir compte des brevets existants et d'attendre que le titulaire fasse valoir ou non ses droits peut entraîner des pertes financières supplémentaires – en particulier si une plainte en contrefaçon aboutit au paiement de dommages‑intérêts.

Enfin, les problèmes de liberté d'exploitation peuvent être résolus par la fusion‑acquisition des entreprises concurrentes.

Pour trouver une bonne stratégie afin de garantir la liberté d'exploitation, il faut examiner toutes les options et évaluer les risques liés à chaque option, compte tenu du contexte institutionnel, du type de produit et de la dynamique du marché. Dans la pratique, plusieurs options sont envisagées simultanément.

Un avis concernant la liberté d'exploitation donne seulement une image instantanée de la propriété intellectuelle pour un produit à un moment donné. La cartographie des brevets se modifie à mesure que des brevets sont demandés, délivrés, arrivent à expiration ou sont invalidés. De ce fait, les stratégies doivent être revues régulièrement et les tactiques doivent être adaptées en fonction des circonstances.


1. La question des objets brevetables est traitée au chapitre II, section B.1 b) iii). retour au texte

2. Voir www.globalmedicaltechnologyalliance.org/wp-content/uploads/GMTA_Patents_for_Medical_Devices_and_ Pharmaceuticals_Rev_FINAL_19_Mar_2012.pdfretour au texte

3. Journal officiel des Communautés européennes L 213/3 du 30 juillet 1998. retour au texte

4. USPTO, "Final Guidelines for Determining Utility of Gene‑Related Inventions", communiqué de presse, 4 janvier 2001. retour au texte

5. Document de l'OMPI WIPO/GRTKF/IC/1/6. retour au texte

6. La question de la nouveauté est traitée au chapitre II, section B.1 b) iii). retour au texte

7. Voir www.comunidadandina.org/ingles/normativa/D486e.htmretour au texte

8. Voir www.epo.org/lawpractice/legaltexts/epc.html retour au texte

9. Voir www.patentdocs.org/2012/03/supreme-court-remands­myriad-case.html retour au texte

10. Voir www.cafc.uscourts.gov/images/stories/opinions­orders/10-1406.pdf retour au texte

11. Voir www.patentdocs.org/2012/11/supreme-court-grants­cert-in-amp-v-myriad.html retour au texte

12. Voir www.supremecourt.gov/opinions/11pdf/10-1150.pdf retour au texte

13. G 0002/08 (Posologie/ABBOTT RESPIRATORY) du 19 février 2010. retour au texte

14. Voir www.epo.org/law-practice/legal-texts/html/guidelines/ e/g_vi_7_1.htmretour au texte

15. La question de l'activité inventive/non‑évidence est traitée au chapitre II, section B.1 b) iii). retour au texte

16. Voir http://ec.europa.eu/competition/sectors/ pharmaceuticals/inquiry/retour au texte

17. Voir www.ipmall.info/hosted_resources/crs/R40917_091113. pdfretour au texte

18. Pour plus de renseignements sur l'état antérieur de la technique, voir le chapitre II, note 67. retour au texte

19. Voir www.wipo.int/patentlaw/en/guidelines.htmlretour au texte

20. Résolutions conjointes 118/2012, 546/2012 et 107/2012 (Ministère de l'industrie, Ministère de la santé et Institut national de la propriété industrielle) du 5 mai 2012, publiées au Journal officiel du 8 mai 2012. retour au texte

21. Voir le chapitre IV, section C.3 d). retour au texte

22. Voir www.wipo.int/wipolex/en/details.jsp?id=9605retour au texte

23. Loi fédérale sur les brevets d'invention, article 40b, www.admin.ch/ch/d/sr/c232_14.htmlretour au texte

24. VoirCanada – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques (DS114). retour au texte

25. Document de l'OMPI CDIP/5/4, annexe II. retour au texte

26. Voir www.admin.ch/ch/d/sr/c232_14.htmlretour au texte

27. CNUCED/CICDD, "The Research and Experimentation Exceptions in Patent Law: Jurisdictional Variations and the WIPO Development Agenda", synthèse de la CNUCED numéro 7, 2010. retour au texte

28. Ibid. retour au texte

29. Madey contre Duke University, 307 F.3d 1351 (Fed.Cir. 2002). retour au texte

30. Voir www.wipo.int/scp/en/exceptionsretour au texte

31. Voir le chapitre IV, section C.3 a) ii) et iii). retour au texte

32. Document de l'OMPI SCP/12/3 Rev.2. retour au texte

33. Ibid. retour au texte

34. Voir www.nationalacademies.org/gateway/pga/3330.htmlretour au texte

35. Voir le document de l'OMPI SCP/12/3 Rev.2; et http://sippi.aaas.org/survey/retour au texte

36. Voir le chapitre II, section B.1 b) ix). retour au texte

37. Voir www.wipo.int/patentscope/en/programs/patent_landscapes/index.htmlretour au texte

38. Cette section est un résumé du chapitre 14.1, "Freedom to Operate, Public Sector Research and Product‑Development Partnerships: Strategies and Risk‑Management Options" de l'ouvrage IP Handbook of Best Practices (Krattiger et al. (eds.), 2007), qui peut être consulté à l'adresse www.iphandbook.org/handbook/ch14/p01retour au texte

39. Pour plus d'explications sur les licences obligatoires, voir le chapitre IV, section C.3 a) ii) et iii). retour au texte