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LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE: OMS-OMPI-OMC

Chapitre 4: Technologies médicales: problématique de l'accès

B. Déterminants de l'accès liés aux systèmes de santé

Principaux points

  • De nombreux pays développés ont recours à diverses mesures pour accroître la part de marché des génériques à un prix abordable afin de maîtriser les budgets de la santé. Les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire pourraient réaliser des économies supplémentaires en appliquant les mêmes mesures.
  • Les prix différenciés peuvent être utilisés à titre complémentaire pour améliorer l'accès, mais il reste essentiel que l'État s'engage à assurer l'accès aux médicaments à ceux qui n'ont pas les moyens d'en acheter.
  • Dans bien des pays, les médicaments sont encore assujettis à des impôts indirects – taxe d'achat, taxe sur les ventes ou taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – qui en augmentent le prix.
  • Les marges commerciales peuvent augmenter sensiblement le prix des médicaments et, de ce fait, elles ont un impact sur l'accès aux médicaments.
  • Les systèmes d'achat devraient être conçus de manière à obtenir des médicaments et d'autres produits médicaux de qualité, en temps voulu, dans les quantités requises et à un coût favorable. Les achats groupés peuvent aider à réaliser des économies.
  • L'information sur les brevets protégeant certains produits sur certains marchés peut faciliter l'achat de médicaments génériques.
  • Les tendances montrent que la production locale augmente et se diversifie dans certains pays à revenu faible ou intermédiaire, grâce aux efforts nationaux et aux nombreuses initiatives régionales et internationales. Du point de vue de la santé publique, il importe que les incitations ne soient pas axées uniquement sur le développement industriel.
  • La réglementation devrait favoriser l'accès aux technologies médicales et ne pas retarder inutilement l'arrivée des produits sur le marché.
  • Le Programme OMS de préqualification des médicaments a beaucoup facilité l'accès à des médicaments essentiels de qualité dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
  • Dans le secteur des dispositifs médicaux, le manque d'autorités de réglementation, de règlements et de moyens de les faire respecter a un impact négatif sur l'accès à des produits de qualité.
  • L'utilisation croissante de médicaments de qualité inférieure, faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits pose de graves problèmes de santé publique, en particulier dans les régions où les systèmes de réglementation et de répression sont faibles.
  • Les autres problèmes pour les systèmes de réglementation qui ont un impact sur l'accès sont notamment le manque de soutien politique et de ressources, l'absence de collaboration entre les organismes de réglementation, les doublons dans les inspections, l'accent mis sur la réglementation des produits sans surveillance effective de la chaîne d'approvisionnement, la faiblesse des systèmes de surveillance après la mise sur le marché, et le traitement inégal des produits locaux et des produits importés.

Différents facteurs déterminent l'accès ou l'absence d'accès aux médicaments ou aux autres technologies médicales, qui est rarement dû à un seul facteur. Les sections ci‑après examinent les principaux déterminants de l'accès liés à la santé, à la propriété intellectuelle et au commerce.

L'un des principaux déterminants de l'accès aux technologies médicales est l'existence d'un système de santé performant. Le système de santé englobe l'ensemble des organisations, des personnes et des ressources dont le but est d'améliorer, restaurer ou maintenir la santé (OMS, 2000a). L'OMS considère que le système de santé est un ensemble reposant sur six piliers qui permettent d'obtenir les résultats sanitaires souhaités en assurant une couverture universelle et un accès équitable à des soins de santé de qualité garantie et sûrs (voir la figure 4.4).

L'un des piliers de tout système de santé est l'accès équitable à des médicaments essentiels de bonne qualité, sûrs, efficaces et d'un bon rapport coût‑efficacité, et utilisés de manière scientifiquement rationnelle et économique (OMS, 2007). Les six piliers du système de santé sont tous interdépendants (voir la figure 4.4).

Cette section décrit certains des principaux déterminants de l'accès aux médicaments et aux technologies médicales en rapport avec les systèmes de santé. Elle explique l'importance du contrôle des prix des médicaments et montre comment les taxes, les droits et les marges élevées ajoutés aux prix des fabricants peuvent rendre le prix des médicaments inabordable. Une politique d'achat publique efficace peut aussi faciliter l'accès, de même que, dans certaines conditions, la production locale et le transfert de technologie associé. La dernière partie de la section examine la réglementation des médicaments et des technologies médicales, et explique pourquoi elle est importante pour garantir l'accès à des produits de qualité.

Source: OMS (2007).

1. Politique en matière de médicaments génériques, contrôle des prix et prix de référence

Les politiques en matière de médicaments génériques qui visent à accroître la part de marché des génériques bon marché, à contrôler les prix des médicaments et à réglementer le niveau de remboursement des frais médicaux sont des instruments indispensables pour maîtriser le budget de la santé et rendre les médicaments et les autres produits et services de santé plus abordables.

(a) Politiques en matière de médicaments génériques

L'utilisation des médicaments génériques ne cesse de progresser dans les pays en développement comme dans les pays développés en raison des contraintes économiques qui pèsent sur les budgets de la santé. De nombreux pays appliquent diverses mesures pour accroître la part de marché des génériques bon marché. Bon nombre des médicaments "vedettes" ne seront bientôt plus protégés par un brevet et l'on peut donc s'attendre à ce que la part de marché des génériques continue de croître dans les prochaines années.

Les politiques en matière de médicaments génériques concernent soit l'offre soit la demande (King et Kanavos, 2002).

(i) Mesures concernant l'offre

Les mesures concernant l'offre visent principalement les acteurs des systèmes de santé qui sont responsables de la réglementation et de l'enregistrement des médicaments, de la politique de la concurrence (politique antitrust), des droits de la propriété intellectuelle (DPI), de la politique des prix et de la politique de remboursement. Par le biais de ces mesures, les décideurs peuvent agir sur:

  • le délai d'examen des produits génériques par l'autorité de réglementation
  • la décision d'accorder un brevet en fonction de critères de brevetabilité bien définis
  • la relation entre l'autorisation de mise sur le marché et la protection par un brevet ("exception Bolar" et relation avec le brevet)
  • la protection des données d'essais cliniques contre la concurrence déloyale
  • la faculté pour le fabricant d'origine de prolonger la protection de la propriété intellectuelle, par exemple par l'extension de la durée de validité du brevet
  • la concurrence entre fabricants, et le suivi des accords entre les fabricants de princeps et les fabricants de génériques
  • les prix des produits génériques
  • le remboursement des médicaments

(ii) Mesures concernant la demande

En général, les mesures concernant la demande visent, entre autres, les professionnels de santé qui prescrivent les médicaments (les médecins habituellement), les personnes qui dispensent et/ou vendent les médicaments et les patients/consommateurs qui demandent des génériques. Ces mesures concernent généralement les activités qui ont lieu après que le fabricant d'origine a perdu l'exclusivité sur le marché et que des génériques ont été mis sur le marché.

Par l'application appropriée des mesures concernant la demande, les décideurs peuvent agir sur:

  • la prescription de versions génériques par les médecins en utilisant la désignation commune internationale (DCI)/nom générique et non le nom commercial
  • la délivrance des versions génériques par ceux qui dispensent et/ou vendent les médicaments
  • la confiance des prescripteurs, des distributeurs et des consommateurs dans la qualité des médicaments génériques
  • le mode de consommation des médicaments génériques dans le système de santé
  • la demande de médicaments génériques par le consommateur par sa participation plus élevée au paiement des produits princeps
  • la perception des médicaments génériques (les patients reconnaissent souvent que le recours aux génériques peut aider à réduire les coûts, mais beaucoup préfèrent quand même acheter les produits princeps).

Dans les pays à revenu élevé, la plupart de ces mesures interviennent dans le cadre du système d'assurance maladie, qui a des procédures de remboursement ou impose aux patients une participation financière plus élevée pour les inciter à préférer les génériques. Comme les facteurs contextuels qui influent sur les politiques en faveur des génériques sont différents dans les pays à revenu élevé et dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, il est difficile de dire quelles mesures peuvent être transposées avec succès des uns aux autres.

Deux conditions peuvent être nécessaires pour que les seconds puissent appliquer efficacement une politique en faveur des génériques:

  • Un mécanisme garantissant que les médicaments génériques sont de bonne qualité, ce qui suppose une réglementation efficace et, sans doute, un régime de marques performant.
  • Une offre solide de médicaments génériques qui assure la disponibilité de produits bon marché et de qualité garantie.

Dans de nombreux pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, les caractéristiques du système de santé donnent à penser que les mesures concernant la demande axées sur les consommateurs peuvent être plus importantes, car les patients doivent payer les médicaments de leur poche et ce sont eux qui choisissent les produits sans passer par un prescripteur.

(b) Contrôle des prix

Les fabricants de médicaments peuvent exploiter l'exclusivité sur le marché lorsque la demande reste relativement constante indépendamment de l'évolution des prix ("inélasticité de la demande"). Cela a amené de nombreux pays à réglementer les prix d'au moins une partie des produits pharmaceutiques, notamment ceux des produits brevetés. Le Canada et le Mexique, par exemple, ont mis en place un mécanisme d'examen des prix des produits pharmaceutiques brevetés pour qu'aucune couche de la population, assurée ou non, ne paye des prix excessifs. Dans la plupart des autres pays à revenu élevé, les systèmes d'assurance obligent les fabricants à accepter un plafonnement des prix en échange d'un financement par le biais du système de remboursement..1

Divers mécanismes de contrôle des prix ont été utilisés. Ils consistent, entre autres, à contrôler les marges des fabricants, à contrôler directement les prix, à comparer les prix à des prix de référence nationaux ou étrangers, à contenir les dépenses du côté des médecins en leur imposant des directives de prescription, à subordonner aux prix l'autorisation de mise sur le marché, et à limiter la promotion des médicaments. Les mesures de contrôle des prix ont parfois été contestées devant les juridictions nationales.

Le contrôle des prix peut être appliqué au niveau du fabricant, du grossiste ou du détaillant (voir l'encadré 4.4 sur les prix de référence et le contrôle des prix en Colombie). L'État peut fixer directement le prix de vente et interdire toute vente à un autre prix. Quand ils bénéficient d'une situation de monopsone (un seul acheteur), les pouvoirs publics peuvent aussi négocier directement des prix favorables avec les fabricants. La première méthode peut être fondée sur une estimation des coûts qui risque d'être inexacte, tandis que la seconde peut être plus efficace, en fonction du degré de monopsone de l'État. Au Canada, le Conseil d'examen des prix des médicaments brevetés (CEPMB) protège les intérêts des consommateurs en s´assurant que ces prix ne soient pas des prix excessifs. S'il estime que le prix est trop élevé, il peut en ordonner la réduction et/ou exiger le remboursement des recettes excessives (voir www.pmprb‑cepmb.gc.ca/).

L'État peut aussi fixer un prix de remboursement artificiellement bas pour un nouveau médicament, tout excédent étant à la charge du patient. Le prix de remboursement fonctionne alors comme un prix du marché de facto. Enfin, l'État peut abaisser régulièrement le taux de remboursement d'un médicament déjà commercialisé. Il s'agit d'interventions sur le marché, et les prix contrôlés devraient laisser une marge bénéficiaire raisonnable aux fournisseurs pour ne pas les contraindre à se retirer du marché.

Encadré 4.4. Prix de référence et contrôle des prix en Colombie 

En Colombie, la Commission nationale du prix des médicaments fixe au moins une fois par an des prix de référence pour tous les produits pharmaceutiques commercialisés dans le secteur public. Elle prend en compte pour cela le prix moyen sur le marché intérieur d'un groupe de produits homogène (composition, dosage et formule identiques). Si le prix appliqué est supérieur au prix de référence, il y a un contrôle direct du prix par la Commission qui fixe le prix de détail maximum.

Un contrôle direct des prix est également appliqué s'il y a moins de trois produits homogènes sur le marché. Dans ce cas, la Commission établit un prix de référence international (PRI) en comparant le prix du même produit dans au moins trois des huit pays de référence de la région (Argentine, Brésil, Chili, Équateur, Mexique, Panama, Pérou et Uruguay) et dans les pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Le prix le plus bas observé dans l'un de ces pays devient alors le prix de détail maximum en Colombie.

Le contrôle des prix a joué un rôle important dans le cas du lopinavir et du ritonavir, prescrits aux malades du VIH/SIDA en Colombie. En 2009, le Ministère colombien de la santé a rejeté une demande de licence obligatoire présentée en 2008 pour cause d'absence d'intérêt public. Comme ces médicaments figuraient sur la LME nationale, les assureurs avaient l'obligation de les rembourser aux patients, de sorte que le prix pratiqué par le détenteur des droits ne bloquait pas l'accès. Mais la Commission a décidé d'encadrer le prix de ces médicaments; celui‑ci a été fixé à 1 067 dollars EU pour le secteur public et à 1 591 dollars EU pour le secteur privé, ce qui représentait une réduction moyenne de 54% à 68% par personne et par an (Brazilian Interdisciplinary AIDS Association, 2009). Le détenteur des droits a fait appel de cette décision, mais son appel a été rejeté. En 2010, le fabricant du princeps a accepté de vendre le médicament au prix fixé par la Commission.

(c) Prix de référence

Un prix de référence peut être utilisé pour fixer ou négocier le prix réglementé au niveau national ou le taux de remboursement d'un produit pharmaceutique sur la base du (ou des) prix pratiqué(s) pour le même produit dans d'autres pays (prix extérieur) ou dans le même pays (prix intérieur). Le prix de référence détermine généralement le niveau de remboursement et il est utile surtout dans les pays qui ont un système fondé sur l'assurance maladie. La pratique est jugée moins restrictive que le contrôle direct des prix.

(i) Prix de référence extérieur

Le prix de référence extérieur ou international d'un produit pharmaceutique est le prix du même produit pratiqué dans plusieurs pays de référence (Espin et al., 2011). Il existe plusieurs méthodes pour choisir les pays de référence et pour calculer le prix de référence extérieur. Il y a aussi de nombreuses façons d'appliquer ce prix de référence. L'encadré 4.4 explique comment le prix de référence extérieur et le contrôle des prix fonctionnent en Colombie.

(ii) Prix de référence intérieur

Le prix de référence intérieur est déterminé en comparant les prix de médicaments identiques ou similaires dans le pays. Pour cela, on utilise le système de classification ATC (anatomique, thérapeutique et chimique), qui offre cinq niveaux de comparaison, depuis l'organe ou le système sur lequel le médicament agit jusqu'à la structure chimique (niveau ATC 5).2La méthode consiste à utiliser les prix de produits identiques (niveau ATC 5) ou similaires (niveau ATC 4), ou même de traitements thérapeutiques équivalents (qui ne sont pas nécessairement des médicaments) pour déterminer le prix.3Cette méthode est particulièrement utile lorsqu'il s'agit de princeps, qui sont généralement plus chers que les génériques, alors qu'ils contiennent les mêmes principes actifs.

(d) Évaluation des technologies de santé

Au cours des dernières années, un nombre croissant de pays ont introduit un système de financement lié à la performance, fondé sur l'évaluation des bénéfices médicaux et du coût‑efficacité des traitements, dans le but de contenir les coûts tout en améliorant les résultats sanitaires (Kanavos et al., 2010).

L'évaluation des technologies de santé est un processus pluridisciplinaire: des renseignements sur les aspects médicaux, sociaux, économiques et éthiques de l'utilisation des technologies de santé sont recueillis de manière systématique, transparente et objective pour aider à formuler des politiques de santé sûres et efficaces, axées sur le patient, qui visent à optimiser les résultats.4Cette évaluation ne porte pas seulement sur la sûreté ou l'efficacité d'un médicament, d'un dispositif médical ou d'une procédure clinique ou chirurgicale; elle porte aussi sur le rapport coût‑avantage et sur divers autres aspects de l'utilisation d'un produit ou d'une technologie médicale. Les évaluations des technologies de santé peuvent être très différentes, mais l'analyse coût‑avantage porte principalement sur l'efficacité clinique (comparaison avec les résultats d'autres technologies) et sur le coût‑efficacité (comparaison de l'amélioration des résultats sanitaires et du coût additionnel de la technologie). Cette dernière comparaison permet de déterminer si le coût est en rapport avec le résultat sanitaire, et si le produit médical devrait être fourni au patient (pour en savoir plus, voir Garrido et al., 2008). Il est encore impossible de dire dans quelle mesure l'évaluation des technologies de santé contribuera à la maîtrise à long terme des dépenses de santé.

(e) Limitations de volume

Les pouvoirs publics peuvent ainsi limiter le volume des ventes d'un nouveau médicament pour contrôler la quantité vendue. La France impose des conventions prix‑volume aux fabricants de nouveaux médicaments (OCDE, 2008). Un accord de ce type lie le prix remboursé d'un nouveau médicament à un seuil de vente en volume. Si ce seuil est franchi, le fabricant doit abaisser le prix ou verser une ristourne à l'État ou encore retirer le produit du marché. Les limitations de volume permettent au payeur de contrôler le coût maximum de l'introduction d'un traitement innovant et coûteux, et elles peuvent dissuader les industriels de promouvoir l'utilisation de nouveaux traitements coûteux.

2. Prix différenciés

La pratique des prix différenciés (aussi appelée "échelonnement des prix" ou "discrimination par les prix") consiste, pour une entreprise, à fixer des prix différents pour le même produit selon la catégorie d'acheteurs, alors que ces différences de prix ne s'expliquent pas par des différences de coût de production. Le critère peut être la zone géographique, le pouvoir d'achat ou le milieu socioéconomique. Comme elle amène à découper le marché en tranches ou en groupes, cette pratique est souvent appelée "échelonnement des prix". Cette discrimination par les prix n'est possible que si le marché peut effectivement être segmenté, afin d'éviter l'arbitrage (achat du produit sur le marché où le prix est plus bas et revente sur le marché où il est plus élevé).

L'échelonnement des prix peut être pratiqué de différentes façons. Les sociétés privées peuvent négocier des accords entre elles. Elles peuvent aussi négocier des rabais avec l'État ou dans le cadre d'achats en gros au niveau régional ou mondial et de licences de production pour tel ou tel marché. La segmentation du marché peut être opérée selon diverses stratégies commerciales (utilisation de marques, de licences, des formes galéniques ou de présentations différentes), ou par la gestion plus étroite de la chaîne d'approvisionnement par les acheteurs, et par un contrôle à l'importation dans les pays à revenu élevé et un contrôle à l'exportation dans les pays pauvres (voir dans l'encadré 4.5 l'exemple de l'emballage différencié à l'appui d'une stratégie de prix différenciés). En principe, la différenciation des prix peut rendre les médicaments plus abordables pour de plus larges segments de la population et peut aussi entraîner une augmentation des ventes au profit de l'industrie pharmaceutique (Yadav, 2010).

Mais cette stratégie atteint ses limites quand le prix que les patients peuvent payer devient inférieur au coût de production marginal. La différenciation des prix ne peut donc être qu'une mesure complémentaire, alors que l'engagement continu de l'État d'assurer aux pauvres un accès aux médicaments reste primordial (Yadav, 2010).

Les entreprises hésitent parfois à adopter une stratégie d'échelonnement des prix, craignant peut‑être que l'arbitrage entraîne une érosion des prix sur les marchés à revenu élevé. Elles hésitent aussi à pratiquer des prix différenciés pour les pays à revenu intermédiaire, car il peut leur être difficile ensuite de maintenir des prix plus élevés sur les marchés voisins ou dans les pays à revenu comparable.

La possibilité de différencier les prix dans un même pays en fonction des segments socioéconomiques, ainsi qu'entre le secteur public et le secteur privé, peut aider à surmonter ces difficultés. Il est difficile d'empêcher les produits moins chers de se retrouver sur les marchés privés à haut revenu, mais cela est peut‑être en train de changer. L'encadré 4.5 montre comment l'emballage différencié peut être utilisé pour séparer les marchés. Récemment, plusieurs entreprises axées sur la recherche ont mis en place des programmes pilotes appliquant des prix différenciés aux économies émergentes, y compris à l'intérieur de ces pays. Elles ont ensuite élargi ces programmes à un plus grand nombre de médicaments, comprenant des anticancéreux et des produits biologiques.5Cela montre que les entreprises s'efforcent d'adapter leur modèle de prix mondial unique à la réalité socioéconomique des économies émergentes, fondant ainsi leur modèle économique sur une autre équation volume‑prix.

Encadré 4.5. L'emballage différencié

 

En 2001, l'OMS et Novartis ont signé un mémorandum d'accord prévoyant la livraison, à prix coûtant, de l'association Artémether­Luméfantrine au secteur public des pays d'endémie palustre. Ces médicaments avaient un emballage différent de celui des produits destinés au secteur privé. L'OMS a collaboré avec Novartis pour mettre au point quatre packs de médicaments (pour quatre groupes d'âge), chacun contenant un pictogramme indiquant comment prendre les médicaments, afin d'améliorer l'observance du traitement dans la population illettrée. Dans un premier temps, ces packs ont été livrés aux services des achats de l'OMS, pour être ensuite mis à la disposition de l'UNICEF et, peu à peu, d'autres centrales d'achat qui n'approvisionnent que le secteur public. On constate que le passage de ces médicaments du secteur public dans le secteur privé est négligeable. L'apposition du logo "feuille verte" sur leur emballage facilite le suivi et le contrôle de la disponibilité et de la part de marché au point de vente.

Un autre exemple de prix différenciés est l'initiative Accélérer l'accès, partenariat créé en mai 2000 entre cinq organismes des Nations Unies (ONUSIDA, UNICEF, Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), Banque mondiale et OMS) et cinq entreprises pharmaceutiques. L'objectif était de remédier au manque de médicaments abordables et de soins contre le VIH/SIDA dans certains pays en développement (OMS/ONUSIDA, 2002). Les entreprises pharmaceutiques participantes ont accepté de faire don des produits et/ou de réduire fortement leur prix.

La pratique des prix différenciés est déjà bien établie sur le marché des vaccins, pour la plupart desquels il existe trois niveaux de prix dans les pays développés comme dans les pays en développement. Les fabricants appliquent le prix fort dans les pays à revenu élevé, le prix bas dans les pays désignés comme prioritaires par la GAVI, et le prix moyen dans les pays à revenu intermédiaire. La pratique est également répandue à l'intérieur des pays, notamment en Inde, où un fabricant vend son vaccin contre l'hépatite B à deux prix différents, le secteur public ne payant que la moitié du prix payé par le secteur privé.

3. Taxes

Si les médicaments sont souvent soumis à des taxes indirectes (taxe à l'achat, taxe sur les ventes ou TVA), les entités qui les produisent et les vendent peuvent aussi être assujetties à des impôts directs sur leurs revenus (tel l'impôt sur les sociétés). Les taxes augmentent le prix payé par le consommateur, affectant ainsi l'accès aux médicaments.

En 2010, la TVA sur les médicaments dans les pays à revenu élevé se situait entre 0% et 25% – sauf en Australie, au Japon et en République de Corée, où les médicaments sont exemptés de taxes. De même, des pays comme la Colombie, l'Éthiopie, le Koweït, la Malaisie, le Nicaragua, Oman, l'Ouganda, le Pakistan et l'Ukraine n'appliquent pas de TVA ni de taxe sur les ventes pour les médicaments. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire qui imposent des taxes sur les médicaments, le taux va de 5% à 34% environ; dans certains de ces pays, la taxation est encore plus complexe et variable, parfois avec plusieurs taxes au niveau fédéral et des États. De plus, les médicaments importés et les médicaments de fabrication locale sont parfois taxés différemment. L'étude conclut que les taxes intérieures comme la TVA et la taxe sur les ventes représentent souvent le tiers du prix final (Creese, 2011).

Certaines mesures fiscales peuvent servir à réduire le prix des médicaments (l'exemption de taxes au Pérou est examinée dans l'encadré 4.6). L'une de ces mesures consiste à supprimer les taxes sur les médicaments pour lesquels la demande est assez inélastique (les médicaments sont achetés quel que soit leur prix). Par exemple, en exonérant l'Oméprazole importé vendu dans les pharmacies privées, la Mongolie a fait baisser le prix de la boîte de 30 gélules de 5,91 dollars EU à 4,85 dollars EU, et, en supprimant la TVA de 12%, les Philippines ont ramené le prix d'une boîte de 10 comprimés de Co‑trimoxazole générique (480 mg) de 14,90 pesos à 13,30 pesos (Creese, 2011).

La modulation des taxes est une autre mesure qui peut améliorer l'accès aux médicaments. Il devrait être possible d'évaluer les effets des changements de taux qui améliorent ou réduisent l'accès et de proposer une adaptation de la politique fiscale en conséquence. En 2004, le Kirghizistan a réduit la TVA et la taxe régionale sur les ventes pour les médicaments, et, sous la pression d'un mouvement de défense des consommateurs, le Pakistan a tout simplement supprimé la taxe de 15% sur les ventes de médicaments. Bien que la modification des taxes ne puisse intervenir sans une réforme du régime fiscal national, l'impact de la mesure peut être considérable (Creese, 2011). La suppression des droits de douane, évoquée plus loin dans ce chapitre, est une mesure analogue qui peut avoir un effet direct sur les prix et l'accès. Mais dans un cas comme dans l'autre, il est important de s'assurer que les économies en résultant sont répercutées sur le consommateur, ce qui n'est pas toujours le cas, comme le montre l'exemple du Pérou (voir l'encadré 4.6).

Encadré 4.6. Pérou: exemption de taxes pour les médicaments contre le cancer et le diabète

En 2010 et 2011, le Pérou a mené deux études sur l'incidence de l'exemption de taxes sur le prix de certains médicaments anticancéreux et antidiabétiques. Pour 75% des 40 médicaments contre le diabète considérés, vendus sur le marché de détail, les sociétés n'avaient pas répercuté sur le prix de vente la baisse résultant de l'exemption. Dans le secteur public, c'était le cas pour 44% des médicaments considérés, et pour 56%, la baisse n'était répercutée que partiellement. Pour les médicaments non soumis à la concurrence, les prix n'avaient pas changé, ou avaient subi de fortes variations (jusqu'à 248%), en fonction de la quantité achetée.

Sur les cinq traitements anticancéreux examinés qui étaient vendus au détail avant et après l'introduction de l'exemption, le prix avait baissé pour deux d'entre eux, mais n'avait pas changé pour les trois autres (en d'autres termes, l'avantage escompté de l'exemption n'était pas répercuté).

Dans le secteur public, les prix de huit médicaments ont été examinés avant et après la mesure d'exemption. Pour quatre de ces produits, les fabricants n'avaient pas répercuté la mesure en abaissant les prix. Par contre, les prix avaient diminué pour les quatre autres. Après l'introduction de la mesure, les prix des six médicaments non soumis à la concurrence étaient restés stables. Les prix avaient baissé pour les deux médicaments qui avaient des concurrents sur le marché. Dans un des deux cas, la baisse avait été de 38%.6 

La réduction ou la suppression des taxes sur les médicaments peut aussi être associée à l'introduction ou à l'augmentation des taxes sur les produits nuisibles à la santé publique (tabac, alcool et "malbouffe"). Les partisans de ces taxes soutiennent que les recettes qu'elles procurent peuvent facilement contrebalancer, voire surpasser, le manque à gagner résultant de la réduction ou de la suppression des taxes sur les médicaments, ce qui est bien pour l'État et pour les individus (Creese, 2011). À leurs yeux, cette approche permettrait de lier l'augmentation des recettes et l'amélioration de l'accès aux médicaments.

4. Marges commerciales

La marge commerciale représente les charges additionnelles perçues par les différents acteurs de la chaîne d'approvisionnement afin de couvrir leurs frais généraux et leurs frais de distribution et de réaliser un bénéfice. Le prix d'un médicament comprend donc une marge qui a été ajoutée tout au long de la chaîne de distribution par les fabricants, les grossistes, les détaillants et les pharmaciens, et beaucoup d'autres acteurs (Ball, 2011). Comme les taxes, les marges contribuent au prix des médicaments et ont donc une incidence directe sur l'accès aux médicaments.

Dans le secteur public comme dans le secteur privé, les marges, notamment celles des grossistes et des détaillants, sont courantes dans la chaîne d'approvisionnement en médicaments. Une analyse secondaire des études de pays en développement effectuées conjointement par l'OMS et par Health Action International (HAI) montre que la marge peut aller de 2% dans un pays à 380% dans un autre (marge combinée de l'importateur, du distributeur et du grossiste) (Cameron et al., 2009). Il en ressort aussi qu'il y a une énorme différence entre le secteur public et le secteur privé pour ce qui est du pourcentage cumulé des marges (total des marges, du prix de vente du fabricant au prix final payé par le patient) (Cameron et al., 2009). Les marges sur les médicaments peuvent aussi varier selon qu'il s'agit d'un princeps ou d'un générique. En l'absence de réglementation appropriée, les marges peuvent accroître considérablement le prix à la consommation et, donc, avoir un impact considérable sur l'accès aux médicaments.

Dans les pays à revenu élevé, la réglementation des marges dans la chaîne d'approvisionnement en médicaments s'inscrit généralement dans une stratégie de prix globale concernant aussi le remboursement des médicaments (Ball, 2011). On a peu de données à ce sujet pour les pays à revenu faible ou intermédiaire. D'après les données concernant les indicateurs pharmaceutiques de l'OMS, environ 60% des pays à faible revenu encadrent les marges de gros ou de détail. Dans les pays à revenu intermédiaire, la réglementation dans le secteur public se situe à un niveau comparable (Ball, 2011).

La réglementation des marges peut avoir un effet positif sur l'accès aux médicaments, mais elle peut aussi avoir des effets négatifs (Ball, 2011). Comme elle réduit les marges des entreprises, certains médicaments risquent de ne plus être disponibles, ou de l'être en quantités réduites, ce qui peut limiter la concurrence par les prix.

5. Efficacité des mécanismes d'approvisionnement

L'approvisionnement efficace en produits médicaux exige une coordination systématique entre plusieurs éléments: opérations des entreprises, technologie de l'information, assurance de la qualité, sécurité et gestion des risques, et système juridique. De plus, il importe de pouvoir maîtriser les coûts par l'examen régulier des modèles d'achat, le suivi des prix et la tenue de registres, afin de prendre des décisions en connaissance de cause (Ombaka, 2009).

(a) Principes directeurs

Les systèmes d'achat sont conçus pour obtenir des médicaments de qualité, au moment voulu, dans les quantités nécessaires et à un prix favorable. L'OMS a élaboré pour les achats une série de principes directeurs dont le but est d'améliorer l'accès aux médicaments grâce à des prix plus bas et à un approvisionnement continu (OMS, 2001c). Ces principes sont les suivants:

  • Répartir les fonctions et responsabilités en matière d'achats (choix, détermination de la quantité, spécification du produit, présélection des fournisseurs et passation des marchés) entre différentes parties et faire en sorte que chacune dispose des compétences et des ressources nécessaires pour s'acquitter de sa tâche.
  • Assurer la transparence des procédures d'achats et d'appel d'offres, et suivre les procédures écrites et utiliser des critères précis pour passer les marchés.
  • Disposer d'un système d'information de gestion fiable permettant de planifier et de suivre les achats, y compris au moyen d'un audit externe annuel.
  • Limiter les achats du secteur public aux produits figurant sur la liste des médicaments essentiels ou sur une liste du formulaire national/local.
  • Veiller à ce que les documents relatifs aux achats et aux appels d'offres utilisent la dénomination commune internationale (DCI) ou le nom générique des médicaments.
  • Déterminer les quantités commandées en fonction de la consommation passée, à condition que les données soient exactes. Les données sur la consommation doivent être constamment mises à jour pour tenir compte de l'évolution de la morbidité, des facteurs saisonniers et des schémas de prescription.
  • Financer les achats au moyen de mécanismes fiables, comme des comptes décentralisés ou des fonds renouvelables. Dans chaque cas, le mécanisme lui‑même doit être convenablement financé.
  • Acheter les quantités les plus importantes possibles pour réaliser des économies d'échelle.
  • Pour les achats destinés au secteur public, obtenir de bons prix sans compromettre la qualité.
  • Suivre le processus d'achat lorsque les prix sont négociés au niveau central mais que les commandes sont passées par les centres de santé de la périphérie.
  • Présélectionner les fournisseurs potentiels selon des critères tels que la qualité des produits, la fiabilité du service, les délais de livraison et la viabilité financière.
  • Contrôler la qualité des médicaments achetés conformément aux normes internationales.

Les Parties à l'Accord de l'OMC sur les marchés publics sont tenues de prévoir une procédure d'appel d'offres ouverte, non discriminatoire et transparente pour divers achats publics dans le secteur de la santé. D'autres indications sur la façon d'organiser l'achat efficace de technologies médicales peuvent être obtenues auprès de différentes sources. Le programme OMS de bonne gouvernance dans le secteur pharmaceutique offre un soutien technique pour lutter contre les pratiques contraires à l'éthique dans le secteur pharmaceutique public (OMS, 2010d). L'OMS a élaboré un système d'assurance‑qualité type pour les organismes d'achat (OMS, 2006a). La Banque mondiale a établi des directives contenant des documents d'appel d'offres types et une note technique à l'intention des organismes qui achètent des produits médicaux par voie d'appel à la concurrence internationale.7Dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA, ces directives ont été adaptées dans un guide distinct destiné aux décideurs.8

(b) Approvisionnement et information sur les brevets

Les systèmes d'approvisionnement doivent être conçus de manière à obtenir des médicaments et d'autres produits médicaux de qualité, en temps utile, dans les quantités requises et à un prix favorable. Le fournisseur est généralement censé veiller à ce que les droits sur les produits, y compris les DPI, soient respectés conformément aux spécifications du dossier d'appel d'offres et des contrats, mais les organismes acheteurs doivent aussi vérifier la situation des brevets sur les produits dès le début de la procédure. En effet, il faut du temps pour s'enquérir de la validité des brevets ou de l'état des négociations sur les prix ou les licences avec le détenteur du brevet, de la possibilité de recourir à une licence obligatoire ou d'une utilisation éventuelle par l'État concerné. Si ces renseignements ne sont réunis qu'à un stade avancé de la procédure, tout retard peut conduire à une rupture de stock. On reviendra sur la teneur et la source des renseignements en matière de brevets à la section B.1 b) viii) du chapitre II. Cette question a également fait l'objet d'un symposium technique conjoint OMS/OMPI/OMC intitulé "Accès aux médicaments, information en matière de brevets et liberté d'exploitation", tenu en février 2011.9

(c) Groupement des achats

L'achat groupé, encore connu sous l'expression "achat en gros", met en jeu "une centrale d'achat unique qui agit pour le compte d'un groupe d'installations, de systèmes de santé ou de pays" (MSH, 2012). Il s'agit d'une pratique qui peut permettre de se procurer des médicaments à meilleur coût et qui peut aider à surmonter les difficultés que rencontrent fréquemment les chaînes d'approvisionnement et les systèmes d'achat de médicaments essentiels, telles que la qualité insuffisante des produits.

Les économies d'échelle et les prévisions d'achat à long terme, qui sont courantes dans la plupart des systèmes d'achat du secteur public, permettent aux fournisseurs d'abaisser leurs prix. L'achat groupé dans le secteur de la santé revêt différentes formes dans les pays développés comme dans les pays en développement. Le secteur public et le secteur privé (un groupe d'hôpitaux privés partageant un système d'approvisionnement, par exemple) ont recours à ce mécanisme à plus ou moins grande échelle. Dans les pays à revenu élevé, les systèmes d'assurance et de remboursement soutiennent l'achat groupé de médicaments et de technologies médicales. Les pays à revenu faible ou intermédiaire sont de plus en plus nombreux à adopter cette pratique. En Inde et en Chine, les programmes qui visent à élargir l'accès aux soins de santé en témoignent. La plupart des pays bénéficient des avantages des achats centralisés dans le secteur public. De nombreux pays à faible revenu ont mis en place des centrales d'achat pour gérer les besoins groupés de leur système de santé; grâce à d'importantes commandes, ils peuvent réaliser des économies d'échelle et négocier les meilleurs prix. Un système d'achat groupé performant contribue à l'amélioration du contrôle de la qualité, des conditions de l'entreposage et de l'infrastructure de distribution pour gérer de gros volumes de médicaments et d'autres technologies médicales.

Les systèmes d'achat groupé performants permettent une baisse substantielle du prix unitaire des médicaments. On peut citer comme exemples le système de l'Organisation des États des Caraïbes orientales (OECO), le Fonds stratégique pour les fournitures de santé publique essentielles et le Fonds stratégique pour les vaccins de l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS), l'Association africaine des centrales d'achats de médicaments essentiels et le Programme d'achat groupé du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Monopsone public autofinancé, le système d'achat de l'OECO a toujours fait état d'importantes réductions du prix unitaire des médicaments. En 2001‑2002, une enquête annuelle portant sur 20 produits pharmaceutiques courants dans les Caraïbes orientales a montré que les prix obtenus dans le cadre du système d'achat groupé de l'OECO étaient inférieurs de 44% aux prix pratiqués dans les différents pays membres (OECO, 2001). Le programme du CCG a révélé que l'amélioration des achats peut réduire les coûts et accroître l'efficacité des services de santé. Le Fonds stratégique de l'OPS a été établi par le Secrétariat de l'Organisation, à la demande de ses États membres, pour améliorer l'accès à des produits de santé publique essentiels de qualité dans la région des Amériques; 23 pays membres y participent. Le Fonds mondial utilise le Mécanisme volontaire d'achat groupé pour assurer un approvisionnement efficient en ARV, en kits de diagnostic rapide du VIH et du paludisme, en combinaisons médicamenteuses à base d'Artémisine et en moustiquaires imprégnées de longue durée (Fonds mondial, 2010a; 2010b).

6. Production locale et transfert de technologie

La plupart des pays importent des médicaments, des moyens diagnostiques, des vaccins et autres produits médicaux. Toutefois, certains pays à faible revenu et à revenu intermédiaire aspirent à créer ou à renforcer leur industrie pharmaceutique. D'après les chiffres, la production locale augmente et se diversifie dans certains de ces pays.10Toutefois, on ne peut pas affirmer que la production locale favorise l'accès aux produits de santé (OMS, 2011g).

Pour devenir économiquement viables, les producteurs locaux doivent surmonter plusieurs obstacles, surtout dans les pays à faible revenu. Ces obstacles sont notamment:

  • l'insuffisance de l'infrastructure physique
  • le manque de personnel technique convenablement formé
  • la dépendance à l'égard des matières premières importées (principes actifs notamment)
  • l'étroitesse et l'incertitude des marchés
  • l'absence d'économies d'échelle
  • la lourdeur des droits d'importation et des taxes
  • l'absence de cadre politique favorable et le manque de cohérence des politiques entre les secteurs
  • la faiblesse du contrôle de la qualité et de la réglementation
  • l'existence de brevets sur les produits et technologies essentiels
  • l'existence de règles d'exclusivité des données, qui retarde l'obtention d'autorisations.

Ces obstacles peuvent augmenter le coût de production, ce qui rend le produit assez peu compétitif par rapport aux produits importés moins chers. Selon Kaplan et Laing (2005), "la production locale de médicaments à un coût supérieur à celui des importations peut n'avoir aucune incidence sur l'accès des patients aux médicaments dont ils ont besoin".

Le diagramme‑cadre de la figure 4.5 donne un aperçu des principaux facteurs en jeu en termes de politique industrielle (encadré A) et de politique de santé publique (encadré B). On voit que ces deux politiques ont des objectifs communs ou partagés, les objectifs de la politique industrielle pouvant contribuer à la réalisation des objectifs de santé publique (encadré C). Le rôle de l'État est d'offrir des incitations financières directes et indirectes et d'aider à assurer la cohérence de l'ensemble des politiques (encadré D).

Il importe que les incitations en faveur de la production locale ne visent pas seulement à accélérer le développement industriel en tant que tel. Un bon exemple est fourni par le programme OMS de transfert de technologie pour la production de vaccins contre la grippe pandémique et de technologies d'appui, décrit dans l'encadré 4.7. Les incitations devraient viser expressément à améliorer l'accès aux produits médicaux fabriqués localement. Pour cela, elles doivent être conçues de manière à contribuer aux objectifs communs de la politique industrielle et de la politique de la santé, par exemple en renforçant l'autorité de réglementation nationale. Les directives de l'OMS concernant le transfert de technologie pour la production pharmaceutique sont utiles à cet égard.11

Actuellement, la période de transition prévue par l'Accord sur les ADPIC, qui dispose que les pays les moins avancés (PMA) ne sont pas tenus d'accorder et de faire respecter les brevets pharmaceutiques jusqu'en 2016, peut donner la possibilité de produire dans les PMA des produits qui sont encore protégés par un brevet dans d'autres pays.12

Certains projets de transfert de technologie visent à associer les PMA à des initiatives de fabrication locales et régionales grâce à la collaboration entre les entreprises privées et les gouvernements nationaux. L'une de ces initiatives est une coentreprise entre un fabricant indien de génériques et une société ougandaise, dans le cadre de laquelle des experts indiens assurent la formation de personnel local. Ce partenariat a abouti à l'établissement près de Kampala d'une usine de fabrication d'antirétroviraux et d'antipaludiques. L'OMS a certifié que cette usine respectait les bonnes pratiques de fabrication (BPF), et deux de ses produits ont reçu la préhomologation de l'OMS.

Le gouvernement brésilien aide le Ministère de la santé du Mozambique pour construire dans le pays la première unité de fabrication d'antirétroviraux de première intention, sur la base du portefeuille de médicaments produits par l'Oswaldo Cruz Foundation. Dans le cadre du contrat de construction signé en 2011, le Brésil fournira du matériel et assurera la formation des techniciens locaux travaillant dans l'usine.

Source: OMS (2011g).

 

Encadré 4.7. Programme de transfert de technologie de l'OMS pour les vaccins contre la grippe pandémique et les technologies d'appui

Le Plan d'action mondial de l'OMS contre la grippe pandémique, publié en 2006, a fixé comme priorité la construction d'usines de fabrication de vaccins contre la grippe dans les pays en développement, afin d'accroître la capacité mondiale et d'améliorer la préparation à la pandémie.13Pour permettre la production locale, l'OMS a fourni des crédits d'amorçage à 14 fabricants de vaccins dans les pays suivants: Afrique du Sud, Brésil, Chine, Égypte, Inde, Indonésie, Iran, Kazakhstan, Mexique, République de Corée, Roumanie, Serbie, Thaïlande et Viet Nam.

Les procédés classiques de fabrication de vaccins antigrippaux, comme la technique des années 1940 utilisant des œufs de poule, qui sert encore pour l'essentiel de la production de ces vaccins, ne sont pas protégés par des DPI. Un pôle de transfert de technologie a été créé aux Pays‑Bas pour centraliser les compétences en un seul lieu, afin d'assurer un transfert de technologie efficace à de nombreux bénéficiaires. Du personnel venant de la plupart des pays ayant financé le projet et des organismes nationaux de réglementation a été formé dans ce centre (Hendriks et al., 2011).

Technologies d'appui

Vaccins vivants atténués contre la grippe: plusieurs fabricants ont opté pour cette technologie, qui permet de produire un vaccin à haut rendement et peu coûteux, facile à administrer. Pour faciliter l'accès au savoir‑faire, aux données cliniques et aux souches‑mères nécessaires, l'OMS, pour le compte de fabricants de vaccins de pays en développement, a négocié et acheté une licence cessible non exclusive, et des sous‑licences ont été accordées à trois fabricants de vaccins de pays en développement.

Adjuvants: il a été démontré que les adjuvants permettent d'économiser les doses de vaccins et donc d'accroître la capacité et de vacciner un plus grand nombre de personnes. Mais le savoir‑faire pour les adjuvants est détenu pour l'essentiel par quelques fabricants multinationaux de vaccins. L'OMS a constaté que les DPI portant sur l'un des principaux adjuvants avaient une portée géographique limitée et, donc, que celui‑ci pouvait être produit dans les pays en développement. Pour transférer le savoir‑faire nécessaire à cette fin, l'OMS a facilité la création à l'Université de Lausanne d'un pôle de transfert de technologie pour cet adjuvant. Ce pôle a établi le procédé de fabrication et a déjà transféré la technologie à l'Indonésie et au Viet Nam.

En 2012, le gouvernement sud‑africain a conclu, par l'intermédiaire d'une entreprise sud‑africaine, un accord de coentreprise avec une société suisse en vue de la construction en Afrique du Sud de la première usine pharmaceutique pour la fabrication des principes actifs des antirétroviraux. Cette nouvelle usine produira des produits fluorochimiques de grande valeur à partir de fluorite extraite localement. Le projet a pour but de réduire la dépendance de l'Afrique du Sud à l'égard des médicaments importés et de lui permettre de fabriquer des antirétroviraux à partir de principes actifs d'origine locale.

7. Mécanismes de réglementation et accès aux technologies médicales

S'appuyant sur la section A.6 du chapitre II, cette section examine le Programme de préqualification de l'OMS, le rôle des donateurs mondiaux dans l'harmonisation des normes réglementaires, les systèmes complexes d'approvisionnement et de gestion, et le problème des médicaments de qualité inférieure, faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits.

La réglementation des technologies médicales joue un rôle déterminant dans l'accès à des produits médicaux de qualité garantie. Malgré quelques améliorations au cours des dernières années, le contrôle réglementaire des médicaments et des technologies médicales doit encore progresser dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. L'OMS aide ses États membres à évaluer leur système de réglementation national pour identifier les lacunes, élaborer des stratégies d'amélioration et aider les pays à renforcer leur capacité de réglementation. Le document OMS, 2010c donne un aperçu de la situation en Afrique (voir l'encadré 4.8).

(a) Programme de préqualification des médicaments

Mis en place à l'initiative de l'ONU et géré par l'OMS, le Programme de préqualification a grandement aidé les pays en développement à améliorer l'accès à des médicaments de qualité, en assurant le respect des normes de qualité (voir l'encadré 4.8). Son but est de faciliter l'accès à des technologies médicales qui répondent aux normes internationales de qualité, de sûreté et d'efficacité. Le programme concerne les médicaments visant à traiter le VIH/SIDA, la tuberculose, le paludisme et la grippe, ainsi que les produits destinés à la santé reproductive, les vaccins et les diagnostics.14

Encadré 4.8. OMS: Évaluation des systèmes de réglementation pharmaceutique dans les pays d'Afrique subsaharienne

Un rapport récent de l'OMS fait la synthèse des conclusions d'une évaluation effectuée, sur une période de 8 ans, par les autorités nationales de réglementation pharmaceutique de 26 pays africains, et donne ainsi un aperçu de la situation réglementaire en Afrique (OMS, 2010c).

Le rapport conclut que, s'il existe des structures de réglementation, et si les principales fonctions réglementaires sont assurées, les mesures prises dans la pratique sont souvent inadéquates. Les lacunes tiennent généralement à la fragmentation des textes de loi qu'il faudrait regrouper, à la faiblesse des structures et des méthodes de gestion, et à la grave pénurie de personnel et de ressources. Dans l'ensemble, les pays n'ont pas les moyens de contrôler la qualité, l'innocuité et l'efficacité des produits en vente sur leur marché ou transitant par leur territoire.

L'OMS recommande de renforcer la capacité réglementaire des pays africains en prenant les mesures suivantes:

  • Encourager et aider les pays à évaluer de façon systématique leurs systèmes réglementaires afin d'identifier les lacunes et d'y remédier.
  • Contribuer à la mise en œuvre cohérente de toutes les fonctions réglementaires essentielles, sur la base des dispositions clés des cadres juridiques existants.
  • Développer et améliorer les structures de gestion ainsi que l'expertise technique et les ressources (humaines et financières) dont disposent les autorités de réglementation pharmaceutique nationales.
  • Examiner des mécanismes permettant de partager les résultats des évaluations.

Le Programme de préqualification ne se substitue pas aux autorités nationales de réglementation ni aux systèmes d'homologation nationaux pour les technologies médicales importées. Si un produit satisfait aux exigences prescrites et si le site de production se conforme aux bonnes pratiques de fabrication, le produit et le fabricant sont inscrits sur la liste OMS des produits médicaux préqualifiés, qui figure sur un site Web accessible au public.15

La préqualification de l'OMS constitue une norme de qualité reconnue à laquelle se réfèrent de nombreux donateurs et organismes d'achat internationaux.

(b) Réglementation des dispositifs médicaux

Les dispositifs médicaux comprennent une large gamme d'instruments – allant du simple abaisse‑langue en bois et du stéthoscope aux implants et aux appareils d'imagerie médicale les plus sophistiqués. Comme c'est le cas pour les vaccins et les médicaments, les gouvernements doivent établir des politiques garantissant l'accès à des dispositifs médicaux de qualité, à un prix abordable, et assurant leur utilisation et leur élimination sûres et appropriées. D'où la nécessité de systèmes de réglementation solides pour veiller à la sûreté et à l'efficacité de ces dispositifs. Cela est illustré par un exemple récent, celui des implants mammaires en silicone de qualité non médicale fabriqués par une société établie en France (voir l'encadré 4.9). En général, les dispositifs médicaux sont soumis à des contrôles réglementaires et, de ce fait, la plupart des pays ont une autorité chargée d'appliquer et de faire respecter les règlements spécifiques aux dispositifs médicaux.16C'est aussi le cas des pays à revenu faible ou intermédiaire, où l'on compte plus de 70 autorités de contrôle (OMS, 2010a). Mais beaucoup d'autres pays de ce groupe n'ont pas encore d'autorité de contrôle. Il est difficile d'appliquer et de faire respecter les règlements en raison du manque d'ingénieurs spécialisés en biomédecine, du manque d'harmonisation des procédures et du manque d'informations. Dans la plupart des pays, il n'existe pas de directives, politiques ou recommandations nationales concernant l'achat des dispositifs médicaux ou bien il n'y a pas d'autorité reconnue pour les appliquer. D'où la difficulté de fixer des priorités dans le choix des produits en fonction de leur incidence sur la charge de morbidité. L'absence d'autorité de réglementation, l'absence de règlements ou la non–application des règlements existants compromettent l'accès à des produits de qualité. L'OMS a publié un document qui donne un aperçu général de la situation en la matière et énonce des principes directeurs pour aider les pays à établir un système réglementaire approprié pour les dispositifs médicaux (OMS, 2003a).

Encadré 4.9. Europe: Renforcer le contrôle pour garantir la sécurité des dispositifs médicaux 

Le cadre juridique de l'UE qui régit la sécurité et l'efficacité des dispositifs médicaux a été harmonisé dans les années 1990.17Conformément à cette législation, les dispositifs médicaux sont soumis à des contrôles stricts avant leur mise sur le marché. Ces contrôles sont effectués par des organismes d'évaluation indépendants (organismes notifiés), qui examinent les données du fabricant sur la conception et la sécurité du produit. En dépit de ces mécanismes de contrôle, du silicone de qualité non médicale a été utilisé dans des implants mammaires fabriqués par une entreprise établie en France, ce qui a conduit à un taux anormalement élevé de rupture à court terme de ces prothèses. Ce type d'incident met en lumière la nécessité de moderniser et de renforcer la législation de l'UE qui s'applique aux dispositifs médicaux. En février 2012, le Commissaire européen à la santé et à la politique des consommateurs a annoncé l'achèvement imminent de la révision de la législation pertinente, entreprise pour remédier aux lacunes identifiées dans les textes en vigueur. Le Commissaire a engagé les États membres de l'UE à renforcer immédiatement les contrôles et à redoubler de vigilance (Commission européenne, 2012).

(c) Rôle des donateurs mondiaux dans l'harmonisation des normes réglementaires

Les grands donateurs, comme le Fonds mondial de lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme (Fonds mondial), le Plan d'urgence du Président des États‑Unis pour l'aide en faveur des victimes du SIDA (PEPFAR) et UNITAID, financent de plus en plus de vastes programmes d'achat destinés à améliorer l'accès aux médicaments, en mettant l'accent sur les principales maladies infectieuses, le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose. Les donateurs exigent le respect de certaines normes de qualité, souvent en référence au Programme de préqualification et aux normes de qualité de l'OMS. La communauté des donateurs et des ONG a recours aux laboratoires de contrôle de la qualité préqualifiés par l'OMS pour analyser les produits achetés et ces laboratoires sont de plus en plus nombreux dans toutes les régions de l'OMS. Par ailleurs, les donateurs ont commencé à engager des fonds pour la mise en place de systèmes nationaux d'assurance de la qualité, et plusieurs d'entre eux ont financé le renforcement de la capacité de réglementation des pays bénéficiaires. Malgré des progrès importants, les politiques d'assurance de la qualité de programmes tels que le Fonds mondial, le PEPFAR, UNITAID, le FNUAP, la Global Drug Facility et l'UNICEF ne sont pas encore tout à fait alignées. Étant donné l'envergure de ces programmes et leur rôle de premier plan dans l'achat de médicaments contre le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose, des exigences divergentes en matière de qualité et de sécurité peuvent avoir un effet de distorsion des marchés, les différents acheteurs devant remplir des conditions différentes. La création d'un marché concurrentiel unique contribuerait grandement aux efforts faits pour assurer l'accès à des médicaments de qualité à un prix abordable.

(d) Complexité des systèmes d'approvisionnement et de gestion

L'un des principaux facteurs d'ordre réglementaire liés au commerce international est la fragmentation croissante des chaînes d'approvisionnement mondiales. Afin de réduire leurs coûts, de nombreux fabricants ont externalisé, dans des pays comme la Chine, l'Inde et la République de Corée, les activités de recherche et de production de base, par exemple, pour les principes actifs et les composants de dispositifs médicaux. L'augmentation du commerce des produits entre les continents qui en a résulté rend la chaîne d'approvisionnement plus complexe, ce qui pose un défi aux organismes de réglementation qui sont chargés de la contrôler, pour s'assurer que les produits finals répondent aux normes de qualité.

La forme galénique d'un produit pharmaceutique fini ou un dispositif médical peuvent résulter de l'assemblage de matériaux provenant, directement ou indirectement, de différentes parties du monde. Aux États‑Unis, par exemple, 80% des principes actifs et 40% des médicaments finis sont importés d'autres pays (Institute of Medicine, 2012).

Quand on achète à l'étranger des ingrédients de médicaments ou des pièces d'un dispositif médical, il est plus difficile d'inspecter les différents éléments de la chaîne d'approvisionnement, longue et complexe. Par exemple, une société qui a reçu la certification BPF d'une autorité de réglementation stricte pour la fourniture de principes actifs peut aussi acheter des principes actifs à d'autres fabricants non certifiés. En outre, le grand nombre de parties impliquées dans la production d'un principe actif peut faire que les sites de fabrication changent, ce qui risque de créer des problèmes liés au transfert de procédés et de méthodes.

(e) Produits médicaux de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits: un problème mondial

L'augmentation régulière de la production, de la vente et de l'utilisation de produits médicaux de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits constitue un énorme défi pour la santé publique. Les produits médicaux qui ne satisfont pas aux normes de qualité, et qui ne contiennent pas de principes actifs ou qui n'en contiennent pas les bonnes doses ou encore qui contiennent d'autres substances, entraînent des échecs thérapeutiques, l'aggravation de l'état de santé, une pharmacorésistance, voire la mort. Alors que le nombre de cas recensés de problèmes liés à des produits médicaux de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits ne cesse d'augmenter, la véritable ampleur du phénomène n'est pas connue, la diversité des sources d'information rendant bien difficile l'établissement de statistiques.18

Encadré 4.10. Terminologie: médicaments de qualité inférieure et médicaments contrefaits

Une multitude de termes est employée dans le débat sur les produits médicaux de qualité inférieure ou contrefaits, et il arrive que le même terme ait des acceptions différentes. La façon dont ces termes sont employés et définis est d'une importance particulière pour l'adoption et l'application de mesures judicieuses et acceptables pour lutter contre la prolifération de ces produits (Clift, 2010). En 2010, l'OMS a réalisé une enquête dans 60 États membres pour s'informer des divers termes et définitions employés à ce sujet dans la législation nationale de ces pays.19Cette enquête a montré que la définition juridique de la contrefaçon diffère beaucoup d'un pays à l'autre.

Les médicaments de qualité inférieure "sont des produits pharmaceutiques qui ne répondent pas aux spécifications et aux normes de qualité attendue. Chaque produit pharmaceutique produit par un fabricant doit être conforme aux spécifications et aux normes d'assurance de la qualité au moment de sa mise en circulation et tout au long de sa durée d'utilisation, conformément aux dispositions en vigueur sur le territoire où il est utilisé. Généralement, ces normes et spécifications sont examinées, évaluées et approuvées par l'autorité de réglementation pharmaceutique compétente au niveau national ou régional avant que la mise sur le marché du produit ne soit autorisée".20

Les médicaments faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits, quant à eux, sont des produits délibérément et frauduleusement étiquetés pour tromper sur leur identité et/ou sur leur origine. L'origine de ces produits n'est généralement pas connue et la qualité de leur contenu est douteuse. On peut trouver dans ces médicaments des produits avec des principes actifs corrects, erronés, sans principes actifs, avec des principes actifs à des doses trop faibles ou trop fortes, ou sous des conditionnements falsifiés.21

L'Accord sur les ADPIC définit en termes généraux ce qu'est une "marchandise contrefaite"; il le fait sous l'angle de la marque de fabrique ou de commerce, sans rapport exprès avec le secteur de la santé publique. D'après la note de bas de page 14 a) de l'article 51 de l'Accord, "l'expression "marchandises de marque contrefaites" s'entend de toutes les marchandises, y compris leur emballage, portant sans autorisation une marque de fabrique ou de commerce qui est identique à la marque de fabrique ou de commerce valablement enregistrée pour lesdites marchandises, ou qui ne peut être distinguée dans ses aspects essentiels de cette marque de fabrique ou de commerce, et qui de ce fait porte atteinte aux droits du titulaire de la marque en question en vertu de la législation du pays d'importation". La contrefaçon ne concerne donc que les marchandises qui portent une marque de fabrique ou de commerce identique ou similaire sans l'autorisation du détenteur de cette marque. Il s'agit habituellement d'une copie servile de la marque protégée. Étant donné qu'il y a intention de faire passer la copie pour le produit authentique, la fraude est généralement constituée. Toutefois, dans la pratique, l'acception du terme "contrefaçon" semble s'être éloignée de ce sens étroit dans un certain nombre de Membres de l'OMC, où il recouvre d'autres formes et d'autres catégories de violation des droits de propriété intellectuelle.

(i) De quoi parlons‑nous?

Si l'expression "produits faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits" est utilisée dans le débat sur la santé publique pour renvoyer aussi au problème des médicaments étiquetés intentionnellement pour tromper sur leur identité et/ou sur leur origine, les médicaments de qualité inférieure sont ceux qui ne répondent pas aux normes de qualité requises. On trouvera dans l'encadré 4.10 un résumé des principaux termes employés pour désigner les produits médicaux de qualité inférieure et contrefaits. Si ces deux phénomènes constituent une menace pour la santé publique, il est important de faire une distinction entre l'un et l'autre, car des mesures différentes et des acteurs différents sont nécessaires pour les combattre efficacement.

(ii) Quel est le problème?

La contrefaçon peut toucher tous les types de médicaments, y compris les princeps et les génériques, qu'ils soient destinés à traiter des maladies potentiellement mortelles ou qu'il s'agisse de versions génériques peu coûteuses d'analgésiques ou d'antihistaminiques. Les ingrédients que l'on trouve dans les produits contrefaits peuvent aller des mélanges aléatoires de substances toxiques à des préparations inactives et inefficaces. Certains produits contiennent un ingrédient actif déclaré et ressemblent tant au produit authentique qu'ils trompent aussi bien les professionnels de la santé que les patients. Les médicaments de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits sont toujours des produits illicites.22

La nature du problème des médicaments de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits diffère selon le contexte. Dans certains pays, en particulier dans les pays développés, la majorité des produits vendus (souvent via Internet) sont des produits coûteux (hormones, stéroïdiens, anticancéreux et produits dits "de confort"). Dans les autres pays, il s'agit souvent de médicaments bon marché, y compris des génériques.

Dans les pays en développement, la tendance la plus inquiétante est la prévalence des médicaments de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits pour le traitement de maladies potentiellement mortelles comme le paludisme, la tuberculose et le VIH/SIDA (voir l'encadré 4.11 sur la qualité des antipaludéens en Afrique subsaharienne). L'expérience montre que les groupes de patients vulnérables qui paient les médicaments de leur poche sont parmi les plus touchés par les effets néfastes des produits de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits (OMS, 2011h).

On trouve des médicaments de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits partout dans le monde, mais singulièrement là où la réglementation est tout aussi laxiste que son application. Dans les pays industrialisés où les systèmes de réglementation et de contrôle du marché sont efficaces, l'incidence de ces médicaments est très faible – moins de 1% de la valeur du marché, selon les estimations des pays concernés.23

La principale motivation de ceux qui fabriquent et distribuent ces produits est qu'ils peuvent en retirer d'énormes profits, et ce pour les raisons suivantes:

  • absence d'accès équitable à des médicaments essentiels à un prix abordable
  • existence de points de vente pour les médicaments non réglementés
  • absence de législation appropriée
  • inexistence ou faiblesse des autorités nationales de réglementation pharmaceutique
  • application inadéquate des lois existantes
  • complexité des chaînes d'approvisionnement
  • insuffisance des sanctions pénales (OMS, 2011h).

(iii) Comment combattre le phénomène?

La lutte contre les produits médicaux de qualité inférieure et faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits relève des organismes de réglementation, mais d'autres instances chargées de faire respecter la loi ont aussi un rôle à jouer (voir la section B.1 f) du chapitre II). Dans la plupart des pays, les autorités de réglementation peuvent prendre des mesures contre ces produits et contre ceux qui les fabriquent. Dans le cas des produits de qualité inférieure, l'identité du fabricant est connue et le problème réside dans le non‑respect des normes BPF. En revanche, les contrefacteurs opèrent généralement dans un cadre non autorisé et cherchent à dissimuler leur identité. Cela signifie que les mesures de répression prises par les autorités réglementaires nationales et régionales ne peuvent pas être pleinement efficaces. L'approche réglementaire normalement appliquée aux médicaments fabriqués de manière licite mais de qualité inférieure ne suffit donc pas. Pour lutter efficacement contre les produits faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits, il faut recourir davantage à d'autres mesures, comme les contrôles aux frontières et les poursuites pénales, en les adaptant à la situation de chaque pays. Les contrôles aux frontières peuvent être efficaces si les médicaments sont importés, comme c'est de plus en plus souvent le cas. Si les produits sont fabriqués localement, la priorité doit être donnée à l'identification et à la poursuite des fabricants locaux. Une collaboration s'impose donc à l'échelle nationale et internationale entre différentes institutions publiques, notamment les organes législatifs, les instances chargées d'appliquer la loi et les tribunaux (OMS, 2011h).

Encadré 4.11. Enquête de l'OMS sur la qualité de certains antipaludiques dans six pays d'Afrique subsaharienne

Les six pays visés par cette enquête (Cameroun, Éthiopie, Ghana, Kenya, Nigéria et Tanzanie) avaient bénéficié dans le passé de mesures spécifiques de l'OMS visant à renforcer le contrôle réglementaire des produits antipaludiques. Sur les 267 échantillons ayant subi un test complet, 28,5% ne répondaient pas aux spécifications. Ce taux d'échec élevé indique que la qualité des antipaludiques présents dans les circuits de distribution pose problème. La complexité des marchés – et le nombre de produits de différents fabricants qu'on peut y trouver – semble être l'un des facteurs expliquant la difficulté de réglementer les médicaments, ce qui augmente le risque que les consommateurs obtiennent des produits de qualité inférieure.

La comparaison des taux d'échec pour les produits importés et les produits de fabrication locale fait apparaître un taux plus élevé pour les seconds, ce qui s'explique peut‑être par le fait que les normes réglementaires ne sont pas les mêmes pour les uns et pour les autres. Le taux d'échec global pour les échantillons de médicaments qualifiés par l'OMS prélevés dans les six pays concernés était très bas (moins de 4%), ce qui montre l'importance du rôle normatif de l'OMS pour la réglementation pharmaceutique et l'importance de son mécanisme de préqualification pour l'assurance de la qualité des médicaments achetés (OMS, 2011b).

Au niveau international, le problème des médicaments faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits a été abordé pour la première fois en 1985 lors de la Conférence d'experts sur l'usage rationnel des médicaments, tenue à Nairobi. La réunion a recommandé que l'OMS, agissant de concert avec d'autres organisations internationales et des ONG, étudie la possibilité de créer un centre d'échange à l'intention des gouvernements, qui serait chargé de collecter et de diffuser des données sur la nature et l'ampleur de la contrefaçon. En 1988, les États membres ont demandé à l'OMS de lancer des programmes visant à prévenir et détecter l'exportation, l'importation et la contrebande de préparations pharmaceutiques fausses/faussement étiquetées/falsifiées/contrefaites.24La prolifération de tels médicaments dans de nombreux circuits de distribution nationaux, conjuguée à l'augmentation du commerce et des ventes via Internet, a finalement conduit à la création, en 2006, du Groupe spécial international de lutte contre la contrefaçon de produits médicaux (IMPACT en anglais), pour mener une action de sensibilisation, échanger des informations, encourager la coopération et fournir une assistance sur les problèmes liés aux médicaments contrefaits, avec le concours d'organisations internationales, d'ONG, d'organismes chargés de faire respecter la loi, d'autorités de réglementation pharmaceutique et de fabricants de médicaments. Le projet de principes et d'éléments pour une législation nationale contre la contrefaçon de produits médicaux présenté par IMPACT a été développé en 2007 pour traiter des questions de définition, des responsabilités des parties prenantes des secteurs public et privé, et des sanctions.25

La saisie de médicaments génériques en transit par les autorités douanières européennes (voir plus loin la section C du présent chapitre) et les critiques suscitées par la participation aux travaux d'IMPACT de l'industrie pharmaceutique et d'autres parties prenantes comme INTERPOL, ont donné lieu à un vif débat qui a porté principalement sur le lien entre la lutte contre les produits médicaux de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits du point de vue de la santé publique, le respect des DPI et le rôle que l'OMS devrait jouer, ou ne pas jouer, notamment dans le cadre d'IMPACT. Pour répondre aux préoccupations exprimées, l'Assemblée mondiale de la santé a créé, en 2010, un groupe de travail composé de représentants des États membres. Il a été chargé, entre autres, d'examiner le rôle de l'OMS pour assurer la disponibilité de médicaments de qualité, sûrs, efficaces et abordables, la relation de l'OMS avec IMPACT et son rôle dans la lutte contre les produits médicaux de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits. Le mandat stipulait que ces questions devaient être examinées du point de vue de la santé publique, à l'exclusion expresse de considérations commerciales et de propriété intellectuelle.26En mai 2012, l'Assemblée mondiale de la santé a créé un nouveau dispositif volontaire des États membres, pour lutter contre les produits médicaux de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits et les activités connexes, du point de vue de la santé publique et à l'exclusion de considérations commerciales et de propriété intellectuelle.27Le dispositif doit faire rapport à intervalles réguliers à l'Assemblée mondiale de la santé sur les progrès accomplis et les recommandations en découlant éventuellement.

(f) Autres facteurs réglementaires ayant une incidence sur l'accès

Outre la fragmentation de la chaîne d'approvisionnement et la mondialisation des processus de fabrication de médicaments et des produits de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits, de nombreux autres facteurs ont une incidence sur le fonctionnement des systèmes réglementaires, notamment:

  • le manque de soutien politique, conjugué à l'insuffisance des ressources humaines et financières des autorités de réglementation
  • l'absence de collaboration efficace entre les autorités de réglementation et le manque de confiance dans leurs décisions, y compris la tendance aux doublons dans les inspections de sites de production et dans les évaluations, ce qui crée peu de valeur ajoutée.
  • la priorité donnée à la réglementation des produits sans surveillance efficace de la chaîne d'approvisionnement
  • la faiblesse du dispositif de suivi de la sécurité des produits après l'autorisation de mise sur le marché
  • la différence de traitement, par exemple, l'application de normes différentes aux produits de fabrication locale et aux produits importés (voir l'encadré 4.11).

Tous ces problèmes mettent les systèmes réglementaires à rude épreuve et ont un impact sur l'approvisionnement régulier en médicaments et en produits médicaux réglementés de qualité.


1. Pour un aperçu des politiques de fixation des prix, voir OCDE (2008). retour au texte

2. Pour en savoir plus sur la classification ATC, voir ww.whocc.no/atc_ddd_indexretour au texte

3. Voir http://whocc.goeg.at/Glossary/Aboutretour au texte

4. Pour une définition, voir www.eunethta.euretour au texte

5. Voir www.ft.com/intl/cms/s/0/f0b1e114-e770-11e0-9da3­00144feab49a.html#axzz1c404Fdtv retour au texte

6. Sources: http://apps.who.int/medicinedocs/documents/ s19111es/s19111es.pdf; http://apps.who.int/medicinedocs/ documents/s19110es/s19110es.pdf; et http://apps.who. int/medicinedocs/en/m/abstract/Js19110es/retour au texte

7. Une version révisée de 2003 est disponible à l'adresse suivante: http://siteresources.worldbank.org/PROCUREMENT/Resources/ health-ev4.pdfretour au texte

8. Voir www.who.int/hiv/amds/en/decisionmakersguide_ cover.pdfretour au texte

9. Pour en savoir plus, voir: www.who.int/phi/access_ medicines_feb2011/en/index.html; www.wipo.int//meetings/ en/2011/who_wipo_wto_ip_med_ge_11/; and www.wto. org/english/tratop_e/trips_e/techsymp_feb11_e/techsymp_ feb11_e.htmretour au texte

10. Pour une étude des initiatives visant à encourager l'investissement dans la production locale et le transfert de technologie en matière de produits pharmaceutiques, voir OMS (2011e). retour au texte

11. Voir www.who.int/medicines/areas/quality_safety/quality_ assurance/production/en/index.htmlretour au texte

12. Voir la section B.1 g) v) du chapitre II. retour au texte

13. Voir http://whqlibdoc.who.int/hq/2006/WHO_IVB_06.13_ eng.pdfretour au texte

14. Voir http://apps.who.int/prequal/retour au texte

15. Voir http://apps.who.int/prequal/query/productregistry. aspx?list=inretour au texte

16. Voir www.who.int/medical_devices/policies/en/retour au texte

17. Voir Directives 90/385/EEC, 93/42/EEC et 98/79/EC, à l'adresse suivante: http://ec.europa.eu/health/ medical-devices/regulatory-framework/index_en.htmretour au texte

18. Voir www.who.int/medicines/services/counterfeit/en/retour au texte

19. Voir www.who.int/medicines/services/counterfeit/WHO_ ACM_Report.pdfretour au texte

20. Voir www.who.int/medicines/services/expertcommittees/pharmprep/43rdpharmprep/en/index.htmlretour au texte

21. Voir www.who.int/mediacentre/factsheets/fs275/en/retour au texte

22. Ibid. retour au texte

23. Ibid. retour au texte

24. Résolution WHA41.16: Usage rationnel des médicamentsretour au texte

25. Voir www.who.int/impact/en/retour au texte

26. Décision WHA63(10) – Produits médicaux de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits. Les documents du Groupe de travail et des réunions du nouveau dispositif des États membres sont disponibles à l'adresse suivante http://apps.who.int/gb/ssffc/retour au texte

27. Résolution WHA65.19 – Produits médicaux de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaitsretour au texte