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LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE: OMS-OMPI-OMC

Résumé analytique

 

Pourquoi cette étude?

La santé publique est par essence un problème mondial et revêt donc une priorité élevée pour la coopération internationale. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) est l'instance directrice et coordonnatrice en matière de santé, mais l'interaction des questions de santé et d'autres domaines de politique – droits fondamentaux, politique de développement, propriété intellectuelle et commerce international – constitue un puissant motif de coopération et de coordination entre l'OMS et d'autres organisations internationales telles que l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La présente étude est issue d'un programme de coopération trilatérale entre ces organisations, qui se poursuit actuellement. Elle répond à une demande croissante, notamment dans les pays en développement, de renforcement des capacités en vue d'élaborer des politiques éclairées dans les domaines où se recoupent la santé, le commerce et la propriété intellectuelle, en se concentrant sur l'accès aux médicaments et aux autres technologies médicales et sur l'innovation dans ce domaine. Le besoin d'une coopération et d'une cohérence au niveau international s'est intensifié au cours des dix dernières années, comme l'ont confirmé des décisions multilatérales successives (voir l'encadré).

Étapes vers la cohérence

2000

Observation générale des Nations Unies sur le droit à la santé

2001

Déclaration sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique adoptée par l'OMC à Doha

2002

Étude conjointe OMS‑OMC WTO Agreements and Public Health (Les Accords de l'OMC et la santé publique)

2003/5

L'OMC crée une nouvelle flexibilité au titre de l'Accord sur les ADPIC pour l'accès aux médicaments dans les pays dépourvus de capacités de fabrication

2006

Rapport de la Commission de l'OMS sur les droits de propriété intellectuelle, l'innovation et la santé publique

2007

Plan d'action de l'OMPI pour le développement

2008

Stratégie mondiale et plan d'action de l'OMS pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle

2009

Début de la coopération trilatérale OMS‑OMPI‑OMC

L'étude se situe dans un contexte où les politiques de santé évoluent: d'abord axé, il y a une dizaine d'années, sur l'accès aux médicaments contre les épidémies infectieuses, le débat s'est élargi à la politique de l'innovation et à un éventail plus large de maladies et de technologies médicales. Les décideurs ont de plus en plus besoin de comprendre l'interaction complexe des différentes disciplines à une époque où le perfectionnement des outils analytiques et l'amélioration des données offrent de nouvelles possibilités pour ce travail. Une approche intégrée peut renforcer l'interaction dynamique et positive entre les mesures susceptibles de promouvoir l'innovation et celles qui assurent un accès aux technologies médicales vitales. Tout en traitant de la question plus large de l'innovation et de l'accès à l'éventail complet des technologies médicales, l'étude est axée sur les médicaments, domaine pour lequel on dispose du plus d'expérience pratique et de données.

Survol de l'étude

L'étude a été réalisée en tant qu'outil de renforcement des capacités pour les décideurs. Elle est structurée de façon à permettre aux utilisateurs de saisir les éléments essentiels des politiques, puis d'examiner de manière plus approfondie les domaines d'intérêt particuliers. Elle présente donc un panorama général du paysage des politiques (voir le chapitre II), afin que tous les éléments interconnectés puissent être vus en contexte. Elle expose ensuite de manière plus détaillée des sujets spécifiquement liés à l'innovation (voir le chapitre III) et à l'accès (voir le chapitre IV). Son contenu reflète l'évolution du débat multilatéral sur les politiques au cours des dix dernières années, en reconnaissant que l'innovation et l'accès sont inévitablement mêlés – l'accès sans l'innovation réduirait la capacité de supporter une charge de morbidité mondiale en évolution, et les innovateurs doivent examiner comment les nouvelles technologies peuvent parvenir jusqu'à ceux qui en ont le plus besoin.

  • Le chapitre Iprésente le contexte général de la politique de santé relative aux technologies médicales, explique les rôles et les mandats distincts des trois organisations coopérantes et évoque la charge de morbidité mondiale qui définit le défi essentiel à relever pour la politique de santé. En raison de la contribution importante de divers acteurs à la politique de santé, l'annexe I présente une sélection d'entités qui interviennent dans les processus actuels d'élaboration des politiques.
  • Lechapitre II donne les éléments essentiels du cadre international – politique de santé, propriété intellectuelle et politique commerciale – en posant un fondement intégré pour l'analyse plus détaillée des dimensions de l'innovation et de l'accès qui est présentée ensuite. Il reprend les principaux éclairages de la science économique au sujet de l'innovation et de l'accès en matière de technologies médicales, compte tenu de l'utilisation croissante de concepts économiques dans les discussions sur la politique de santé. La dernière section examine les questions de politique associées aux connaissances médicales traditionnelles, en raison de leur importance pour les systèmes de santé nationaux et comme contribution à la recherche médicale.
  • Le chapitre III donne un aperçu plus détaillé des questions de politique qui concernent la dimension des technologies médicales qui touche à l'innovation. L'historique de la recherche‑développement (R‑D) médicale sert de toile de fond pour analyser l'évolution actuelle de la situation en la matière. Le chapitre examine le défi que les maladies négligées représentent pour l'innovation ainsi que les instruments connexes et complémentaires qui permettent de favoriser la R‑D. Il évoque le rôle des droits de propriété intellectuelle dans le cycle de l'innovation. La dernière section porte sur les vaccins contre la grippe comme exemple distinct de gestion de l'innovation et de développement de produits pour répondre à un besoin de santé mondial spécifique.
  • Le chapitre IV traite des principaux aspects de la dimension accès, décrivant le contexte de l'accès aux technologies médicales et le cadre actuel d'accès aux médicaments essentiels. Il indique les principaux déterminants de l'accès qui sont liés aux systèmes de santé, à la propriété intellectuelle et au commerce. Il examine en particulier les politiques de prix, les taxes, les marges et les mécanismes de passation des marchés, ainsi que les aspects réglementaires et les initiatives destinées à transférer les technologies et à favoriser la production locale, la qualité et les procédures d'examen des brevets, les licences obligatoires et volontaires, les accords commerciaux, les droits de douane et la politique de la concurrence.

Du fait que les questions d'accès et d'innovation sont de plus en plus considérées selon une perspective élargie, les débats sur les politiques sont façonnés et alimentés par un éventail plus divers de parties prenantes, de valeurs, d'expériences, de compétences et de données empiriques, en raison:

    • d'une plus grande diversité des avis en matière de politique, qui crée des possibilités de fertilisation croisée entre des domaines d'action traditionnellement distincts (voir l'annexe I);

    • des possibilités accrues de recueillir les enseignements pratiques d'un éventail beaucoup plus large d'initiatives en matière d'innovation et d'accès;
    • d'une amélioration de l'inclusion mondiale, de la qualité et de la disponibilité des données empiriques sur une série de facteurs interconnectés, parmi lesquels la charge de morbidité mondiale, l'accès aux médicaments et la fixation de leur prix, le contexte des politiques en matière de réglementation et de commerce et les systèmes nationaux de propriété intellectuelle.

En raison du caractère transversal de ces domaines d'action, certains thèmes sont introduits au chapitre II, à l'occasion de l'esquisse du cadre général des politiques, puis étudiés de plus près au chapitre III et/ou au chapitre IV, qui analysent de façon plus détaillée la manière dont ces éléments influent respectivement sur l'innovation et l'accès. Par exemple, les principes et les éléments généraux de la politique de la propriété intellectuelle sont énoncés au chapitre II, tandis que le chapitre III analyse plus précisément les aspects de la politique, du droit et de la pratique en matière de propriété intellectuelle qui influent en particulier sur l'innovation dans le domaine des technologies médicales, et le chapitre IV examine en quoi certains aspects de la propriété intellectuelle ont une incidence sur l'accès aux technologies. De même, la raison d'être générale de la réglementation des technologies médicales est indiquée au chapitre II, et les chapitres III et IV traitent des conséquences de la réglementation des produits respectivement sur le processus d'innovation et sur l'accès aux technologies médicales. S'agissant de la politique commerciale, le chapitre II en énonce les principaux éléments, et le chapitre IV examine l'incidence du commerce et du contexte de la politique commerciale sur l'accès aux médicaments et aux autres technologies médicales.

La charge de morbidité mondiale est une cible mouvante qui exige des réponses dynamiques …

Actuellement, la plupart des habitants des pays à revenu élevé vivent au delà de 70 ans et meurent de maladies chroniques; ces maladies sont également la principale cause de mortalité dans les pays à revenu intermédiaire, en plus de la tuberculose, du VIH/SIDA et des accidents de la route; mais, dans les pays à faible revenu, on meurt surtout de maladies infectieuses, et plus du tiers des décès concerne des personnes âgées de moins de 15 ans. On prévoit pour 2030 une forte baisse de la mortalité due aux principales maladies transmissibles, maternelles, périnatales et nutritionnelles. Mais le vieillissement de la population dans les pays à revenu faible ou intermédiaire augmentera le nombre de décès dus aux maladies non transmissibles, ce qui entraînera un doublement de la charge de morbidité. Même si les mesures préventives concernant le style de vie, l'inactivité physique, le tabagisme, l'abus d'alcool, la nutrition et les facteurs environnementaux jouent un rôle clé, le système d'innovation doit s'adapter à cette évolution de la charge de morbidité mondiale. L'accent mis sur l'accès aux médicaments – qui visait dans le passé des maladies transmissibles telles que le VIH/SIDA et le paludisme – s'est élargi. L'accès aux traitements contre les maladies non transmissibles, y compris le traitement coûteux du cancer dans les pays à revenu intermédiaire, sera le défi à relever et le sujet principal du débat sur l'accès (voir le chapitre I, section C).

Accès aux médicaments et droit à la santé

L'accès aux médicaments essentiels et aux services de santé est un élément de la réalisation du droit de chacun à posséder le meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre. L'accès aux médicaments fait également partie des Objectifs du Millénaire pour le développement (voir le chapitre II, sections A.1 à A.3). Le cadre de l'OMS pour l'accès aux médicaments reconnaît que le manque d'accès aux technologies médicales est rarement dû à un seul facteur isolé et inclut donc des aspects tels que le choix et l'utilisation rationnels des médicaments, l'abordabilité, le financement durable et la fiabilité des systèmes de santé et d'approvisionnement, qui s'appuie sur la qualité (voir le chapitre IV, section A.1). Pour choisir rationnellement les médicaments nécessaires, un pays doit déterminer quels sont les médicaments les plus importants pour faire face à la charge de morbidité nationale. Ce choix peut être guidé par la Liste modèle des médicaments essentiels de l'OMS. L'engagement politique d'assurer un financement suffisant et durable est l'une des conditions fondamentales d'un accès effectif et durable (voir le chapitre IV, section A.1). Un niveau de prix abordable est un déterminant essentiel de l'accès aux médicaments, surtout dans les pays où le secteur de la santé publique est faible et où ceux dont les moyens sont les plus limités doivent souvent se procurer les médicaments aux prix du marché. La concurrence des médicaments génériques est un facteur clé pour faire baisser les prix; pourtant, dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, une grande partie de la population n'a même pas les moyens d'acheter des génériques à bas prix, et la quantité de médicaments essentiels disponibles dans le secteur public est encore insuffisante (voir le chapitre IV, section A). La condition primordiale de l'accès aux technologies médicales et aux services de santé nécessaires est un système de santé national qui fonctionne bien (voir le chapitre II, section A.5, et le chapitre IV, section B).

Au cours des dernières années, les décideurs se sont beaucoup préoccupés de l'accès aux traitements contre le VIH/SIDA. Les traitements antirétroviraux génériques à bas prix ont aidé les gouvernements et les programmes des donateurs à progresser vers l'objectif des 15 millions de personnes sous traitement d'ici à 2015 (voir le chapitre IV, section A.2). Parmi les autres domaines essentiels figurent l'accès aux formulations pédiatriques et aux appareils médicaux et l'innovation en la matière (voir le chapitre IV, sections A.2 et A.3). L'évolution de la charge de morbidité conduit aussi à se préoccuper davantage des questions d'accès et de propriété intellectuelle pour les maladies non transmissibles (voir le chapitre IV, section A.2). Les programmes nationaux de vaccination sont un instrument de santé publique très efficace pour prévenir les maladies et la propagation des maladies infectieuses. Le contexte de mise au point et de diffusion des vaccins est différent selon les conditions du marché et les exigences en matière de savoir faire (voir le chapitre III, section B.4, et le chapitre IV, section A.2, ainsi que le chapitre III, section E).

Les gouvernements étudient de nouvelles mesures pour limiter les coûts et élargir l'accès

Les gouvernements utilisent de nombreux moyens différents pour réduire le prix des technologies médicales, parmi lesquels le contrôle direct des prix, la fixation de prix de référence et les limites de remboursement, et ils font de plus en plus appel aux évaluations des technologies de santé pour maîtriser les coûts (voir le chapitre IV, section B.1). En plus des droits d'importation (voir le chapitre IV, section D), diverses taxes (voir le chapitre IV, section B.3) et marges le long de la chaîne d'approvisionnement (voir le chapitre IV, section B.4) augmentent les prix à la consommation et limitent l'accès. La suppression des droits de douane et des taxes et la réglementation des marges de distribution dans la chaîne d'approvisionnement peuvent faire baisser les prix si elles sont répercutées aux consommateurs. Mais la réglementation des prix doit aussi garantir des marges viables aux fournisseurs commerciaux.

L'application de prix différenciés par les entreprises peut aussi constituer un outil complémentaire en vue d'élargir l'accès en liant les prix à la capacité de paiement différente selon les niveaux de revenus sur des marchés distincts (voir le chapitre IV, section B.2). Une autre stratégie visant à élargir l'accès aux médicaments met l'accent sur le développement de la capacité de production locale et l'exploitation du transfert de technologie, ce qui pose des questions d'accès aux médicaments, de facteurs économiques et commerciaux et de politique industrielle (voir le chapitre IV, section B.6).

En ce qui concerne l'accès aux produits brevetés, les pays peuvent aussi utiliser les flexibilités offertes par l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l'OMC.

La réglementation des technologies est essentielle en soi, mais elle peut avoir un effet sur l'innovation et l'accès

La réglementation des technologies médicales vise des objectifs essentiels en matière de politique de santé: les produits doivent être sans risque, efficaces et de qualité suffisante. Mais la réglementation modèle aussi le paysage de l'accès et de l'innovation: pour relever les niveaux de sécurité, il faut produire plus de données, ce qui accroît le coût de l'innovation. Les obstacles réglementaires injustifiés et la longueur des processus d'autorisation de mise sur le marché retardent l'accès aux technologies médicales nécessaires (voir le chapitre II, section A.6). La plupart des essais cliniques sont effectués par les laboratoires qui développent les produits concernés ou pour leur compte. L'enregistrement de ces essais est une responsabilité scientifique et éthique, et c'est pourquoi l'OMS gère un système d'enregistrement international des essais cliniques. Du point de vue de la politique de santé publique, les résultats des essais cliniques devraient être mis à la disposition du public, afin que les chercheurs et les autres groupes intéressés puissent évaluer eux mêmes l'efficacité et les effets secondaires potentiels des nouveaux produits (voir le chapitre III, section B.5). L'apparition des biomédicaments pose des problèmes pour les systèmes de réglementation établis, notamment en ce qui concerne la façon de réglementer les produits de suivi "biosimilaires" (voir le chapitre II, section B.6), tout en offrant des incitations suffisantes aux laboratoires de princeps.

Une autre difficulté pour les systèmes de réglementation est l'augmentation constante du nombre de produits médicaux de qualité inférieure/faux/faussement étiquetés/falsifiés/ contrefaits, qui posent de sérieux problèmes de santé publique à l'échelle mondiale, notamment dans les régions où les systèmes de réglementation et de répression sont faibles. Pour lutter efficacement contre ces produits, il faut une combinaison de mesures. Il faut des mesures destinées à faire respecter les bonnes pratiques de fabrication afin d'éliminer les produits de qualité inférieure, et des mesures supplémentaires pour lutter contre les produits faux/faussement étiquetés/falsifiés/contrefaits, y compris des contrôles à la frontière et des lois pénales, ainsi qu'une collaboration entre les organismes législatifs, les organismes de répression et les tribunaux aux niveaux national et international (voir le chapitre II, section B.1, et le chapitre IV, section B.7)

Globalement, les organismes de réglementation sont confrontés à la difficulté d'équilibrer l'avantage offert par une mise sur le marché rapide des nouveaux produits et le souci de sécurité et de définir un niveau de risque acceptable. La nécessité de simplifier la réglementation tout en veillant à ce qu'elle reste stricte et efficace par rapport à son coût exige une plus grande coordination par le biais des mécanismes réglementaires régionaux et internationaux, afin que les fournisseurs puissent desservir les marchés régionaux sans se heurter à une réglementation indûment complexe ou coûteuse (voir le chapitre II, section A.6). L'harmonisation internationale complète des normes réglementaires reste un objectif inaccessible. Le programme de présélection de l'OMS a grandement facilité l'accès à des produits médicaux de qualité dans les pays en développement (voir le chapitre IV, section B.7).

L'innovation dans le domaine des technologies médicales se fait dans un cadre de politique complexe en évolution rapide …

L'innovation dans le domaine des technologies médicales exige un mélange complexe d'apports des secteurs public et privé; elle diffère de l'innovation en général en raison de la dimension éthique de la recherche médicale, d'un cadre réglementaire rigoureux, des questions de responsabilité, des coûts élevés et du risque important d'échec. Des facteurs économiques, commerciaux, technologiques et réglementaires ont provoqué un changement rapide du paysage de la R‑D, qui comporte aujourd'hui des modèles d'innovations plus divers et un éventail plus large d'acteurs. L'octroi d'incitations spécifiques pour absorber le niveau élevé du coût ainsi que les risques et les responsabilités associés est un objectif essentiel des politiques; c'est le rôle traditionnel du régime des brevets, notamment appliqué aux produits pharmaceutiques. Bien que les estimations du coût réel de la recherche médicale et du développement de produits soient variables, il est indéniable que l'innovation coûte cher et prend beaucoup de temps. Le risque et l'incertitude de l'innovation accroissent le coût de la R‑D dans ce secteur, car il faut ajouter le coût des produits qui ne parviennent pas à franchir les obstacles réglementaires pour être mis sur le marché (voir le chapitre III, section B.3). L'accroissement des dépenses de recherche médicale n'a pas été compensé par une augmentation proportionnelle du nombre de nouveaux produits mis sur le marché, ce qui a déclenché un débat sur la productivité de la recherche et une quête de nouveaux modèles d'innovation et de financement de la R‑D. De nombreuses initiatives consistent actuellement à étudier de nouvelles stratégies pour le développement de produits, alimentant un riche débat sur la manière d'améliorer et de diversifier les structures d'innovation pour répondre aux besoins de santé non satisfaits. Les discussions actuelles sur les politiques concernent les possibilités de mettre en place des structures d'innovation ouvertes et une série d'incitations par impulsion ou par attraction, y compris des systèmes tels que les fonds pour l'attribution de primes qui découplent le prix des produits du coût de la R‑D (voir le chapitre III, section C.2).

… qui suscite une réflexion nouvelle sur le rôle et la structure du secteur et sur la fracture entre public et privé

Ce paysage de l'innovation en évolution entraîne des changements dans le secteur pharmaceutique. Les facteurs à l'origine de ces changements sont entre autres les suivants: diminution des budgets publics de la santé; participation d'entités à but non lucratif dans la recherche médicale et le développement des produits; exposition à une réglementation plus stricte des produits et à des risques accrus liés à la responsabilité; nouvelles technologies permettant un traitement ciblé; et part accrue des marchés émergents dans la demande mondiale. Le modèle industriel traditionnel de la R‑D interne intégrée verticalement et de la commercialisation exclusive s'ouvre actuellement à des structures plus diverses et à des modes de collaboration plus variés, les grands acteurs du secteur développant des produits en intégrant des technologies acquises ailleurs, soit au moyen de licences, soit à l'issue de fusions et d'intégration d'entreprises plus petites. Les entreprises basées sur la recherche ont également investi dans des capacités de production de génériques. Le rôle de la recherche publique et des établissements universitaires, de plus en plus dans les pays en développement, attire également l'attention, car ils cherchent à concilier les responsabilités d'intérêt public et la nécessité de partenariats avec le secteur privé pour offrir de nouveaux produits médicaux (voir le chapitre III, sections A et B, et le chapitre II, section C).

Les maladies négligées: un problème de politique, mais aussi un sujet d'intérêt croissant pour les initiatives concrètes

Les modèles d'innovation basés sur le marché ne prennent pas en compte la charge de morbidité spécifique des pays en développement, c'est‑à‑dire ce qu'on appelle les maladies négligées. Depuis que cette lacune en matière de recherche a été détectée, le paysage de la recherche sur ces maladies a évolué. Les partenariats pour le développement de produits (PDP), qui réunissent des entités à but non lucratif et des acteurs du secteur, avec un important financement philanthropique, ont été une évolution importante au cours des dix dernières années, qui a permis d'augmenter fortement le nombre de produits en cours de développement pour les maladies négligées et d'identifier des moyens de remédier aux lacunes en matière de recherche (voir le chapitre III, section C.4). Les sociétés qui font de la recherche pharmaceutique s'engagent également de plus en plus dans la recherche philanthropique. Plusieurs sociétés ont créé des instituts de recherche spécialisés dans les maladies qui touchent de façon disproportionnée les pays en développement; elles ont aussi participé à des projets de coopération afin de partager des actifs et des connaissances, tels que WIPO Re:Search, mis au point pour assurer une meilleure utilisation des actifs protégés par la propriété intellectuelle et améliorer l'accès (voir le chapitre III, sections C.5 et C.6). La communauté internationale doit cependant faire beaucoup plus dans ce domaine. Le Groupe de travail consultatif d'experts de l'OMS a recommandé l'ouverture de négociations sur un traité contraignant au niveau mondial concernant la R‑D sur les maladies négligées. Ses recommandations ont été examinées par les États membres de l'OMS lors d'une réunion intergouvernementale qui s'est tenue en novembre 2012 (voir le chapitre III, section C.3).

Le régime de propriété intellectuelle au centre du débat sur l'innovation et l'accès …

Plusieurs éléments du régime de propriété intellectuelle touchent à la fois à l'innovation et à l'accès (voir le chapitre II, section B.1).

L'accent a été mis sur le régime des brevets et la protection des données d'essais, alors qu'il y a d'autres aspects pertinents de la propriété intellectuelle, entre autres la relation entre les marques de fabrique ou de commerce et les dénominations communes internationales (DCI) et les questions de droit d'auteur concernant la notice des médicaments (voir le chapitre II, section B.1). Le régime des brevets a été largement utilisé pour les technologies médicales, notamment par le secteur pharmaceutique. Ce secteur se distingue en effet par le fait qu'il dépend des brevets pour retirer les bénéfices de la R‑D, mais son rôle dans l'innovation et la manière de le rendre plus efficace font l'objet de débats permanents (voir le chapitre III, section B). Les brevets favorisent en principe l'innovation en incitant à investir dans la R‑D, considération qui intéresse en particulier le secteur privé. Les brevets fonctionnent de manière à structurer, définir et instaurer des partenariats pour l'innovation. Leur incidence sur l'accès est complexe et fait l'objet d'une attention particulière: grâce aux options en matière de politique, la simple existence d'un brevet n'est pas nécessairement un obstacle absolu à l'accès, mais il est tout aussi vrai que l'absence d'un droit conféré par le brevet et ayant force exécutoire ne garantit pas un accès effectif (voir le chapitre IV, section C).

L'Accord sur les ADPIC fixe des normes minimales pour la protection et l'application de la propriété intellectuelle. Par exemple, un brevet doit pouvoir être obtenu pour toute innovation, dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive (ou ne soit pas évidente) et qu'elle soit susceptible d'application industrielle (ou soit utile). Le rôle des droits de propriété intellectuelle dans le cycle de l'innovation est examiné au chapitre III, section D. Des critères stricts de brevetabilité et un examen rigoureux des brevets, appuyé par des directives en la matière, contribuent à prévenir les stratégies employées pour retarder l'entrée de produits génériques concurrents, telles que la perpétuation des brevets ou "evergreening" (voir le chapitre III, section D.3, et le chapitre IV, section C.1). L'obligation de rendre l'innovation accessible en la divulguant au public fait partie intégrante du régime des brevets, créant ainsi une vaste base de connaissances. Les renseignements qui en résultent au sujet des brevets servent à définir le champ de la liberté d'action, des partenariats technologiques potentiels et des options en matière d'achat, tout en donnant aux décideurs des indications sur la structure de l'innovation (voir le chapitre IV, section B.5). Les renseignements sur les brevets sont plus accessibles en général, mais la portée des données reste problématique en ce qui concerne de nombreux pays en développement. L'évolution récente indique une augmentation du nombre de demandes de brevet concernant les technologies médicales, émanant d'un éventail plus large d'entités publiques et privées ainsi que des grandes économies émergentes (voir le chapitre II, section B.1).
La protection des données d'essais cliniques illustre également la relation complexe entre le système de propriété intellectuelle et l'innovation et l'accès. Il est important de protéger ces données contre un usage commercial déloyal en raison des efforts considérables déployés pour les produire et mettre ainsi de nouveaux médicaments sur le marché. En revanche, certaines formes de protection des données d'essais peuvent retarder l'entrée des médicaments génériques. L'Accord sur les ADPIC prévoit la protection des données d'essais, mais il ne précise pas la forme exacte qu'elle devrait prendre, et les autorités nationales ont adopté des approches diverses (voir le chapitre II, section B.1).

La manière dont les licences sont délivrées peut déterminer l'incidence des brevets sur la santé publique …

Une délivrance appropriée de licences peut contribuer à instaurer des partenariats et à permettre l'innovation grâce à la coopération, en vue d'exploiter de nouvelles technologies médicales. Les stratégies de délivrance de licences du secteur privé visent généralement des objectifs commerciaux, mais les entités du secteur public peuvent utiliser les brevets de façon expresse à des fins de santé publique. Les nouveaux modèles socialement responsables de délivrance de licences protègent la propriété intellectuelle, tout en faisant en sorte que les nouvelles technologies médicales soient à la portée des communautés mal desservies. Les partenariats public‑privé se sont traduits par des accords de licence créatifs qui visent non pas la maximisation du profit mais la fourniture de technologies essentielles aux pays pauvres à des prix abordables. Les licences volontaires font également partie des programmes de responsabilité sociale des entreprises, notamment en ce qui concerne les traitements du VIH/SIDA. Le Medicines Patent Pool (Communauté de brevets pour les médicaments) a renforcé la tendance aux programmes de licences volontaires qui élargissent l'accès aux médicaments en permettant de nouvelles formulations et en renforçant la fourniture de génériques meilleur marché aux pays en développement (voir le chapitre IV, section C.2).

… de même que les options en matière de politique et les flexibilités relatives à la propriété intellectuelle

Le régime international de la propriété intellectuelle comporte un large éventail d'options en matière de politique et de flexibilités qui peuvent être utilisées pour des objectifs de santé publique. Ces options ne sont cependant pas automatiques au niveau international, et il faut prendre des dispositions au niveau national pour appliquer au mieux de telles flexibilités, de sorte que le régime national de la propriété intellectuelle réponde aux besoins et aux objectifs du pays. Parmi les principales options figurent les périodes de transition pour les pays les moins avancés (PMA) (voir le chapitre II, section B.1), les différents régimes d'épuisement des droits de propriété intellectuelle, l'affinement des critères de délivrance d'un brevet, les procédures d'opposition avant et après délivrance, et les exceptions et limitations aux droits conférés par un brevet une fois celui‑ci délivré, y compris l'exception réglementaire (ou exception "Bolar") destinée à faciliter l'entrée des génériques sur le marché, les licences obligatoires et l'utilisation par les pouvoirs publics. Les pays ont utilisé ces instruments pour améliorer l'accès aux médicaments contre des maladies transmissibles ou non transmissibles (voir le chapitre IV, sections C.1 à C.3). Les Membres de l'OMC sont convenus de modifier l'Accord sur les ADPIC pour permettre un recours plus large aux licences obligatoires et favoriser l'accès aux médicaments: un obstacle juridique potentiel pour les pays qui ont besoin d'importer des médicaments produits à l'étranger dans le cadre d'une licence obligatoire a été ainsi levé grâce à la délivrance de licences obligatoires spéciales pour l'exportation au titre du système dit du "paragraphe 6" (voir le chapitre IV, section C.2, et l'annexe II). Bien que la portée juridique des flexibilités soit désormais plus claire, notamment grâce à la Déclaration de Doha sur la santé publique, et que certaines flexibilités (telles que l'exception "Bolar") soient largement appliquées, le débat se poursuit sur l'utilisation de mesures telles que les licences obligatoires.

Le commerce international est un moyen d'accès essentiel, mais il ne supprime pas les disparités économiques

Le commerce international est indispensable pour l'accès aux médicaments et aux autres technologies médicales, surtout en ce qui concerne les petits pays et ceux qui ont moins de ressources. Il stimule la concurrence, ce qui permet de réduire les prix et d'élargir la gamme des fournisseurs, rendant ainsi l'offre plus sûre et plus prévisible. Le contexte de la politique commerciale, par exemple les droits de douane sur les médicaments, les ingrédients pharmaceutiques et les technologies médicales, influe donc directement sur leur accessibilité (voir le chapitre II, sections B.3 à B.5, et le chapitre IV, section D). La politique commerciale et l'économie des systèmes de production mondiaux sont également des facteurs essentiels dans les plans stratégiques de renforcement des capacités de production nationales concernant les produits médicaux. Une réglementation intérieure non discriminatoire fondée sur les principes d'une bonne politique de santé est également importante pour assurer un approvisionnement régulier de produits de santé de qualité. L'accès au commerce international peut créer des économies d'échelle qui aident à financer les coûts et les incertitudes de la recherche médicale et du développement de produits.

Le commerce des produits liés à la santé a été dominé par les pays développés, mais l'Inde et la Chine sont devenues de grands exportateurs mondiaux de produits pharmaceutiques et d'intrants chimiques, et certains autres pays en développement affichent depuis quelque temps une forte croissance de leurs exportations. Les importations de produits liés à la santé diffèrent considérablement selon le niveau de développement des pays, ce qui montre que les écarts en matière d'accès sont larges et se creusent: au cours des dernières années, les importations des PMA sont celles qui ont le moins augmenté, tout en partant d'une base faible.
Les droits d'importation sur les produits liés à la santé peuvent influer sur l'accès: comme ils augmentent les coûts au début de la chaîne de valeur, leur incidence sur les prix peut être amplifiée. Les pays développés ont en grande partie supprimé ces droits, conformément à un accord sur le commerce des produits pharmaceutiques conclu dans le cadre de l'OMC. D'autres pays les ont fortement réduits, mais la situation reste mitigée: certains pays en développement structurent leurs droits de manière à promouvoir la production locale, alors que les PMA appliquent des droits inférieurs (voir le chapitre IV, section D.1).

La politique de la concurrence favorise l'innovation et contribue à déterminer les conditions d'accès

La politique de la concurrence intervient à tous les stades du processus de fourniture de technologies médicales aux patients, depuis l'élaboration jusqu'à la vente et à la livraison. La création de structures de marché saines et concurrentielles grâce au droit de la concurrence et aux mesures destinées à le faire respecter a donc un rôle important à jouer aussi bien pour élargir l'accès aux technologies médicales que pour favoriser l'innovation dans le secteur pharmaceutique. Elle peut avoir un effet correctif si les droits de propriété intellectuelle entravent la concurrence et constituent donc un obstacle potentiel à l'innovation et à l'accès. Dans plusieurs juridictions, les autorités chargées de la concurrence ont pris des mesures pour remédier aux pratiques anticoncurrentielles dans le secteur pharmaceutique, y compris des règlements amiables concernant les brevets, des pratiques en matière de délivrance de licences et des politiques de prix. La politique de la concurrence a également un rôle important à jouer pour prévenir la collusion entre les fournisseurs de technologies médicales qui participent aux marchés publics (voir le chapitre II, section C.2, et le chapitre IV, section D.2).

Accès aux technologies médicales grâce à des marchés publics plus efficaces

Dans de nombreux pays, l'accès aux technologies médicales dépend en grande partie des marchés publics, les produits pharmaceutiques étant disponibles grâce à des fonds publics ou à des subventions. Les systèmes de marchés publics ont pour but d'acquérir des médicaments et d'autres produits médicaux de bonne qualité, au moment opportun, dans les quantités requises et à des prix favorables. Ces principes sont particulièrement importants dans le secteur de la santé étant donné le montant élevé des dépenses, l'incidence sur la santé du meilleur rapport qualité‑prix et les questions de qualité, sachant que, dans certains programmes, le prix payé pour les médicaments serait beaucoup plus élevé que nécessaire (voir le chapitre IV, section B.5). Les politiques qui favorisent des appels d'offres ouverts et concurrentiels deviennent de plus en plus importantes dans un contexte où les budgets nationaux sont sous pression et où les programmes philanthropiques rencontrent des difficultés de financement. La bonne gouvernance en matière de marchés publics est compatible avec un élargissement de l'accès aux technologies médicales, car elle fait baisser les prix et permet un approvisionnement continu. L'Accord plurilatéral de l'OMC sur les marchés publics offre un cadre international de règles destinées à favoriser l'efficience et la bonne gouvernance dans le domaine des marchés publics, notamment en ce qui concerne les achats de médicaments, en favorisant la transparence, la concurrence loyale et un meilleur emploi des dépenses publiques (voir le chapitre II, section B.4).

Les accords de libre‑échange au‑delà de la sphère multilatérale ont rendu plus pertinentes les questions d'accès

Le cadre international en matière de politique et en matière juridique est devenu plus complexe en raison de la multiplication récente des accords commerciaux et des accords sur la propriété intellectuelle conclus en dehors des instances multilatérales établies. Le débat concernant les politiques s'est centré sur la propriété intellectuelle et les mesures de réglementation des produits pharmaceutiques figurant dans ces accords, ainsi que sur leur incidence sur l'accès aux médicaments. Par exemple, la prolongation de la durée des brevets, l'exclusivité des données et d'autres mesures telles que la pratique du lien avec le brevet ("patent linkage") qui figurent dans certains accords de libre‑échange sont destinées à encourager l'innovation, mais elles risquent d'influer sur l'accès aux médicaments en retardant l'entrée des génériques sur le marché (voir le chapitre IV, section C.5). Ces accords fixent également des normes dans d'autres domaines ayant des incidences sur l'accès, notamment des normes relatives aux marchés publics et à la politique de la concurrence, ainsi que des droits de douane préférentiels sur les produits pharmaceutiques, les intrants et d'autres produits de santé (voir le chapitre II, section B.5, et le chapitre IV, section C.5). L'effet global de cette tendance sur le système international n'a pas encore été analysé de manière systématique, notamment en ce qui concerne les implications complètes de ces accords pour l'accès aux technologies médicales.