DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT ALAN WM. WOLFF

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Géopolitique et économie: Impacts de la pandémie actuelle sur les activités mondiales et le secteur de la santé et des soins de santé

Observations de M. Alan Wm. Wolff, Directeur général adjoint, Organisation mondiale du commerce

Forum économique mondial, Groupe d'action sur le secteur de la santé et des soins de santé (réunion virtuelle), le 12 novembre 2020

  • À l'instar du changement climatique, la pandémie est un problème mondial qui appelle une réponse mondiale.
  • À cet égard, le système commercial mondial se trouve face à deux défis à relever dans l'immédiat, à savoir:
    • faciliter le commerce transfrontières de biens et de services essentiels pour faire face à la COVID-19, et
    • soutenir la reprise économique mondiale.

Depuis le début de la pandémie, l'OMC a fourni les renseignements nécessaires pour permettre aux gouvernements nationaux de prendre des décisions plus éclairées. Cela a notamment permis d'éviter que des contrôles à l'exportation des produits alimentaires ne soient imposés.

Mais il faut aller plus loin.

  • Les droits de douane sur les produits pharmaceutiques et les fournitures médicales devraient être supprimés.
    • Il conviendrait d'actualiser l'Accord sur les produits pharmaceutiques de 1994 (dernière mise à jour en 2010) afin d'élargir l'éventail des produits et des pays visés (qui ne représentent actuellement plus que 66% des échanges mondiaux contre 90% par le passé).
    • Les fournitures médicales devraient également être couvertes par l'Accord.
  • Une mise à jour de l'Accord sur les technologies de l'information devrait être immédiatement réalisée afin d'accorder un traitement en franchise de droits au matériel médical.
  • Les contrôles à l'exportation devraient être effectués conformément à un code de conduite convenu.
    • Avant d'imposer de tels contrôles, les pays devraient examiner les incidences des restrictions à l'exportation sur les autres pays.
    • Dans la mesure du possible, il devrait y avoir une notification préalable.
    • La possibilité de procéder à des consultations devrait être offerte.
    • Les contrôles à l'exportation devraient être appliqués pour une durée limitée, être adaptés aux besoins et être déterminés de manière objective.
    • Il conviendrait de procéder immédiatement à un examen international des restrictions à l'exportation en vigueur.
      • Lorsque des contrôles à l'exportation sont envisagés, les pays et les entreprises devraient comprendre qu'en devenant des fournisseurs peu fiables, c'est leur future participation à l'économie mondiale qui s'en trouverait affectée.
  • Le Secrétariat de l'OMC devrait être doté des ressources et du mandat nécessaires pour lui permettre d'assurer un suivi beaucoup plus complet.
  • La télémédecine et la cybersanté transfrontières devraient être facilitées pendant la pandémie.
    • La crise a suscité une forte augmentation de l'utilisation des services de télémédecine.
    • Les prestataires de soins de santé s'efforcent de plus en plus de fournir des services au-delà des frontières pour venir en aide à des patients étrangers ou, plus souvent, à des collègues et à des établissements de santé étrangers (par exemple, en réalisant des télédiagnostics et des téléradiologies ou en formulant un deuxième avis).
    • Une coopération internationale au niveau gouvernemental, en particulier entre les responsables des secteurs de la santé, des technologies de l'information, des télécommunications et du commerce (ainsi que de l'industrie) est nécessaire pour relever les défis posés par une augmentation fiable et durable des services liés à la télémédecine. L'objectif principal est de permettre aux patients d'accéder à des services essentiels tout en garantissant la sécurité et la confidentialité. À cet égard, les problèmes à résoudre ont trait à l'enregistrement, à la délivrance des licences ainsi qu'aux qualifications et à leur reconnaissance. Il est nécessaire de renforcer la coopération dans le domaine de la réglementation, notamment afin d'éliminer les divergences réglementaires, d'améliorer la transparence et d'apporter plus de certitude aux prestataires de services œuvrant dans le secteur des soins de santé.
  • Les négociations à l'OMC devront finalement traiter des questions en lien avec les flux de données, la confidentialité, le stockage des données/la localisation des serveurs et les engagements en matière d'accès au marché des nouveaux services qui auront des répercussions directes sur la fourniture de services de santé à distance, en particulier à l'étranger.
    • L'évolution du commerce numérique a tendance à estomper la distinction entre biens et services.
      • Par exemple, une radiographie, qui aurait été, dans le passé, transmise sur un support plastique et qui l'est à présent par voie électronique dans un autre pays, constitue-t-elle un “bien numérisé” qui peut être assujetti à un droit de douane — si les Membres conviennent que le moratoire vise le “contenu” et que le moratoire relatif aux droits de douane frappant les transmissions électroniques n'est pas prolongé ou rendu permanent.
        • Qu'en est-il pour une prothèse de hanche imprimable en 3D ou un plâtre orthopédique transmis par voie électronique à l'étranger?

S'agissant de l'innovation et du commerce

  • Il est impératif de maintenir le libre échange transfrontières des idées, des intrants et des financements pour favoriser le développement de nouvelles idées et technologies.
    • Cette nécessité a été fortement démontrée dans le cadre de la collaboration avec la société Pfizer-BioNTech en vue de la recherche d'un vaccin contre la COVID-19, qui se révèle prometteur.
    • Le vaccin, qui se fonde sur une approche jamais utilisée auparavant pour induire une réponse immunitaire, a été mis au point par la société allemande BioNTech. Comme cette société n'avait pas les ressources nécessaires pour effectuer des essais cliniques, elle s'est associée au géant pharmaceutique américain Pfizer pour mettre au point le vaccin. La société BioNTech est cotée au NASDAQ à New York et a également reçu des financements du gouvernement allemand, de la Banque européenne d'investissement et de Fosun, un conglomérat d'investissement chinois. Le fondateur de la société est le fils d'un ouvrier automobile turc qui est venu en Allemagne de l'Ouest pour travailler sur une chaîne de montage dans une usine Ford.
    • Il reste à espérer que ce vaccin ainsi que d'autres se révéleront efficaces et déployables à grande échelle. Quoi qu'il en soit, nous pouvons affirmer deux choses avec certitude:
      • Dans un monde aux frontières moins ouvertes, l'innovation serait plus lente.
      • Sans véritable coopération internationale, il faudra beaucoup plus de temps pour déployer la production de vaccins dans le monde, d'où davantage de décès, des scolarités plus longtemps perturbées et des dommages économiques accrus.
    • En ce qui concerne la propriété intellectuelle, il faudra trouver un équilibre optimal entre avantages privés et bénéfices publics en termes de baisse des prix et capacité de s'appuyer sur les pionniers pour les innovations ultérieures.
    • Les gouvernements, les organismes internationaux et les organisations philanthropiques ont lancé un certain nombre d'initiatives visant à accélérer la mise au point et le déploiement de vaccins, de thérapies et de diagnostics. Pour atteindre ces objectifs, ils auront toutefois besoin davantage de financements et, tout autant, d'une coopération renforcée en vue d'un partage équitable des fournitures au fur et à mesure qu'elles deviendront disponibles.
    • Les solutions ne peuvent être viables si elles sont limitées du point de vue de la disponibilité.

S'agissant de la faisabilité de la relocalisation

  • Cette année, le commerce s'est avéré essentiel pour répondre aux besoins mondiaux en matière de fournitures médicales. Les stocks nationaux se sont révélés insuffisants et l'investissement n'a constitué qu'une partie de la solution. 
    • Le commerce a joué un rôle essentiel pour répondre à la demande considérablement accrue de produits médicaux et de médicaments. D'après les données de l'OMC, les échanges d'équipements de protection individuelle ont plus que doublé entre mai 2019 et mai 2020, ce qui a largement contribué à créer une résilience de l'offre, bien que des pénuries persistent même dans les économies avancées.
    • Des chaînes d'approvisionnement exclusivement nationales n'auraient pas été en mesure de répondre à une augmentation de la demande aussi soudaine et importante. Les contrôles à l'exportation ont sans doute aggravé les problèmes, même si nombre d'entre eux ont été réduits par la suite.
    • Il semblerait que le choc ait subsisté dans l'esprit des responsables politiques de nombreux pays après des appels initiaux à la relocalisation de la production manufacturière pour les produits essentiels.
    • Les partisans de la relocalisation prétendent souvent qu'elle ne comporte aucun risque. C'est faux. En effet, si la concentration de la production à l'intérieur du pays peut la protéger des turbulences externes, elle rend toutefois les sources d'approvisionnement nationales plus vulnérables aux perturbations localisées, telles qu'un ouragan ou une épidémie. En outre, les paramètres économiques font qu'une autosuffisance complète est irréalisable pour tout pays, qu'il soit riche ou pauvre.
    • Le fait de disposer de marchés internationaux profonds et diversifiés constitue le moyen le plus prometteur et le plus rentable d'assurer la résilience de l'offre. Mais la viabilité dépendra toutefois de la confiance que les pays et leurs citoyens seront disposés à placer dans ces marchés en cas de crise.

S'agissant de la dépendance à l'égard des chaînes mondiales d'approvisionnement

  • L'économie sera le principal déterminant de la résilience de la chaîne internationale d'approvisionnement. 
  • Si les pays sont assurés de pouvoir compter sur les marchés internationaux pour leurs importations lorsqu'ils en ont besoin, ils auront moins de raisons de restreindre leurs exportations.
    • Selon les données préliminaires, les mesures visant à diversifier les chaînes d'approvisionnement se sont surtout traduites par un déplacement des activités de production entre pays à faibles coûts.
    • L'utilisation de machines de plus en plus perfectionnées a déjà réduit l'importance de l'arbitrage des coûts de main-d'œuvre dans le choix du lieu de fabrication.
    • La productivité sera un facteur déterminant de la capacité des entreprises à faire face à la concurrence internationale.
    • Il y a quelques années, la Brookings Institution a examiné cinq déterminants clés de l'environnement du secteur manufacturier, à savoir: 1) les politiques et réglementations générales; 2) la politique fiscale; 3) les coûts de l'énergie, des transports et de la santé; 4) la qualité de la main-d'œuvre; et 5) l'infrastructure et l'innovation. Il est intéressant de noter que la prévisibilité politique et économique, en particulier grâce à l'application de politiques commerciales ouvertes, figurait en tête de liste des recommandations pour une amélioration de l'environnement du secteur manufacturier formulées dans le cadre de l'étude.
    • Pour jouer un rôle croissant dans les choix nationaux, il est essentiel que la relocalisation de proximité et la délocalisation de voisinage obéissent à ces règles économiques.

S'agissant des tensions géostratégiques et du commerce mondial

  • Le fait que les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine sont marquées par la méfiance et les difficultés et que les États-Unis et l'Europe s'affairent à relever les droits de douane à la suite du différend entre Boeing et Airbus n'empêchera nullement ceux qui rencontrent des problèmes persistants ou temporaires de lutter ensemble contre une menace commune.
    • Cela s'est vérifié tout au long de l'histoire malgré les rivalités. La coalition des alliés pendant la Seconde Guerre mondiale en est un excellent exemple.
    • Aujourd'hui, nous devons faire face à des difficultés sanitaires et économiques considérables, sans parler de la crise climatique grandissante. Ces différentes crises exigent des réponses collectives
    • Le commerce et la politique commerciale ne peuvent à eux seuls résoudre les problèmes actuels et ils risquent davantage de refléter les tensions géopolitiques plutôt que de les atténuer. Néanmoins, les échanges peuvent contribuer à apporter des solutions. Tous les pays ont des intérêts mutuels considérables à cet égard et les institutions internationales telles que l'OMC ont pour mission d'aider les gouvernements à poursuivre des intérêts communs. La rivalité ne saurait servir de prétexte à l'inaction.

Rôle des acteurs du secteur

  • Les producteurs de biens essentiels, de médicaments et de vaccins et les fournisseurs de services de santé doivent être mis à contribution dans le cadre de l'élaboration des politiques publiques face aux défis posés par la pandémie. 
  • Vous avez la possibilité d'établir des ententes internationales qui favoriseront la coopération internationale et permettront ainsi de lutter de la manière la plus efficace contre la pandémie de COVID-19 à l'échelle mondiale. 
  • Nos gouvernements Membres et le Secrétariat de l'OMC ont besoin de votre engagement actif.

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