NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

Dialogue informel des Ministres du commerce sur le changement climatique — Bali (Indonésie)

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La question du changement climatique recoupe de multiples façons celle du commerce international.  Bien que l'Organisation mondiale du commerce n'ait pas de règles qui concernent spécifiquement l'énergie, l'environnement ou le changement climatique en soi, il ne fait aucun doute que les règles du système commercial multilatéral — dans son ensemble (c'est-à-dire le “règlement” de l'OMC) — ont à voir avec le changement climatique.

Actuellement, les avis sur ce que le système commercial devrait faire au sujet du changement climatique sont très divers.  Certains voudraient le voir réduire son propre “bilan carbone” dû aux émissions de gaz à effet de serre créées par la production, le transport international et la consommation des biens et services échangeables;  d'autres préféreraient aborder la question sous un angle différent.

Certains voudraient que le système commercial compense tout désavantage compétitif qu'ils subissent en raison de la lutte contre le changement climatique.  Ils voudraient plus précisément imposer à leurs frontières un coût économique sur les produits importés équivalant à celui qu'ils paient pour réduire leurs propres émissions.  Autrement dit, une façon d'imposer “l'égalité des conditions”, si l'on veut, en fonction de ce que le pays importateur considère comme étant le meilleur moyen d'égaliser les conditions.

Et, bien entendu, il y a de nombreuses idées dans l'air sur ce que pourraient être ces mesures de (je cite) “compensation”, l'essentiel du débat portant naturellement sur les secteurs économiques les plus exposés au commerce international et les plus gros consommateurs d'énergie comme le fer, l'acier et l'aluminium.  Certains envisagent par exemple l'imposition de taxes intérieures sur le carbone, avec un ajustement correspondant à la frontière;  d'autres envisagent des systèmes de plafonnement et d'échange d'émissions (“cap and trade”), avec l'obligation pour les importateurs d'y participer.

Un autre groupe préférerait mettre l'accent sur ce qui est immédiatement “livrable” — si je puis dire — par le système commercial dans la lutte contre le changement climatique.  Ce qu'ils entendent par là, c'est l'ouverture des marchés aux biens et services environnementaux, notamment ceux qui ont un rapport avec le changement climatique, par le biais des négociations commerciales actuelles du Cycle de Doha.

Il ne s'agit là que de quelques-unes des idées que j'ai entendues jusqu'à présent sur la façon dont certains voudraient positionner le système commercial multilatéral à l'égard du changement climatique.  Il y en a d'autres, assurément, et l'on travaille beaucoup en ce moment — en divers endroits — sur la façon dont l'instrument réglementaire qu'est l'OMC pourrait être exploité dans la lutte contre ce défi écologique.  Alors que certains se tournent vers les règles de l'OMC relatives aux taxes, d'autres pensent par exemple aux règles applicables aux subventions et à la propriété intellectuelle.

Mon point de départ dans ce débat consiste à dire que la meilleure façon de définir la relation entre le commerce international — et même l'OMC — et le changement climatique serait de conclure un accord international consensuel sur le changement climatique qui rassemblerait l'ensemble des gros pollueurs.  Autrement dit, tant qu'un consensus véritablement mondial ne sera pas réuni sur la meilleure manière de s'attaquer à la question du changement climatique, les Membres de l'OMC continueront d'avoir des avis différents sur ce que le système commercial multilatéral peut et doit faire à ce sujet.

Il est hors de doute que les réglementations commerciales ne remplacent pas, et ne peuvent pas remplacer, les réglementations environnementales.  Le commerce, et plus particulièrement l'instrument de réglementation commerciale qu'est l'OMC, ne peut — au mieux — qu'apporter une partie de la réponse au changement climatique.  Ce n'est pas à l'OMC qu'un accord sur le changement climatique peut être conclu, c'est dans une instance chargée de l'environnement comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.  Un tel accord doit ensuite envoyer à l'OMC un signal approprié sur la meilleure façon de mettre les règles de l'Organisation au service du développement durable;  en d'autres termes, un signal sur la manière dont cet instrument réglementaire particulier devrait être employé dans la lutte contre le changement climatique.

Faute d'un tel signal, la confusion persistera sur ce en quoi devrait consister une réponse appropriée du système commercial multilatéral.  Prenons par exemple la question du bilan carbone du système commercial international.  On parle beaucoup dans la presse actuellement du bilan carbone du transport international.  Il y a d'ailleurs un nouveau concept qui apparaît, celui des “kilomètres alimentaires” (“food miles”).  Il s'agit, en d'autres termes, du souhait exprimé par les consommateurs dans certains pays de calculer le carbone émis durant le transport international, avec déjà, chez beaucoup d'entre eux, la conclusion qu'il vaut mieux (je cite) “produire simplement chez soi” pour réduire au minimum les émissions.

Mais cet argument ne résiste pas toujours à une vérification empirique.  En réalité, 90 pour cent des produits échangés dans le commerce international voyagent par mer.  Et le transport maritime est de loin le mode le plus économe en carbone, avec seulement 14 grammes d'émissions de CO2 par tonne-kilomètre.  Viennent ensuite, le transport ferroviaire, puis le transport routier.  Le transport aérien est de loin celui qui émet le plus de CO2 par tonne-kilomètre (au moins 600 grammes), ce qui illustre l'impact comparativement élevé de ce mode de transport sur le climat.

  • En outre, diverses études réalisées au sujet du “kilométrage carbone” des biens échangés montrent que la question peut souvent être contre-intuitive, si je puis dire.

  • Certaines études montrent, par exemple, qu'une fleur kenyane envoyée par avion en Europe émet trois fois moins de CO2 que les fleurs cultivées en Hollande.

  • D'autres montrent que l'agneau de Nouvelle-Zélande transporté au Royaume-Uni peut en fait générer 70 pour cent de CO2 de moins que l'agneau produit au Royaume-Uni.

  • De même, certains engrais produits aux États-Unis et transportés en Europe peuvent générer 13 pour cent de CO2 en moins que ceux qui sont produits en Italie, etc.

  • Je ne dis pas que c'est toujours le cas, mais c'est certainement un problème qui exige une analyse au cas par cas et une vérification empirique.  Dans le cas des produits alimentaires, notamment, il ne faut pas négliger le coût des serres dans les climats froids et le stockage hors saison qui consomme beaucoup d'énergie.

 

Seule une approche multilatérale du changement climatique nous permettra d'aborder ces questions comme il convient.  Un accord multilatéral réunissant l'ensemble des gros pollueurs serait l'instrument international le mieux placé pour orienter les autres, telle l'OMC, ainsi que tous les acteurs économiques sur la façon dont les externalités environnementales négatives doivent être internationalisées.  C'est seulement avec un tel instrument que nous pourrons aller vers une fixation correcte du prix de l'énergie.

De la même façon, seul un tel accord pourrait convenir comme arbitre pour les mesures dont un pays a effectivement besoin à ses frontières à des fins environnementales.  En fait, une solution multilatérale efficace au changement climatique pourrait et devrait se passer du besoin de (je cite) “compenser” les désavantages compétitifs lorsque les pays considèrent qu'ils procèdent à des réductions d'émissions équitables.  Autrement dit, qu'ils opèrent au sein d'une architecture environnementale qui égalise les conditions, sur la base des principes reconnus du droit environnemental international tels que la responsabilité commune mais différenciée.

Maintenant, en travaillant à la réalisation d'un accord international sur le changement climatique, les pays devront assurément réfléchir au rôle du commerce international dans un tel accord.  Le commerce entraîne des gains d'efficacité en permettant aux pays de se spécialiser dans ce qu'ils savent le mieux produire.  Et il crée de la croissance économique, leur offrant ainsi la possibilité d'investir cette croissance dans la prévention et la réduction de la pollution s'ils prennent la décision politique de le faire.  Mais, pour que les avantages du commerce se matérialisent véritablement, autrement dit pour que ses gains d'efficacité se traduisent aussi par une baisse des émissions de gaz à effet de serre, il faut instaurer le contexte environnemental qui convient au commerce.  En d'autres termes, il faut fixer correctement les prix de l'énergie et ajuster les procédés de production en conséquence.  Ce sera alors au système commercial de répondre à ces règles environnementales dès qu'elles auront été établies.

L'instrument réglementaire qu'est l'OMC peut certainement être utilisé dans la lutte contre le changement climatique et être “adapté” si les gouvernements en ressentent le besoin pour mieux atteindre leurs objectifs.  L'OMC a des règles concernant les normes de produit, par exemple, qui encouragent les Membres à recourir aux normes internationales fixées par des institutions internationales plus spécialisées.  Elle a des règles concernant les subventions, les taxes, la propriété intellectuelle, et ainsi de suite.  Tous ces outils peuvent se révéler très utiles dans la lutte contre le changement climatique mais, à cette fin, ils auraient besoin d'être mobilisés selon des paramètres environnementaux plus clairs que seule peut fixer la communauté internationale.

En l'absence de tels paramètres, l'OMC continuera à être tirée à gauche et à droite par différents acteurs, en n'ayant guère de chances d'atterrir au centre!  Chacun de ses Membres aura une interprétation différente à proposer sur la meilleure façon d'égaliser les conditions.  Et je voudrais mettre en garde contre une telle issue;  le monde pourrait se retrouver avec un véritable écheveau de mesures de “compensation” qui n'atteignent aucun objectif ni commercial ni environnemental.

Il est hors de doute que l'une des contributions que l'OMC peut apporter immédiatement à la lutte contre le changement climatique est effectivement d'ouvrir les marchés aux technologies et aux services écologiques.  Les négociations commerciales du Cycle de Doha offrent une voie pour élargir l'accès à des produits tels que les épurateurs, les filtres à air et les services de gestion de l'énergie.  Mais, comme on peut s'y attendre, la question de savoir ce qui est ou n'est pas un bien environnemental fait l'objet d'intenses débats.

Pour les économistes, les choses semblent plus claires.  Ils nous disent qu'aujourd'hui le marché mondial des biens et services environnementaux est estimé à plus de 550 milliards de dollars par an.  L'OCDE estime que les services écologiques représentent 65 pour cent de ce marché, et les biens écologiques 35 pour cent.  Les produits et les services destinés à prévenir et atténuer le changement climatique constituent une proportion importante de ces chiffres.

Lancées dans le contexte plus large du chapitre du Cycle de Doha consacré à l'environnement, qui comprend aussi des questions telles que la réduction des subventions à la pêche, et renforçant le soutien mutuel entre les règles de l'OMC et les accords environnementaux multilatéraux, les négociations sur les biens et les services environnementaux pourraient se traduire par un double gain pour certains Membres.  Un gain pour l'environnement et un gain pour le commerce.

  • Pour un pays comme l'Indonésie, qui figure parmi les dix premiers exportateurs mondiaux de condenseurs de vapeur, ce mandat peut représenter effectivement un double gain.

  • De même, pour l'Inde, qui figure parmi les dix premiers exportateurs mondiaux de turbines hydrauliques;  ou pour la Malaisie, qui est parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux de cellules photovoltaïques;  ou pour la Thaïlande qui compte parmi les dix premiers exportateurs mondiaux de machines à filtrer et purifier les gaz.

Il est certain que nous ne devrions pas manquer une occasion d'ouvrir les marchés pour les technologies et les services écologiques dans le cadre des négociations de Doha.  Mais, en agissant ainsi, nous devons être conscients qu'en fin de compte, c'est l'existence de réglementations environnementales qui orientera la demande relative à ces biens et services.  D'où l'importance, une fois encore, d'établir le bon cadre environnemental à l'intérieur duquel l'ouverture des marchés pourra avoir lieu.

Une approche multilatérale du changement climatique centrée sur l'action collective est absolument indispensable.

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