NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

Série de conférences de la Bibliothèque audiovisuelle de droit international de l'ONU

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Je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui et d'être associé à cette série de conférences de la Bibliothèque audiovisuelle de droit international de l'ONU. Je crois fermement que l'œuvre de l'ONU est importante pour maintenir la paix entre toutes les nations, riches et pauvres, grandes et petites, et pour construire une planète meilleure, ancrée sur l'égalité de tous les États et sur le respect des droits humains et des libertés de toutes les femmes et tous les hommes, sans exclusive. Je crois aussi que l'acquisition de savoir et l'éducation sont des composantes essentielles de cet effort de construction.

Aujourd'hui, je tenterai de mettre en lumière quatre aspects du rôle de l'OMC dans l'ordre juridique international actuel. Premièrement, je décrirai pourquoi et en quoi l'OMC est une organisation très classique tout en étant moderne. Deuxièmement, je montrerai que même si l'OMC est une organisation puissante qui s'occupe essentiellement du commerce, elle reconnaît que les considérations autres que d'ordre commercial sont importantes et que l'ouverture des marchés commerciaux au profit de tous ne signifie pas que le commerce éclipse les autres considérations ou autres valeurs. Troisièmement, je ferai valoir que l'OMC mène un dialogue permanent avec de nombreuses autres organisations internationales et que, dans les faits, elle accorde un poids juridique aux normes qu'élaborent ces organisations. Enfin, je conclurai en montrant comment l'OMC s'emploie à œuvrer de concert avec l'ONU sur plusieurs fronts, dans le cadre des efforts qu'elle déploie pour résoudre les problèmes de l'humanité, en particulier ceux qui ont trait au commerce. Par ces actions, l'OMC contribue à améliorer la cohérence au sein du système juridique international.
  

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1. L'OMC, une institution à la fois traditionnelle et moderne

L'OMC est une organisation internationale. Voilà une affirmation qui peut paraître évidente, et pourtant il a fallu plus de 50 ans pour parvenir à ce résultat! Ce long effort pour exister sur le plan juridique a laissé des empreintes. Il explique peut-être pourquoi l'OMC demeure aujourd'hui une organisation internationale très traditionnelle et classique même si elle a acquis des caractéristiques très modernes.

L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le GATT), dont l'OMC a pris la place en 1994, était un accord provisoire entré en vigueur en janvier 1948, qui devait s'effacer derrière le traité portant création de l'Organisation internationale du commerce. Ce traité n'ayant jamais été ratifié, le GATT est resté pendant un demi-siècle un accord en forme simplifiée, en principe dépourvu de tout prolongement institutionnel. Le GATT n'avait donc pas de “Membres” mais des “Parties contractantes”, terme qui soulignait sa nature purement contractuelle.

Ce n'est qu'environ 50 ans plus tard, avec la conclusion de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, qu'une véritable organisation internationale dotée de sa propre personnalité juridique internationale a enfin vu le jour. Pour éviter toute ambiguïté, l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (l'OMC) dispose, à l'article VIII, que l'Organisation “aura la personnalité juridique internationale”. Aucune autre organisation internationale n'a éprouvé le besoin de réaffirmer dans son acte constitutif son statut d'organisation internationale, mais les Membres de l'OMC ont estimé qu'ils devaient le faire — et je crois qu'ils étaient fiers de le faire.

Les incidences de ce statut sont multiples. Comme il en est pour toute organisation internationale, les compétences de l'OMC sont limitées par le principe de spécialité. L'OMC s'occupe du commerce et ne cherche pas à aller au-delà de ce cadre même si elle reconnaît, bien entendu, que ses Membres doivent composer avec des politiques et des obligations internationales qui vont au-delà du commerce.

Véritable organisation internationale, l'OMC est désormais porteuse d'un ordre juridique intégré et particulier: elle produit un ensemble de règles de droit qui régit l'action de ses Membres. Son assise législative est importante. Elle a la capacité institutionnelle de produire de nouvelles règles ainsi que de nouveaux amendements et instruments de mise en œuvre. L'Accord sur l'OMC est un traité comportant quelque 500 pages de texte s'accompagnant de plus de 2 000 pages de listes d'engagements. En outre, 50 années de pratique et de décisions du GATT — ce qu'on appelle l'“acquis du GATT” — ont été incorporées dans ce qui constitue le nouveau traité de l'OMC. Mais à l'OMC, les règles commerciales sont toujours en cours de négociation. Le Programme de Doha pour le développement, le PDD, est le “cycle” de négociations le plus récent. Durant ces cycles, un large éventail de questions sont ouvertes simultanément à la négociation et débouchent, à terme, sur l'adoption de nouvelles obligations juridiques.

Ces règles de droit constituent un système intégré. En effet, les accords de l'OMC sont intégrés dans un “engagement unique” qui forme un ensemble cohérent. Plusieurs dispositions le rappellent, notamment l'article II:2 qui précise que les accords commerciaux multilatéraux “font partie intégrante” de l'Accord instituant l'OMC et sont “contraignants pour tous les Membres”. C'est pourquoi ils figurent en annexe à l'Accord instituant l'OMC. À plusieurs reprises, l'Organe de règlement des différends (ORD) a affirmé que les Membres doivent se conformer à toutes les dispositions de l'OMC, lesquelles doivent être interprétées de façon harmonieuse et appliquées de façon cumulative et simultanée. Ainsi, le traité de l'OMC est bien un “accord unique” ayant mis en place un “ordre juridique organisé”.

L'OMC est fondée en grande partie sur le principe de l'égalité souveraine des États. Toutefois, elle sait aussi faire œuvre de pragmatisme — propre à la discipline du commerce — dans l'application des principes du droit international classique. L'égalité se manifeste particulièrement dans la prise de décisions, par exemple. D'un point de vue formel, la règle de l'OMC est “un pays, une voix” (à la différence du processus décisionnel d'autres organisations internationales à vocation économique telles que la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international). Mais, à l'heure actuelle, la pratique des décisions par consensus est largement acceptée à toutes les étapes de son processus décisionnel. S'il est vrai que cette nécessité de consensus est respectée au prix d'une certaine lenteur dans les négociations, elle permet à tous les États, quelle que soit leur part du commerce mondial, de s'exprimer et de s'engager à égalité.

En effet, ainsi que le Secrétaire général de l'ONU l'a rappelé devant l'Assemblée générale de l'Organisation en 2004, l'égalité est une exigence fondamentale:

“Au niveau international, tous les États, les forts et les faibles, les grands et les petits, doivent disposer d'un ensemble de règles équitables et savoir que les autres s'y plieront. Heureusement, cet ensemble de règles existe. Du commerce au terrorisme, du droit de la mer aux armes de destruction massive, les États se sont dotés d'une impressionnante collection de normes et de lois.”

Mais, comme le précise Kofi Annan, ces règles doivent aussi être équitables. C'est pourquoi l'OMC va plus loin que l'égalité formelle pour rechercher une égalité réelle. Il n'y a de véritable égalité qu'entre égaux. En matière commerciale, certains pays moins développés doivent bénéficier de flexibilités pour que commerce et développement continuent à aller de pair. À l'OMC, les pays en développement peuvent donc bénéficier d'une série d'avantages non réciproques, notamment des dispositions relatives au traitement spécial et différencié.

L'OMC est une organisation classique car sa sphère de compétence est limitée, elle fonctionne par consensus et elle est régie par ses Membres. L'OMC s'occupe de commerce et seulement de commerce. Au demeurant, comme j'y reviendrai en détail plus loin, elle a établi d'importantes exceptions qui reconnaissent aux États le droit d'accorder la priorité à des politiques autres que d'ordre commercial. Elle permet même de faire abstraction des obligations commerciales lorsque cela se fait de bonne foi et sans visée protectionniste.


  

L'OMC, une organisation moderne

L'OMC est donc une organisation classique, mais elle possède aussi des caractéristiques très modernes.

L'OMC offre à ses Membres une enceinte permanente pour les négociations portant sur leurs relations commerciales multilatérales. Dans le monde d'aujourd'hui, les États ont besoin d'instances permanentes pour les négociations et les discussions et, dans cette perspective, la structure institutionnelle de l'OMC est bien développée. Nous avons différents niveaux et différentes formes de prise de décisions qui doivent être suivis. Ce système fait que les questions portées devant l'OMC ne peuvent tout simplement pas être ignorées.

L'OMC présente aussi la particularité de réunir, en droit, l'ensemble de ses Membres dans l'ensemble de ses organes: aussi bien dans la Conférence ministérielle qui se réunit au moins tous les deux ans que dans le Conseil général qui fonctionne en tant que principale instance décisionnelle entre les conférences ministérielles, sans oublier l'ensemble des conseils et comités. S'il est vrai que le consensus est une exigence astreignante, il a fait en sorte que les nouvelles puissances évoluant dans le monde d'aujourd'hui puissent se forger une place dans le processus décisionnel. Par exemple, il y a environ dix ans, le QUAD (États Unis, CE, Japon, Canada) était perçu comme le groupe noyau où les projets de décision devaient subir leur premier test. Aujourd'hui, le QUAD n'est plus, et nous parlons plutôt du G 4 (États Unis, CE, Inde, Brésil). En outre, on ne peut proposer aucune nouvelle règle sans prendre le pouls de pays tels que la Chine, l'Afrique du Sud et l'Indonésie, pour n'en citer que quelques-uns.

Plus important encore, peut-être, l'OMC a mis en place des mécanismes d'exécution solides et modernes. Par mécanismes d'exécution, j'entends aussi bien nos mécanismes de transparence, de surveillance et de suivi que nos systèmes contraignants de règlement des différends. Examinons, pour commencer, les mécanismes de surveillance potentiellement novateurs dont nous disposons.

L'Accord sur l'OMC prévoit de multiples notifications et examens de législations par l'ensemble des Membres, ainsi que la possibilité d'une notification croisée par laquelle un Membre notifie à l'OMC une mesure qui n'a pas été notifiée par le Membre qui en est l'auteur. Toutes les notifications et notifications croisées sont examinées et débattues par les Membres au sein des comités et conseils pertinents. Il existe un processus collectif de surveillance, par exemple dans le cadre du Mécanisme d'examen des politiques commerciales (MEPC), “processus d'examen par les pairs” qui couvre toute la gamme des politiques et pratiques commerciales des divers Membres et leur incidence sur le fonctionnement du système commercial multilatéral. L'objectif est de permettre une appréciation et une évaluation collectives de ces politiques et pratiques. Le rapport d'examen des politiques commerciales examine également l'incidence de ces politiques et pratiques sur le système commercial multilatéral. L'examen a pour toile de fond les besoins, les politiques et les objectifs économiques et de développement plus généraux du pays ainsi que son environnement économique extérieur. Il s'agit, là encore, d'un processus très novateur qui témoigne du niveau de sophistication juridique et institutionnelle de l'OMC. C'est pourquoi les États, faibles et forts, ont largement recours à cette instance.

Décrit comme le “joyau de la Couronne”, le processus juridictionnel formel de l'OMC pour le règlement des différends entre ses Membres est résolument moderne et, pour l'heure, unique en son genre. Il s'agit d'une juridiction obligatoire à laquelle les Membres ont largement accès. Aucun Membre ne peut s'opposer à ce qu'un autre Membre engage une procédure de règlement de différend. Contrairement à ce qui peut exister dans d'autres instances internationales, notamment à la Cour internationale de Justice, tous les Membres de l'OMC ont, par définition, accepté la juridiction obligatoire et exclusive de l'Organe de règlement des différends pour toute affaire se rapportant aux accords de l'OMC.

Caractéristique importante — et, à de nombreux égards, innovante — de ce système, l'intérêt juridique et économique à agir est présumé. Tout Membre, grand ou petit, ayant ou non des relations commerciales avec le Membre mis en cause, peut engager une procédure de règlement de différend. Dans le long et célèbre différend sur les bananes, l'Organe d'appel a confirmé que les États Unis avaient un intérêt suffisant à poursuivre les Communautés européennes même si, dans la pratique, ils n'exportaient pas de bananes vers le marché communautaire. Tout Membre peut donc engager une procédure de règlement de différend en s'appuyant sur une allégation selon laquelle un autre Membre ne respecte pas les obligations que lui impose le droit de l'OMC. La responsabilité est donc générée par un fait “objectif”, tous les Membres étant les gardiens du système.

Le mécanisme peut être déclenché facilement et rapidement. Des allégations selon lesquelles des échanges commerciaux sont affectés suffisent en général à déclencher formellement la procédure normale de règlement des différends de l'OMC, par une simple demande de consultation présentée par écrit. Les différentes étapes de la procédure se déroulent automatiquement, selon des délais prédéterminés. Les groupes spéciaux (juridiction de première instance) et l'Organe d'appel (à l'étape du recours en appel) sont appelés à statuer promptement sur n'importe quel grief lié à l'OMC; ils statuent en droit, et les décisions sont rendues par des personnes indépendantes. En outre, l'Organe d'appel fonctionne à peu près comme un tribunal qui n'entend que des questions de droit, ce qui confirme le caractère essentiellement juridique du système.

Après le processus juridictionnel, la mise en œuvre des décisions fait l'objet d'une surveillance multilatérale continue jusqu'à pleine satisfaction du plaignant si une violation a été constatée. Si une décision n'est pas mise en œuvre, les Membres doivent autoriser des mesures de rétorsion — c'est-à-dire des contre-mesures, dont le niveau et l'application demeurent sous la surveillance multilatérale de l'OMC.

Autre disposition caractéristique du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends: il exclut toute mesure unilatérale. Seule l'OMC peut déterminer si les mesures ou actions des Membres sont compatibles avec ses règles. Dans ce sens, le système de l'OMC est l'un des rares systèmes qui aient réussi à réglementer les contre-mesures appliquées par des États puissants en subordonnant de telles mesures à l'approbation préalable collective des Membres.

L'OMC est donc un système sophistiqué d'élaboration de règles et d'application de ces règles. Mais cela ne signifie pas qu'elle est hégémonique et ne tient pas compte des autres normes internationales et des autres organisations internationales. Au contraire, l'OMC n'est pas plus importante que les autres organisations internationales, et ses normes ne l'emportent pas nécessairement sur les autres normes internationales. Il arrive même, à l'occasion, qu'elle accorde une valeur juridique aux normes élaborées par d'autres, et cela est reconnu dans l'Accord sur l'OMC lui-même.

  

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2. L'OMC s'occupe de commerce, mais elle reconnaît l'importance des préoccupations autres que d'ordre commercial  

L'OMC est, bien sûr, une organisation “commerciale”; elle a instauré des dispositions qui favorisent l'ouverture commerciale et disciplinent les restrictions aux échanges. Sa philosophie de base est que l'ouverture commerciale est utile, voire nécessaire, pour relever le niveau de vie des populations et accroître leur bien-être. Au demeurant, le GATT, et désormais l'Accord sur l'OMC, énoncent des “exceptions” aux obligations en matière d'accès aux marchés. Selon l'article XX du GATT, rien n'empêche un Membre de faire abstraction des obligations en matière d'accès aux marchés lorsque ce Membre décide que des considérations autres que d'ordre commercial doivent prévaloir. À titre d'exemple, cela peut se produire lorsqu'un Membre a pris des engagements dans d'autres domaines, disons sur une question environnementale, et que les engagements de cette nature peuvent entraîner des restrictions d'accès aux marchés.

En outre, le préambule de l'Accord sur l'OMC, contrairement à celui du GATT, renvoie explicitement au développement durable comme étant un objectif de l'OMC. Il n'est pas encore certain que le développement durable soit devenu un principe de droit général, mais le renvoi à un principe non commercial si important montre que les signataires de l'Accord sur l'OMC avaient pleinement conscience, en 1994, de l'importance et de la légitimité de la protection de l'environnement en tant qu'objectif de l'action publique au niveau national et international.

Ancrée sur ce nouveau préambule, l'évolution induite par la jurisprudence de l'OMC a débouché sur une nouvelle interprétation de ses dispositions qui reconnaît la place du commerce dans le dispositif global de l'action étatique. L'OMC reconnaît désormais de manière explicite que le commerce n'est pas la seule considération de politique publique que les Membres peuvent privilégier, et elle respecte le nécessaire équilibre qui doit être maintenu entre toutes les politiques de cette nature. Notre Organe d'appel a réussi à opérationnaliser ces dispositions prévoyant des exceptions, de manière à ménager aux Membres la marge de manœuvre nécessaire pour que leurs actions tiennent compte de divers engagements. Dans cette optique, l'Organe d'appel a établi un certain nombre de principes dont les suivants:

Premièrement, les Membres de l'OMC sont en droit de déterminer leur propre niveau de protection pour l'environnement, la santé et la moralité, même si les normes nationales correspondantes vont au-delà des normes internationales existantes.

Deuxièmement, à l'OMC, les exceptions liées à ces préoccupations autres que d'ordre commercial ne doivent pas être interprétées de façon étroite: les exceptions devraient être interprétées suivant leur sens ordinaire dans le cadre de la politique non commerciale invoquée. Dans ce contexte, notre Organe d'appel a insisté sur le fait que les exceptions ne pouvaient pas être interprétées ni appliquées de façon si étroite qu'elles n'aient aucune application pertinente ou effective. Il faut toujours qu'il y ait un équilibre entre les obligations en matière d'accès aux marchés contractées dans le cadre de l'OMC et le droit des gouvernements de privilégier des politiques autres que d'ordre commercial.

Troisièmement, l'Organe d'appel a élargi la possibilité d'invoquer les exceptions aux règles de l'OMC qui concernent des préoccupations extérieures à l'OMC; dans cette optique, il a insisté sur l'importance de la valeur protégée par la mesure en cause et sur le fait que, lorsqu'une mesure contribue de manière importante à un objectif légitime de l'action publique, un Membre est en droit de privilégier cette autre politique par rapport au commerce tant qu'il agit avec cohérence et constance et tant qu'il n'existe aucune preuve de protectionnisme.

En bref, les restrictions commerciales que des Membres de l'OMC imposent pour donner suite à des préoccupations autres que d'ordre commercial peuvent prévaloir sur les obligations en matière d'accès aux marchés contractées dans le cadre de l'OMC tant qu'elles n'ont pas un caractère protectionniste.

En d'autres termes, les dispositions de l'OMC elles-mêmes reconnaissent l'existence de normes ne relevant pas de l'OMC et l'existence d'autres ordres juridiques, favorisant ainsi une cohérence durable au sein de l'ordre juridique international. De plus, j'estime qu'en laissant aux Membres la marge de manœuvre nécessaire pour privilégier des préoccupations qui ne relèvent pas d'elle, l'OMC reconnaît aussi les compétences et l'importance d'autres organisations internationales. En résumé, l'OMC est parfaitement consciente de l'existence d'autres systèmes de normes et du fait qu'elle n'agit pas seule dans la sphère internationale. Et l'OMC fait plus encore: dans certaines circonstances, elle accorde explicitement une valeur et un poids juridiques aux normes en question.

  

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3. L'OMC, ouverte et active aux côtés des autres acteurs du système juridique international  

Quel est le rapport de l'OMC aux normes d'autres systèmes juridiques, et quelles sont la nature et la qualité de ses relations avec d'autres organisations internationales? Pour répondre à ces questions, je décrirai brièvement la manière dont les dispositions de l'OMC fonctionnent et la manière dont elles traitent les autres normes juridiques, y compris les normes élaborées par d'autres organisations internationales. L'OMC reconnaît les limites de sa compétence et le caractère spécialisé d'autres organisations internationales. En ce sens, elle contribue à façonner une approche internationale unifiée et renforce l'ordre juridique international. Permettez-moi de vous donner quelques exemples qui montrent comment notre système n'est pas “en isolation clinique” par rapport au reste du droit international et comment l'OMC s'est montrée proactive en stimulant les efforts de cohérence internationale
  

Les relations juridiques de l'OMC avec d'autres institutions intergouvernementales

Confirmant l'intégration de l'OMC dans l'ordre juridique international, une autre de ses caractéristiques concerne la valeur et le statut juridiques qu'elle accorde à des normes internationales élaborées dans d'autres instances. Par exemple, l'Accord de l'OMC sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) prévoit que les mesures prises par les Membres sur la base des normes élaborées par le Codex Alimentarius — dont l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) assurent conjointement le fonctionnement — ainsi que par l'Organisation mondiale de la santé animale et la Convention internationale pour la protection des végétaux seront présumées être compatibles avec ledit accord. Ainsi, si le Codex et d'autres organisations ne légifèrent certainement pas au sens habituel ou au plein sens de ce terme, les normes internationales qu'ils établissent ont une certaine autorité car elles créent une présomption de compatibilité avec les règles de l'OMC lorsqu'elles sont respectées. Les dispositions de l'Accord SPS incitent donc fortement les États à faire en sorte que leurs normes nationales soient fondées sur les normes internationales ou y soient conformes. Les Membres de l'OMC n'ont ainsi pas d'autre choix que d'être directement concernés par les travaux du Codex! L'OMC encourage par conséquent les Membres à négocier dans d'autres instances internationales des normes qu'ils mettront ensuite en œuvre de manière cohérente dans son propre contexte.

L'Accord sur les obstacles techniques au commerce dispose que, lorsqu'une mesure nationale prise par un Membre est compatible avec une norme internationale existante, cette mesure nationale est présumée ne pas être plus restrictive qu'il n'est nécessaire, donc présumée compatible avec les règles de l'OMC.

Nous avons donc établi, je l'espère de manière à vous convaincre, que l'OMC n'est ni l'ogre marchand affamé de pouvoir ni le gnome de Genève tapi dans sa tanière, et que sa place dans cet archipel de la gouvernance internationale actuelle est celle d'un participant ouvert, prêt au dialogue et d'ores et déjà pleinement inséré dans un réseau de solidarités administratives, juridiques et politiques souvent méconnues.
  

Les relations politiques de l'OMC avec d'autres organisations intergouvernementales

Permettez-moi de montrer comment, à l'OMC, nous avons été politiquement sensibles à la collaboration avec d'autres organisations internationales et comment nous collaborons, dans la pratique, avec d'autres organisations internationales.

Premièrement, l'Accord sur l'OMC contient lui-même quelques références à des organisations internationales spécifiques. Par exemple, l'Accord appelle à une meilleure coopération entre l'OMC, le FMI et la Banque mondiale. Dans ce contexte, le Directeur général de l'OMC a expressément pour mandat de continuer d'œuvrer au renforcement de la cohérence entre ces organisations internationales spécifiques.

Nous avons des accords de coopération formels avec la CNUCED et avons créé avec elle le Centre du commerce international — le CCI — qui aide les pays en développement à diversifier leurs exportations. Dans le domaine de la normalisation, nous avons maintenant un mécanisme — le Fonds pour l'application des normes et le développement du commerce — auquel participent l'OMC, la Banque mondiale, la FAO, l'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation mondiale de la santé animale. Son objectif est d'aider les pays en développement à établir et mettre en œuvre des normes sanitaires et phytosanitaires pour assurer la protection de la santé et faciliter l'expansion du commerce.

Il existe, en outre, un programme remarquable de coopération interinstitutions portant sur l'assistance technique et le renforcement des capacités: le Cadre intégré pour les PMA, auquel participent l'OMC, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la CNUCED, le CCI et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement). Cette coopération interinstitutions se trouve resserrée par les travaux entrepris dans le cadre du programme “Aide pour le commerce” qui regroupe ces organisations et des banques régionales de développement avec lesquelles nous avons des accords de coopération formels. Dans le domaine du commerce et de l'environnement, l'OMC et le PNUE ont conclu un accord de coopération et publieront bientôt une étude conjointe sur le commerce et les changements climatiques. De même, l'OMC a mené des travaux de recherche sur le commerce et l'emploi avec l'Organisation internationale du Travail (OIT) et a publié avec elle, l'an dernier, une première étude conjointe.

Par les travaux de ses conseils et comités, l'OMC entretient aussi d'étroites relations institutionnelles avec plusieurs autres organisations internationales. Quelque 75 organisations internationales ont obtenu un statut d'observateur formel ou ad hoc auprès des organes de l'OMC. L'OMC participe aussi en tant qu'observateur aux activités de nombreuses organisations internationales. Bien que l'ampleur de cette coopération soit variable, la coordination entre les travaux de l'OMC et ceux des autres organisations internationales continue d'évoluer d'une manière pragmatique.

Par exemple, bien qu'il n'y ait pas d'accord formel entre l'Organisation mondiale de la santé et l'OMC, l'OMC a le statut d'observateur à l'OMS et l'OMS a le statut d'observateur auprès des Comités SPS et OTC. La Commission mixte FAO/OMS du Codex alimentarius, la Convention internationale pour la protection des végétaux et l'Organisation mondiale de la santé animale ont le statut d'observateur auprès du Comité SPS, et l'OMC participe en tant qu'observateur aux réunions de ces organes.

Ce ne sont là que quelques exemples de nos interactions avec les autres organisations internationales. Mais, dans la pratique, de nombreux autres échanges ont lieu entre les secrétariats des organisations internationales. La coopération dans l'élaboration des politiques économiques au niveau mondial va bien au delà des accords formels et spécifiques de l'OMC. De fait, le Secrétariat de l'OMC entretient des relations de travail avec près de 200 organisations internationales dans le cadre d'activités très diversifiées, telles que statistiques, recherche, élaboration de normes et assistance technique et formation.

Mais nous savons aussi que nous avons besoin des autres acteurs internationaux. Il y a des limites à ce que le commerce peut faire; nous avons tous besoin de conjuguer nos actions.
  

Reconnaissance du fait que l'ouverture commerciale ne constitue pas en soi une réponse aux effets distributifs du commerce entre mieux nantis et moins nantis

La mise en place d'un programme “Aide pour le commerce”, que je viens d'évoquer en tant que bon exemple de notre collaboration active avec d'autres organisations intergouvernementales, découle de la reconnaissance des limitations du commerce et du fait que l'OMC ne peut garantir, à elle seule, que les avantages d'un commerce plus ouvert parviendront effectivement aux populations.

Je reste convaincu que le mandat de l'OMC relatif à l'ouverture des marchés représente une contribution essentielle au développement et à l'amélioration du bien-être collectif. Il n'en demeure pas moins que l'ouverture des échanges ne peut se traduire en effets bénéfiques réels que si elle est accompagnée par d'autres politiques permettant de concilier la flexibilité et la sécurité de l'emploi. Ces politiques d'accompagnement se déclinent en politique de l'éducation, politique de l'emploi, ou encore politique de la recherche et de l'innovation. Certaines d'entre elles doivent être menées au niveau national alors que d'autres ne sont efficaces que si elles sont déployées au niveau international, grâce à l'action d'organisations spécialisées: l'OIT, l'UNESCO, l'OMS … Il est donc indispensable d'assurer une cohérence entre ces diverses politiques publiques internationales, qui sont éminemment complémentaires.

Maîtriser la mondialisation — chose que nous devons faire, selon moi — présuppose une coopération internationale équilibrée dans tous les domaines. La meilleure politique commerciale ne peut suffire à elle seule à promouvoir la croissance et le développement. Une ouverture prématurée des marchés peut même déstabiliser l'économie nationale si certaines politiques d'accompagnement font défaut. C'est pourquoi des politiques macro économiques saines doivent être complétées par des politiques structurelles.

Parmi ces politiques structurelles, je mentionnerai, en premier lieu, les pratiques de bonne gouvernance au niveau national, sans lesquelles la corruption et le manque de transparence maximisent les inégalités sociales au lieu d'optimiser le bien-être collectif. Un certain nombre d'organisations internationales œuvrent dans ce sens, parmi lesquelles le FMI, la Banque mondiale, l'OCDE … Mais il s'agit ici de politiques intérieures qui échappent au mandat de l'OMC.

Ces actions doivent encore être complétées par des politiques d'investissement afin de développer les infrastructures locales. Là encore, la Banque mondiale, le FMI, les banques régionales de développement et la Commission économique des Nations Unies sont là pour soutenir financièrement et techniquement les pays en développement et promouvoir leurs capacités de production et d'exportation. Quant à l'OMC, elle doit apporter son savoir-faire spécifique en matière d'infrastructures commerciales, mais nous n'avons pas de règles au sujet des questions comme les politiques nationales d'investissement.
  

Nous reconnaissons que l'OMC ne devrait pas être, ne peut pas être et n'est pas le centre du monde: son système de règlement des différends n'est pas destiné à régler les différends autres que d'ordre commercial

Comme je l'ai indiqué plus tôt, de nombreux acteurs soulignent la puissance du système de règlement des différends de l'OMC. Mais ce système lui-même reconnaît ses limitations.

Récemment, dans le contexte d'un différend entre les États Unis et le Mexique — lié à leurs désaccords au sein de l'ALENA, l'Organe d'appel a statué que le système de règlement des différends de l'OMC ne pouvait servir à trancher des “différends extérieurs à l'OMC” (en l'occurrence, l'affaire Mexique — Boissons sans alcool). Ce différend était né d'une plainte des États Unis selon laquelle le Mexique imposait des taxes discriminatoires sur les importations de boissons sans alcool en provenance de leur territoire, en réaction à leur refus de se conformer aux procédures de règlement des différends de l'ALENA. Le Mexique a tenté d'invoquer les dispositions du GATT prévoyant des exceptions. Mais, dans les faits, il n'y avait pas d'exception en rapport avec les actions du Mexique ou les objectifs qu'il poursuivait: ses taxes discriminatoires incompatibles avec les règles de l'OMC étaient en fait des “contre-mesures” qui visaient à forcer les États Unis à respecter les règles de l'ALENA. En agissant autrement, a déclaré l'Organe d'appel, “les groupes spéciaux de l'OMC et l'Organe d'appel deviendraient donc des instances de règlement de différends extérieurs à l'OMC. Comme nous l'avons relevé auparavant, cela n'est pas le rôle des groupes spéciaux et de l'Organe d'appel tel qu'il a été conçu dans le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends de l'OMC”.

L'OMC reconnaît donc le droit de ses Membres de faire abstraction de certaines des obligations contractées dans son cadre au profit des politiques énumérées à l'article XX, mais le tribunal et le système de l'OMC ne deviendront pas le juge mondial des désaccords entre les États pour les traités autres que ses propres accords!

  

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4. L'OMC œuvre de concert avec le système des Nations Unies 

Comme je l'ai écrit en 2004 dans un ouvrage consacré à la “démocratie internationale”, je suis un fervent partisan de la coopération internationale. Je n'oserais pas dire que c'est un principe général du droit international! Je rappellerai toutefois que la coopération internationale est l'un des objectifs de l'ONU, comme cela est indiqué à l'article premier de sa Charte. Je crois que seuls des efforts visant à garantir la coopération internationale permettront d'assurer l'évolution pacifique des relations internationales et de notre système juridique international. Mais la coopération internationale est aussi indispensable pour assurer la légitimité de l'OMC et l'efficacité des règles commerciales.

Mais il y a de nombreuses raisons pour lesquelles l'OMC doit continuer d'œuvrer de concert avec les Nations Unies. Comme je l'ai indiqué, l'ouverture commerciale que l'OMC ne cesse de préconiser joue un rôle vital dans la croissance et le développement des Membres, mais ce n'est pas une panacée pour tous les problèmes liés au développement. Cette ouverture n'est pas non plus forcément facile à réaliser et, dans de nombreux cas, elle ne peut être efficace que si elle s'inscrit dans un contexte économique, social et politique favorable et dans le cadre d'une politique générale pluridimensionnelle cohérente. L'ouverture des échanges ne peut être durable, politiquement et économiquement, que si elle est complétée par des politiques qui traitent aussi les problèmes de capacités (humaines, administratives et structurelles), les enjeux de la répartition des avantages résultant de la libéralisation du commerce, la nécessité d'assurer un environnement durable, le respect de la moralité publique, etc. C'est, là aussi, une question de cohérence juridique internationale, et c'est un autre domaine dans lequel l'OMC reconnaît qu'elle doit œuvrer de concert avec le système des Nations Unies.

De plus, en ma qualité de Directeur général de l'OMC, je suis personnellement très actif au sein du Conseil des chefs de secrétariat (CCS) — où les chefs des différentes institutions se réunissent et collaborent sous la conduite du Secrétaire général de l'ONU pour tenter d'accroître l'efficience de leurs travaux respectifs. Nous sommes aussi très actifs au sein du nouveau Groupe de travail sur la crise alimentaire créé par le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, car l'action que nous menons en rapport avec les subventions et les tarifs dans le secteur agricole fait partie de la solution à moyen et long termes à la pénurie de denrées alimentaires. Nous savons que nous devons augmenter la production agricole dans les pays en développement, et parmi les facteurs qui ont bridé leur production et leurs exportations figurent l'importance des subventions ayant des effets de distorsion des échanges et le niveau élevé des tarifs dans les pays riches. Le protectionnisme dans l'agriculture est au cœur de l'actuel cycle de négociations, le Cycle de Doha, que nous pourrons bientôt conclure, je l'espère.

Comme je l'ai indiqué plus tôt, l'OMC tire pleinement parti de sa personnalité juridique internationale et collabore maintenant de manière active avec d'autres organisations internationales au sein de la famille des Nations Unies. Mais elle ne s'arrête pas là, comme je l'ai dit à de nombreuses reprises. En établissant un système dans lequel les normes fondées sur la bonne foi, élaborées dans d'autres instances, sont présumées être compatibles avec ses règles, non seulement l'OMC observe une déférence appropriée à l'égard d'autres systèmes juridiques, mais elle stimule également les négociations dans ces autres instances spécialisées et renforce la cohérence de notre ordre juridique. En ce sens, l'OMC est un moteur qui dynamise l'ordre juridique international. C'est là, selon moi, la place et le rôle de l'OMC dans l'ordre juridique international: encourager le respect mutuel au niveau international, la coopération internationale et aussi une gouvernance encore plus forte à l'échelle mondiale, laquelle, j'en suis convaincu, est nécessaire si nous voulons que le monde dans lequel nous vivons devienne moins violent, que ce soit sur le plan social, politique, économique ou environnemental.

 

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Conclusion  

L'OMC est issue du GATT. Les États signataires du GATT souhaitaient renforcer le statut du système commercial international et l'ont doté d'une organisation internationale formelle: l'OMC. Cette organisation internationale a maintenant atteint sa vitesse de croisière. On peut s'interroger sur la valeur juridique et le respect de ces normes adoptées par des organes de l'OMC, mais le rôle de l'OMC, y compris en tant que forum de négociation, et son puissant mécanisme de règlement des différends confirment le caractère sui generis de son ordre juridique.

L'ordre juridique international actuel ne pourra progresser sans heurts que dans la mesure où les lois existantes évolueront dans le respect mutuel. Il n'y a aucune exception à cette règle, et l'OMC n'ignore pas son importance.

L'OMC agit donc comme un vecteur d'évolution du droit international et œuvre, avec d'autres organisations internationales, à la création d'une communauté internationale mieux ordonnée.

> Vidéo de ce discours disponible à la Bibliothèque audiovisuelle de droit international de l'ONU

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