L'ancien Premier ministre britannique et Envoyé spécial de l'ONU pour l'éducation mondiale a souligné que la famille des institutions multilatérales créée dans les années 1940 “a été conçue contre toute attente, est née contre toute attente, a grandi et mûri contre toute attente et a réussi pendant des décennies contre toute attente”. Il a ajouté que, dans le même ordre d'idées, la coopération internationale devait être repensée aujourd'hui. 

“J'aimerais avancer l'idée que le moment est venu de reconstruire, d'entrer dans une nouvelle ère, même s'il peut sembler à première vue que nous nous battons contre vents et marées”, a déclaré M. Brown, soulignant la nécessité de forger un “nouveau multilatéralisme”, en particulier à un moment où la coopération internationale se heurte à une résistance considérable de la part de diverses parties.

L'Envoyé spécial de l'ONU a noté que le dernier sommet du G20 a illustré l'impasse dans laquelle se trouvait la coordination de la politique économique mondiale malgré la menace d'une faible croissance économique. “Il n'y a aucun nouveau financement du G20 pour l'atténuation et l'adaptation aux changements climatiques, aucune avancée dans la réglementation de l'intelligence artificielle et dans la prévention d'une fragmentation d'Internet, et guère plus que des belles paroles concernant l'allégement de la dette et de la famine en Afrique”, a-t-il déclaré.

Soulignant que l'extrême pauvreté devait être éliminée d'ici à 2030 et qu'elle touchait aujourd'hui, selon les estimations, 570 millions de personnes, M. Brown a regretté qu'aucune des institutions internationales censées s'attaquer à ce problème ne soit aussi efficace qu'elle pourrait l'être — du Conseil de sécurité des Nations Unies au Programme alimentaire mondial et aux programmes d'aide humanitaire, à qui l'on demande d'assumer une charge presque deux fois plus lourde avec moins de la moitié des ressources dont ils ont besoin.

En outre, la Banque mondiale prévoit une réduction de ses fonds, alors même que deux tiers des pays à faible revenu sont confrontés au surendettement, et tant l'OMC que le Fonds monétaire international mettent en garde contre la fragmentation, comme le souligne le rapport de l'OMC sur le commerce mondial, publié quelques heures avant la conférence présidentielle.

“Nous vivons dans un monde où, au mieux, la coopération est à la carte et où, au pire, elle est tombée en désuétude, remplacée par la confrontation. Le plus inquiétant, c'est que l'écart — voire le gouffre — entre notre besoin d'une action coordonnée à l'échelle mondiale et notre capacité à la mettre en œuvre — ou plutôt notre volonté de la mettre en œuvre — est aujourd'hui plus grand qu'il ne l'a jamais été dans l'histoire de l'après-guerre”, a déclaré M. Brown. 

M. Brown a souligné que les changements climatiques, les pandémies et la contagion financière ne pouvaient être traités que “par une action coordonnée à l'échelle mondiale nécessitant que nous gardions à l'esprit que malgré les guerres d'aujourd'hui, les plus grandes menaces ne sont plus principalement entre ou parmi les États-nations, mais des menaces pour l'humanité dans son ensemble qui ne connaissent pas de frontières nationales”.

“L'ampleur des problèmes mondiaux — climat, pandémies, instabilité financière, pauvreté, dette et famine — tous liés à un autre bien commun, le commerce, devrait nous faire prendre conscience que nous n'avons d'autre choix que d'assurer le lancement et la mise en place d'un nouveau multilatéralisme”, a-t-il ajouté.

Pour ce qui est de l'avenir, il a souligné qu'au-delà du clivage sous-jacent entre la Chine et les États-Unis, de la guerre en Ukraine et de la réponse hésitante à l'inflation des prix de l'énergie et des produits alimentaires, à la dette et à la famine, il y avait quelque chose de bien plus grand et de plus systémique qui dépassait ce que le politique seul avait la capacité de contrôler. “Trois changements sismiques dans notre géopolitique expliquent pourquoi l'ancien multilatéralisme ne fonctionnera pas et pourquoi nous avons besoin d'un nouveau multilatéralisme: l'abandon d'un monde unipolaire, l'abandon de l'économie néolibérale et l'abandon d'une hypermondialisation qui était ouverte mais pas suffisamment inclusive”.

L'Envoyé spécial de l'ONU a expliqué le point commun entre ces trois changements sismiques: un nationalisme résurgent, caractérisé “non seulement par davantage de contrôles aux frontières, de droits de douane et de restrictions à l'immigration, mais aussi, au niveau géopolitique, par davantage de guerres civiles (environ 60) et de mouvements sécessionnistes (environ 50) et davantage de murs et de clôtures séparant physiquement les pays (75 aujourd'hui, soit deux fois plus qu'en 1990).” 

Selon M. Brown, ce nouvel accent a été mis sur un intérêt personnel étroit et pas nécessairement éclairé au détriment de la coopération internationale, précisément au moment où nous en avons le plus besoin. “Nous devons prendre au sérieux l'estimation faite par l'OMC dans le rapport publié de cette semaine, selon laquelle si le monde se divise en deux blocs économiques distincts, la réduction du commerce international et la perte de productivité résultant de la spécialisation et des économies d'échelle qui en résulteraient réduiraient les revenus réels à long terme d'au moins 5%, les pays à faible revenu étant ceux qui en souffriraient le plus, avec une baisse pouvant aller jusqu'à 12%.”

M. Brown a salué le travail accompli par la DG Okonjo-Iweala depuis qu'elle a pris la tête de l'OMC en mars 2021. “Brillante, déterminée, inlassable, d'une force de persuasion infinie et experte sans effort dans tout ce qu'elle fait. En juin dernier, elle a persuadé 164 Membres de l'OMC de convenir pour la première fois de réduire les subventions à la pêche afin de protéger les eaux surexploitées, contre toute attente. Contre toute attente, elle a obtenu le déblocage aux frontières de l'aide alimentaire d'urgence. Contre toute attente, elle a obtenu la levée des interdictions d'exportation de denrées alimentaires et d'engrais. Contre toute attente, elle a assuré la conclusion d'un accord sur le commerce des services entre 90 pays. Contre toute attente, elle a entamé la réforme du système d'appel qui se trouve dans l'impasse. Bien sûr, tout cela nous aurions pu le prévoir.”

La DG Okonjo-Iweala a remercié l'ancien Premier Ministre britannique pour sa conférence, soulignant qu'il était l'une des voix les plus respectées concernant les questions urgentes de notre époque, telles que la santé mondiale, la croissance et le développement, les changements climatiques et l'évasion fiscale. “Voilà tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de nos travaux à l'OMC visant à repenser et à donner un souffle nouveau à la mondialisation. Je ne vois personne d'autre que M. Brown pour partager ses réflexions sur la manière dont nous pouvons travailler ensemble pour faire en sorte que le commerce fonctionne mieux pour les populations du monde entier et pour la planète”, a-t-elle déclaré.

Après la conférence, M. Brown a participé à une conversation avec la DG Okonjo-Iweala et le public sur l'avenir du commerce international en cette période d'incertitude économique, politique et environnementale, animée par Nadia Theodore, l'Ambassadrice du Canada auprès de l'OMC.

Série de conférences présidentielles de l'OMC

Lancée en 2022, la série de conférences sert de plate-forme permettant à d'éminents orateurs venus de différents horizons - présidents, premiers ministres et responsables politiques de haut rang, dirigeants d'entreprises, scientifiques, auteurs et philanthropes — de discuter de questions de coopération multilatérale et de gouvernance mondiale, y compris de questions liées au commerce et d'objectifs de développement durable.

La première conférence présidentielle a été donnée par Mia Amor Mottley, Première Ministre de la Barbade, en mars 2022. La deuxième conférence présidentielle a été donnée par S.E. Mokgweetsi E.K. Masisi, Président du Botswana, en mai 2023.

De plus amples renseignements sur la série de conférences sont disponibles ici.