ENVIRONNEMENT: DIFFÉRENDS 4

Mexique etc./États-Unis: l'affaire “thons-dauphins I”

Plainte du Mexique et d'autres pays contre les États-Unis au titre du GATT. Le rapport du Groupe spécial a été distribué en 1991, mais n'a pas été adopté, et n'a donc pas le statut d'interprétation juridique des dispositions du GATT. Les États-Unis et le Mexique sont parvenus à un règlement à l'amiable.

États-Unis — Restrictions à l'importation de thon 

Rapport non adopté, distribué le 3 septembre 1991

Cette affaire fait encore beaucoup parler d'elle en raison de ses répercussions pour les différends concernant l'environnement. Elle a été instruite au titre de l'ancienne procédure de règlement des différends du GATT. Les questions cruciales qu'elle pose sont les suivantes:

  • un pays peut-il dicter à un autre pays ce que devrait être sa réglementation en matière de protection de l'environnement?
  • les règles commerciales autorisent-elles à prendre des mesures contre la méthode de production d'une marchandise (et non pas la qualité de la marchandise elle-même)?

De quoi s'agit-il ?

Dans la zone tropicale orientale de l'Océan pacifique, les dauphins nagent souvent au-dessus des bancs de thons à nageoires jaunes. Lorsque le thon est pêché à la senne coulissante, les dauphins se prennent dans les filets et meurent fréquemment, à moins d'être libérés.

La Loi sur la protection des mammifères marins énonce les normes de protection des dauphins applicables à la flotte de pêche intérieure américaine et aux pays dont les thoniers pêchent le thon à nageoires jaunes dans cette partie de l'Océan pacifique. Dans le cas où un pays qui exporte du thon aux États-Unis ne peut prouver aux autorités américaines qu'il respecte les normes de protection des dauphins fixées dans la Loi des États-Unis, le gouvernement des États-Unis doit décréter un embargo contre toutes les importations de poisson en provenance de ce pays. Dans cette affaire, le Mexique était le pays exportateur en cause. Ses exportations de thon vers les États-Unis ayant été interdites, le Mexique a déposé en 1991 une plainte au titre de la procédure de règlement des différends du GATT.

L'embargo s'applique également aux pays “intermédiaires” qui assurent la prise en charge du thon entre le Mexique et les États-Unis. Le thon est fréquemment transformé et mis en conserve dans l'un de ces pays. Dans cette affaire, les pays “intermédiaires0 soumis à l'embargo étaient le Costa Rica, l'Italie, le Japon et l'Espagne, et précédemment, la France, les Antilles néerlandaises et le Royaume-Uni. D'autres pays, à savoir le Canada, la Colombie, la République de Corée et des pays membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est ont également été cités au nombre des “nations intermédiaires”.

Le Groupe spécial

Le Mexique a demandé la constitution d'un groupe spécial en février 1991. Un certain nombre de pays "intermédiaires" ont également fait part de leur intérêt. Le Groupe spécial a présenté son rapport aux Parties contractantes du GATT en septembre 1991. Il a conclu:

  • que les États-Unis ne pouvaient pas interdire les importations de produits à base de thon en provenance du Mexique au seul motif que les règlements mexicains relatifs à la manière dont le thon était produit ne respectaient pas la réglementation des États-Unis. (Mais les États-Unis pouvaient appliquer leur règlement relatif à la qualité ou à la teneur du produit à base de thon importé.) Telle est l'origine de toute la problématique qui oppose “produit” à “procédé”.
  • que les règles du GATT n'autorisaient pas un pays à prendre une mesure commerciale dans le but de tenter de faire appliquer ses lois intérieures propres dans un autre pays – même pour protéger la santé des animaux ou les ressources naturelles épuisables. C'est ce que l'on entend par "extraterritorialité".

Quelle était l'argumentation qui sous-tendait une telle décision? Si les arguments des États-Unis avaient été acceptés, il aurait alors été possible à tout pays d'interdire les importations d'un produit en provenance d'un autre pays au seul motif que le pays exportateur a des politiques environnementales, sanitaires et sociales différentes des siennes. Cela aurait laissé la voie quasiment libre pour qu'un pays applique unilatéralement des restrictions commerciales – et qu'il le fasse non pas simplement pour faire respecter sa législation sur son territoire, mais pour imposer ses propres normes aux autres pays. Ce serait là laisser la porte ouverte à une vague éventuelle de mesures protectionnistes abusives. Ce serait contraire au but principal du système commercial multilatéral – à savoir assurer la prévisibilité par le biais des règles commerciales.

La tâche du Groupe spécial se limitait à examiner comment les règles du GATT s'appliquaient à cette affaire. Il ne lui était pas demandé si la politique en question était correcte ou non d'un point de vue environnemental. Le Groupe spécial a suggéré que la mesure des États-Unis soit rendue conforme aux règles du GATT si les Membres tombaient d'accord sur les amendements ou parvenaient à une décision de déroger à ces règles spécialement dans cette affaire. Ainsi, les Membres pouvaient engager des négociations sur les questions particulières et pouvaient fixer des limites qui empêcheraient que des mesures protectionnistes abusives ne soient prises.

Il était également demandé au Groupe spécial de se prononcer sur la disposition de la législation des États-Unis qui prescrivait que les produits à base de thon devaient être étiquetés "sans risque pour les dauphins” (laissant aux consommateurs le choix d'acheter ou non ces produits). Il a conclu que cette mesure ne contrevenait pas aux règles du GATT puisqu'elle entendait empêcher la pratique de la publicité mensongère pour tous les produits à base de thon, qu'ils soient importés ou produits dans le pays.

N.B.: Le rapport n'a jamais été adopté

Dans le cadre du système actuel de l'OMC, si les Membres de l'OMC (siégeant en tant qu'Organe de règlement des différends) ne rejettent pas par voie de consensus un rapport de groupe spécial après 60 jours, ce rapport est automatiquement accepté (adopté). Il n'en allait pas ainsi autrefois dans le cadre du GATT. Le Mexique a décidé de ne pas poursuivre l'affaire et le rapport du Groupe spécial n'a jamais été adopté, bien que certains des pays “intermédiaires” aient fait pression pour qu'il le soit. Le Mexique et les États-Unis ont engagé leurs propres consultations bilatérales dans le but de parvenir à un accord hors du cadre du GATT.

En 1992, l'Union européenne a déposé sa propre plainte. La procédure a abouti à un deuxième rapport du Groupe spécial, qui a été distribué aux Parties contractantes du GATT au milieu de 1994. Ce rapport reprenait certaines des constatations du premier groupe spécial et en modifiait d'autres. L'Union européenne et d'autres pays ont insisté pour que le rapport soit adopté mais les États-Unis ont déclaré à diverses réunions du Conseil du GATT et à la réunion finale des Parties contractantes au GATT (c'est-à-dire des Membres) qu'ils n'avaient pas eu le temps de terminer l'étude du rapport. Il n'y avait donc pas consensus sur l'adoption du rapport, laquelle était obligatoire dans l'ancien système du GATT.

Le 1er janvier 1995, le GATT a été remplacé par l'OMC.

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Loi des États-Unis sur la protection des mammifères marins:

La Loi sur la protection des mammifères marins (MMPA) frappait d'une interdiction générale la “prise” (harcèlement, chasse, capture, abattage ou tentative d'abattage) et l'importation aux États-Unis de mammifères marins, sauf autorisation expresse.

Ces dispositions régissaient en particulier la prise accidentelle de mammifères marins lors de la pêche au thon à nageoires jaunes dans la zone tropicale orientale de l'Océan Pacifique (ETP), zone où l'on sait que les dauphins nagent au-dessus de bancs de thons.

Au titre de la MMPA, l'importation de poisson commercial ou de produits à base de poisson pris grâce à des techniques de pêche commerciale qui avaient pour effet accidentel de tuer ou de blesser gravement un nombre de mammifères marins supérieur aux normes fixées par les États-Unis était interdite.

En particulier, l'importation de thon à nageoires jaunes pêché dans l'ETP était prohibée (embargo de la nation première), à moins que les autorités américaines compétentes ne constatent que:

i) le gouvernement du pays d'origine du bateau de pêche avait un programme de réglementation de la prise de mammifères marins comparable à celui des États-Unis, et

ii) le taux moyen des prises accidentelles de mammifères par des navires de ce pays était comparable au taux moyen enregistré pour les navires des États-Unis.

Le taux moyen des prises accidentelles (en nombre de dauphins tués chaque fois que les sennes coulissantes étaient jetées) pour la flotte de thoniers du pays considéré ne devait pas dépasser 1,25 fois le taux moyen applicable aux navires des États-Unis pendant la même période. Les importations de thon en provenance de pays qui achetaient du thon à un pays soumis à un embargo de la nation primaire étaient également interdites (embargo de la nation intermédiaire).

 

En termes juridiques:

Le Mexique a affirmé que l'interdiction des importations de thon à nageoires jaunes et de produits dérivés était incompatible avec les articles XI, XIII et III du GATT. Les États-Unis ont demandé au Groupe spécial de constater que l'embargo direct était compatible avec l'article III, ou alors qu'il était visé par l'article XX b) et XX g). Ils ont également allégué que l'embargo de la nation intermédiaire était compatible avec l'article III ou alors qu'il était justifié au titre de l'article XX, paragraphes b), d) et g).

Le Groupe spécial a constaté que l'interdiction d'importer au titre de l'embargo direct et de l'embargo de la nation intermédiaire ne constituait pas des règlements intérieurs au sens de l'article III, était incompatible avec l'article XI:1 et n'était pas justifiée par l'article XX paragraphes b) et g). En outre, l'embargo de la nation intermédiaire n'était pas justifié par l'article XX d).