DDG Anabel González

Réflexions sur le commerce, depuis Genève

par l'ancienne DGA Anabel González*

De la confrontation à la coopération sur les subventions. Commençons par discuter

Les subventions représentent depuis longtemps un défi pour le système commercial mondial. Il est difficile de convenir d'une approche commune pour les traiter en raison de la difficulté de faire la distinction entre les subventions répondant à des objectifs de politique générale légitimes et celles qui constituent une “tentative dangereuse et inappropriée d'exporter ses propres problèmes”, comme John H. Jackson l'a dit de façon éloquente il y a 50 ans.(1)Ce problème est devenu un facteur important de tensions entre les partenaires commerciaux, des tensions qui peuvent avoir un coût élevé. Il y a également de plus en plus d'interactions entre les subventions et les difficultés croissantes et urgentes à l'échelle mondiale, du changement climatique à la numérisation et de la résilience des chaînes d'approvisionnement au soutien d'urgence, chacun de ces défis créant de nouvelles demandes d'investissement public. Dans ces circonstances, le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce (OMC), dans l'exercice de ce qui représente “un devoir de diligence” du système économique multilatéral, ont uni leurs forces et ont récemment publié un rapport sur le commerce, les subventions et la coopération internationale en vue de soutenir une discussion tournée vers l'avenir avec des données et des analyses qui aideront les gouvernements à passer de la confrontation à la coopération.

Le rapport, qui a été lancé par les chefs des quatre organisations lors des réunions FMI‑Banque mondiale du printemps, examine les travaux existants et fait le point sur ce que nous savons et ce que nous ignorons des subventions et de leurs dimensions internationales. L'image qui se dégage est complexe et incomplète. Premièrement, les subventions augmentent, dans l'ensemble des secteurs et des pays. C'est le type d'intervention le plus fréquent depuis la crise financière — davantage que les droits de douane et les autres mesures non tarifaires, et elles peuvent prendre de nombreuses formes. Deuxièmement, les subventions peuvent être un outil important pour corriger les défaillances des marchés. Mais nous avons aussi de nombreux exemples de subventions qui ne permettent guère d'atteindre leur objectif recherché, ou qui le font à un coût inutilement élevé, pour l'économie nationale, l'environnement mondial ou les autres pays. Et troisièmement, lorsque des règles internationales en matière de subventions étaient en cours d'élaboration, peu de personnes pouvaient prévoir les forces qui déterminent l'utilisation et les effets des subventions aujourd'hui. Ces forces vont du changement climatique à la croissance du secteur numérique et de l'activité internationale croissante des entreprises publiées à l'essor des chaînes de valeur mondiales.

Au‑delà de cela, il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas, et nous avons des vues très divergentes sur le rôle et l'incidence des subventions. Les Membres de l'OMC ne voient pas de la même manière les questions centrales comme celles de savoir ce qu'est une “bonne” subvention ou quelles sont les retombées “négatives” des subventions. La recherche d'un terrain d'entente sur ces questions est rendue encore plus difficile par les débats sur la coexistence de différents modèles économiques dans un système international unique fondé sur des règles, ainsi que les débats sur le traitement spécial et différencié pour les économies émergentes.

Tout cela souligne la nécessité de renforcer le dialogue sur le rôle des subventions dans le système commercial mondial, et pas seulement entre les Membres de l'OMC mais aussi toutes les parties prenantes, y compris les milieux universitaires. Avec le rapport conjoint, les quatre organisations ont cherché à entretenir un dialogue et à établir un cadre qui pourrait contribuer à rendre le dialogue aussi substantiel, objectif et productif que possible.

Un domaine prioritaire est l'amélioration de la transparence et de l'analyse. Cela signifie que nous devons faire mieux pour ce qui est de partager les renseignements existants, d'identifier les lacunes dans les données et de combler ces lacunes. Nous devons aussi faire mieux dans la coordination entre nous en vue d'établir les priorités et les tâches dans la collecte des données. Comme nous le faisons tous, nous devrons associer d'autres institutions pertinentes et diffuser les résultats de nos efforts d'une manière qui soit facilement accessible et conviviale. Avec des données meilleures et cohérentes, nous pouvons apporter toute la puissance d'analyse des quatre organisations pour mieux comprendre les effets réels des programmes de subventions, évaluer dans quelle mesure ils atteignent leurs objectifs déclarés, à quel prix, et quelles sont les incidences sur les autres pays.

La priorité numéro deux est d'alimenter les dialogues entre les pays et à l'intérieur des pays au moyen de preuves et d'analyses solides. Les quatre organisations ont plusieurs forums pour discuter d'un large éventail de sujets essentiels, qui vont de l'amélioration des programmes de subventions existants à la réduction au minimum de leurs effets négatifs et de l'évaluation de leurs implications budgétaires à la mesure de leurs résultats en ce qui concerne l'environnement. Il est essentiel que les gouvernements et les parties prenantes utilisent pleinement ces espaces de discussion. Cela donnerait une impulsion en vue d'une action plus constructive et moins destructrice au sujet des subventions.

La priorité numéro trois est de soutenir les efforts pour l'élaboration de règles. Dans moins de deux semaines, les Ministres se réuniront à Genève pour la 12ème Conférence ministérielle de l'OMC. Ils s'efforceront d'obtenir des résultats sur les subventions à la pêche et l'agriculture, y compris des éléments liés aux subventions. Sur les subventions industrielles, les discussions se sont intensifiées ces derniers temps, mais surtout hors de l'OMC. L'Initiative trilatérale conjointe de l'Union européenne, du Japon et des États‑Unis a soulevé des préoccupations sur l'efficacité de certaines règles et interprétations de l'OMC dans le règlement des différends L'intérêt de mettre à jour les règles a également été exprimé par le Groupe d'Ottawa, le G-7, le G-20 et l'APEC. Une des manières d'avancer pourrait consister en des discussions plus ciblées et plus factuelles, éclairées par des analyses économiques et juridiques solides, sur les défaillances perçues dans les règles existantes et les moyens concrets de les améliorer. Et nous pourrions aussi examiner les approches adoptées dans le contexte des accords commerciaux régionaux.

Il est essentiel de traiter de manière constructive les subventions pour préserver l'ouverture du système commercial mondial, redynamiser les efforts pour le réformer et éviter la fragmentation. Mais un engagement constructif autour des subventions ne se fera pas du jour au lendemain. Il nécessitera une coopération entre les gouvernements pour parvenir à une compréhension commune du rôle des subventions dans le monde d'aujourd'hui. Ce rapport est un premier pas pour éclairer une conversation pouvant contribuer à cet objectif.

  1. Jackson, J. 1969. World Trade and the Law of GATT. Indianapolis: Bobbs-Merrill. retour au texte

 
* Anabel González a été Directrice générale adjointe de juin 2021 à août 2023