NOUVELLES: ALLOCUTIONS — DG PASCAL LAMY

“Commerce et politiques publiques: gros plan sur les mesures non tarifaires au XXIe siècle”


POUR EN SAVOIR PLUS:
> Allocutions: Pascal Lamy
> Communiqué de presse

  

Introduction

Ce rapport est le dixième de la série phare lancée en 2003.  Nous avons abordé au fil des ans de nombreuses questions d’actualité et cette année n’échappe pas à la règle.  Le rapport analyse en détail les mesures non tarifaires (MNT), sur lesquelles il apporte, selon moi, un éclairage nouveau.  Les MNT, qui revêtent de nombreuses formes et répondent à de nombreux objectifs, ont été au centre des travaux du GATT/de l’OMC depuis la naissance du système commercial multilatéral.  On a beaucoup écrit à leur sujet, ce qui témoigne non seulement de leur ubiquité et de leur complexité, mais aussi de leur influence déterminante sur le commerce international et l’investissement.  Et qui plus est, leur importance s’accroît à mesure que le niveau et l’incidence des droits de douane diminuent.

Notre récent rapport au G-20, établi conjointement avec l’OCDE et la CNUCED, fait état du recours croissant aux restrictions commerciales observé récemment, dans le sillage de la grave récession de 2007-2008.  Les principales mesures utilisées, qui sont, pour l’essentiel, une réaction à court terme aux difficultés économiques actuelles, sont des mesures de politique commerciale traditionnelles telles que les mesures contingentes tarifaires et non tarifaires, y compris les mesures antidumping, les droits compensateurs et les mesures de sauvegarde.  Nous avons aussi suivi l’évolution de plusieurs autres MNT, comme les subventions.  Le G-20 a reconnu à sa dernière réunion qu’il fallait éviter de restreindre les échanges afin de ne pas réduire les possibilités de croissance et de reprise.  Il est essentiel d’endiguer le protectionnisme pour pouvoir sortir des difficultés qui pèsent actuellement sur l’économie mondiale.  Le recours aux MNT appelle donc une vigilance immédiate.

Mais il y a une autre raison à plus long terme de concentrer l’attention sur les mesures non tarifaires.  L’univers dans lequel elles s’inscrivent a changé et continuera de changer, créant de nouveaux défis pour le système commercial multilatéral.  C’est à ces défis que s’intéresse le Rapport sur le commerce mondial de cette année.

Je vais tout d’abord décrire les forces en jeu et la nature des changements en cours, avant d’examiner les défis qui en résultent pour l’OMC.

Il apparaît clairement que les MNT sont de moins en moins utilisées dans le but de protéger les producteurs de la concurrence des importations – dans ce cas, elles peuvent être simplement qualifiées d’obstacles non tarifaires.  En revanche, l’accent est mis de plus en plus sur la réalisation de divers objectifs de politique publique.  On peut dire que nous passons de la protection à la précaution.  Les MNT traditionnelles, comme les contingents ou les mesures de protection contingentes, répondaient surtout à un souci de compétitivité.  Les nouvelles MNT, notamment les mesures SPS [sanitaires et phytosanitaires] et les OTC [obstacles techniques au commerce] mais aussi la réglementation intérieure dans le domaine des services, répondent à des préoccupations relatives à la santé, à la sécurité, à la qualité de l’environnement et à d’autres considérations d’ordre social.

Et il est peu probable que cette tendance change.  Ces préoccupations occupent manifestement une place plus centrale dans les politiques à mesure que les économies se développent et deviennent plus interdépendantes, et que les revenus augmentent.  Aujourd’hui, elles sont plus répandues dans les pays riches, mais la tendance existe dans presque toutes les économies.  En outre, avec l’essor du partage mondial de la production, les normes de produit et de procédé sont de plus en plus importantes pour relier entre eux les différents maillons des chaînes de valeur mondiales.  Cette évolution indique clairement que les MNT ne vont pas perdre de leur importance.

 

Identification des effets des MNT sur le commerce

Une analyse plus poussée est nécessaire pour comprendre les effets des politiques publiques sur le commerce et, le cas échéant, y réagir.  Ces effets peuvent, bien sûr, être positifs ou négatifs.

Quatre facteurs rendent plus difficile la compréhension des effets des politiques publiques sur le commerce.

Premièrement, l’effet des mesures techniques, comme celles qui sont visées par les Accords SPS et OTC, dépend largement de la manière dont ces mesures sont appliquées ou administrées.  Il ressort des enquêtes réalisées auprès des entreprises que les obstacles procéduraux, par exemple les procédures d’évaluation de la conformité, peuvent être une source importante de difficultés pour les entreprises exportatrices.

Deuxièmement, même si elles n’ont pas en soi des effets de distorsion ou de restriction des échanges, les politiques publiques peuvent être conçues de manière à créer un effet intentionnellement protectionniste tout en répondant à un objectif d’intérêt général.  Elles ont alors une double finalité, et cette interface entre politique publique et protectionnisme crée un défi majeur pour l’OMC et est à l’origine d’un nombre croissant de différends.

Troisièmement, même en l’absence d’intention protectionniste, les politiques nationales qui entraînent des divergences réglementaires peuvent augmenter considérablement les coûts commerciaux et réduire ou fausser les échanges.  Les politiques nationales peuvent diverger pour diverses raisons.  Cette divergence peut-être fortuite ou bien elle peut dépendre des circonstances.  La différence d’approche réglementaire peut ne pas être intentionnelle, et avoir son origine dans une habitude ou une coutume.  La divergence entre les politiques publiques nationales ou régionales peut aussi être due à des préférences sociales différentes.  Autrement dit, les systèmes de valeur peuvent varier d’une société à l’autre, ce qui se traduit par des approches différentes de la précaution qu’il peut être difficile de concilier.

On peut dire sans craindre trop de controverses qu’il est souhaitable de réduire le coût économique des systèmes inefficients et de lutter contre les mesures protectionnistes prises sous couvert d’interventions publiques légitimes, mais il ne va pas de soi de plaider pour l’uniformité des objectifs fondamentaux de la politique publique, même si les différences ont un impact sur le commerce.  Là, le problème est plus nuancé.  Nous voudrions réduire les divergences fortuites, mais le commerce peut difficilement l’emporter sur les préférences sociales en matière de politique publique.  Dans ces circonstances – quand il existe de réelles différences dans les préférences et les objectifs publics – les accords d’harmonisation réglementaire ou de reconnaissance mutuelle peuvent être une meilleure solution.  Mais ce qui est clair, c’est qu’il faut une plus grande énergie politique pour réduire les divergences afin d’égaliser le terrain de jeu.

Quatrièmement, il peut être difficile d’évaluer l’effet des MNT sur le commerce pour des raisons de mesurabilité.  Avec les droits de douane, il est relativement simple d’estimer l’effet sur le commerce.  Mais cela est beaucoup plus difficile dans le cas des MNT.  Les économistes ont parfois recours à divers types d’analyse des écarts de prix, ce qui nécessite un grand nombre de données qu’il n’est pas toujours facile d’obtenir, et ces calculs reposent inévitablement sur certaines hypothèses.  Les analyses consistant à dénombrer les mesures en supposant que la fréquence est un bon indicateur de l’impact sont encore plus approximatives.  Nous n’avons pas de solution simple à ces problèmes de mesure, hormis des analyses détaillées au niveau des produits.

Défis pour le système commercial multilatéral

La multiplication des mesures de politique publique crée un certain nombre de défis pour le système commercial multilatéral.

Une plus grande transparence est nécessaire.  Nous en savons beaucoup moins que nous le devrions sur l’existence et les effets des politiques publiques susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur le commerce.  Cela signifie que l’information sur les mesures elles‑mêmes, bien que nécessaire, n’est pas suffisante.  Il est essentiel de déterminer à quel point les mesures divergent entre elles ou par rapport aux normes internationales.  Il faudrait aussi obtenir des informations sur les modalités d’application, quand elles existent.  Chacun sait que de nombreux Membres n’ont pas été aussi diligents ni aussi rapides qu’ils auraient pu l’être pour présenter les notifications requises par les Accords de l’OMC.  En raison de l’importance croissante des MNT pour le commerce, les insuffisances de l’information auront un coût de plus en plus grand.

Avec ses divers mécanismes de transparence, l’OMC a un rôle majeur à jouer dans la réduction de l’opacité.  Le mécanisme de suivi mis en place après la crise financière a été très utile.  C’est un outil efficace pour recueillir des données sur l’évolution à court terme des politiques commerciales.  L’existence même de ce mécanisme peut aussi avoir une influence sur le comportement des gouvernements.

Parallèlement, nous avons lancé un important projet qui vise à faciliter l’accès aux données provenant des notifications.  Il s’agit du nouveau portail intégré d’information commerciale (I-TIP), qui sera lancé officiellement à la fin de cette année et qui offrira un accès unique à toutes les bases de données de l’OMC et, en particulier, à toutes les données sur les MNT recueillies par le biais des notifications.  Les autres organisations internationales apportent aussi une contribution importante dans ce domaine, grâce à un meilleur respect des obligations de notification, mais il est clair que ce sont les gouvernements qui détiennent la clé d’une amélioration durable de la transparence.

La structure et les travaux suivis de nos différents comités, comme les comités SPS et OTC, sont importants pour aider les Membres à réduire les conflits et à trouver des solutions concertées aux problèmes qui se posent en rapport avec les politiques publiques.  Ces travaux passent généralement inaperçus aux yeux du public.  Cependant, quand les points de vue diffèrent sur la justification d’une divergence réglementaire ou sur les méthodes d’administration des règlements, le mécanisme de règlement des différends peut entrer en action.  La principale difficulté est de faire en sorte que les différences légitimes soient préservées et respectées en limitant autant que possible les effets négatifs sur le commerce.

L’interdépendance croissante des pays et la sensibilisation accrue des consommateurs ont certainement cristallisé l’attention sur les MNT.  Plus ces mesures seront utilisées, plus il faut s’attendre à des frictions.  Plusieurs différends retentissants ont déjà été soulevés au sujet de mesures de politique publique.  Les Accords SPS et OTC vont au‑delà de la non‑discrimination et affirment qu’il faut faire en sorte que les mesures ne soient pas plus restrictives que nécessaire pour le commerce.  Comme l’ont montré clairement de récentes décisions de l’Organe d’appel, il peut être demandé aux organes juridictionnels de l’OMC d’évaluer la légitimité des objectifs qu’un Membre poursuit à travers sa réglementation intérieure et d’examiner les choix et les distinctions réglementaires qu’il fait pour atteindre ces objectifs.  Certains se demandent s’il est approprié de les charger de cette tâche et s’interrogent, plus généralement, sur la distinction à faire entre l’analyse inappropriée des motivations d’un gouvernement et l’évaluation appropriée de mesures qui ont des effets sur le commerce et qui sont contestées par d’autres Membres.

Les difficultés rencontrées par les pays pauvres pour se conformer aux normes imposées sur les grands marchés sont une autre source de préoccupation.  Pour les exportateurs de ces pays, il s’agit souvent d’un problème de capacité.  Il peut être trop coûteux pour les entreprises de s’adapter aux normes rigoureuses qu’il faut respecter pour accéder aux marchés des pays riches et pour les gouvernements de fournir l’infrastructure appropriée pour l’évaluation de la conformité.  Le Fonds pour l’application des normes et le développement du commerce (STDF) a joué un rôle très important dans le renforcement des capacités des pays pauvres dans le domaine SPS, mais il n’y a pas d’outil analogue pour l’application des normes dans le domaine des OTC.  Certains exportateurs des pays en développement rencontrent aussi d’autres problèmes.  Premièrement, leur participation à l’élaboration des normes internationales est pour le moins limitée.  Et, deuxièmement, ils craignent que les normes privées, qui affectent de plus en plus le commerce, n’entrent pas dans le champ d’application des disciplines de l’OMC.

 

Défis futurs

En songeant à l’avenir, il me semble qu’avec les MNT, nous devons réfléchir plus attentivement aux fondements de notre culture et de notre approche de l’ouverture du commerce.  Il faut définir un nouvel horizon et un contexte nouveaux.  Dans le cas des droits de douane et des contingents, l’objectif à long terme des négociations a été de réduire ou d’éliminer progressivement les mesures et de les consolider dans le cadre des instruments juridiques de l’OMC.  Mais les politiques publiques ne peuvent pas être simplement réduites et éliminées.  Autrement dit, l’horizon “zéro” pour les droits de douane ou les restrictions quantitatives, aussi implicite soit‑il, n’existe pas pour les MNT.

La vieille notion de réciprocité, c’est-à-dire l’échange mutuel d’engagements en matière d’accès aux marchés, est difficile à appliquer aux politiques publiques.  Il n’est certainement pas possible de réduire les politiques publiques à zéro.  Et il est difficile de concevoir un traitement spécial et différencié sous la forme d’exceptions ou d’exclusions concernant l’application de ces politiques publiques.

Cette réorientation de notre réflexion est un défi fondamental.  À une époque où les politiques publiques prennent une place centrale dans la politique commerciale, il est nécessaire, pour poursuivre l’objectif d’ouverture commerciale et pour saisir les possibilités qu’offre la spécialisation par le commerce, de bien comprendre comment, quand et où la convergence réglementaire devrait être encouragée.  Le potentiel d’harmonisation entre un grand nombre de pays est limité par les différences dans les préférences, les niveaux de développement et la capacité d’assurer une bonne gouvernance.  De même, le potentiel de reconnaissance mutuelle, qui exige un degré de confiance élevé, est limité à des “clubs” de pays qui partagent une approche similaire.  Ces deux options peuvent prendre corps plus facilement par le biais d’accords de coopération régionale que dans un cadre multilatéral.  Au niveau multilatéral, l’OMC favorise la convergence au moyen de ses dispositions sur la transparence et de l’Aide pour le commerce et en encourageant les gouvernements à adopter les meilleures pratiques et les normes internationales.  Mais ce n’est pas à l’OMC que ces normes sont élaborées.  Cette tâche incombe à d’autres organismes internationaux.

Par ailleurs, comme l’indiquent de récentes décisions de l’Organe d’appel, les disciplines existantes laissent une latitude considérable pour poursuivre unilatéralement des objectifs de politique publique sans manquer aux engagements commerciaux.  Les Membres devront probablement se pencher plus fréquemment sur la question de savoir comment utiliser le cadre de règles actuel qui vise à établir un juste équilibre entre la poursuite des objectifs de politique publique et la recherche des avantages que procure le commerce.

J’attends avec intérêt les débats futurs sur ces questions quand les Membres se pencheront sur l’avenir de notre tâche essentielle, qui est d’ouvrir les échanges et, donc, de réduire les obstacles au commerce d’une manière qui respecte les préoccupations légitimes en matière de politique publique.  Pour finir, je tiens à remercier l’équipe du Secrétariat pour l’énorme travail qu’elle a accompli, qui représente, selon moi, une contribution intellectuelle très importante.  Mais c’est bien sûr à vous d’en juger!

Merci pour votre attention.

 

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