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LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE: OMS-OMPI-OMC

Chapitre 2: Politiques favorisant l'innovation et l'accès

D. Connaissances traditionnelles et médecine traditionnelle

 

Points essentiels

 
  • La médecine traditionnelle apporte une contribution importante à l'état de santé de nombreuses communautés, et certaines communautés des pays développés y ont de plus en plus recours. Une reconnaissance appropriée de cette médecine constitue un élément important des politiques de santé nationales.
  • La croissance du commerce des produits de santé basés sur les connaissances traditionnelles, associée à l'utilisation grandissante des connaissances traditionnelles comme guide pour la recherche biomédicale et le développement de produits, a entraîné un débat sur l'appropriation illicite des connaissances traditionnelles ainsi que sur l'élaboration et le respect de protocoles appropriés concernant l'accès à ces connaissances et leur utilisation, notamment les connaissances médicales traditionnelles. Les questions connexes du consentement préalable en connaissance de cause (CPCC) et du partage équitable des avantages, tout en assurant la continuité de la R‑D, font également partie de ce débat.
  • Le respect de la valeur économique aussi bien que de l'importance sociale et culturelle des connaissances traditionnelles revêt une grande importance.
  • La documentation sur les connaissances médicales traditionnelles telle que les bases de données et les inventaires nationaux peut être utilisée comme preuve de l'état de la technique dans les procédures en matière de brevets.
  • Le fait que les pays en développement se tournent de plus en plus vers leurs connaissances traditionnelles comme base de nouveaux produits offrant un fort potentiel d'exportation crée un besoin de réglementation de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité de ces produits, ce qui cause des difficultés aux organismes de réglementation et aux producteurs.

La médecine traditionnelle est depuis longtemps l'élément essentiel des soins de santé pour de nombreuses populations. La présente section examine plusieurs questions relatives aux systèmes médicaux traditionnels sous l'angle de la propriété intellectuelle, des systèmes de réglementation et du commerce.

1. Systèmes de connaissances médicales traditionnelles

La médecine traditionnelle réunit l'ensemble des connaissances, compétences et pratiques basées sur les théories, croyances et expériences, explicables ou non, auxquelles différentes cultures ont recours pour entretenir la santé ainsi que pour prévenir, diagnostiquer, soulager ou soigner des maladies physiques et mentales (OMS, 2000b).1Cette expression est utilisée pour désigner aussi bien des systèmes de médecine traditionnelle tels que la médecine chinoise traditionnelle, la médecine ayurvédique ou la médecine unani que diverses formes de médecines indigènes pratiquées de façon traditionnelle. Le mieux est donc de considérer la médecine traditionnelle comme un ensemble de systèmes de connaissances distincts qui comprend des philosophies, des pratiques et des produits thérapeutiques différents. Les médecines traditionnelles qui ont été adoptées par d'autres populations (en dehors de leur culture d'origine) sont souvent appelées "médecines complémentaires et parallèles" (MCP) (OMS, 2002b).

Les médicaments traditionnels peuvent avoir différents composants, parmi lesquels des herbes, des matières végétales, des préparations à base de plantes et des produits finis à base d'herbes médicinales (médicaments à base de plantes). Ils peuvent aussi contenir des matières animales ou minérales. Leurs ingrédients actifs sont donc des substances tirées de plantes, d'animaux ou de minéraux.2La médecine traditionnelle est largement utilisée à travers le monde, mais surtout dans les pays en développement. Dans certains pays asiatiques et africains, 80% de la population en dépend pour les soins de santé primaires. Dans de nombreux pays développés, jusqu'à 80% de la population a déjà eu recours à une forme de MCP telle que l'acupuncture.3

La forme la plus populaire de médecine traditionnelle est le traitement phytothérapeutique. Le commerce international des médicaments traditionnels est en augmentation: selon la Chambre de commerce chinoise pour l'importation et l'exportation de médicaments et de produits de santé, les exportations de ces médicaments ont représenté 1,8 milliard de dollars en 2010.4Les médicaments traditionnels sont de plus en plus utilisés en dehors des cultures traditionnelles et bien au‑delà des zones géographiques traditionnelles sans une connaissance appropriée de leur utilisation et de leurs principes fondamentaux. Ils sont aussi consommés à différentes doses, extraits de diverses manières et utilisés pour des indications non traditionnelles (OMS, 2004a).

L'OMS encourage, en coopération avec ses États membres, l'usage rationnel de la médecine traditionnelle à des fins de santé.5Elle suit la situation de la médecine traditionnelle dans le monde et a publié une étude mondiale sur la manière dont les médicaments traditionnels et les MCP sont reconnus et réglementés au niveau national. Ce travail vise à faciliter la mise en place de cadres juridiques et le partage d'expériences entre les pays (OMS, 2001b). L'OMS a également publié un rapport sur son enquête mondiale consacrée aux politiques nationales en matière de médecine traditionnelle et de réglementation des médicaments à base de plantes (OMS, 2005b).

L'OMS met actuellement à jour sa stratégie relative à la médecine traditionnelle et réalise à cette fin une deuxième enquête mondiale. L'Assemblée mondiale de la santé a également adopté plusieurs résolutions sur la médecine traditionnelle:

  • en 1988, une résolution sur les plantes médicinales, se référant à la Déclaration de Chiangmai, a fermement établi les plantes médicinales, leur usage rationnel et durable et leur conservation au sein des politiques et des préoccupations de santé publique6
  • en 2003, une résolution sur la médecine traditionnelle, se référant à la stratégie de l'OMS pour la médecine traditionnelle, a demandé à l'OMS de collaborer avec d'autres organisations du système des Nations Unies et des organisations non gouvernementales dans divers domaines liés à la médecine traditionnelle, notamment la recherche, la protection du savoir médical traditionnel et la conservation des ressources phytothérapeutiques7
  • en ce qui concerne la GSPA‑PHI, l'OMS a indiqué que la médecine traditionnelle constituait un des domaines à traiter dans son programme de démarrage rapide. Ce programme vise à "appuyer la recherche‑développement et promouvoir la fixation de normes pour les médicaments traditionnels dans les pays en développement"8
  • en 2009, une résolution sur la médecine traditionnelle faisait référence à la Déclaration de Beijing, qui invitait les gouvernements nationaux à respecter, préserver et diffuser largement la connaissance de la médecine traditionnelle lorsqu'ils élaborent des politiques et des réglementations nationales pour garantir l'usage approprié, sûr et efficace de la médecine traditionnelle, à développer encore la médecine traditionnelle sur la base de la recherche et de l'innovation et à envisager d'intégrer la médecine traditionnelle dans leurs systèmes de santé nationaux.9

2. Les connaissances médicales traditionnelles dans la politique internationale en matière de santé et de propriété intellectuelle

Dans les débats internationaux, l'expression "connaissances traditionnelles" est utilisée au sens large dans de nombreux contextes, notamment les discussions sur l'environnement et la biodiversité, la santé, les droits de l'homme et le système de propriété intellectuelle. Il n'en existe pas de définition juridique convenue au niveau international (OMPI, 2001).10 Dans la présente étude, l'expression "connaissances médicales traditionnelles" est utilisée dans un contexte spécifique qui se réfère au contenu ou à la substance des connaissances traditionnelles, aux compétences et à l'apprentissage, avec des applications spécifiques à la santé humaine, au bien être et à la guérison. Elle peut s'appliquer aux médicaments traditionnels en tant que tels ou aux systèmes de connaissances relatifs au traitement médical (tels que le massage thérapeutique ou les postures de yoga).

Les systèmes de médecine traditionnelle peuvent être classés comme suit11

  • Les systèmes codifiés, qui ont été divulgués par écrit dans des écritures anciennes et sont entièrement tombés dans le domaine public. Parmi eux figurent la médecine ayurvédique, le système Siddha et la tradition Unani Tibb. La médecine traditionnelle chinoise, divulguée dans les textes médicaux chinois anciens, est un autre exemple de système codifié.
  • Les savoirs médicaux traditionnels non codifiés, qui n'ont pas été mis par écrit, ne sont en général pas divulgués par leurs détenteurs et sont transmis oralement de génération en génération.

Depuis une dizaine d'années, les connaissances médicales traditionnelles font l'objet d'une plus grande attention dans divers contextes internationaux. Ainsi, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones12 adoptée en 2007, dit ceci: "Les peuples autochtones ont droit à leur pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de conserver leurs pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes médicinales, animaux et minéraux d'intérêt vital." Elle cite également les médicaments dans le contexte du "droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture".

3. Réglementation des médicaments traditionnels

Le fait que les médicaments traditionnels sont très répandus dans le monde, ajouté aux efforts faits pour les intégrer dans les systèmes de santé nationaux modernes, accroît la demande d'informations sur leur sécurité, leur efficacité et leur qualité. Tout comme les autres médicaments à usage humain, les médicaments traditionnels devraient être visés par des cadres réglementaires permettant d'assurer leur conformité avec les normes requises en matière de sécurité, de qualité et d'efficacité, en fonction de la situation et de la position de la médecine traditionnelle dans la politique de santé et le système de santé du pays. La réglementation des médicaments traditionnels prend différentes formes dans le monde. Selon le cadre législatif et réglementaire national, ils peuvent être vendus comme médicaments avec ou sans ordonnance, compléments alimentaires, aliments diététiques ou aliments fonctionnels.

Par ailleurs, le statut réglementaire d'un produit peut être différent selon les pays. Le même produit à base de plantes peut être considéré de manière différente s'il est échangé entre deux pays qui ont des approches et des exigences réglementaires différentes. Les produits à base de plantes considérés autrement que comme des médicaments et aliments deviennent de plus en plus populaires, et il y a un risque de réaction défavorable en raison de l'absence de réglementation, de la faiblesse des systèmes de contrôle de la qualité et du caractère peu structuré des circuits de distribution (y compris la vente par correspondance et sur Internet) (OMS, 2004a).

En 2006 a été créée la Coopération internationale sur la réglementation des médicaments à base de plantes (IRCH), un réseau mondial d'autorités chargées de réglementer les médicaments à base de plantes, qui opère en coordination avec l'OMS. Sa mission est de protéger et de promouvoir la santé publique et la sécurité en améliorant la réglementation des médicaments à base de plantes.13

Actuellement, plus de 120 États membres de l'OMS réglementent les médicaments à base de plantes. Pour soutenir les efforts qu'ils déploient afin de mettre en place et de faire appliquer une réglementation efficace en la matière, l'OMS a publié des directives techniques importantes au niveau mondial sur la qualité, la sécurité, l'efficacité et l'utilisation durable de ces médicaments. Plusieurs autres ensembles de directives sont en cours d'élaboration, entre autres sur l'évaluation des médicaments à base de plantes, les principes méthodologiques pour la recherche et l'évaluation relatives à la médecine traditionnelle, les bonnes pratiques de fabrication (BPF) relatives aux médicaments à base de plantes et la conservation et l'utilisation durable des plantes médicinales, par exemple les directives sur les bonnes pratiques agricoles et les bonnes pratiques de récolte (BPAR) relatives aux plantes médicinales.14

L'OMS a également élaboré une série de monographies sur certaines plantes médicinales, destinées à donner des informations scientifiques sur la sécurité, l'efficacité et le contrôle de la qualité des plantes médicinales d'utilisation répandue. Elle fournit des modèles conçus pour aider les États membres à élaborer leurs propres monographies ou formulaires pour ces médicaments à base de plantes et d'autres, et elle facilite également les échanges de renseignements entre les États membres.15

L'expansion du commerce international des produits médicaux traditionnels a entraîné des débats au sujet de l'incidence des réglementations sur le commerce. Depuis quelques années, les Membres de l'OMC notifient au Comité des obstacles techniques au commerce de l'OMC (Comité OTC) diverses réglementations ayant une incidence directe sur les médicaments traditionnels à base de plantes. En voici quelques exemples: bonnes pratiques de fabrication (BPF) pour la production de remèdes à base de plantes médicinales (Mexique); réglementation des médicaments à base de plantes médicinales pour la protection de la santé publique (Pérou); inspection des médicaments à base de plantes médicinales pour la protection des consommateurs et la promotion de la santé publique (République de Corée); et réglementation concernant la préparation de médicaments à base de plantes destinés à la consommation humaine (Kenya).16Conformément au principe de l'Accord OTC selon lequel les pays sont encouragés à appliquer les normes internationales, plusieurs de ces notifications se réfèrent à diverses directives de l'OMS concernant les médicaments à base de plantes.17

L'intérêt commercial de pays tels que la Chine, l'Équateur et l'Inde dans les médicaments traditionnels se manifeste dans les discussions qui se poursuivent au Comité OTC sur l'impact des exportations de ces pays sur l'Union européenne. La Directive 2004/24/CE sur les médicaments traditionnels à base de plantes18prévoit un processus d'homologation simplifié pour les médicaments traditionnels à base de plantes grâce à une autorisation unique valable dans toute l'Union européenne.

4. Préoccupations relatives à l'appropriation illicite des médicaments traditionnels

La recherche sur les médicaments traditionnels et les connaissances médicales traditionnelles se poursuit dans divers domaines, qui soulèvent chacun une multitude de questions:

  • Les tradipraticiens développent leurs compétences par l'observation, en s'appuyant sur les connaissances empiriques relatives à l'utilisation des formulations traditionnelles. De nombreux pays cherchent de plus en plus à préserver et à promouvoir les systèmes de médecine traditionnelle.
  • Les chercheurs s'efforcent de valider les médicaments traditionnels de façon scientifique et clinique, afin de les intégrer dans les systèmes de santé nationaux.
  • La médecine et les connaissances médicales traditionnelles inspirent le développement de nouveaux traitements. De nombreux médicaments modernes sont tirés à l'origine de produits à base de plantes. Par exemple, l'oseltamivir, utilisé pour traiter diverses infections grippales, est tiré de l'acide shikimique, lui‑même isolé à partir de l'anis étoilé chinois, une épice utilisée aussi dans la médecine traditionnelle chinoise.19Les traitements actuels contre le paludisme contiennent des dérivés synthétiques de l'artémisinine, qui est tirée d'une plante, l'armoise annuelle ou Artemisia annua. Il s'agit d'un ancien médicament chinois toujours utilisé actuellement, qui servait à traiter les soldats atteints de paludisme durant la guerre du Viet Nam et qui a été développé grâce à un partenariat international pour devenir un produit pharmaceutique largement utilisé dans le traitement du paludisme (Rietveld, 2008).
  • Illustrant l'importance clinique de la médecine traditionnelle, certains programmes appliquent une approche "intégrative", en cherchant des synergies entre la recherche médicale "traditionnelle" et "classique". C'est par exemple le cas d'un programme de recherche sur les bonnes pratiques dans la médecine traditionnelle chinoise à l'ère de la postgénomique (Uzuner et al., 2012) et des initiatives visant à intégrer les traitements traditionnels et contemporains du cancer au Moyen‑Orient (Ben‑Ayre et al., 2012).

L'utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées est principalement réglementée par la Convention sur la diversité biologique (CDB) et le Protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique (Protocole de Nagoya). Les politiques nationales relatives à la biodiversité font souvent référence aux médicaments traditionnels et à la recherche médicale traditionnelle. De nombreuses autres politiques nationales visent à créer des programmes de R‑D médicale sur la base des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées qui font partie du patrimoine national.

La CDB et le Protocole de Nagoya ont essentiellement pour effet de confirmer la souveraineté nationale sur les ressources génétiques et d'établir un droit de consentement préalable en connaissance de cause (CPCC), d'approbation et de participation en ce qui concerne l'accès aux connaissances traditionnelles associées et leur utilisation. Bon nombre de questions soulevées dans ce débat concernent le matériel génétique utilisé comme base pour la recherche médicale et les connaissances médicales traditionnelles utilisées directement pour obtenir de nouveaux produits ou qui orientent la recherche de nouveaux traitements. Le principal changement d'orientation a consisté à reconnaître que: i) les gardiens et les praticiens des connaissances médicales traditionnelles ont des droits légitimes; ii) leurs connaissances ne sont pas censées relever du domaine public et pouvoir être utilisées librement par tous; et iii) du fait que les avantages financiers et non financiers de la R‑D sont partagés sur l'ensemble de la filière de développement des produits, une portion équitable devrait également revenir à l'origine ou à la source du matériel utilisé dans la recherche. La CIPIH a demandé que les avantages découlant des connaissances traditionnelles soient partagés avec les communautés concernées (OMS, 2006b).

La question de savoir comment appliquer le CPCC et le partage équitable des avantages a suscité un large débat.20Cependant, en ce qui concerne la propriété intellectuelle, les questions de politique peuvent se réduire à deux grands thèmes:

  • Premièrement, des brevets et d'autres DPI peuvent‑ils et devraient‑ils être obtenus pour des inventions tirées de connaissances traditionnelles et de ressources génétiques? En particulier, quels mécanismes faudrait‑il mettre en place, le cas échéant, pour éviter que des brevets soient délivrés par erreur pour des connaissances traditionnelles et des ressources génétiques et pour que les titulaires de brevets respectent les principes du CPCC et du partage équitable des avantages? Les stratégies destinées à faire en sorte que des tierces parties n'obtiennent par des DPI illégitimes ou infondés sur des objets tirés des connaissances traditionnelles et des ressources génétiques connexes sont connues sous le nom de "protection défensive", telles les mesures destinées à préempter ou invalider les brevets qui revendiquent comme inventions des connaissances traditionnelles préexistantes.
  • Deuxièmement, comment reconnaître les DPI positifs que peuvent avoir les propriétaires ou les gardiens de connaissances traditionnelles et de ressources génétiques et leur donner un effet juridique et pratique, que ce soit au moyen du régime existant de propriété intellectuelle ou de droits sui generis? C'est ce qu'on appelle la "protection positive". La protection positive consiste, entre autres choses, à empêcher l'utilisation non autorisée de connaissances traditionnelles par des tiers, ainsi qu'à permettre l'exploitation active de ces connaissances par la communauté originaire elle‑même.

Le souci d'améliorer l'examen des brevets dans le domaine des connaissances traditionnelles, afin notamment d'éviter la délivrance par erreur de brevets sur des médicaments traditionnels, a donné lieu à des initiatives aux niveaux international et national. L'un des principaux exemples est la Bibliothèque numérique des savoirs traditionnels (TDKL), projet collaboratif mené en Inde entre le Conseil de la recherche scientifique et industrielle (CSIR), le Ministère de la science et de la technologie et le Ministère de la santé et de la famille. Une équipe interdisciplinaire d'experts des médicaments, d'examinateurs de brevets, d'experts des technologies de l'information, de chercheurs et de responsables techniques indiens a créé un système numérisé permettant de consulter la littérature existante du domaine public au sujet de l'ayurveda, de l'unani, du siddha et du yoga. Cette littérature existe généralement dans des langues et sous des formes traditionnelles. La TDKL donne donc des renseignements sur les connaissances médicales traditionnelles dans cinq langues internationales et sous des formes compréhensibles par les examinateurs de brevets qui travaillent dans les offices internationaux. Le but est d'empêcher la délivrance de brevets par erreur,21tout en ne publiant pas à nouveau des connaissances traditionnelles d'une manière qui en faciliterait l'appropriation illicite. La GSPA‑PHI de l'OMS invite les gouvernements et les communautés concernées à faciliter l'accès aux savoirs en médecine traditionnelle à utiliser comme élément antérieur22dans le processus d'examen des brevets, y compris, le cas échéant, l'inclusion de ces savoirs dans les bibliothèques numériques (élément 5 1 f). Le Conseil des ADPIC de l'OMC a examiné la manière d'empêcher la délivrance par erreur de brevets utilisant des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées grâce à l'utilisation de bases de données. Le Japon a soumis à cette occasion une communication qu'il avait déjà présentée au Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC) de l'OMPI.23

5. Nouvelles approches en matière de protection de la propriété intellectuelle dans le domaine des connaissances médicales traditionnelles

Les Parties à la CDB ainsi que les Membres de l'OMC et de l'OMPI ont examiné la possibilité d'introduire une prescription en matière de divulgation dans le système des brevets, présentée par ceux qui la proposent comme un moyen de faire en sorte que les inventions tirées de connaissances traditionnelles et de ressources génétiques soient conformes aux principes du CPCC et du partage équitable des avantages. Les propositions et les débats sont divers et s'étendent à d'autres domaines que les médicaments, bien qu'ils soient centrés sur les brevets dans le domaine médical. L'élément central de la proposition tendant à introduire une prescription en matière de divulgation dans le système des brevets consisterait à exiger du déposant qu'il notifie la source ou l'origine des connaissances traditionnelles ou des ressources génétiques utilisées dans l'invention revendiquée et qu'il apporte la preuve du respect des prescriptions en matière de CPCC et de partage équitable des avantages. Plusieurs pays ont inscrit de telles dispositions dans leur législation nationale, mais il n'existe pas de norme internationale convenue. Une alliance de pays en développement a proposé une révision de l'Accord sur les ADPIC en vue de rendre ces dispositions obligatoires,24mais d'autres pays continuent de contester l'utilité et l'efficacité de ce type de mécanisme de divulgation.25

En raison de l'importance culturelle, scientifique, environnementale et économique des connaissances traditionnelles, des appels ont été lancés pour qu'elles soient préservées (contre la perte et la dilapidation) et protégées (contre l'utilisation inappropriée ou non autorisée par des tiers), et de nombreux programmes sont actuellement menés à bien aux niveaux national, régional et international afin de préserver, promouvoir et protéger différents aspects des connaissances traditionnelles. Ces mesures sont entre autres les suivantes: premièrement, préserver le contexte culturel et social vivant des connaissances traditionnelles et maintenir le cadre coutumier relatif à l'élaboration de ces connaissances, à leur transmission et à leur accès; et, deuxièmement, préserver les connaissances traditionnelles sous forme fixe, comme c'est le cas par exemple lorsqu'elles sont fixées ou enregistrées.

L'OMPI s'intéresse principalement à la "protection" au sens de la propriété intellectuelle (c'est‑à‑dire la protection contre la copie, l'adaptation et l'usage par des parties non autorisées). L'objectif est, en un mot, d'éviter que les matériels fassent l'objet d'une utilisation abusive. Deux formes de protection – positive et défensive – ont été élaborées et appliquées, comme on l'a expliqué ci‑dessus.

L'IGC travaille à l'élaboration d'un instrument juridique international qui assurerait une protection effective des connaissances traditionnelles. Il travaille aussi sur les moyens de traiter les aspects de la propriété intellectuelle relatifs à l'accès aux ressources génétiques et au partage des avantages qui en découlent. Le Conseil des ADPIC de l'OMC a aussi beaucoup débattu de la protection des connaissances traditionnelles,26 avec entre autres une proposition du Groupe africain sur l'adoption d'une décision formelle visant à établir un système de protection des connaissances traditionnelles, mais cette discussion n'a pas abouti. Les travaux de l'IGC sur les connaissances traditionnelles27 sont centrés sur la protection positive et sur l'aspect propriété intellectuelle de la protection, c'est à dire la reconnaissance et l'exercice du droit d'empêcher autrui de faire un usage illégitime ou non autorisé des connaissances traditionnelles. Les membres de l'OMPI poursuivent actuellement leurs efforts de négociation sur ces questions, et aucun accord final n'a encore été trouvé. Le texte d'un instrument juridique international assurant une protection effective des connaissances traditionnelles n'est donc pas définitif, et de nouveaux projets de texte sont régulièrement présentés. Les renseignements exposés ci dessous visent à décrire de façon large et informelle la nature des discussions en cours dans le cadre des négociations à l'OMPI.

(a) Pourquoi protéger les connaissances traditionnelles?

L'IGC a examiné les objectifs d'une politique de protection internationale,28à savoir entre autres:

  • reconnaître la nature globale des savoirs traditionnels et leur valeur intrinsèque;
  • assurer le respect;
  • répondre aux besoins réels des détenteurs de savoirs traditionnels et leur donner des moyens d'action;
  • promouvoir la conservation et la préservation des savoirs traditionnels;
  • soutenir les pratiques coutumières et la coopération communautaire;
  • contribuer à la sauvegarde des cultures traditionnelles;
  • réprimer les utilisations déloyales et inéquitables et faire obstacle aux DPI non autorisés;
  • encourager l'innovation et la créativité dans les communautés, le développement communautaire et les activités commerciales légitimes;
  • veiller à l'application du principe de CPCC et à des échanges fondés sur des conditions convenues d'un commun accord.

(b) Qu'est-ce qui doit être protégé et au bénéfice de qui?

Il n'y a pas encore de définition acceptée des connaissances traditionnelles au niveau international. En principe, les connaissances traditionnelles sont les connaissances en tant que telles, notamment celles qui résultent de l'activité intellectuelle dans un contexte traditionnel, et incluent le savoir‑faire, les pratiques, les techniques et les innovations. Il est généralement admis que la protection devrait principalement profiter aux détenteurs de ces connaissances eux‑mêmes, y compris les peuples autochtones et les communautés locales. Toutefois, il n'y a pas d'accord sur le point de savoir si les familles, les nations, les individus et d'autres (tels que les États eux‑mêmes) pourraient faire partie des bénéficiaires. Alors que les connaissances traditionnelles sont généralement considérées comme collectivement générées, préservées et transmises, de sorte que tous les droits et intérêts devraient revenir aux peuples autochtones et aux communautés locales, dans certains cas, les bénéficiaires peuvent aussi être des individus reconnus au sein des communautés, tels que certains praticiens de la santé (avec une référence spécifique aux connaissances médicales traditionnelles). Certains pays n'utilisent pas l'expression de peuples autochtones ou de communautés locales et considèrent que les connaissances traditionnelles sont entretenues par des individus ou des familles.
 

(c) Contre quoi les connaissances traditionnelles doivent‑elles être protégées?

L'un des problèmes que rencontrent les détenteurs de connaissances traditionnelles est l'exploitation commerciale de leurs connaissances par autrui, ce qui soulève des questions quant à la protection juridique de ces connaissances contre l'usage non autorisé, au rôle du CPCC et à la nécessité du partage équitable des connaissances. Les détenteurs de connaissances traditionnelles signalent aussi un manque de respect et d'appréciation de ces connaissances. Par exemple, lorsqu'un guérisseur remet un mélange d'herbes pour soigner une maladie, il n'est pas nécessairement en mesure d'isoler certains composés chimiques et de décrire leur effet sur l'organisme dans les termes de la biochimie moderne, mais ce traitement médical est fondé sur des générations d'expériences cliniques faites par les guérisseurs du passé et sur une solide compréhension de l'interaction entre le mélange et la physiologie humaine.

(d) Comment protéger les connaissances traditionnelles?

En raison de la diversité des connaissances traditionnelles, il n'y a pas de solution toute faite susceptible de convenir à tous les pays et à toutes les communautés. Il est également très difficile de déterminer comment faire respecter la protection prévue par un système national aux niveaux régional et international.

Les DPI existants ont été utilisés avec succès pour assurer une protection contre certaines formes d'appropriation illicite et d'utilisation abusive de certains aspects des connaissances traditionnelles. Plusieurs pays ont adapté les systèmes existants de propriété intellectuelle aux besoins des détenteurs de connaissances traditionnelles, y compris au moyen de règles ou de procédures spécifiques visant à protéger ces connaissances. Par exemple, l'Office chinois de la propriété intellectuelle a une équipe d'examinateurs de brevets spécialisés dans la médecine traditionnelle chinoise. D'autres pays ont mis en place des systèmes sui generis nouveaux et autonomes pour protéger les connaissances traditionnelles. La Loi thaïlandaise sur la protection et la promotion du savoir médical thaï traditionnel, B.E. 2542 (1999)29protège les "formules" des médicaments traditionnels thaïs et les "textes sur la médecine traditionnelle thaïe". Elle définit le "savoir médical traditionnel thaï" comme l'ensemble des "connaissances et capacités fondamentales relatives à la médecine traditionnelle thaïe". Elle confère aux titulaires – "qui ont enregistré leurs droits de propriété intellectuelle sur le savoir médical thaï traditionnel au titre de la Loi" – un "droit de propriété exclusif sur la production du médicament et la recherche‑développement". La Loi péruvienne n° 27811 du 24 juillet 2002 établissant un régime de protection des connaissances collectives des peuples autochtones portant sur les ressources biologiques30est un régime sui generis de protection des connaissances collectives des populations autochtones relatives aux ressources biologiques. Le Protocole de Swakopmund sur la protection des connaissances traditionnelles et des expressions du folklore dans le cadre de l'Organisation régionale africaine de la propriété industrielle (ARIPO), adopté par les États membres de l'ARIPO en août 2010,31vise "a) à protéger les détenteurs de connaissances traditionnelles contre toute atteinte à leurs droits tels qu'ils sont reconnus par le Protocole; et b) à protéger les expressions du folklore contre une appropriation illicite, une utilisation abusive et une exploitation illicite en dehors de leur contexte traditionnel". L'instrument international destiné à assurer une protection effective des connaissances traditionnelles qui est actuellement négocié à l'ICG est un système sui generis. Il existe aussi d'autres possibilités telles que le droit contractuel, les lois relatives à la biodiversité et les lois et protocoles coutumiers et autochtones.

(e) Documentation

La documentation est particulièrement importante, car elle est souvent le moyen grâce auquel les personnes extérieures au cercle traditionnel accèdent aux connaissances traditionnelles. Elle n'assure pas la protection juridique de ces connaissances, ce qui signifie qu'elle n'empêche pas des tiers de les utiliser. Selon la manière dont il se déroule, le processus de documentation peut favoriser les intérêts d'une communauté ou leur nuire. Lorsque des connaissances traditionnelles sont fixées, les DPI peuvent être perdus ou bien renforcés. L'OMPI a élaboré un Instrument d'aide à la fixation des savoirs traditionnels afin d'aider les détenteurs de connaissances traditionnelles, notamment les peuples autochtones et les communautés locales, à protéger leurs intérêts dans le cas où ils décideraient de fixer ces connaissances.32Cet instrument est axé sur la gestion des questions de propriété intellectuelle durant le processus de fixation, mais il prend aussi ce processus comme point de départ d'une gestion plus avantageuse des connaissances traditionnelles en tant que patrimoine intellectuel et culturel d'une communauté.


1. OMS, "Médecine traditionnelle", Aide‑mémoire n° 134, 2008. Voir: www.who.int/mediacentre/factsheets/fs134/en/retour au texte

2. Pour une définition des médicaments à base de plantes, voir: http://apps.who.int/medicinedocs/en/d/Jh2984e/.  retour au texte

3. OMS, "Médecine traditionnelle", Aide‑mémoire n° 134, 2008. Voir: www.who.int/mediacentre/factsheets/fs134/en/.  retour au texte

4. China Daily, "TCM Exports Set to Rise at a Healthy Clip", 10 février 2012. Voir: www.china.org.cn/ business/2012-02/10/content_24601720.htm.  retour au texte

5. OMS, "Médecine traditionnelle", Aide-mémoire n° 134, 2008. Voir: www.who.int/mediacentre/factsheets/fs134/en/.  retour au texte

6. Assemblée mondiale de la santé, Résolution WHA41.19: Médecine traditionnelle et plantes médicinales.  retour au texte

7. Assemblée mondiale de la santé, Résolution WHA56.31: Médecine traditionnelle.  retour au texte

8. Assemblée mondiale de la santé, Résolution WHA61.21: Stratégie et plan d'action mondiaux pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle.  retour au texte

9. Assemblée mondiale de la santé, Résolution WHA62.13: Médecine traditionnelle.  retour au texte

10. Voir aussi les documents de l'OMPI WIPO/GRTKF/IC/3/9 et WIPO/GRTKF/IC/17/INF/9.  retour au texte

11. Document de l'OMPI WIPO/GRTKF/IC/3/6.  retour au texte

12. Document de l'ONU A/RES/61/295.  retour au texte

13.Voir www.who.int/medicines/areas/traditional/irch/en/index.html. En août 2009, les États membres étaient les suivants: Arménie, Australie, Brésil, Canada, Chine, Émirats arabes unis, États‑Unis, Ghana, Hongrie, Inde, Indonésie, Japon, Malaisie, Mexique, Pakistan, République de Corée, Royaume d'Arabie saoudite, Royaume‑Uni et Singapour. Les trois organismes régionaux/sous-régionaux sont l'Association des nations de l'Asie du Sud‑Est (ASEAN), l'Agence européenne des médicaments (EMA) et le Parlement latino-américain (PARLATINO).  retour au texte

14. Les directives et autres documents pertinents de l'OMS figurent à l'adresse suivante: http://apps.who.int/medicinedocs/en/cl/CL10.1.3/clmd,50.html#hlCL10_1_3.  retour au texte

15.  Des monographies de l'OMS figurent à l'adresse suivante: http://apps.who.int/medicinedocs/en/cl/CL10.1.4.3/clmd,50.html#|hlCL10_1_4_3.  retour au texte

16. Pour des renseignements complémentaires, voir le Système de gestion des renseignements OTC de l'OMC http://tbtims.wto.org/.  retour au texte

17. Les directives et autres documents pertinents de l'OMS figurent à l'adresse suivante: http://apps.who.int/medicinedocs/en/cl/CL10.1.3/clmd,50.html#hlCL10_1_3.  retour au texte

18. Directive 2004/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant, en ce qui concerne les médicaments traditionnels à base de plantes, la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain. retour au texte

19. Voir www.roche.com/med_mbtamiflu05e.pdf.  retour au texte

20. Sur le débat politique relatif à l'accès et au partage des avantages dans le domaine de la lutte contre les virus, voir le chapitre III, section E.  retour au texte

21.Voir www.tkdl.res.in/tkdl/langdefault/common/outcome.asp?GL=Eng.  retour au texte

22. Pour des renseignements complémentaires sur l'état de la technique, voir la note n° 67 ci‑dessus..  retour au texte

23. Document de l'OMC IP/C/W/472. Le Japon avait d'abord présenté cette proposition à l'IGC comme document de l'OMPI WIPO/GRTKF/IC/9/13. Voir aussi les documents de l'OMPI WIPO/GRTKF/IC/20/INF/9 et WIPO/GRTKF/IC/20/INF/11.  retour au texte

24. Voir le document de l'OMC IP/C/W/474 et addenda.  retour au texte

25. Voir les documents de l'OMC IP/C/W/368/Rev.1 et IP/C/W/370/Rev.1. Les discussions se poursuivent au Conseil des ADPIC. Elles sont régulièrement consignées dans les comptes rendus des réunions. Pour le compte rendu le plus récent, voir le document de l'OMC IP/C/M/70. retour au texte

26. Documents de l'OMC IP/C/W/368/Rev.1 et IP/C/W/370/Rev.1.  retour au texte

27. Voir www.wipo.int/tk/en/igc/index.html.  retour au texte

28. La dernière version du texte de négociation peut être consultée à l'adresse suivante: www.wipo.int/tk/en/igc/index.html.  retour au texte

29. Voir www.wipo.int/wipolex/en/details.jsp?id=5790.  retour au texte

30. Voir www.wipo.int/wipolex/en/details.jsp?id=3420 retour au texte

31. Voir www.wipo.int/wipolex/en/other_treaties/details.jsp?treaty_id=294.  retour au texte

32. L'Instrument d'aide à la fixation des savoirs traditionnels (projet soumis à consultation) peut être consulté à l'adresse suivante www.wipo.int/tk/en/tk/TKToolkit.html.  retour au texte