Pascal Lamy

DIRECTEUR GÉNÉRAL

Journal de Pascal Lamy durant la Conférence ministérielle

Ma journée à la Conférence ministérielle...

Dimanche 18 décembre

La dernière journée, un bon départ

Ça été un combat vraiment jusqu'à la fin, jusqu'à la dernière minute.

Lorsque la lumière du jour a percé à travers les parois de verre du Centre des congrès, j'ai réalisé que le moment de vérité approchait. Nous étions arrivés à l'instant où ça passe ou ça casse comme on dit. Les dernière heures de réunions ont été incroyablement tendues. Surtout bien maîtriser la frustration qui monte lorsqu'on revoit certains points pour la cinquantième fois. C'est très facile à ce moment-là de perdre son sang-froid, de tout faire échouer en utilisant le mauvais mot. C'est comme si l'on essayait de garder l'équilibre sur un petit bateau en tentant de gagner la rive alors que l'on est pris dans une tempête.

L'équilibre, c'est la clé de la dynamique de ce groupe de 30 Ministres, qui représente les nombreuses sensibilités de l'OMC: deux tiers de pays en développement, les pays les moins avancés, l'Afrique, l'Asie, l'Amérique latine, les petites économies ... mais seulement trois femmes parmi ces Ministres. Je suppose que c'est le seul équilibre que nous devrions rectifier!

Suis rentré à l'hôtel juste pour essayer de dormir deux-trois heures — mais c'est un de ces moments où, quand vous vous couchez, votre esprit continue de travailler tellement vite qu'il est difficile de trouver le sommeil. Le téléphone sonne toutes les dix minutes, il y a des décisions à prendre: je retourne au Centre. Depuis plusieurs jours, nous construisons ce qui ressemble fort à un château de cartes. Il est essentiel de garder la tête froide en cette fin de Conférence pour veiller à ce que le château ne s'écroule pas dans les dernières minutes. Lorsque les Ministres partent à 7 heures du matin, John Tsang, le Président, et moi-même devons encore finaliser le texte qui sera examiné par tous les Membres dans l'après-midi. Ce n'est pas le moment d'employer le mauvais mot ou de mal placer la virgule!

On ne peut vraiment pas dire que l'après-midi se soit déroulé calmement. Les problèmes, les préoccupations des différents Ministres, tout arrive à mon bureau, nouvelles réunions, nouveaux coups de fil. Pendant les dernières heures, on se serait crus aux urgences dans un hôpital. Heureusement que mes collaborateurs, qui étaient pourtant soumis à d'énormes pressions, ont su garder leur calme et leur esprit d'équipe. Nous savions que nous pouvions réussir mais comme un célèbre joueur de baseball l'a dit “rien n'est joué tant que la partie n'est pas finie”. Les délégués font la queue devant le centre de documentation pour obtenir le dernier projet, fruit de notre labeur de la semaine. Ce n'est pas vraiment ce que j'appellerais un best-seller, mais à voir l'excitation qui règne ici, on dirait presque qu'il s'agit du dernier Harry Potter! Voilà peut-être une idée pour le prochain livre: “Poudlard: l'école des sorciers du commerce”?

Nouvelle réunion avec les Chefs de délégations. Les uns après les autres, ils nous rappellent qu'il reste encore beaucoup à faire, mais ils acceptent le texte. Le soulagement est palpable dans la pièce. Chacun partage le sentiment que nous avons réussi, pas complètement ... mais c'est un nouvel élan pour finir le Cycle en 2006. S'ensuit la session plénière, avec tous les Membres, le texte est présenté pour approbation finale: ce coup de marteau accompagné des mots “il en est ainsi convenu” prononcés par le Président ont été bien doux à mes oreilles. Les applaudissements ont fusé. C'est incroyable! Ils ont tous lutté les uns contre les autres pour défendre leurs intérêts pendant 100 heures et les voilà unis pendant une minute — c'est l'instant décisif. À la conférence de presse, les journalistes me bombardent de questions, c'est la dernière épreuve de cette semaine tellement éprouvante. Même eux partagent notre enthousiasme à la fin de ces six journées. Je leur dirai que lorsque je suis venu à Hong Kong, j'étais tout à fait réveillé mais les négociations étaient à moitié endormies et que ce soir, je suis à moitié endormi mais la bonne nouvelle, c'est que les négociations, elles, sont maintenant tout à fait réveillées!

Ce soir, c'est la montée d'adrénaline qui m'empêchera de dormir. Je ne peux pas nier que je suis heureux. Nous avons passé une semaine incroyable dans une ville fabuleuse avec une équipe qui a été impeccable ... John Tsang, le Comité d'organisation, les volontaires et les nombreux autres qui travaillent en dehors du feu des projecteurs. Ils me laissent tous de très bons souvenirs que je ramènerai avec moi à Genève. Accueillir l'OMC, ce doit être comme recevoir des visiteurs pour le week-end. On a un sentiment de joie lorsqu'ils arrivent et de paix lorsqu'ils partent.

Je voudrais adresser tous mes vœux de fin d'année à mes amis de Hong Kong et à vous tous: Joyeux Noël, paix et félicité!

Ce sont les dernières lignes de mon journal de Hong Kong, mais nous sommes loin d'avoir fini le Cycle. Au revoir, à bientôt.

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Programme du jour de M. Lamy 18 décembre 2005

Réunions sur le processus de négociation et avec les délégations des Membres

Cérémonie de clôture (heure à déterminer)


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Samedi 17 décembre

Encore 24 heures — allons-nous y arriver?

Un peu d'air frais nous ferait du bien, marcher le long de la mer. Il reste à peine plus de 24 heures avant la fin de la conférence. Nous sommes tous fatigués, mentalement et physiquement. C'est comme le dernier tronçon d'un marathon, votre corps vous dit que la ligne d'arrivée est trop lointaine, c'est le mental qui vous fait tenir jusqu'à la fin. Une fois, quelqu'un m'a dit que la course, c'est 80% de physique… et 20% de mental. Les négociations commerciales sont plus mentales que physiques, mais si vous devez rester assis, concentré sur une négociation durant des heures, votre corps aussi va souffrir.

Les médias disent que nous avons beaucoup de mal à parvenir à un accord — ils n'en savent pas la moitié, à quel point c'est dur. Le dernier débat entre les Ministres a duré 10 heures. Nous sommes restés debout toute la nuit à discuter, en essayant d'élaborer un compromis. Vers le haut. Je dois admettre que par moments, on dirait que nous n'allons nulle part. Dans ces cas-là, je sais qu'il faut que j'aie l'esprit clair, pour rester concentré — et tous les autres avec moi — sur la vraie ligne d'arrivée — la fin du Cycle en 2006. Mais à présent, toute notre énergie (ou ce qu'il en reste) doit servir à réaliser des progrès durant les quelques heures qui viennent.

Je parcours le dossier de presse et je vois qu'il est parfois question de ce carnet de bord — c'est amusant de voir que des passages de ce carnet sont publiés dans la presse! À propos des réactions, je tiens à remercier ceux d'entre vous qui ont envoyé des messages d'encouragement, de divers endroits: Maroc, Turquie, Chypre, Canada, Chine et aussi des membres du personnel du Secrétariat de l'OMC restés à Genève. Comme je l'ai dit hier, j'aimerais sincèrement avoir le temps d'envoyer à chacun d'entre vous un message personnel et une réponse, mais j'espère que vous comprenez que je suis pris par le temps ces jours-ci. J'essaierai de le faire lorsque je serai de retour à Genève.

Quelqu'un m'a écrit pour me demander la provenance des bananes que je consomme — question intelligente, compte tenu du fait que le commerce des bananes est une question brûlante à l'OMC et que je dois demeurer impartial. J'ai demandé autour de moi quelle était la provenance des bananes que nous mangeons ici au centre des congrès, et on m'a dit qu'elles venaient de partout dans le monde, car le commerce à Hong Kong est très ouvert, mais que celles que nous avons actuellement proviennent très probablement des Philippines à cette époque de l'année. Tout ce que je peux ajouter, c'est un mot de remerciement aux planteurs de bananes du monde entier pour ce superbe produit — portable, pourvu de son propre emballage, à la forme élégante et très tonique.

Le photographe de l'OMC nous a montré une photo d'une bien mignonne petite fille! J'ai demandé au responsable de notre site web de mettre cette photo sur le site, accompagnée de mon message. La petite fille s'appelle Maria-Gloria Distefano, elle a deux ans et demi et elle assiste à la conférence avec sa mère, une déléguée du Luxembourg. Quel contraste par rapport à l'ambiance de nos réunions où tout le monde est en costume gris — c'est sans doute ce que les gens appellent un “négociateur commercial né”! Aujourd'hui, mon emploi du temps est entièrement conditionné par la phase finale des négociations. Parler avec les coordinateurs régionaux, les délégations, les experts du Secrétariat. Le nouveau texte que nous avons élaboré la nuit dernière est distribué aux délégations à deux heures de l'après-midi. Il y a pas mal de changements qu'ils vont devoir absorber… avant que nous ne nous réunissions à nouveau ce soir dans le "bocal". Il faut que nous préparions la dernière version avant que le rideau ne retombe demain. Il y a intérêt à ce que le résultat soit bon, si nous voulons maintenir la crédibilité des 150 Ministres, des délégués, des médias, des ONG qui se sont réunis pendant une semaine entière à des milliers de kilomètres de chez eux.

Je voulais dire un mot des gens qui travaillent avec moi ici à Hong Kong. Ce sont des professionnels dévoués qui viennent de tous les continents, disponibles à toutes heures, gardant un profil bas et toujours concentrés. Certains font partie de mon entourage immédiat, d'autres sont des spécialistes — des juristes, des économistes, dialoguant avec les délégations sur toutes les questions techniques, ou se cachent dans les cabines des interprètes, les bureaux des traducteurs, révisant, préparant et distribuant les documents, organisant la logistique, parlant à la presse et aux ONG, sans oublier ceux qui sont restés à Genève pour faire en sorte que les choses continuent à fonctionner au siège. Il y a eu un énorme travail d'équipe, en collaboration avec le personnel très efficace de Hong Kong. Un grand merci à tous (j'ai réalisé qu'eux aussi lisent ce carnet de bord…).

C'est l'heure d'aller à la réunion des chefs de délégation — c'est-à-dire une réunion avec tous les Ministres de cette conférence. Puis ce sera une session qui durera sûrement toute la nuit — la dernière. Quiconque nous observe de l'extérieur doit penser que tout ceci est fou. C'est peut-être le cas, mais nous n'avons pas encore trouvé d'autre façon de mener ces négociations. Il faudra que j'y pense. Nous n'avons pas encore fini ici, mais je ne peux pas m'empêcher de penser à la somme de travail qui nous attend l'année prochaine. Rappelez-vous: la fin du cycle est pour 2006.

P.S. (confidentiel): à la maison, je mange des bananes issues du commerce équitable. Ne le répétez pas. Je dois rester neutre.

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Vendredi 16 décembre

La partie difficile s'engage mais toutes les options sont ouvertes.

Il fait nuit quand je me réveille et il fait jour quand je vais me coucher. Je suis à Hong Kong depuis près d'une semaine et je n'ai pas vu grand-chose de la ville, à part le Centre de conférences et, de temps à autre, l'hôtel. Mais parfois, pendant la journée, quand il m'arrive de fumer un cigare, j'aperçois le port et le bateau dont j'ai parlé avant, celui qui a les voiles bleues. Ce qui me frappe maintenant c'est que c'est un peu comme notre conscience. Le message peint aujourd'hui sur les voiles en grandes lettres blanches dit “Quand les pauvres commenceront-ils à devenir plus riches?” Message qui s'adresse directement à chacun d'entre nous, alors que nous continuons à enchaîner les réunions. C'est vrai, le commerce peut contribuer à réduire la pauvreté mais — et c'est un grand MAIS — il représente seulement une des pièces du puzzle.

Mes pauvres collaborateurs me regardent, avec leurs yeux qui disent de plus en plus: quand est-ce qu'on va pouvoir dormir? La réponse que je donne à ces deux questions — celle du bateau et celle de mes collaborateurs est la suivante: pour cela il faut travailler encore plus. Pour ce qui est du manque de sommeil, pour la seule nuit d'hier, nous avons consommé ici au bureau 320 tasses de café!!! Pas mal pour les exportations des pays en développement. Les prix sont bas mais le volume augmente …

Aujourd'hui, série extrêmement éprouvante de rencontres pour nous tous qui sommes enfermés dans ces négociations, tous conscients que le temps passe et que les gens — Ministres, délégués, ONG, presse — se font du souci. Je regarde mon agenda et il y a une longue liste de groupes à rencontrer durant les prochaines heures. Je comprends pourquoi beaucoup de gens sont déroutés par cette organisation. Il y a le G 20, le G 6, le G 10, le G 90 et maintenant le G 110, le G 33, le Groupe de Cairns, les Amis du poisson, la Quadrilatérale et les Très chers amis des services. Chacun de ces groupes peut représenter une diversité incroyable de pays qui, selon la région, peuvent être unis ou complètement opposés. Lorsque j'ai atterri dans le monde de l'OMC, j'aurais pu croire — et j'imagine que c'est le cas pour la plupart des gens de l'extérieur — que tous ces acronymes, groupes et mots inintelligibles étaient là pour cacher quelque chose. Et pourtant, il ne s'agit que d'outils pour essayer de faire avancer les négociations. Celles-ci progressent à un rythme géologique mais aucun pays n'est laissé à la traîne. Ainsi donc la patience n'est pas une vertu mais une nécessité.

Vous devez vous dire: ces gens-là passent leurs jours et leurs nuits en réunion. Que sont toutes ces réunions? Imaginez que nous construisions un grand bâtiment, fait de milliers de briques, avec 150 personnes qui posent les briques. Bien sûr, avant de commencer l'assemblage, il faut discuter du plan: qui fait quoi, quand et à quoi va ressembler le résultat final? Pas facile, souvent décourageant. Prenez hier par exemple: nous avons passé plus de trois heures à discuter de l'ensemble de mesures concernant le commerce pour les pays les plus pauvres du monde, qui inclut l'élimination des subventions à l'exportation pour l'agriculture et vise à répondre au problème des producteurs de coton africains.

Ensuite, encore des réunions avec certains des Ministres qui nous aident à résoudre des problèmes épineux, des questions compliquées lourdes d'implications politiques.

Le texte de la Déclaration commence à prendre forme sur quelques points, même si les nuits blanches commencent à entamer la bonne humeur de tous. Les conférences de presse données par les Ministres montrent des gens, les yeux rougis, sous pression. Même mon équipe somnole aux réunions ou essaie de dormir quelques minutes dans les couloirs. Comme le savent tous les coureurs de marathon, il faut absolument garder l'énergie nécessaire pour le sprint final!

Je jette un coup d'œil dehors et voilà une fois de plus le bateau avec les voiles bleues. Les agriculteurs coréens sont probablement dans les rues, eux aussi. C'est encore une longue nuit qui s'annonce. J'ai constamment cette idée dans un coin de ma tête: quelle que soit l'issue de la Conférence, chacun doit y trouver son compte, donc nous devons tous avancer.

Une longue nuit de négociations, difficile, tendue pour les Ministres et aussi pour nous, les intermédiaires, qui devons comprendre chacune des positions pour faire accoucher de compromis qui marchent. Alors que je quitte le Centre de conférences, certains délégués arrivent déjà pour les réunions de samedi. Je me sens comme une taupe qui sort de son trou. Je vais à l'hôtel me reposer. Il ne faut pas que j'oublie de recharger mon téléphone. Je serai de retour dans deux heures, pas plus. Le compromis révisé est en train de sortir. Samedi, les dés seront jetés.

Bonjour, bonne nuit.

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Jeudi 15 décembre

Milieu de la Conférence, quelques progrès petits et fragiles, et encore trop de choses à faire.

Bonjour — et merci à ceux d'entre vous qui ont pris le temps d'envoyer des commentaires sur ce journal. Cela fait plaisir de savoir que quelqu'un le lit! On m'a aussi posé quelques questions intéressantes — j'espère que j'aurai le temps de dialoguer en ligne l'année prochaine. Le soleil est revenu sur Hong Kong ce matin — bon présage pour ce qui s'annonce comme une autre longue journée? Nous sommes au milieu de la Conférence et la suite du chemin peut se transformer soit en une pente glissante, soit une montée à faire avec prudence. Je fais ce que je peux, naturellement, pour que ce soit la montée mais je pense aussi que nous devons maintenant nous demander: est il possible de faire avancer 149 Membres dans la même direction? En écoutant certaines déclarations des Ministres tout au long de la journée, j'ai pensé au nombre de personnes dans le monde qui nous regardent … L'issue de cette Conférence est si importante pour tellement d'entre eux. Ce matin, j'estime plus que jamais qu'il est nécessaire de faire réellement démarrer les travaux.

Les délégués des 49 pays les plus pauvres se réunissent pour me rencontrer. Je sais qu'ils attendent de savoir ce que moi même et les autres Membres allons faire au sujet des questions qui les intéressent. Ils veulent obtenir pour leurs produits un accès aux marchés des pays riches — sans aucun obstacle. Certains d'entre eux me rappellent qu'ils ne représentent qu'une toute petite partie du commerce mondial, moins de 1 pour cent, qu'ils ne peuvent être considérés comme une menace pour personne — ont ils une chance? Ma tâche, comme je la conçois, consiste à faire en sorte que leurs voix soient entendues et que l'on tienne compte de ce qu'ils ont à dire.

Tout de suite après, grande réunion avec le Groupe africain. Plus de 300 délégués. Ils sont déterminés à ce que personne n'oublie que ce Cycle est censé être celui du développement. Dans toutes ces discussions, nous nous rapprochons légèrement de quelque chose de concret … quelques mots que nous pouvons mettre sur le papier et nous commençons à voir une petite — une toute petite — convergence. C'est un processus fascinant, parfois presque magique, mais toujours épuisant pour tous ceux qui y participent … en particulier quand on n'a pratiquement pas dormi. Mais je dois avouer que la vue de la première lueur de ce qui pourrait devenir une lumière éclatante, un accord sur un texte, récompense largement des efforts les plus durs.

Réunion suivante: la délégation ukrainienne. Le Ministre tient à me dire que l'accession à l'OMC constitue la première priorité de son gouvernement et que tout est fait pour que l'Ukraine puisse devenir Membre l'année prochaine. De nouveaux Membres se joignent à l'OMC — l'Arabie saoudite est officiellement devenue Membre de l'Organisation juste avant cette Conférence, le 11 décembre, portant à 149 le nombre total de Membres. Il y a 30 pays qui attendent d'accéder. Les contradictions apparaissent très clairement au cours de ces grands événements: alors que certains dehors crient “coulez l'OMC!” d'autres, en particulier les pays les plus pauvres, font tout ce qu'ils peuvent pour y entrer.

Un rare moment de détente pendant cette dure journée — je sors quelques instants de la cocotte minute pour assister à la cérémonie de signature pour l'accession des Tonga à l'OMC … Une célébration assez joyeuse pour ce pays insulaire de 112 000 habitants. Les Tonga, “'île accueillante” est un pays “charnière”, situé à proximité de la ligne de changement de date — et il occupe une place charnière à l'OMC — il deviendra le 150ème Membre de l'Organisation. Mâloh y léléi!

À nouveau au travail, bien qu'il fasse déjà nuit, beaucoup de monde sort dîner. Pas de chance pour moi ni pour le personnel du Secrétariat. Nous devons rester et nous préparer à la tâche difficile qui consiste à mettre tout le monde d'accord sur la délimitation de domaines de progrès — même petits. De nouveau dans l'“aquarium” pour de dures négociations. De longues heures à faire le maximum pour que les gens soient tout à leur travail, je ne peux plus maintenant me permettre un instant de distraction. Pourtant, je me sens calme parce que je suis convaincu que ce que nous élaborons est venu de la base, des Membres, développés et en développement, des petits pays insulaires, de puissances comme les États-Unis, l'UE, la Chine, l'Inde et le Brésil, et aussi du groupe des pays les plus pauvres, qui nous disent avec peut être plus d'éloquence que tout autre que nous ne devons pas échouer. Des intérêts différents, une multitude de signaux et de signes à déchiffrer, à comprendre, avant de dormir un peu. Je me rappelle un proverbe chinois: pas de vent, pas de vagues. Il se produit quelque chose. À demain!

P.S.: J'espère avoir un peu de temps pour faire des courses de Noël quand la Conférence sera terminée.

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Mercredi 14 décembre

Le moteur démarre, quoique lentement

Bonjour et bienvenue … ma deuxième longue journée (et nuit) de la Ministérielle. Mon programme s'accélère au rythme des discussions. Réunion après réunion, un endroit après l'autre. Pourtant, j'ai trouvé un moment pour jeter un coup d'œil au compte rendu de la journée d'hier dans la presse et j'ai vu que la baguette magique que j'ai utilisée à la cérémonie d'ouverture avait été appréciée. Elle m'a été en fait donnée à Genève par l'une de mes secrétaires — c'est un jouet en plastique et ça ne marche sûrement pas! La seule magie, à l'OMC, est le rare moment du consensus — qui ne se produit qu'à force de beaucoup de travail. Quoiqu'il en soit, je pense qu'il est parfois bon d'utiliser une astuce graphique pour mobiliser l'attention. Aucun doute que ça a marché lorsque j'ai dit à Cancún que le processus des réunions ministérielles à l'OMC était médiéval …

Le cadre de la Conférence actuelle est lui plus proche de la science-fiction. On dirait que les délégués planent dans l'air d'un niveau à l'autre de cette gigantesque capsule de verre et d'acier qui donne sur un port grouillant de toutes les formes imaginables d'embarcations — cargos, pétroliers, yachts, bateaux de pêche — qui ont toutes un rapport ou un autre avec le commerce. La vue que j'ai de mon bureau sur le port et le passage ininterrompu des bateaux est fantastique — c'est comme si on me rappelait sans arrêt le caractère concret de ces négociations. Si jamais un jour un monument est élevé à la gloire du commerce, il le sera sûrement à Hong Kong.

Mais trêve de rêveries. La journée commence tôt avec mes adjoints et mes collaborateurs, avant la première réunion avec notre Président, John Tsang, les trois Vice-Présidents et les Ministres qui l'aident en qualité d'“amis” pour les contacts directs. Leur rôle est essentiel pour que tous nos Membres restent impliqués dans le processus de négociation. Le mien sera, pour assurer que les débats restent transparents, de rencontrer individuellement tout au long de la journée des Ministres et des groupes pour partager l'information et continuer de faire avancer le processus — un long programme de réunions, parfois d'une demi-heure, sans interruption. J'ai parfois l'impression d'être un berger, d'autres fois une infirmière ou encore une sage-femme qui s'efforce d'aider les Membres pendant un accouchement difficile …

P+B pour déjeuner (je veux dire bien sûr pain et bananes). En me rendant à d'autres réunions, j'observe les policiers qui tanguent dans leurs minuscules bateaux sur les eaux agitées qui entourent le Centre des congrès. Qui protègent-ils? J'aimerais penser qu'ils protègent tous ceux d'entre nous pour qui la Conférence est un enjeu, les manifestants à l'extérieur, les délégués et les ONG à l'intérieur — tout le monde — afin que le débat que nous avons engagé reste aussi civilisé et productif que possible.

La plénière du soir nous a donné de bonnes raisons de réfléchir au sort particulièrement difficile de certains de nos Membres en développement les plus pauvres. Ils nous ont parlé de l'importance du coton et des bananes pour leurs économies. La Ministre du Tchad, dans une courte intervention très émouvante, a appelé à des progrès sur la question du coton. Elle a évoqué la misère et la pauvreté, la dignité humaine et la coopération. L'OMC concerne beaucoup plus que le simple commerce — en fait c'est le commerce qui concerne beaucoup plus que des droits de douane et des formules: il concerne les gens. Ce que les pays ont dit en réalité, lorsqu'ils ont parlé du coton et des bananes, c'est que tout effort de notre part pour rendre le commerce équitable DOIT tenir compte de leurs préoccupations.

La journée s'est terminée par d'autres consultations encore qui se sont poursuivies dans la nuit. Je vais retourner à l'hôtel maintenant (3 heures) pour essayer de grappiller quelques heures de sommeil et me préparer pour jeudi (6 heures). La journée — point médian de la Conférence — sera cruciale.
 

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Mardi 13 décembre

Bonjour, ou Nei Ho comme ils disent ici en cantonais ou Nin Hau en mandarin.

Aujourd'hui c'est le grand jour: l'ouverture de la Conférence. Me suis levé tôt et ai fait un petit jogging pour me préparer à la première longue journée. Aux nouvelles télévisées, on m'a vu très occupé toute la journée d'hier à rencontrer divers groupes. Je sais que cela était utile. Mais aujourd'hui il s'agit de se concentrer sur la partie officielle alors que les délégations continuent d'arriver.

Je ne pense pas que ce soit uniquement le décalage horaire qui me donne l'impression que la journée se déroule très rapidement; me voici avec des représentants du G-20, la nouvelle force du système multilatéral qui comprend le Brésil, l'Inde, la Chine et d'autres pays en développement. Leur principal souci est d'arriver à des réductions des subventions agricoles qui ont des effets de distorsion des échanges. Nous avons déjà beaucoup progressé sur cette question depuis que nous avons lancé les négociations en 2001. Ensuite, les Ministres de la région des Caraïbes me font part de leurs préoccupations en tant que petites économies insulaires; ils affirment qu'il n'est pas possible d'avoir une OMC qui convienne à tous. Après, alors que je prends un café dans mon bureau avant la rencontre suivante, j'aperçois un bateau avec, peints sur les voiles, les mots “À quand la justice dans le commerce?”. Mais la justice du commerce pour qui?

J'ai un peu le trac, comme un coureur sur la ligne de départ. On me dit qu'il y a à peu près 11 000 hommes et femmes en train de se réunir pour la cérémonie d'ouverture et je me dis que c'est moins qu'au marathon de New York. Les délégués forment une masse impressionnante et très colorée. Mon principal message est que nous n'avons pas de baguette magique pour résoudre nos difficultés: seulement de la témérité et du courage. Juste au moment où je disais que l'OMC est une institution plutôt démocratique, un groupe d'ONG a commencé à scander des slogans anti-OMC en pleine cérémonie tandis qu'un groupe d'agriculteurs coréens se jetait à l'eau pour nager en direction du Centre de conférences … Quelqu'un a-t-il des doutes quant au caractère ouvert de l'Organisation? Je ne peux pas m'empêcher de penser à toutes les contradictions qui nous entourent: deux tiers des délégués qui se trouvent dans le bâtiment veulent une plus grande ouverture du commerce dans le secteur de l'agriculture, alors que les nombreux agriculteurs qui manifestent dans les rues et qui font les grands titres des journaux demandent exactement le contraire: une fermeture des marchés pour les produits agricoles. Je pense aux voiles du bateau, la justice du commerce pour qui? Cela montre en partie le gouffre qui existe dans le public sur le point de savoir ce que l'OMC est et ce qu'elle n'est pas. Il est clair qu'on peut encore beaucoup faire pour améliorer la communication.

C'est ce que j'essaye de faire à ma première conférence de presse. Plus de 3 000 journalistes, avides de nouvelles, y assistent. Je leur dis que je pense que nous pouvons faire une percée à Hong Kong, à condition que les Ministres soient prêts à prendre certains risques. Et c'est aussi ce que je dis à un groupe de Ministres que je rencontre le soir. Que vont-ils faire? Restez à l'écoute.

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Lundi
12 décembre

Arrivée à Hong Kong et mise en route

Bonjour. De grandes réserves de pain et de bananes pour me faire tenir pendant la semaine. Je suppose que je n'aurai pas beaucoup de temps mais j'ai pensé que je pourrais vous donner tous les jours une idée de ce qui se passe.

Le programme officiel de la Conférence ne commence pas avant demain et aujourd'hui, la journée a été consacrée à des rencontres avec la communauté commerçante. Le ton et le rythme de la Conférence changeront à partir de demain et j'en ai profité pour rencontrer des personnes qui, bien que ne participant pas directement aux négociations, s'intéressent beaucoup à leur issue. J'ai vu des parlementaires, des dirigeants syndicaux, des hommes politiques et des membres de la société civile tout en parvenant à rencontrer aussi un grand nombre de Ministres et leurs collaborateurs.

Je me suis réveillé tard et j'ai juste eu le temps de faire un petit tour dans la salle de gym mais, vu les dimensions du Centre de conférences, je pourrai probablement faire tout le sport dont j'ai besoin rien qu'en allant d'une réunion à l'autre à l'intérieur du bâtiment. Je dois dire que le Centre de conférences est étonnant — à l'image même de la Hong Kong moderne. Le Ministre du commerce de Hong Kong, John Tsang, a fait un travail remarquable.

Après quelques réunions rapides avec mes collaborateurs ce matin, je suis allé dire quelques mots à l'Union interparlementaire. Comme je leur ai dit, l'implication des parlementaires nationaux dans les questions traitées à l'OMC donne aux relations commerciales la transparence nécessaire. Après tout, ce sont les parlements qui devront approuver tout accord résultant de ces négociations et il est donc d'une importance vitale que les législateurs soient informés et impliqués.

Ensuite, une visite à la Confédération internationale des syndicats libres. Je suis entièrement d'accord avec eux quand ils disent que le commerce doit créer davantage d'emplois. Les moyens de subsistance des gens et la possibilité d'améliorer les niveaux de vie — c'est pour cela que nous sommes ici et c'est pourquoi je leur ai dit qu'ils devraient appuyer nos travaux.

J'ai déjeuné avec les Ministres du commerce du Commonwealth — cuisine cantonaise délicieuse — ils regrettaient que les négociations ne progressent pas plus vite. Je leur ai dit que cette semaine devait être consacrée aux négociations — et pas seulement aux courses de Noël.

Retour au Centre de conférences pour le “grand vacarme” — pétition signée par près de 18 millions de personnes en faveur du commerce équitable. Je suis très impressionné par la pétition et par le travail que fait Oxfam pour amener les gens à s'intéresser au commerce. À ce propos, pendant que je faisais une interview avec une station de radio française, José Bové a appelé pour dire qu'il était retenu à l'aéroport de Hong Kong et qu'on ne l'autorisait pas à entrer. Je lui ai dit que j'allais voir la question avec les autorités de Hong Kong. Quelques heures plus tard il était ici … c'est ça un dialogue ouvert.

La journée a été longue mais j'ai encore quelques Ministres à rencontrer avant de pouvoir me reposer et me préparer pour demain: la grande cérémonie d'ouverture. Je vous reparlerai à ce moment, et restez avec moi!
 

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