MODULE DE FORMATION AU SYSTÈME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS: CHAPITRE 6

Le processus — Étapes d’une affaire type de règlement des différends

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6.10 Contre-mesures imposées par le Membre ayant eu gain de cause (suspension d’obligations)

Conditions préalables et objectifs

Si, dans les 20 jours suivant la date à laquelle le délai raisonnable est venu à expiration, les parties ne sont pas convenues d’une compensation satisfaisante, le plaignant peut demander à l’ORD l’autorisation d’imposer des sanctions commerciales contre le défendeur qui n’a pas procédé à la mise en œuvre. Techniquement, cela s’appelle “suspendre des concessions ou d’autres obligations au titre des accords visés” (article 22:2 du Mémorandum d’accord).

Les concessions sont, par exemple, des engagements de réductions tarifaires que les Membres de l’OMC ont souscrit lors des négociations commerciales multilatérales et qui sont consolidés en vertu de l’article II du GATT de 1994. Ces concessions consolidées ne sont qu’une des formes que peuvent prendre les obligations dans le cadre de l’OMC. “Obligations” est le terme générique figurant à l’article 22 (concessions ou autres obligations) utilisé dans le présent guide dans un souci de concisions (bien qu’à ce jour, la forme la plus courante soit la suspension de concessions par l’imposition de surtaxes tarifaires). La suspension d’obligations dans le cadre de l’OMC à l’encontre d’un autre Membre exige l’autorisation préalable de l’ORD. Le plaignant est ainsi autorisé à imposer des contre-mesures par ailleurs incompatibles avec l’Accord sur l’OMC en réponse à une violation ou à une annulation ou une réduction d’avantages en situation de non-violation. Ces contre-mesures sont aussi appelées informellement “mesures de rétorsion” ou “sanctions”. Cette suspension d’obligations est opérée sur une base discriminatoire et vise seulement le Membre qui n’a pas procédé à la mise en œuvre.

La rétorsion est la conséquence finale la plus grave qu’un Membre qui ne procède pas à la mise en œuvre peut devoir subir dans le cadre du système de règlement des différends de l’OMC (article 3:7 du Mémorandum d’accord). Bien que les mesures de rétorsion exigent l’autorisation préalable de l’ORD1, les contre-mesures sont appliquées de manière sélective par un Membre à l’encontre d’un autre.

Il y a une certaine controverse quant à savoir si le but de la suspension des obligations est de faire respecter les recommandations et les décisions, ou simplement de rééquilibrer les avantages commerciaux réciproques (à un nouveau niveau inférieur). Quelle que soit la réponse, il est manifeste que la suspension d’obligations a pour effet de rééquilibrer les avantages commerciaux mutuels. Il est également manifeste que les plaignants qui suspendent des obligations le font souvent avec l’intention d’inciter au respect des recommandations et décisions.

En conséquence, la suspension peut avoir pour effet d’inciter le défendeur à mener à bien la mise en œuvre. L’ORD précise également clairement que la suspension d’obligations est temporaire et que l’ORD doit tenir la situation sous surveillance tant que les recommandations et décisions ne sont pas mises en ouvre. La question reste à l’ordre du jour des réunions de l’ORD à la demande de la partie plaignante jusqu’à ce qu’elle soit résolue. La suspension doit être annulée une fois que le Membre concerné s’est intégralement conformé aux recommandations et décisions de l’ORD.

La plupart des observateurs conviennent que la suspension d’obligations en cas d’absence de mise en œuvre en temps voulu est problématique parce qu’elle amène habituellement le plaignant à répondre à un obstacle au commerce (incompatible avec les règles de l’OMC) par un autre obstacle au commerce, ce qui est contraire au principe de libéralisation qui sous-tend l’OMC. Par ailleurs, les mesures érigeant des obstacles commerciaux sont coûteuses car elles sont presque toujours économiquement préjudiciables non seulement pour le Membre ciblé mais aussi pour celui qui impose ces mesures. Cela étant dit, il est important de noter que c’est le dernier recours que prévoit le système de règlement des différends et qu’en fait, il n’est pas utilisé dans la plupart des cas. Qu’un différend aille aussi loin et ne soit pas réglé à une étape antérieure par des moyens plus constructifs constitue manifestement l’exception, et non la règle.2

 

Règles régissant la suspension d’obligations  haut de page

Le niveau de la suspension d’obligations autorisée par l’ORD doit être “équivalent” au niveau de l’annulation ou de la réduction des avantages (article 22:4 du Mémorandum d’accord). Cela signifie que la mesure de rétorsion du plaignant ne doit pas dépasser le niveau du préjudice causé par le défendeur. Dans le même temps, la suspension d’obligations est prospective et non rétroactive; elle ne couvre que la période qui suit l’octroi de l’autorisation par l’ORD et non l’ensemble de la période au cours de laquelle la mesure en question a été appliquée, ni toute la période du différend.

Pour ce qui est du type d’obligations à suspendre, le Mémorandum d’accord impose certaines prescriptions. En principe, les sanctions devraient être imposées dans le même secteur que celui dans lequel la violation ou autre annulation ou réduction d’avantages a été constatée (article 22:3 a) du Mémorandum d’accord). À cette fin, les accords commerciaux multilatéraux se divisent en trois groupes conformément aux trois parties de l’Annexe 1 à l’Accord de l’OMC (l’Annexe 1A comprend le GATT de 1994 et les autres accords multilatéraux sur le commerce des marchandises, l’Annexe 1B l’AGCS et l’Annexe 1C l’Accord sur les ADPIC) (article 22:3 g) du Mémorandum d’accord). Des secteurs sont définis dans ces accords. Pour ce qui est des ADPIC, les catégories de droits de propriété intellectuelles et les obligations relevant de la Partie III et de la Partie IV de l’Accord sur les ADPIC constituent chacune des secteurs distincts. Dans l’AGCS, chaque secteur principal recensé dans la “Classification sectorielle des services” est un secteur. Pour ce qui est des marchandises, toutes les marchandises appartiennent au même secteur (article 22:3 f) du Mémorandum d’accord). Le principe général est que le plaignant doit d’abord chercher à suspendre des obligations en ce qui concerne le même secteur que celui dans lequel la violation ou autre annulation ou réduction d’avantages a été constatée. Cela signifie que, par exemple, la réponse à une violation dans le domaine des brevets devrait aussi viser les brevets. Si la violation s’est produite dans le domaine des services de distribution, les contre-mesures devraient aussi concerner ce domaine. En revanche, un droit de douane incompatible avec les règles de l’OMC frappant les automobiles (une marchandise) peut être neutralisé par une surtaxe tarifaire sur le fromage, les meubles ou les pyjamas (qui sont aussi des marchandises).

Toutefois, si le plaignant considère qu’il n’est pas possible ou efficace d’agir dans le même secteur, les sanctions peuvent être imposées dans un secteur différent au titre du même accord (article 22:3 b) du Mémorandum d’accord). Cette option n’est pas pertinente dans le domaine des marchandises mais, par exemple, une violation concernant des brevets pourrait être neutralisée par des contre-mesures visant les marques de fabrique, et une violation dans le domaine des services de distribution pourrait être contrebalancée par une mesure dans le secteur des services de santé.

Ensuite, si le plaignant considère qu’il n’est pas possible ou efficace d’agir au titre du même accord et que les circonstances sont suffisamment graves, les contre-mesures peuvent être prises au titre d’un autre accord (article 22:3c) du Mémorandum d’accord). L’objectif de cette hiérarchie est de minimiser les risques que les mesures ne s’étendent à des secteurs qui n’ont absolument rien à voir tout en leur permettant d’être efficaces. La possibilité de suspendre des concessions dans d’autres secteurs ou au titre d’un autre accord est souvent dénommée “rétorsion croisée”.

La possibilité de suspendre des obligations dans un autre secteur ou au titre d’un autre accord peut être très importante pour les petits pays ou les pays en développement Membres. Premièrement, ces pays n’importent pas toujours des biens et des services ou des droits de propriété intellectuelle (en quantité suffisante) qui relèvent des mêmes secteurs que ceux où est intervenue la violation ou l’annulation ou la réduction d’avantages.3 Il peut donc être impossible de suspendre des obligations d’un niveau équivalent à celui de l’annulation ou de la réduction d’avantages provoquée par le défendeur, à moins que le plaignant ne puisse suspendre des obligations dans un secteur différent ou au titre d’un accord différend. Deuxièmement, la suspension dans le même secteur ou au titre du même accord peut ne pas être possible ou efficace parce que les liens commerciaux bilatéraux sont asymétriques en ce qu’ils sont relativement importants pour le plaignant mais relativement négligeables pour le défendeur, en particulier si ce dernier est une grande nation commerçante. Dans ce cas, les effets de la suspension d’obligations et l’imposition d’obstacles au commerce risquent de ne pas même apparaître dans les statistiques commerciales du défendeur. Troisièmement, il pourrait ne pas économiquement tenable pour le pays en développement plaignant d’imposer des obstacles à l’importation à la suite de la suspension d’obligations en vertu du GATT de 1994 ou de l’AGCS car cela réduirait l’offre et/ou augmenterait le prix des importations dont les producteurs et les consommateurs du plaignant pourraient dépendre.

C’est pour ces raisons qu’il importe que les pays en développement puissent utiliser des méthodes de suspension des obligations qui ne créent pas d’obstacles au commerce, dont la suspension d’obligations au titre de l’Accord sur les ADPIC est un exemple.4

 

Notes:

1. De l’avis de certains Membres et experts du droit commercial, l’article 8:2 et 8:3 de l’Accord sur les sauvegardes prévoit une procédure qui s’écarte en partie de l’article 22 du Mémorandum d’accord et qui permet la suspension de concessions immédiatement après l’adoption du rapport du groupe spécial (et de celui de l’Organe d’appel), sans autorisation préalable de l’ORD. retour au texte

2. Voir la section sur les huit premières années de fonctionnement en quelques chiffres. retour au texte

3. Cela suppose que la violation ou l’annulation ou la réduction d’avantages a affecté les exportations du plaignant et que la suspension d’obligations viserait à porter atteinte aux importations en provenance du défendeur, ce qui est le plus habituellement (mais pas nécessairement) le cas. retour au texte

4. Décision des arbitres dans l’affaire CE — Bananes III (Équateur) (article 22.6 — CE). retour au texte

  

  

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Avertissement
Ce module de formation interactif est basé sur le “Guide sur le système de règlement des différends à l'OMC” publié en 2004. La deuxième édition de ce guide, publiée en 2017, est disponible ici.

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