Questions couvertes par les comités et accords de l'OMC

MODULE DE FORMATION AU SYSTÈME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS: CHAPITRE 4

Le fondement juridique d’un différend

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4.2 Les types de plaintes et les allégations prescrites dans le GATT de 1994

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La plainte en situation de non-violation

On peut s’interroger sur la légitimité de la plainte en situation de non-violation, étant donné que l’Accord sur l’OMC contient tous les droits et obligations dont les Membres sont convenus pendant leurs négociations. Pourquoi devrait-il y avoir un recours contre des actions qui ne sont pas incompatibles avec ces droits et obligations, autrement dit des mesures que l’Accord sur l’OMC n’interdit pas?

La raison en est qu’un accord commercial international comme l’Accord sur l’OMC ne peut jamais constituer un ensemble complet de règles sans la moindre lacune. Il est donc possible pour les Membres de l’OMC de prendre des mesures qui respectent la lettre de l’accord mais qui néanmoins vont à l’encontre de l’un de ses objectifs ou compromettent les engagements commerciaux qu’il contient. D’un point de vue plus technique, l’avantage qu’un Membre peut légitimement attendre de l’engagement contracté par un autre Membre en vertu de l’Accord sur l’OMC peut être compromis à la fois par des mesures proscrites par l’Accord sur l’OMC et par des mesures compatibles avec ledit accord. Si un Membre compromet l’avantage d’un autre Membre en prenant une mesure compatible par ailleurs avec l’Accord sur l’OMC, cela met en péril l’équilibre entre les engagements commerciaux réciproques des deux Membres. La plainte en situation de non-violation fournit un moyen de corriger ce déséquilibre.

Un groupe spécial du GATT a indiqué que le recours inhabituel que constituait la plainte en situation de non-violation avait pour but d’encourager les parties contractantes à faire des concessions tarifaires. Lorsque la valeur d’une concession tarifaire est amoindrie par la partie contractante qui l’offre du fait de l’application d’une mesure compatible avec le GATT, la partie contractante bénéficiant de cette concession — qui voit les possibilités de concurrence accrues qu’elle pouvait escompter compromises par cette mesure — doit jouir d’un droit à réparation.1

On aurait tort de croire que la plainte en situation de non-violation a un large champ d’application, recouvrant toutes sortes de mesures compatibles par ailleurs avec le GATT de 1994 et les autres accords visés. Les groupes spéciaux et l’Organe d’appel ont indiqué que le recours prévu à l’article XXIII:1 b) “devrait être envisagé avec prudence et demeurer exceptionnel”.2 Un groupe spécial a ajouté: “La raison de cette prudence est simple. Les Membres négocient les règles qu’ils conviennent de suivre et ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’ils s’attendraient à être attaqués pour des actes qui n’enfreignent pas ces règles.”3

L’article 26:1 du Mémorandum d’accord vise plus particulièrement les plaintes en situation de non-violation au sens de l’article XXIII:1 b) du GATT de 1994 et impose au plaignant de “présenter une justification détaillée à l’appui de toute plainte concernant une mesure qui n’est pas contraire à l’accord visé en l’espèce”. Aucune présomption ne s’applique dans le cadre des plaintes en situation de non-violation pour ce qui est de l’annulation ou de la réduction d’avantages. Il ressort du texte de l’article XXIII:1 b), associé à la notion d’annulation ou de réduction d’avantages4, que la partie plaignante doit démontrer l’existence de trois conditions afin que sa plainte en situation de non-violation aboutisse. Ces trois conditions sont les suivantes: 1) l’application d’une mesure par un Membre de l’OMC; 2) l’existence d’un avantage résultant de l’accord applicable; et 3) l’annulation ou la réduction d’un avantage du fait de l’application de la mesure.5

La première condition veut que la mesure appliquée soit attribuable au gouvernement du Membre défendeur. Un comportement d’ordre purement privé ne satisferait pas à lui seul à cette condition. Si un gouvernement tolère simplement un comportement restrictif d’ordre privé, cela ne pourrait pas davantage être contesté au moyen d’une plainte en situation de non-violation. Il n’en est pas de même si le gouvernement appuie ou encourage activement ces actions privées.6 Pour ce qui est de la deuxième condition, les plaignants ont pu invoquer dans le passé les possibilités améliorées d’accès aux marchés qu’ils pouvaient légitimement attendre des concessions tarifaires en cause. Pour ce qui est de la troisième condition, l’avantage est annulé ou compromis lorsque la mesure en question a pour effet de perturber le rapport de concurrence entre les produits importés et les produits nationaux et que le plaignant n’a pas été en mesure d’anticiper raisonnablement l’application de la mesure au moment de négocier la concession.

Il y a eu 14 affaires dans lesquelles une plainte en situation de non-violation au titre de l’article XXIII:1 b) du GATT de 1947 a été examinée par des groupes de travail ou des groupes spéciaux. Dans six d’entre elles, la plainte au titre de l’article XXIII:1 b) a abouti7 et, dans trois de ces six affaires, le rapport a été adopté par le Conseil du GATT.

 

La plainte motivée par une autre situation  haut de page

L’historique de la négociation indique que l’article XXIII:1 c) du GATT de 1947, relatif à ce qu’il est convenu d’appeler la “plainte motivée par une autre situation”, devait entrer en jeu dans les situations d’urgence macro-économique (par exemple dépressions générales, fort taux de chômage, effondrement du prix d’un produit, difficultés de balance des paiements). Dans la pratique suivie dans le cadre du GATT de 1947, les parties contractantes ont eu recours à l’article XXIII:1 c) dans quelques cas pour se plaindre de retraits de concessions, d’échecs de renégociations de concessions tarifaires et d’attentes déçues en matière de flux commerciaux. Toutefois, aucune de ces plaintes n’a jamais donné lieu à une décision rendue par un groupe spécial sur la base de l’article XXIII:1 c).8 En conséquence, ni la jurisprudence du GATT ni celle de l’OMC ne donnent d’indications quant aux critères qu’une plainte motivée par une autre situation doit remplir pour être légitime.

On peut déduire des termes mêmes de l’article XXIII:1 c) qu’il doit exister une situation autre que celles qui sont mentionnées aux alinéas a) et b) de l’article XXIII:1, ainsi qu’une annulation ou une réduction d’un avantage (ou une entrave à la réalisation d’un objectif du GATT de 1994). L’article 26:2 a) du Mémorandum d’accord dispose que la partie plaignante doit “présenter une justification détaillée à l’appui de tout argument” concernant la plainte motivée par une autre situation.

L’article 26:2 du Mémorandum d’accord dispose par ailleurs que les règles et procédures du Mémorandum d’accord s’appliquent aux plaintes motivées par une autre situation uniquement jusqu’au point de la procédure où le rapport du groupe spécial a été distribué. Pour ce qui est de l’adoption du rapport du groupe spécial et de la surveillance et de la mise en ouvre des recommandations et des décisions dans le cadre de ces affaires, les anciennes règles et procédures de règlement des différends contenues dans la Décision du 12 avril 19899 restent valables. Cela signifie que la règle du consensus inverse ne s’applique pas à l’adoption du rapport du groupe spécial, ni à l’autorisation de suspendre des obligations en cas d’absence de mise en ouvre des décisions relatives aux plaintes motivées par une autre situation. Autrement dit, n’importe quel Membre pourrait bloquer ces décisions à l’ORD en empêchant qu’il y ait un consensus positif.10 À ce jour, aucun Membre ne s’est prévalu de cette disposition.

 

Ce qui se passe dans la pratique: résumé  haut de page

En résumé, on peut dire que, concrètement, deux types de plaintes jouent un rôle dans le processus de règlement des différends de l’OMC. Il s’agit de la plainte pour violation, et, beaucoup moins fréquemment, de la plainte en situation de non-violation qui sont décrites plus haut. Ces deux types de plaintes peuvent intervenir simultanément dans le cadre d’une même affaire, par exemple dans le cas où l’une est présentée à titre subsidiaire (“si le Groupe spécial constate qu’il n’y a pas de violation, le plaignant estime qu’il devrait constater qu’il y a une annulation ou une réduction d’avantages en situation de non-violation”).11

 

Notes:

1. Rapport du Groupe spécial CEE — Oléagineux I, paragraphe 144. retour au texte

2. Rapport du Groupe spécial Japon — Pellicules, paragraphe 10.37. retour au texte

3. Rapport du Groupe spécial Japon — Pellicules, paragraphe 10.36. retour au texte

4. On notera que l’article 26:1 du Mémorandum d’accord couvre aussi l’autre type de plainte en situation de non-violation, qui associe la “mesure appliquée par un Membre” à une entrave à la “réalisation de l’un des objectifs” du GATT de 1994, et non à “l’annulation ou la réduction d’un avantage”, comme c’est généralement le cas dans les plaintes en situation de non-violation. retour au texte

5. Rapport du Groupe spécial CE — Amiante, paragraphe 8.283. retour au texte

6. Voir aussi l’article 11:3 de l’Accord sur les sauvegardes. retour au texte

7. Rapport du Groupe de travail Australie — Sulfate d’ammonium; rapport du Groupe spécial Allemagne — Sardines; rapport du Groupe spécial CE — Agrumes, 7 février 1985, non adopté, L/5776; rapport du Groupe spécial CEE — Fruits en boîte; rapport du Groupe spécial CEE — Oléagineux I; rapport du Groupe spécial CEE — Oléagineux II. retour au texte

8. Voir GATT, Index analytique, pages 724 à 727 (6ème édition mise à jour (1995)). retour au texte

9. IBDD, S36/64 à 70. retour au texte

10. L’article 26:2 du Mémorandum d’accord exclut aussi implicitement la possibilité de faire appel du rapport d’un groupe spécial chargé d’examiner une plainte motivée par une autre situation. Cela semble interdire à l’Organe d’appel d’examiner les critères juridiques qui, selon les constatations du groupe spécial, devaient être remplis pour qu’une plainte motivée par une autre situation soit valable conformément à l’article XXIII:1 c) du GATT de 1994 et à l’article 26:2 du Mémorandum d’accord. retour au texte

11. Rapport du Groupe spécial Japon — Pellicules, rapport du Groupe spécial CE — Amiante. retour au texte

  

  

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Avertissement
Ce module de formation interactif est basé sur le “Guide sur le système de règlement des différends à l'OMC” publié en 2004. La deuxième édition de ce guide, publiée en 2017, est disponible ici.

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